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 Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]

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MessageSujet: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeVen 28 Juin - 11:15

Trois jours avaient passé depuis le Relais. Le Tournoi des Moissons s'était achevé la veille, dans un banquet festif qui ne pouvait faire oublier à personne les tragiques évènements de l'épreuve équestre. Ou, en tout cas, pas à Job.
Il s'était pourtant réjoui de cette visite à Castelcerf. Participer à un tournoi d'importance, faire ses preuves, s'échapper un moment du domaine de Raguelon et profiter des festivités... Le jeune homme avait tout planifié, et cela devait être parfait. Au lieu de quoi...

Il soupira bruyamment, mécontent. A ses côtés, la jument baie de Flore avait cessé de mastiquer son foin et le regardait d'un air interrogatif. Job prit alors conscience qu'il étrillait son pelage parfaitement propre depuis un bon moment.

- Désolé ma belle, j'suis pas très concentré... marmonna-t-il d'un ton d'excuse.

C'était plus que vrai. Non seulement son équipe n'avait pas gagné le relais, l'empêchant de concourir pour l'épreuve individuelle et de prouver sa valeur aux yeux de tous, mais il n'avait même pas pu finir son tour de piste, alors qu'un membre de la famille Raguelon était présent dans le public ! En fait, personne n'avait dû prêter attention son passage : à son départ, l'assistance n'avait d'yeux que pour le membre viril du cheval de Taebryn ; peu après, chiens et corbeaux terrorisaient la foule et les participants.
Quel échec...

Déterminé à se reprendre, le palefrenier tapota l'antérieur droit de la jument. Docile, elle plia le membre, présentant au jeune homme son sabot. Il aurait voulu pouvoir enlever chaque caillou, chaque morceau de crottin pris au piège, avec la sensation de se débarrasser d'une de ses préoccupations. Mais il ne trouva qu'un peu de poussière, l'animal n'étant pas sorti de la journée !
Était-ce un signe ? Job en doutait, mais le fait était qu'il ne parvenait pas à s'occuper suffisamment l'esprit pour trouver la paix.

Enfin, satisfait de son pansage, il rangea ses instruments avec la selle de la jument et revint s'asseoir dans la paille auprès d'elle. Il faudrait qu'il pense à nettoyer le box avant la nuit, s'il ne voulait pas qu'elle se couche dans son crottin.
Ni moi d'ailleurs ! N'ayant pas trouvé de chambre libre au Château, le jeune homme dormait en effet avec sa monture aux écuries. Non que ça lui pose un problème : il préférait cent fois la chaleureuse compagnie des animaux à la froideur impersonnelle des pierres de Castelcerf.

Et puis comme ça au moins, il ne risquait pas de croiser Plaisant de Raguelon. Il savait pertinemment que le vieil homme, grand-oncle de Flore et financier royal, ne s'approchait jamais à plus de vingt mètres d'un cheval.
A l'exception du relais, où Job l'avait évacué sur le dos du petit hongre qu'il montait alors, dans une posture fort peu digne de l'image qu'il entretenait.

Le palefrenier réprima un nouveau soupir. Depuis, il s'était arrangé pour éviter Plaisant, certain que les infirmiers avaient pris un malin plaisir à lui raconter la façon dont il s'était retrouvé sur le lit d'hôpital. Si ce n'était pas le cas, alors pourquoi le noble ne s'était-il pas déjà présenté devant Job pour le remercier de l'avoir sauvé ? Non, assurément, le personnel de soins avait tout expliqué, s'attardant sur le détail qui fâchait.
En sac à patates. Comment avait-il pu oser ?! Jamais Job ne pourrait de nouveau le regarder en face. Déjà que l'homme ne l'appréciait guère auparavant...

Non content de manquer sa chance de faire ses preuves au Relais, le jeune homme n'avait fait qu'aggraver sa situation familiale.
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeMar 16 Juil - 20:48

Trois jours avaient passé depuis le relais et la débandade générale qui l’avait mis à bas. Trois jours pour se remettre de ses émotions, plutôt que de ses blessures : le vieil homme s’en était tiré avec quelques contusions, presqu’indemne en somme. Et, ironie du sort, il devait son sauvetage à la personne qu’il méprisait entre toutes : Job, le palefrenier qui avait déshonoré sa famille en épousant clandestinement sa petite-nièce. Sous le choc, il avait sombré dans l’inconscience peu après que le manant vienne à sa rescousse ; mais chacun pouvait témoigner que c’était le jeune gueux qui l’avait ramené sain et sauf au château, quand les autres l’avaient laissé croupir dans la boue.

