La journée avait été aussi excitante qu'épuisante pour l'enfant chérie de Béarns, qui avait célébré avec sa famille et son peuple, son mariage. Pour l'occasion, le château avait été décoré avec les rares fleurs que l'on pouvait encore trouver en cette période de l'année. Les tentures avaient également été changé, de même que les bougies. Il avait régné durant les préparatifs l'atmosphère du renouveau, celle aussi, du changement. C'était peut-être pour cela que Glace Loinvoyant n'avait pas affiché sa mine la plus heureuse, à moins que ce ne fut en raison de l'individu que sa fille épousait.
Les deux hommes s'étaient cordialement évité autant que possible durant toute la journée et toute la soirée.
Acuité avait décidé de ne pas s'occuper de ces deux esprits récalcitrants. A ses yeux, son peuple avait le plus d’intérêt et en ce jour, son peuple les avait accueilli avec ravissement et joie non feinte. Elle était fière de chacun de ceux qui avaient fait le déplacement, fière aussi d'afficher son fils aux yeux de tous, enfin reconnu comme n'étant plus bâtard.

Avec sa petite soeur, ils formaient un tableau charmant et Mésange était radieuse bien que sensiblement fatiguée. Les deux femmes s'étaient retrouvées et réjouies comme il se devait, allant même jusqu'à arroser le repas du soir de quelques coupes de vin.
Après les danses et les discours, après les assiettes et les godets, Brun et Acuité avait décidé de se retirer dans les appartements aménagés juste pour eux dans l'aile gauche du château. Acuité s'était alors demandé si elle allait enfin voir un sourire posé sur les lèvres de son époux car depuis qu'ils étaient arrivés, Brun s'était renfrogné. Elle savait bien qu'il n'aimait pas être ici et cela lui faisait mal de l'y obliger, sentant que l'espace de quelques jours, les rôles habituels seraient inversés. Peut-être alors comprendrait-il son mal être à séjourner en Cerf ? A moins que ce ne fut la présence d'Espoir en ses murs qui ait contrarié le conseiller royal ? La discussion autour de cette décision avait été vive mais Acuité avait fini par l'emporter.

Elle referma donc la porte derrière eux après avoir remercié la servante qui les y avait accompagné. Dans le petit salon, une bouteille de vin était posée ainsi que deux coupes vides. Le feu crépitait et il faisait bon. Acuité arpenta l'appartement en soupirant d'aise, découvrant toutes les attentions placées là, juste pour eux. Dans la chambre attenante, un bain fumait non loin du grand lit qui les accueillerait.
Ravie, elle se jeta sur ce dernier en riant comme une gamine découvrant une nouvelle vie. Sans plus attendre, elle délassa son corset et s'en débarrassa sans plus de cérémonie. Dans sa robe de velours aux teintes de glace des sommets, elle revint dan le salon et servit deux coupes avant d'en tendre une à Brun, en signe de paix.

- Ce n'était pas si terrible, si ?lança-t-elle un brin moqueuse avant d'afficher un sourire sensuel.

La sérénité gourmande des premiers jours de leur mariage avait rapidement laissé la place à un atmosphère plus étrange. Non-dits, doutes et désaccords pesaient sur leurs discussions ; aussi, Brun et Acuité avaient cessé de parler, et vivaient dans l'intimité muette du quotidien, un peu comme dans les Montagnes. Brun avait cessé d'argumenter pour qu'Espoir reste à Castelcerf, parce qu'il ne voulait pas laisser son fils seul à la capitale, plus que pour contenter Acuité. Il ne voulait pas être cet homme qui lui cédait sur tout, pourtant, il en prenait dangereusement la direction. Il avait presque renoncé à partir pour Chalcèdes, même s'il ne s'était pas encore décidé.

Le Conseiller envisageait le mariage à Castellonde comme une corvée. Il n'avait aucune envie de revoir le château et son maître. Il avait déjà épousé Acuité, même s'il devait recommencer aux yeux de tous comme un chien savant. Brun fit tout ce qu'on attendait de lui. Il s'habilla bien, bien que sans faste ; il se tint bien, bien que sans plaisir ; il ne but pas trop, soucieux de pouvoir parer les attaques de son beau-père, qu'il attendit en vain. Sa seule vue suffisait à le faire rager. Il repensait à ce que le Duc avait dit à Acuité, à ce que le Duc avait osé exiger pour consentir à ces noces, et il avait envie de l'étrangler. Heureusement, il y avait Mésange et ses attentions ; il y avait Dévouée et Espoir qui jouaient ; il y avait Acuité, si belle et rayonnante qu'il en était à la fois fier et blessé.

Quand au terme de cette interminable journée, Brun regagna leurs appartements, il soupira plus profondément qu'Acuité. Pressé de se libérer de toute contrainte, il envoya valser ses bottes et sa tunique ajustée, et s'affala dans le canapé. Dans la chambre, Acuité rigolait toute seule, était-elle soûle ? Brun n'avait plus une goutte de patience, et il la regarda d'un air courroucé lorsqu'elle se moqua de ses efforts, résolu à ne pas se laisser attendrir par son air séduisant. Cette nuit ne serait pas une nuit de noce. Il n'allait rien se passer sous ce toit. Comment pouvait-elle avoir l'air si heureuse ici, après tout ce qui s'était passé ? Retrouvait-elle ses souvenirs de jeune fille, aujourd'hui mère et femme mariée ? Qu'elle montre enfin un peu de maturité !

Brun prit le verre que son épouse lui tendait et le vida d'un trait. Puis il lui tendit à nouveau, sans daigner répondre à sa question insolente, qui n'en était pas vraiment une. Qu'espérait-elle qu'il lui dise ? Qu'il s'était amusé ? Qu'il avait oublié ? Qu'il avait pardonné ?

A son sourire, Brun répondit par une œillade courroucée avant de vider son verre d'un trait. Comme un grand seigneur ordonnant en silence à une vulgaire servante, il lui tendit de nouveau le godet. Pas un seul mot ne franchit ses lèvres, ni même un seul sourire plaisant pour récompenser le fait de se faire servir. Sur le moment, Acuité eut envie de le rabrouer et de lui rappeler qu'elle était sa femme et duchesse et qu'il pouvait au moins faire l'effort d'être aimable en lui demandant ce service.
Elle n'en fit rien et laissa simplement son sourire s'effacer dans un nouveau soupir de patience épuisée.

