Il l'épousait oui, mais à quel prix ? Il devait abandonner son propre passé, embrasser un avenir qu'il n'aurait jamais souhaité. Espoir était leur lien, mais il était aussi les chaînes dont Brun ne pourrait jamais se délester. Regrettait-il ?
Elle se le demanda en soutenant son regard.

Que ferait-elle s'il ne pouvait lui donner de réponse ? Continuer à patauger dans l'inconnu et dans la crainte de faire un pas de travers. Elle était toujours aussi perdue en sa présence, il restait trop imprévisible comme en cet instant ou subitement, il posa sa main sur la sienne et lui demanda de revenir dans le bain. Un traité de paix déguisé, une promesse de bien-être comme elle le lui avait proposé avant.
Il avait accepté alors, devait-elle le contrarier encore en refusant ? Toute sa colère s'envola comme elle était venue.
Elle soupira en glissant un regard sur le coté puis se releva.
S'il lui avait demandé de se tourner, elle ne fit pas autant de simagrées. Ils se connaissaient, il la connaissait.

Elle se redressa et planta son regard dans le sien avant d'incliner très légèrement la tête sur le coté. Lorsqu'elle retira son peignoir trempé et qu'il s'écrasa mollement sur le sol, elle ne souriait pas, dévoilant son corps tout entier à son futur mari. Elle savait qu'il la regarderait, il le faisait toujours plus ou moins à la dérobée.
De ce spectacle, elle espéra qu'il ne se lasse jamais.
Après avoir contourné le baquet, elle grimpa sur le marche pied et comme il le lui avait demandé, revint profiter du bain. Elle se rapprocha de lui sur le coté, glissa un bras en travers de son torse et se blottit contre son épaule.

- Et après le dîner ? demanda-t-elle contre sa peau.

Elle aurait voulu qu'il reste avec elle et qu'il se laisse aller au désir qui les aiguillonnait tous deux depuis trop longtemps. Combien de temps encore souhaitait-il attendre ?
Elle n'en pouvait plus de la frustration qu'il lui imposait. Et bien qu'elle se fut résignée à ne plus rien tenter, à le laisser décider, la tentation demeurait grande et douloureuse.

Troublé par le manque de pudeur d'Acuité, Brun l'accueillit dans le bassin avec un soulagement certain. Elle se blottit contre lui et il la laissa faire.
- Quoi, après le dîner ? murmura-t-il en baissant les yeux sur elle.

Il leva la main que son étreinte laissait libre, et fit gouter l'eau sur son visage. Les gouttes roulèrent sur les reliefs de sa peau et une à une, Brun les effaça du bout des doigts, comme là-bas, sur la plage. Ce souvenir doux-amer le fit sourire.

- Tu profiteras d'une de tes dernières nuits sans moi, répondit-il.
D'une nuit paisible, sans cauchemars, sans insomnies.
- Crois-moi, je ne suis pas...
Facile à vivre, allait-il dire, mais il s'interrompit. Acuité le savait déjà, et puis, rien ne servait de la décourager. Elle aurait toute une vie pour s'en rendre compte, et peut-être, regretter ?

- Tu frises, s'amusa-t-il en enroulant sur son index les petits cheveux mouillés qui s'affolaient sur les tempes d'Acuité.

Déçue, elle conserva son regard fixe sur la surface de l'eau évitant volontairement le sien qu'elle savait braqué sur elle. Il ne voyait vraiment pas voir où elle voulait en venir et elle décida d'abandonner.
Comme elle soupirait, il lui offrit une petite pluie improvisée. L'eau clapotait sur sa peau et du bout des doigts il en essuyait chaque marque.
Malgré ses émotions négatives, elle ne put s'empêcher de sourire silencieusement jusqu'à ce qu'il réponde enfin à sa question. Son sourire s'effaça tandis qu'il lui confirmait qu'elle dormirait seule, encore.
Elle fut tentée de terminer la fin de sa phrase. Intéressé ?
Allait-elle devenir comme toutes ses nobles que l'époux n'honorait que par obligation avant de regagner sa propre chambre ? Par Eda...elle espéra que non, mais force fut de constater qu'il ne lui laissait que peu d'espoir à ce sujet.

Son amusement la ramena à la réalité. Elle l'observa un sourcil levé.

- Evidemment, dit-elle en haussant une épaule.

Elle secoua la tête doucement, fière de ses boucles qui ne pouvaient rester sagement attachées. Puis son regard se leva sur lui. Elle plissa les yeux en observant ses temps et un large sourire sur les lèvres lui lança :

- Et toi tu grisonnes.

Sa main se leva jusqu'au dessus de son oreille où elle saisit un petit cheveux blanc entre ses doigts, puis tira.

- Aïe-euh ! protesta Brun.
Il attrapa la main d'Acuité pour regarder le cheveu, mais dans la pénombre, il ne voyait rien.
- C'est ça, d'épouser un vieux, plaisanta-t-il.
Il la relâcha et usa de sa main, puis de l'autre, pour fouiller dans la masse de ses cheveux bouclés par l'humidité.
- Je suis sûr qu'il y a du blanc là dedans, chercha-t-il pour le simple plaisir de la chahuter.