Boudant la fin des festivités, Plaisant avait donc passé trois jours à se remettre. Ca n’avait pas été chose facile pour son esprit timoré, encore hanté par l’image du cheval sanguinolent. Des temps sombres s’annonçaient, il en était persuadé. Personne n’était à l’abri de ces maudits magiciens des bêtes ! Anxieux, il tripota la patte de lapin enfouie dans le fond de sa poche tandis qu’il se dirigeait vers les écuries. Oui, les écuries ! Car il n’y avait pas à réfléchir à deux fois quand l’on cherchait les amateurs de crottin. Si Job se trouvait quelque part dans le château, c’était bien là. L’endroit empestait à vingt mètres.

Plaçant un mouchoir brodé sur son nez délicat, le vieil homme prit son courage à deux mains et pénétra dans le lieu maudit. Il salua la maîtresse d’écurie d’un bref mouvement de tête, qui n’était pas sans évoquer le soubresaut d’une poule, et s’éloigna au hasard des couloirs. Les boxes se succédaient en interminables rangées, tous semblables, et il devait zigzaguer entre les bêtes qui tendaient leur interminables cous dans sa direction, sans doute animées d’intentions hostiles. A les voir le renifler ainsi, il avait peine à croire que ces animaux fussent herbivores. El soit loué, ils étaient bien enfermés dans leur cage – ce qui n’était malheureusement pas le cas des garçons d’écuries qui courraient en tous sens, manquant à plusieurs reprises de le bousculer.

Bref ! Plaisant n’était pas dans son élément, et pour ne rien arranger, il n’avait absolument aucune idée d’où pouvait se trouver l’ex-palefrenier. Il commençait à regretter de ne pas avoir demandé son chemin à Dame Soudaine (mais la maîtresse d’écuries l’intimidait assez), lorsqu’un gros bout brun, une encolure, un cou vivant, jaillit soudain dans sa direction, tous naseaux dehors.
- Eda ! chevrota le vieil homme en se jetant sur le côté, lâchant du même coup son mouchoir.
Le cœur battant à tout rompre, il dévisagea la bête avec effroi, puis la frayeur laissa place au doute. Il n’était pas physionomiste dans ce domaine, mais… il connaissait ce cheval. La robe bai, l’œil vif (si tant est qu’une bourriche puisse avoir l’œil vif), et surtout, cette étoile blanche sur le chanfrein. C’était la jument de Flore !

- Tout doux, Bichette… murmura-t-il pour calmer l’animal, sans effet visible. Il ne s’appelait sans doute pas Bichette.
- Susucre ? Pomme à l’eau ? Rêveuse ? poursuivit-il, avant d’abonner complètement.
D’abord, son nom n’avait sans doute aucune incidente sur le comportement de la bête ; et puis, dans le fond de la cage, il venait d’apercevoir Job.
- Vous ! s’écria-t-il, surpris à nouveau, avant de reprendre contenance.

Diable ! Le manant l’avait vu hoqueter de peur devant une vulgaire jument ? L’entrevue commençait mal. Il lissa son vêtement et tâcha de prendre un air important.
- Hem. Vous tombez bien. Je vous cherchais justement.
Il songea que c’était sans doute trop d’honneurs à lui faire.
- Enfin ! Je passais dans le coin, se reprit-il, admirant distraitement ses ongles, à l’aise comme un Vifard dans un salon de thé.

Un silence tomba devant le caractère peu convaincant de la chose, et il regarda les mouches voler, avant de réaliser qu’elles provenaient du tas de crottin bien frais qui garnissait la paille du box. Il fronça le nez d’un air dégoûté et, pressé d’en finir, se jeta à l’eau.
- Je tenais à vous remercier pour m’avoir… porté secours.
Il déglutit. Dire qu’il devait brosser les chausses de l’homme qui avait traîné son nom dans la boue ! Non, ça jamais !
- Je ne vous dirais pas que j’ai été trop dur avec vous ou autre boniment de ce genre. Vous avez déshonoré ma famille et vous avez eu exactement ce que vous méritiez.
Il s’en était même sacrément bien sorti. N’était-il pas venu se pavaner au Tournoi sur une monture qui ne lui appartenait pas ?

Il se sentait en colère, à présent, et dut faire un effort sur lui-même pour se rappeler du but de sa visite. Pas des excuses, non, mais des remerciements, sans aucun doute. Le manant ne lui avait-il pas sauvé la vie ?
- Hem. Cependant je dois reconnaître que vous vous êtes comporté avec bravoure et sollicitude face à un vieil homme dans le besoin, reprit-il, plus modéré. Merci, donc. Merci… Job.
Il appelait rarement le jeune homme par son prénom, préférant parler de lui sous des termes plus explicites tels que « le crotteux », « le manant » ou « le gueux ».
- Acceptez en guise de ma reconnaissance…

Et puis il s’interrompit, regrettant déjà d’avoir prononcé cette phrase. Le commerce rendait les choses plus faciles, mais qu’avait-il à lui offrir ? Son pardon ? Certainement pas ! S’étendait devant lui le vaste éventail des choses matérielles, et vu le patrimoine du va-nu-pied, il avait l’embarras du choix. Aussi, quand il vit passer devant lui un gros destrier orange, la seule chose qui lui vint à l’esprit pour se dépêtrer de cet embarrassant silence fut :
- Un cheval.