Leurs caractères et leurs manières différentes de voir le monde avait toujours été un mur entre eux. Ils s'étaient promis de faire des efforts et la jeune femme voulait tenir sa promesse ce soir peut-être plus que les autres fois. Ce mariage était symbolique mais il avait la force que son peuple voulait bien leur donner. Aujourd'hui, Brun les avait vu et rencontré. Il avait été présenté à ces gens dont il aurait la charge un jour et visiblement, il n'en retirait aucune fierté. C'était peut-être cela qui l'agaçait le plus, qu'il ignore ce que les Béarnois attendaient de lui, qu'il ignore simplement chacun d'entre eux, trop furieux d'être à Castellonde, trop furieux de devoir supporter son père.
Elle le faisait bien elle, pourquoi ne pouvait-il s'y résoudre ?
Avec Glace, les relations étaient pour le moins tendu. Acuité aurait toujours cette légère peur battant son ventre dès qu'elle se retrouverait seule avec lui, elle en était convaincu. Pour autant, devant les autres, elle donnait le change, elle montrait que tout allait bien et avait passé cette journée comme la radieuse épouse qu'elle était ou aurait dû être. Elle ne savait plus trop, Brun noircissait tant le tableau qu'elle se raccrochait aux moindres rayons lumineux : Sa mère, Dévouée, Espoir et son peuple. Tout ce qu'elle chérissait.

Aussi, elle se borna à ne rien montrer de son agacement ni même de la peine qu'il lui faisait en agissant de la sorte. Castellonde était son fief et malgré ce qui s'y était passé, c'était chez elle ici, plus que Castelcerf ne le serait jamais.  Elle aurait voulu lui montrer les falaises où elle s'était un nombre incalculable de fois rendue pour contempler la mer, les bois et les bosquets où elle avait chassé, la vallée neigeuse où elle avait appris à s'occuper de Rousseplume, tout ce qui lui avait donné une enfance heureuse, tout ce qu'elle voulait partager avec lui.
Mais avec son attitude, il ne la laissait pas entrer dans sa bulle privée. Il la tenait à l'écart et elle ne savait plus quoi inventer pour adoucir ses traits.
A son tour, elle but son verre et saisit celui qu'il lui tendait. Docile, elle remplit les deux avant de le lui tendre à nouveau et de poser le sien sur le guéridon à côté. Elle entreprit alors de retirer ses bottines qu'elle lança un peu plus loin, récupéra son verre et s'installa à même le sol, face à lui. La peau d'ours sur laquelle elle était installée était chaude, tiédie par le feu. Elle se redressa légèrement et caressa le genou de son époux avant de venir s'y appuyer de son avant bras. Ses lèvres trempèrent une nouvelle fois dans le vin sans quitter les yeux sombres qui l'observaient.

- Est-ce que je mérite vraiment une si triste figure ? demanda-t-elle avec un nouveau sourire plus crispé, tandis que ses doigts tripotait le tissu des chausses de son époux. Un sourire m'eut été plus agréable...

Une nouvelle fois, elle tentait de le dérider un peu et pour cela, elle déroula la dernière once de patience qu'elle possédait. S'il persistait à afficher ce visage renfrogné et sa mauvaise humeur, elle finirait réellement par devenir tout aussi désagréable.

Brun saisit le deuxième verre et en but une gorgée. Il commençait à se détendre. Il baissa les yeux vers Acuité et secoua la tête. Non, elle ne méritait pas sa colère ; elle n'était coupable que du bonheur inapproprié qu'elle affichait. Plus heureuse ici qu'à Castelcerf... que devait-il en penser ? Qu'elle en profite, car ça n'allait pas durer. Ils partaient le surlendemain.

- Je ne peux plus sourire. J'ai souri toute la journée. J'ai des crampes, grommela-t-il avec une mauvaise volonté assumée.
Brun n'avait pas envie de faire davantage d'efforts, ni pour ça, ni pour parler. Il ne parla pas et but, comme lui avait reproché Acuité lors de leur précédente nuit de noce. Le vin était bon - Glace ne s'était pas moqué.

Il tapota le coussin d'à côté pour inviter Acuité à s'installer, moins pour jouir de sa proximité que parce que cela le gênait de voir la petite Duchesse assise par terre, à ses pieds.

Brun y mettait de la mauvaise volonté. Elle savait bien qu'il n'aimait pas son père et plus globalement Béarn. N'était-il pas parti après seulement quinze jours de séjour ici ? Il aurait pu lui dire ou au moins lui expliquer pourquoi il détestait tant être présent ici.
Au lieu de quoi, il ruminait et bougonnait.
Elle grimaça à ses propos puis leva les yeux au ciel.

- C'est fort dommage pour moi alors...de ne pouvoir jouir du si agréable sourire de mon époux, ironisa-t-elle. Peut-être devrais-je te pincer les joues pour faire passer les crampes ?

Un nouveau sourire plus provoquant se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle haussait un sourcil.
Ignorant avec superbe sa proposition de le rejoindre sur le canapé, elle tira à contraire sur son bras pour l'inciter à venir poser son postérieur sur la peau de bête.

Brun laissa Acuité tirer sur son bras comme il eut laissé Espoir le faire. Puis il se lassa et se libéra, se laissant aller en arrière dans le canapé. Si Acuité voulait rester par terre, c'était son droit. Il ne lui demanderait aucun effort, contrairement à elle. Si la petite Duchesse n'avait pas été aussi joueuse, si son sourire ne lui avait pas mis du baume au cœur, lui murmurant que tout ce cirque en valait la peine, Brun se serait offusqué de son insistance.

- Ne me force pas à faire semblant. J'ai assez donné, marmonna-t-il.
Il but une nouvelle gorgée et ajouta, pour adoucir peut-être ces premiers mots :
- Avec toi, je peux être moi-même. Un homme qui ne sourit pas.
Et, si ça n'était pas tout à fait vrai (le maître d'armes et Conseiller souriait en bonne compagnie : celle de Vainqueur, de ses "amis" de château et de son fils, presque immanquablement), Brun n'était pas réputé pour sa jovialité.

- Mais tant mieux si tu es contente. Tu souris pour deux, poursuivit-il presque sans reproche.
De quoi Acuité se réjouissait-elle au juste ? De leurs vœux renouvelés ? De revoir sa famille ? A l'exception de Glace, cela lui paraissait plus compréhensible. Lui se réjouissait d'une chose, pour sûr : que tout cela soit terminé, qu'ils rentrent à Castelcerf et puissent enfin commencer une vie normale - ou du moins, une vie qui leur appartiendrait.

Goûtant fort peu les tentatives d'Acuité pour détendre un peu l'atmosphère, Brun la rabroua. Tandis que lui s'appuyait un peu plus sur le dossier du canapé, comme s'il la fuyait tout à fait, elle se détourna et laissa son regard se fixer sur les flammes.
Ses lèvres trempèrent à nouveau dans la coupe de vin, mais ce dernier lui sembla subitement amer. Ses propos la mirent totalement en colère, enflammèrent le sang dans ses veines.
Faire semblant ? Le forcer ? Avait-il vraiment assez donné ?
Ainsi il se considérait comme un homme qui ne souriait pas...mais qui visiblement buvait en revanche...
Ses doigts se crispèrent sur la coupe en métal.