Acuité pouffa à sa remarque. On était encore loin d'un vieux, mais les événements de la vie avaient certainement usé Brun d'une certaine manière, tout comme l'Art l'usait elle.
Elle le regarda avec affection, jusqu'à ce qu'il se mette à chercher dans des propres cheveux. Elle sentit ses doigts farfouiller dans ses boucles, déplaçant sans mal les deux peignes qui maintenant l'ensemble sur le dessus de son crâne. Déjà, des boucles plus dense retombaient sur ses épaules.

- Toi alors ! lança-t-elle en riant, feignant de se battre.

Elle tenta de saisir ses mains, attrapa ses poignets pour le faire cesser mais comme elle pouvait s'y attendre, il avait plus de force qu'elle et semblait réellement motivé à s'amuser de la situation.
Tenant enfin sa prise du mieux qu'elle le pouvait, elle leva le menton et déposa un baiser sur le bout du nez de Brun.

- Aussi pénible que tu sois, moi j'ai hâte de pouvoir dormir à tes côtés, lui glissa-t-elle avec affection.

Ils chahutèrent, pas vraiment comme des enfants, étant donné les idées qui passaient par la tête de Brun en tenant les poignets d'Acuité, en regardant ses boucles tomber sur sa poitrine dénudée, en l'écoutant lui dire - presque innocemment - qu'elle avait hâte d'être sienne. Il avait envie d'embrasser Acuité, et pas seulement le bout de son nez.

Il la libéra lentement, sans cesser de la regarder. Maintenant ou dans quelques jours, une fois le mariage prononcé : cela avait-il vraiment une importance ? Cette étreinte presque légitime, il n'y aurait pas grand monde pour la leur reprocher, peut-être pas même Glace Loinvoyant, qui semblait si pressé d'avoir un véritable héritier.

Dans le doute, Brun se fit violence encore une fois. De toute manière, ils n'avaient pas le temps, avant dîner ; et au coucher, il ne pouvait risquer une nouvelle intrusion dans les quartiers de l'héritière. Il n'y avait plus que quelques jours à attendre. Leur désir n'aurait pas disparu ; avec délicatesse, il voulait l'honorer.

Incommodé par son désir présent, Brun plongea dans l'eau entièrement, et en émergea en se frottant le visage et ses soit-disant cheveux blancs. Il fallait qu'il se calme, ou il n'allait jamais pouvoir sortir de ce baquet dignement. Et Acuité ? Après cette parenthèse dont il ne savait que penser, il fallait penser à la suite de la soirée.

- L'heure tourne, Duchesse, dit-il, oubliant que sa dernière plaisanterie de la sorte avait été mal accueillie. Il faut vous laver et vous habiller.
Il la regarda, mouillée et décoiffée, et eut un sourire qu'elle ne lui connaissait pas.
- A moins que vous ne comptiez dîner dans la grande salle dans ce charmant petit peignoir... Nul doute que vous ferez sensation.

Et soudain la magie opéra de nouveau. La complicité revint et avec elle, le bien-être, le bonheur de partager un instant. Ce moment inespéré rassura Acuité sur leur futur.
Ils chahutèrent et s'amusèrent un moment, elle riait souvent. Cette relation pouvait être si simple, si agréable qu'elle ne comprenait même pas comment ils se débrouillaient pour ne pas pouvoir la vivre ainsi au quotidien. Était-ce sa faute à elle ? Peut-être devait-elle faire plus d'effort...
Il la relâcha lentement mais la couvait toujours du regard, elle était incapable de décrypter la manière dont il la regardait. Le désir l'avait quittée pour l'instant, noyé dans leurs jeux mais elle savait qu'il ne faudrait pas grand chose pour le faire réapparaître. Un contact, un regard ou même quelques paroles.

Tandis qu'il plongeait dans l'eau, elle tenta de rajuster sa coiffure, enfin...façon de parler. Les cheveux mouillés, bouclés pendant autour de son visage, elle ne devait en rien ressembler à la Duchesse qu'il connaissait. Et lorsqu'il réapparut, il lui signifia que la soirée avançait. Il avait raison, leur absence au banquet se ferait forcément remarquer. Elle ne voulait pas donner plus de matière à ruminer à son père.
Elle remarqua alors le sourire qu'il affichait et se demanda comment interpréter. Pensée vite envolée à la plaisanterie qu'il lança juste après.

- Je pense être suffisamment propre désormais, lui répondit-elle avec un sourire espiègle pour faire allusion à leurs jeux aquatiques.

Elle se leva et sortit du baquet. A côté, elle saisit un drap de bain et s'enroula dedans, le temps de récupérer ledit peignoir qu'elle étendit non loin pour le faire sécher.

- Cette vieille chose ? ajouta-t-elle d'un ton faussement hautain. S'il vous plaît tant vous n'avez qu'à l'essayer.

A cette idée, elle pouffa. Imaginer Brun dans cette tenue avait de quoi la faire rire. Le laissant achever sa toilette, elle s'avança vers sa malle puis en tira une robe d'un bordeaux foncé et une chemise fine. Elle se sécha, enfila la chemise puis la robe. C'était une coupe simple qui dégageait sa gorge et la base de ses épaules. Sans corset, elle n'avait besoin de personne pour l'habiller.
Se coiffer serait une autre affaire, mais elle pourrait faire appel à Brume dès que Brun serait parti.
Car elle savait que ce moment arriverait et plus que jamais, elle avait hâte qu'on leur fiche la paix et que les instants de bonheur qu'ils pourraient voler à deux, deviennent plus réguliers.