Et elle alors ? Que faisait-elle depuis qu'ils étaient à Castelcerf ? Ne faisait-elle pas semblant ? Ne devait-elle pas se forcer à supporter le clan d'Art, les courtisans et tout ce qui faisait sa vie d'Acuité Loinvoyan en Cerf ?
Lui avait-elle pour autant reproché quoi que ce soit ?
Elle déglutit avec difficulté, la gorge nouée par la colère et par la peine qu'il éveillait en elle.
Faire semblant trois jours à Castellonde, alors qu'elle ferait semblant plus de la moitié de sa vie en Cerf.
C'était égoïste et terriblement mal venu, d'autant plus que sa dernière phrase la glaça toute entière. Heureuse pour deux ? Que devait-elle comprendre ? Qu'il ne serait jamais heureux à Castellonde ? Il aurait dû y réfléchir avant ! En l'épousant, il avait épousé un domaine et un Duché au complet. Leur vie s'achèverait là, sauf s'il mourrait avant en Chalcèdes, mais là encore, le sujet avait été évité depuis cette fameuse nuit où...
Son corps se souvint des nausées et soudain s'en fut trop.
Elle ne voulait plus être conciliante, pas ce soir, pas cette nuit où elle avait pu célébrer avec son peuple son union, même si son époux n'en voulait pas.

Bien que son visage n'affiche qu'indifférence indignée, elle se redressa, lissa les plis de sa robe qu'elle épousseta ensuite de poussière invisible puis reposa sa coupe.

- Et bien sois toi-même alors, lança-t-elle en haussant les épaules et en se dirigeant vers la porte.

Et par ses propos suintait ce qu'elle taisait : Pas un homme qui ne souriait pas, mais celui qui préférait la solitude et la boisson à la chaleur et à la compagnie de sa femme.

Acuité prit son air de Duchesse et s'éloigna. Brun haussa les épaules à son tour, même si, alors qu'elle se dirigeait vers leur chambre, elle ne le vit pas. Peut-être qu'elle ne l'entendit pas non plus quand il marmonna :
- Ca n'a rien à voir avec nous.
Car il n'y avait pas que son air renfrogné qui la chagrinait, n'est-ce pas ? Croyait-elle qu'il ne faisait pas honneur à leurs épousailles ? Mais par El, ils s'étaient déjà épousés ! Ils avaient déjà couché, procréé, ils avaient déjà juré ; qu'est-ce qu'un sourire allait changer ? Acuité faisait sa capricieuse, eh bien, qu'elle aille bouder dans son coin. Ca ne le gênait pas d'être seul ; à vrai dire, après cette journée, il en avait bien besoin.

Pourtant, au bout de quelques verres, Brun commença à s'ennuyer. Il regretta de ne pas savoir se servir de l'Art pour pouvoir causer avec Vainqueur. Il se demanda si Shyrin était aussi difficile. Il se demanda si Shyrin était enceinte. Il se demanda si Acuité était enceinte. Il n'avait pas osé lui poser la question, et elle n'avait pas vomi à nouveau, même dans l'inconfort du voyage. Une part de lui en avait envie, une autre le craignait ; Brun ne se sentait pas la force d'affronter de nouvelles négociations avec son beau-père, alors que celles du mariage venaient à peine de s'achever. Bah, ça n'était certainement pas ce soir qu la petite Duchesse allait lui faire un héritier ! Leurs disputes avaient au moins cet avantage de tenir leurs corps éloignés. Mieux, il pouvait partir en Chalcèdes. Il était certes idiot de risquer sa vie pour éviter de la donner ; il s'en rendait bien compte, même en finissant la bouteille.

La bouteille était vide, le feu mourrait et Brun se leva, puisque visiblement il n'y avait rien d'autre à faire que d'aller se coucher. Il aurait pu dormir là mais il ne pouvait résister à la tiédeur d'Acuité, même dos tourné. Brun se dirigea vers la chambre - celle de son fils, d'abord, car il voulait l'apercevoir, à la lumière de la chandelle, avant d'aller se coucher. Mais au seuil, un peu ivre, il trébucha lourdement et lâcha le chandelier. Le bruit sourd et métallique réveilla l'enfant qui se mit à pleurer. Penaud, Brun regarda la nourrice prendre la situation en main, tandis que lui ne savait plus quoi faire des siennes, à part ramasser le chandelier et refermer la porte derrière lui. Il regagna sa propre chambre en espérant qu'il n'avait pas aussi réveillé Acuité.

Le hasard : difficulté qu'a Brun à se déshabiller, croissante de 1 à 10.

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'Hasard 10' : 8

Un fois dans leur chambre, Acuité fit quelques pas en long, puis en large. Agacée, voire même furieuse de ce comportement qui la mettait hors d'elle. Elle frappa l'oreiller une fois en s'approchant du lit, puis l'envoya valdinguer un peu plus loin. Sa colère s'échoua avec elle sur le matelas où elle se laissa tomber assise et impuissante. Par Eda elle avait envie de hurler face à cette impasse.
Ne lui avait-elle pas demandé à plusieurs reprises si l'épouser lui convenait ? Il avait dit oui, il l'avait fait et aujourd'hui, il agissait comme s'il avait pris la pire décision de sa vie, comme sil découvrait qu'en l'épousant elle, il épousait Béarns.
Expirant lourdement, elle plaça ses jambes en tailleur sous sa robe et chercha à calmer ses humeurs négatives.
Sans ignorer les difficultés rencontrées avec son père, ne voyait-il pas que derrière l'homme il existait tout un peuple et que ce dernier serait sous leur responsabilité bientôt ?
Même son père s'était comporté correctement mais il avait bien plus l'habitude des apparences.

Acuité le craignait toujours, mais avoir Brun à ses côtés la rendait plus forte. Elle triturait le pan de sa robe tout en réfléchissant à ce qu'elle pourrait faire pour montrer à Brun les bons côtés de Béarns. Encore... Puisqu'une soirée en tête à tête ne lui convenait pas, il fallait trouver autre chose.
Ses paroles lui revinrent en mémoire tout comme son rejet dans la pièce juste à côté alors qu'elle avait essayé de le rendre plus joyeux et elle râla en se laissant tomber en arrière, les bras ouvert en croix.
Le plafond lui semblait aussi sombre que l'humeur de son époux et elle se mordit la lèvre inférieure en cherchant ce qu'elle pourrait faire pour adoucir leur séjour et le comportement de Brun mais rien ne vint.
Déçue, elle se redressa et se déshabilla avant de se coucher. Qu'il reste seul avec sa bouteille puisque c'était ce qu'il voulait. Elle ne pouvait pas lutter contre ça.

Une fois glissée sous les draps, elle tâcha de s'endormir mais comme les bonnes idées, le sommeil semblait la fuir. Elle se tourna encore et encore jusqu'à ce qu'un bruit sourd la fit sursauter. Quelque chose était tombé. Les pleurs d'Espoir la firent se redresser tout à fait, mortifiée à l'idée qu'un malheur puisse arriver à son enfant. Mais ceux-ci se calmèrent bien vite, apaisés par la nourrice ou par son père. Alors elle se recoucha jusqu'à ce que la porte s'ouvre. Comme elle lui tournait le dos, elle écouta attentivement le bruit de pas qui s'avançait dans l'obscurité.
Lourds et irréguliers, il ne fallait pas être particulièrement intelligente pour se rendre compte que Brun titubait, saoul comme un cochon.
Elle réprimât son envie de le gronder et de déclencher un nouvel esclandre. A la place, elle se tourna et l'observa à la lumière de la nuit qui les éclairait par la fenêtre.
Il semblait en difficulté à un bras du lit, bataillant avec sa tunique qu'il ne parvenait pas à faire passer au dessus de sa tête.
Par Eda...Elle soupira et se redressa avant de s'approcher du bord du lit, nue. Tendant les bras, ses mains rencontrèrent le tissu d'abord, puis les cheveux. Elle ne posa aucune question, ni ne prononça un mot. A genoux sur le bord du lit, ses doigts démêlèrent les cheveux du bouton auquel ils s'étaient accrochés et délivrèrent ainsi le visage de son époux. Leurs regards se croisèrent et grâce à la lumière de l'astre nocturne, sa vision confirma ses doutes. Il était ivre et elle inclina légèrement la tête en venant caresser sa joue. Ses sourcils légèrement froncés et ses lèvres pincées par la réprobation qu'elle contenait toujours semblèrent s'apaiser un peu.
Elle sentait l'alcool qui émanait de lui comme s'il avait laissé la bouteille ouverte à leurs côtés mais ne fit aucun commentaire, comme résignée. Après tout, elle l'avait choisi lui en connaissance de cause.

Ses mains glissèrent le long de ses épaules puis ses côtes avant de buter contre la ceinture de ses braies qu'elle détacha. Le bruissement du tissu glissant sur le sol attira son attention et pour la première fois, elle s'autorisa à observer son mari entièrement nu.
Les reliefs de son corps étaient marqués par le contraste de l'obscurité et des rayons de Lune. Du regard elle caressa la ligne de chaque partie de lui, oubliant un instant qu'il était ivre, fascinée par les traits virils de ce corps qu'elle chérissait et qu'elle avait connu pour la première fois une nuit où l'homme s'était retrouvé sensiblement dans le même état.
Ses doigts s'approchèrent pour venir à la rencontre de sa peau qu'elle savait tiède voire chaude mais demeurèrent en suspens dans l'air alors que son regard accrochait son entrejambe.

Le hasard:

Cette putain de sous-tunique s'accrocha dans ses cheveux, encore courts mais qui repoussaient, et Brun n'y vit encore plus rien que rien. Par bonheur, ou par malheur selon son humeur, Acuité se réveilla et l'aida à se libérer. Le Conseiller se sentait vaguement honteux de cette intervention et surtout, d'avoir réveillé Espoir. Mais la petite Duchesse ne semblait pas trop fâchée. Ses yeux étaient brillants et le regardaient ; elle était toute nue et le déshabillait alors forcément, ça lui fit de l'effet. Acuité le remarqua mais Brun s'en fichait ; ils avaient dépassé ce stade d'intimité et l'alcool, comme toujours, diluait les inhibitions. Il lui fit signe de se pousser et grimpa sur le lit à quatre pattes avant de se laisser lourdement tomber sur le dos. Le matelas rebondit un peu, le corps de sa femme aussi, et à son tour Brun la regarda. Puis il dit bêtement :
- Tu ne dors pas ?
Il s'en réjouissait mais pour elle, mieux aurait valu qu'elle se repose.
- Il y a encore demain, et puis le voyage, lista-t-il, comme s'ils n'étaient pas au bout de leurs peines.

Après les célébrations publiques, la journée du lendemain devait être passée dans l'intimité familiale, et Brun n'était pas certain que cela soit moins éprouvant. Cette pensée le déprima complètement, et il réfléchit à comment il pourrait échapper à cette nouvelle épreuve. Une idée géniale lui vint, à force de regarder les seins d'Acuité.
- On pourrait faire la grasse-matinée, dit-il en l'attirant maladroitement contre lui.

Depuis leur mariage, ça ne leur était pas arrivé souvent. Pour ainsi dire jamais : Acuité consacrait ses matinées à l'apprentissage de l'Art, et Brun, encore plus matinal, n'était pas familier du concept de farniente. Mais ici, ils n'avaient pas d'obligations - ou plutôt, ils en avaient trop. Rester au lit et raccourcir la journée lui semblait absolument parfait. Rester au lit et jouir des caresses voire du corps d'Acuité, comme leur premier matin de noce. Peut-être qu'une servante les interromprait encore avec le petit-déjeuner et que des rumeurs circuleraient. Tant mieux ! que le château sache que les époux étaient amants, qu'ils étaient bien ensemble. Qu'ils avaient bu tout le vin et qu'ils avaient mangé toutes les brioches et qu'ils avaient baisé jusqu'à pas d'heure, parfait ! Brun se demanda ce que Glace en penserait ; sans doute que ça ne plairait pas à papa, ou qu'au contraire le Duc y verrait la promesse d'un héritier à voler. Peut-être que l’héritier était déjà là, et Brun caressa le ventre d'Acuité, qui ma foi, était encore tout à fait plat.

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'Hasard 6' : 6

Brun se hissa sur le lit et Acuité eut à peine le temps de se pousser pour le laisser s'étaler dans les draps. Peut-être que si elle avait été moins concentrée à observer la virilité de son époux, elle aurait remarqué qu'il lui faisait signe mais dans le cas présent, elle se sentait à présent gênée, voire troublée par son propre comportement.
Il lui demanda si elle ne dormait pas et elle haussa un sourcil après avoir remarqué qu'il la regardait. Ses yeux accrochaient sa peau, ses seins et sa nudité au complet. Elle rougit dans l'obscurité, livrée ainsi au regard de l'époux, de l'homme qu'elle aimait. S'ils avaient pris l'habitude de se voir nus, elle ne s'y sentait pas forcément à l'aise car elle ne savait pas vraiment comment réagir avec lui, alors en général, elle le laissait venir à elle. S'il le voulait, ils faisaient l'amour, jamais elle ne le refusait. S'il préférait tenir ses distances, elle s'y était tout autant résignée. En dehors de leur chambre, elle était la Duchesse Loinvoyant, mais dans leur intimité, elle se sentait aussi vulnérable que la jeune épousée qu'elle était, découvrant sa sexualité et les plaisirs de la chair sans essayer de s'imposer dans les manières de procéder ou seulement en exprimant ses souhaits.

Pourtant, au moment précis où il se mit à lister ce qui les attendait encore, elle ne put réprimer un sourire mauvais. Oh comme elle le voyait venir...Le prochain jour serait une nouvelle corvée à ses yeux et pour palier à cela, il souhaitait passer toute la journée au lit. La main de son homme glissa sur sa hanche et l'attira à lui en caressant maladroitement ses reins. Tandis qu'il la caressait toujours, tandis que cette même main déviait sur son ventre sur lequel il effectuait des cercles du bout des doigts, elle se demanda ce qui se tramait dans sa tête. Que voyait-il à travers ce ventre ? Souhaitait-il un enfant ? Il exprimait pourtant très souvent son aversion à l'idée d'une grossesse mais peut-être que l'alcool le désinhibait. Peut-être qu'elle pouvait en profiter pour lui montrer que ce séjour n'était pas aussi horrible qu'il le pensait ?

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire crâne lorsqu'elle le regarda.
- Et je suppose que cette grasse-matinée te permettrait d'éviter ma famille une bonne partie de la journée ? souffla-t-elle.
Dans le même temps, elle laissa sa main se promener sur son genoux, remonter doucement le long de sa cuisse jusqu'au creux de l'aine. Le dos de sa main effleura le sexe dressé et elle hésita un court instant sur la marche à suivre. Les épouses se permettaient-elles ce genre d'attouchement ? Elle n'en avait pas la moindre idée, mais elle en avait envie.

- Crois-tu que je te laisserais faire ? murmura-t-elle en se penchant vers son visage.

Et tandis qu'elle guettait les réactions de son époux sur son visage, elle poursuivit l'exploration de son membre du bout des doigts.

Brun rit, laissant éclater la gêne et l'excitation que suscitaient chez lui les caresses à la fois timides et audacieuses d'Acuité. S'il avait cru pouvoir laisser retomber son désir pour la petite Duchesse, comme tant d'autres fois auparavant, c'était trop tard à présent. Les doigts de Brun quittèrent la peau douce de son ventre pour celle de ses fesses. Il avait envie lui aussi de toucher son intimité, et il ne savait pas ce qui le retenait, ou plutôt si : Brun ne voulait rien faire qui puisse perturber les caresses nouvelles qu'Acuité lui faisait. Par ailleurs, il soupçonnait la petite Duchesse de l'allumer, avec ses paroles à double sens.

- Alleeer... juste un peu... mendia-t-il, s'amusant de cette ambiguïté qui ne lui était pas familière : Acuité ne s'était jamais faite prier.
- Après tout... c'est notre nuit de noce... poursuivit-il avec le même sourire de gamin, un gamin ivre et excité. Ça n'étonnera personne que le marié soit fatigué... après tout ce que lui a fait la mariée... sourit-il en résistant à l'envie d'éclater d'un rire gras et de renverser sous lui son épousée, comme le soldat qu'au fond, il était resté - même si Acuité l'eût voulu Duc ou Prince charmant.

Acuité demeura stupéfaite un instant, face au rire éclatant de son époux. Par Eda...s'il suffisait seulement de toucher sa virilité pour le rendre presque euphorique, il faudrait qu'elle retienne la leçon. Bien que ne saisissant pas trop dans quoi elle s'engageait, le sourire de Brun se fit contagieux et à son tour, elle se surprit à laisser ses lèvres s'étirer en un sourire mutin, enjôleur.
Le fait qu'il la supplie presque de poursuivre ses caresses et de lui offrir plus que quelques attouchements timides, la rendit un peu plus audacieuse. Une part d'elle-même aimait qu'il se comporte ainsi, comme si elle possédait une sorte de pouvoir sur lui.
Elle se sentait importante et désirée, peut-être pour la première fois de sa vie.
Entre eux, les mots avaient toujours du mal à s'exprimer, les corps prenaient souvent le relais, mais elle ignorait toujours s'il ne faisait qu'exercer son devoir d'époux. Après tout, avant leur mariage, il s'était toujours refusé à elle.
Aussi, cette étrange et agréable sensation de posséder une emprise sur lui l'enorgueillit et elle s'approcha d'avantage, usant de ses doigts avec un peu plus de fermeté.
La main sur ses fesses l'incitait à poursuivre ses explorations et son aventure dans la découverte de ses propres capacités à satisfaire un homme.

Elle huma l'air entre eux, chargé d'alcool, de ce même vin qui les avait vu se rencontrer cette nuit où Espoir avait été conçu. A la fois étrange et ironique, la vie pouvait aussi créer la surprise.
Son nez frôla le sien, leurs regards s'étaient déjà croisé. Les yeux de Brun, brillants à cause de l'alcool très certainement, ceux d'Acuité d'une autre forme d'ivresse encore inexplorée.

- Et qu'a fait la mariée à son époux ? demanda-t-elle dans un murmure charmeur avant de glisser sa langue entre les lèvres de ce dernier. Peut-être serait-il en effet plus sage de laisser le mari se reposer ?

Un nouveau sourire étira ses lèvres face à ce petit jeu qui se déroulait entre eux. Elle se demanda alors, si elle décidait de s'en tenir là, serait-il aussi frustrée qu'elle l'avait été ? La réclamerait-il d'avantage ? A cette idée, elle se mordit la lèvre inférieure.

Brun parlait de la grasse matinée bien sûr ; mais ses supplications semblèrent encourager les caresses d'Acuité. A cet instant, l'homme ignorait ce qu'il désirait le plus : quelques heures de liberté sans sa belle-famille ou quelques minutes d'extase avec Acuité. L'absence des premières semblait être le prix à payer pour les secondes. Un prix qui peut-être n'était pas si cher. Le déserteur n'en croyait toujours pas sa chance d'être l'amant et l'époux d'Acuité Loinvoyant, et chacune de leurs étreintes était un petit miracle, celle ci en particulier. Car en dépit de son caractère audacieux et du désir têtu que la petite Duchesse manifestait avant leurs noces, Acuité s'était montrée plutôt passive dans leurs ébats - hormis le fameux petit-déjeuner. Brun ne s'en inquiétait pas : il ne pouvait pas se tromper sur la nature de ses soupirs, et c'était normal sans doute pour une jeune épousée ; mais cela lui faisait plaisir que son épouse prenne les choses en main, au sens propre comme au figuré. Cette nouvelle blague le fit ricaner jusqu'à ce que la petite Duchesse lui close - ou plutôt lui ouvre - les lèvres d'un baiser trop bref. Acuité jouait avec lui et il n'était pas sûr d'obtenir ce qu'il voulait, ce qui étonnamment, faisait partie du plaisir.

- Surtout pas, gémit-il. Ses caresses sont revigorantes !

Acuité sourit à nouveau face au gémissement de son époux qui lui réclamait de poursuivre ses explorations. Il la voulait audacieuse, la désirait ardente et se laissait aisément examiner rendu ivre par le vin ingurgité. A chaque instant, elle songeait qu'il allait la faire basculer pour mieux la couvrir et prendre ce qu'elle mettait à sa portée sans pour autant le lui autoriser de manière explicite.
Il n'en fit rien cependant et lorsqu'elle sentit sa main sur la sienne, elle ne put s'empêcher de baisser le regard en direction de ce qu'il se passait plus bas.

S'échouant contre lui, la petite Duchesse mit fin à leur préliminaires. Si son corps désirait plus, Brun en fut presque déçu. Il voulait encore caresser Acuité, la sentir réagir sous ses doigts ; il voulait un baiser plus intime encore que celui là. Brun n'aurait pas pensé nourrir un jour de tels désirs, lui qui se considérait comme un homme facile à satisfaire, dans une vision assez primaire de l'acte de chair. Il se demanda s'il pouvait faire jouir Acuité sans la pénétrer. Voilà qui serait fort commode, de pouvoir se faire plaisir sans risquer de concevoir un héritier !  La chose aurait sans doute un goût d'inachevé, mais pas autant que de devoir se retirer au moment où il voulait le plus être avec elle.

Conquis par cette curiosité nouvelle, Brun prêta peu attention aux grandes déclarations de la petite Duchesse. Insensible à son serment ; sensible au poids de son corps, à son souffle chaud, à son désir palpable. Acuité voulait être prise sans plus attendre, eh bien ? qu'attendait-elle ?
- Si tu me veux, alors prends-moi, chuchota-t-il, les yeux brillants d'envie ou de défi.
Elle l'avait regardé, elle l'avait saisi ; elle pouvait bien le faire sien, comme la femme adulte, consentante, puissante qu'elle était, ou qu'elle devait devenir tout à fait.

Elle le regarda, presque surprise. Le temps d'un battement de coeur, elle ne sut plus vraiment ce qu'elle voulait, ni même ce qu'elle pouvait obtenir. Et puis, elle comprit qu'il lui donnait tous les pouvoirs. Si elle le désirait tant, alors qu'elle le prenne. Il la laissait user de son corps à loisir et s'en rendre compte lui coupa la respiration une fraction de seconde. Était-elle seulement capable d'assumer cette sexualité si nouvelle ? Etait-elle seulement capable de le satisfaire comme lui le voulait ? Elle n'en était pas certaine mais la mise au défi de Brun réveilla en elle le désir d'y parvenir.
A plusieurs reprises, il lui avait reproché sa perte de combativité, son abandon, et son laisser aller. Depuis qu'ils étaient revenus à Castelcerf, il la traitait comme si elle était l'ombre d'elle-même et ce n'était pas cette Acuité là qu'il était venu chercher dans les Montagnes. Brun souhaitait retrouver la jeune femme forte, sûre d'elle, la jeune femme qui décidait de mener sa vie comme elle l'entendait.
Et bien cette-nuit, elle avait l'opportunité de lui montrer que cette femme était toujours là quelque part, derrière ses yeux brillants, derrière ses mains et dans ce corps si frêle et pourtant si fort de tout ce qu'il avait traversé.

Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, telle une promesse qu'elle ferait de son mieux pour relever le défi qu'il venait de lui lancer. Peut-être pas de la manière à laquelle il s'y attendait cependant. Elle se fit violence pour ne pas le chevaucher de suite, car elle savait alors que tout s'achèverait trop vite. Elle rongea son frein, aiguisa sa patience puis ondula doucement sur son corps afin qu'il ne perde pas son désir dans cet intermède.
Sans le quitter des yeux, elle caressa sa nuque avec douceur, tendresse même avant de venir l'embrasser à nouveau. Mais cette fois-ci, elle resserra ses doigts sur ses cheveux pendant qu'ils partageaient un baiser plus profond, plus intime. Ses lèvres exerçaient toujours cette attraction sur les siennes et elle reconnaissait son goût à travers le vin. Elle l'embrassait avec lenteur, savourant la moindre caresse de sa langue sur la sienne, explorant ses sensations en même temps que sa bouche, retenant son souffle par moment et lorsque le baiser prit son terme, elle en resta légèrement pantelante, presque perdue quant à la suite des événements. Afin de reprendre son souffle, elle vint enfouir son visage dans son cou, qu'elle huma avec délice avant de venir embrasser cette chair. Sa langue glissa sur la peau de son cou, de temps à autre, ses dents venaient aussi le marquer avec une avidité contenue. Son goût légèrement salé, sa chaleur moite lui donnait l'envie d'explorer plus encore. Et c'est ce qu'elle fit.

Après son cou, elle dirigea sa bouche et ses mains sur son torse, caressant du bout des doigts, de ses dents ou de sa langue, toute la surface sans exception. Découvrant la sensibilité de sa peau et de ses tétons, elle dirigeait ses caresses en fonction des soupirs de Brun et dans le même temps, l'une de ses mains regagna sa place entre lui et elle, pour reprendre contact avec la raideur de son sexe.
Bien qu'humide et toujours impatiente de le sentir en elle, un nouveau genre de désir apparut cependant : que son envie soit telle qu'il s'impatiente à son tour et lui réclame l'union des corps tant espérée.

Brun fut affolé par les lèvres, la langue et les dents d'Acuité, au sens propre comme au figuré. Elle rapprochait dangereusement de son entrejambe, elle n'allait quand même pas...? Non, avec sa belle éducation, la petite Duchesse n'y pensait sans doute pas ; mais lui, ne pouvait s'en empêcher, et cela le perturbait. Si fort soit son désir, Brun ne voulait pas voir, ni même imaginer, la mère de son enfant, l'héritière Loinvoyant, son épouse s'abaisser à le prendre de cette manière là. L'esprit de découverte avait beau l'animer, il gardait de solides préjugés. Mais comment l'arrêter ? Il gémit lorsqu'Acuité le caressa sans cesser de l'embrasser. C'était trop bon. N'était-ce pas son plaisir à elle qu'elle était sensé prendre, ou du moins chercher ? Avait-elle conscience que si elle lui donnait tout, à elle il ne resterait rien du tout ?

Désireux d'éloigner sa jouissance et ses mauvaises pensées, bref : de reprendre le contrôle de la situation, Brun fit basculer Acuité sur le côté.
- La mariée est trop habile, haleta-t-il en se hissant au-dessus d'elle.
Pour autant, il n'allait pas capituler si vite. Il allait rendre les coups, ou plutôt les caresses. Acuité l'avait exploré, il pouvait l'explorer aussi, et ce serait certainement moins embarrassant, car il n'y avait rien qu'un homme puisse faire à une femme contre son propre gré. A son tour, Brun embrassa son cou et ses seins et la pointe de ses seins, ce qu'il s'était refusé de faire jusqu'ici, jugeant ce geste trop infantile. Mais ces préjugés là, il les oublia, de même que les autres quand ses lèvres descendirent plus bas. A Acuité, il donna ce baiser qu'il n'avait donné à aucune autre, sans trop savoir ce qu'il faisait, se laissant seulement guider par son désir et sa curiosité.

Brun gémit et Acuité frissonna. A cet instant, elle voulait l'entendre encore, savourer sa petite victoire et son plaisir à lui donner du plaisir. C'était troublant mais plus encore, exaltant. Elle l'avait toujours laissé décidé, n'avait jamais refusé qu'ils s'unissent, comme il le souhaitait bien que dès le lendemain de leurs noces, il l'avait laissé faire à son tour guidée cependant par ses mains et sa position.
La conscience du pouvoir bascula cependant, en même temps qu'elle et un sourire étira les lèvres d'Acuité. Elle pensait avoir gagné, persuadée qu'il allait lui dire la désirer trop pour patienter encore. Aussi, lorsque les mots franchirent les lèvres de Brun en un compliment déguisé, elle éclata d'un rire franc et bref qui mourut avec les premiers baisers portés à son cou.
A son tour, il explora sa peau, dévala sa poitrine et son ventre jusqu'à rencontrer le point culminant de sa féminité.

Le corps d'Acuité réagit vivement à son baiser, et Brun crut que cela plaisait à la petite Duchesse comme cela lui plaisait, à lui. Mais elle l'arrêta assez vite en l'attirant par les cheveux pour la seconde fois, pour un second baiser au goût de salive, de jouissance et de sang mêlés. Après toutes ces caresses, leurs corps se trouvèrent sans avoir à se chercher. Dans la bouche et entre les jambes d'Acuité, Brun était perdu dans les sensations que lui procuraient ces multiples pénétrations, jusqu'à ce qu'elles le submergent tout à fait. Il jouit de manière incontrôlée et cacha ses tremblements contre le cou d'Acuité. Des mots incohérents lui venaient, dont peut-être quelques uns lui échappèrent ; et des couleurs arc en ciel sous ses paupières.

Au bout d'un temps indéterminé, Brun revint à lui plus ou moins et libéra le corps d'Acuité. Les yeux encore - ou déjà - à moitié fermés, il la regarda sur l'oreiller. Elle s'était blessé les lèvres, cette tendance qu'elle avait. Il froissa un coin du drap et lui tamponna la bouche, flou, attentionné, se délectant de cette nuit sans rêves et de cette grasse matinée qui les attendaient.

C'est naturellement que Brun trouva sa place entre ses cuisses et en elle. Cette aisance, elle l'avait découverte dès le début de leur mariage. Leurs corps se comprenaient mieux sans mots qui avaient tendance à tout compliquer entre eux. Cette fois-ci, elle ne demanda rien, même si les mots qu'il avait bredouillé titillait sa curiosité. Quoiqu'il puisse en penser, Acuité apprenait.
Outre le fait qu'elle souhaitait être une bonne épouse, elle voulait encore plus qu'il partage ses sentiments sans pour autant éroder son caractère bien trempé, la plupart du temps.
Ses doigts s'imprimant dans la peau des muscles de son dos, elle perdit pied lorsque les émotions et les sensations l'engloutirent totalement.
Dans un cri étouffé, elle laissa Brun s'effondrer contre son cou avant que la béatitude ne vienne lisser ses traits. Sa peau frissonnait encore, sous l'effet de l'orgasme, mais son souffle déjà se calmait alors que ses yeux restaient clos. Avec lenteur, elle dessinait des arabesques sur le dos de son époux, jusqu'à ce que le sommeil l'emporte lentement. Les mouvements devinrent plus léger et s’arrêtèrent tout à fait avant même qu'il ne se décide à la libérer.
Un vague sourire flottait sur les lèvres, que Brun tamponna avec affection. Rapidement, il la rejoignit dans ce sommeil sans rêve, ce repos que tous deux avaient mérité après tant d'histoires nocturnes, de rumeurs, de tracas.

La luminosité matinale réveilla Acuité. Elle papillonna des yeux et observa un moment la lumière blafarde qui traversait la fenêtre. Il était tôt et l'aurore ne tarderait pas.
Elle se tourna et tomba presque nez à nez avec Brun qui dormait toujours. C'était chose rare qu'il soit tourné vers elle et elle sourit plus largement, réprimant l'envie de venir le bécoter.
Brun avait parlé de grasse matinée et elle aurait souhaité accéder à sa requête. Mais elle se doutait tout autant qu'il était trop habitué à se lever tôt pour que son corps lui laisse le temps de repos escompté.
Sans parler de son père, qui n'hésiterait pas à lui faire des remarques sur la fainéantise qu'ils montreraient.
Acuité n'avait pas abandonné l'idée de rendre plus agréable le séjour de Brun. Elle aurait voulu qu'il apprécie l'endroit où elle avait grandi, qu'il puisse découvrir la nature sauvage de Béarn et se rendre compte à quel point elle était semblable aux Montagnes par endroits. Elle aimait son domaine et ses gens, ici elle avait passé ses plus belles années.
Convaincue qu'elle pouvait encore le faire changer d'avis, elle se glissa hors du lit, effectua une toilette rapide. Sa lèvre lui faisait mal, mais elle était incapable de comprendre pourquoi. Le miroir lui renvoya l'image d'une petite blessure sur sa lèvre. Elle haussa les sourcils et s'en détourna tout à fait, pour achever de s'habiller. Un pantalon de chasse et des chausses montant jusqu'au dessus de ses genoux, une tunique et une veste épaisse assortie au bas, trouvèrent leur place sur son corps. malgré les années, elle n'avait pas vraiment besoin de les ajuster. Sa poitrine peut-être lui sembla plus serrée. Peu lui importait, la sensation était supportable. Dans les malles, elle récupéra les affaires les plus épaisses de Brun et les déposa sur le lit.

Un dernier regard à la fenêtre lui indiquait que le soleil ne tarderait pas et elle espérait vivement qu'ils seraient déjà dans le vallon à ce moment là.
Rapidement, elle griffonna un mot qu'elle déposa sur les vêtements au cas où ,comme elle le pensait, son époux se réveille durant son absence.
" Rejoins moi aux écuries".

Elle quitta la chambre puis pris la direction des cuisines. Sans s'en rendre compte, elle avait accéléré le pas, enthousiaste à l'idée de cette expédition improvisée qui plairait forcément à l'ancien Maître d'Armes.
Dans une besace, elle plaça deux morceaux de pain, une part de fromage, de la viande séchée et deux pommes, puis fila aux écuries pour demander au palefrenier d'apprêter rapidement deux chevaux. Givre pour elle évidemment, son hongre lui avait manqué comme son père avait refusé qu'elle l'emmène avec lui à Castelcerf. Glace aimait ses chevaux et l'élevage qu'il en faisait. Elle choisit une jument pour Brun, vive mais docile que son père avait débourré juste avant son départ deux années auparavant. Si ses souvenirs étaient bons, elle répondait au nom de Moisson, avec sa robe dorée et ses crins lavés.
Pendant ce temps, elle courut jusqu'à l'armurerie, sélectionna deux arcs et deux carquois, un couteau de chasse qu'elle ajusta à sa taille et une épée pour Brun. Lorsqu'elle revint aux écuries, les cheveux étaient prêts. Elle glissa la besace dans les fontes de Givre pour être plus à l'aise, espérant que Brun ne tarderait pas, auquel cas, elle devrait aller le réveiller.

Le lendemain au réveil, Brun constata avec détresse l'absence d'Acuité. La pénombre était encore là et il mit un certain temps à repérer ses vêtements d'hiver pliés au pied du lit. Il ne sut trop quoi penser du mot d'Acuité. Il se sentait sans force, à cause des efforts de la veille ou de leur nuit de jouissance dont il gardait un souvenir tendre. Il ne prit pas la peine de se laver, gardant sur lui les traces de leurs ébats ; il s'habilla et sortit.

El merci, le château, comme Espoir et sa nourrice, dormait encore. Brun ne croisa que quelques domestiques qui ne semblèrent pas le reconnaître, avec ses vêtements discrets et sa balafre à demi masquée par ses cheveux qui repoussaient. Incognito, il rejoignit les écuries d'un pas ramolli. Deux chevaux l'y attendaient, et Acuité qui ressellait le blanc. Arrivé à ses côtés, Brun lui prit la sangle des mains et la ressera d'un cran. Puis il lui prit le carquois, l'arc et l'épée qu'elle lui tendait. Il prit aussi son menton entre ses doigts pour observer la coupure qu'elle avait aux lèvres, à la lumière pâle de l'aurore, avec un air désapprobateur. Il avait envie de l'embrasser mais n'osa, de peur de la blesser. Acuité était bien plus belle en tenue de chasse que dans sa robe sophistiquée de la veille. Brun réalisa qu'il ne l'avait pas vue ainsi depuis bien longtemps, et que depuis les Montagnes, ils n'avaient pas chassé ensemble, à l'exception du mariage royal dont il chassa le souvenir.

- Qu'est-ce que tu mijotes ? demanda-t-il bien que la chasse soit manifestement le but de l'expédition.
- Et ma brioche ? protesta-t-il pour la forme.
C'était devenu un sujet de plaisanterie entre eux depuis que la petite Duchesse l'avait épinglé à ce sujet. N'empêche qu'il avait faim. Il espérait qu'elle avait pris de quoi manger.

Brun mit la main à l'étrier pour l'aider à se mettre en selle, bien qu'elle n'en eut pas besoin. Vraiment ?
- Tu es sûre que monter est une bonne idée ? osa-t-il, puisqu'il ne savait pas si elle était enceinte, et qu'elle était bien capable de ne rien lui dire - même si c'était un peu tard pour s'en inquiéter, après leur étreinte de la veille.

Alors qu'elle resserrait la sangle de son cheval juste avant de monter, Brun apparut à ses côtés. Elle ne dit rien et se contenta de sourire tandis qu'il lui attrapait la sangle des mains pour la serrer à sa place. Elle l'observait, l'esprit encore embrumé des souvenirs de la nuit et son sourire ne s'effaçait pas.
Il récupéra les armes qu'elle lui tendit puis attrapa son menton entre deux doigts. Elle se demanda ce qu'il regardait avant de se souvenir de sa petite entaille, qui ne lui plaisait visiblement pas.
Pourtant, il ne fit aucun commentaire et préféra se détourner d'elle. Elle en profita pour ajuster les fontes et se retourna vers lui lorsqu'il lui demanda ce qu'elle mijotait. Pour toute réponse, elle lui offrit un sourire espiègle avant d'éclater de rire face à ses propos sur la brioche.

- Pardonnez moi, Messire, railla-t-elle en mimant une révérence appuyée, nous n'avons pas de brioche en Béarns. Peut-être pourriez-vous le noter dans le cahier de doléances du Duc, à moins que vous ne deviez vous contenter de ça !

Elle tira un petit pain des fontes et le lui lança. Il l'attrapa sans difficulté avant de lui tenir l'étrier. Elle le regarda un instant, sourcil levé puis secoua la tête souriant toujours, prenant son geste pour une attitude galante. Avec aisance elle se hissa en selle.

- Pourquoi cela ne le serait pas ? répondit-elle en haussant les épaules.

Avait-il peur que son père les réprimande au sujet de cette expédition improvisée ? Elle s'en fichait bien car elle préférait mille fois dire à son père qu'elle avait fait visiter la région à son époux plutôt que d'assumer d'avoir paressé toute la matinée.
Dès qu'il furent tous deux prêts, Acuité talonna son cheval et ils se mirent en route sur un trot soutenu afin de quitter Castellonde. Les remparts franchis, le vallon s'étendait devant eux, clair et infini. Les premiers rayons dorés éclairaient les bosquets et les buissons, semblant tracer leur chemin. Acuité ferma les yeux un moment, se laissant porter par les effluves de son territoire, les sons de son pays. Elle se rendit alors compte à quel point tout ceci lui avait manqué.

Ils firent ralentir les chevaux, les laissant au pas, mettant la chasse un instant derrière eux. Au fil de la promenade, Acuité relatait à Brun ses souvenirs d'enfance ou bien les histoires de son Duchés. Là, elle avait chassé son premier lapin, ici elle avait chuté de cheval, elle partageait avec lui son histoire et sa vie, sans filtre et sans aucun secret. A travers ses propos, elle mettait en valeur son univers, ce monde auquel il était pour l'instant étranger mais qu'un jour il dirigerait à ses côtés.