Un cheval ?!
Mais après tout, oui, pourquoi pas ? C’était bien la seule chose qu’il savait être dans les goûts de son nnn… de son nnneveu par alliance. Et puis, cela lui permettrait de repartir vite, loin de Castelcerf et de sa réputation profanée.
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeMar 13 Aoû - 22:56

Alors qu'il ruminait ses tristes pensées, Job fut soudain dérangé par la jument dont il partageait le box. Elle se précipita vers la porte de l'enclos et agita brusquement sa tête à l'extérieur, comportement que la paisible bête n'adoptait d'ordinaire qu'au moment de la distribution du foin.
Intrigué, le jeune homme se redressa quelque peu, puis s'arrêta dans son mouvement. Accroupi, il parvenait à distinguer le visiteur qu'honorait Aquarelle... visiteur des plus incongrus, car il s'agissait de Plaisant de Raguelon !

Job acheva de se relever d'un bond, attirant l'attention du vieil homme sur lui. Muet, il attendit que celui-ci explique la raison de sa venue, puisqu'il cherchait apparemment à le voir malgré sa surprise manifeste. Très peu à l'aise, l'homme de la Cour cherchait ses mots, tandis que Job appréhendait déjà le discours à venir. Car si Plaisant s'était déplacé, c'était bien pour le remettre à sa place et lui exprimer son mépris, non ?

Non. A la grande surprise du palefrenier, ce furent des remerciements qui sortirent de la bouche de son interlocuteur, vite remplacées cependant par les habituelles déclarations pleines de fureur du vieil homme. Job ravala sa propre colère, déterminé à le laisser parler jusqu'au bout.

Plaisant parut se reprendre avec efforts, et, avec plus de sincérité, exprima de nouveau sa gratitude. Là, le jeune homme sentit sa bouche s'arrondir de stupeur. Son aîné n'avait pas mentionné une seule fois la dégradante position dans laquelle il avait été placé, et ne se concentrait que sur le résultat de l'action de Job. Celui-ci se rendit compte pour la première fois de l'importance de son geste, et se prit à espérer qu'il lui vaille un regain d'affection de la part de la famille de Flore.
Lorsque Plaisant mentionna une récompense, le palefrenier pensa soudain qu'il pourrait lui accorder son pardon, son soutien même, au sein du clan Raguelon. La nature de l'offre demeura cependant inconnue durant de longues secondes d'espoir, brisées par le laconique "un cheval" du financier.

Déçu, presque choqué, le jeune homme murmura en écho "un cheval ?" tandis que son esprit travaillait à faire le point sur cette visite inattendue. Loin de l'accabler d'injures, le noble s'était excusé ; loin de le gratifier de son pardon, il lui offrait un bien matériel. Posséder sa propre monture était certes une envie que Job n'espérait pas pouvoir satisfaire un jour, mais pourtant ce cadeau n'était pas à la hauteur de ses attentes. Il devrait pourtant s'en contenter, connaissant la nature entêtée des Raguelon...
Estimant avoir fait durer le silence suffisamment longtemps, Job rassembla ses idées avant de déclarer :

- J'dois avouer que je m'attendais pas à votre visite. Mais j'suis content que vous avez remarqué ce que j'ai fait pour vous, même si j'l'ai pas fait pour m'attirer vos bonnes grâces. J'aurais pas voulu qu'Flore perde un membre de sa famille même si j'y ai pas été bien accueilli. Et j'crois pas vous avoir déshonorés, mais revenons pas là-dessus. Vous admettrez un jour que j'y ai ma place.

Il s'arrêta un moment, souffla un peu pour évacuer son humeur. Il ne s'agissait pas d'insulter le noble le jour où il se montrait le mieux disposé à son égard.

- Un cheval, vous disiez ? On ne pourrait pas enterrer nos problèmes, plutôt ? Ce n'est pas que j'refuse le cadeau, ça m'ferait même très plaisir. Mais la paix avant tout, vous n'croyez pas ?

Conscient de l'audace de sa demande, le jeune homme retint son souffle. Rien ne lui serait plus précieux que d'être enfin accepté au sein de la famille de Flore, ce en quoi Plaisant lui serait d'une grande aide. S'il voulait bien pardonner à Job en ce jour.
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeDim 18 Aoû - 15:33

Son offre plongea le jeune homme dans un abîme de réflexion. Un cheval : ça n'était pourtant pas compliqué !

Navré de devoir s'attarder ainsi dans l'odeur du crottin, Plaisant s'apprêtait à pousser un soupir déchirant quand le gueux reprit la parole. Et pour dire quoi ?! Pour le soupçonner d'ingratitude, avant de lâcher comme une évidence :
- Et j'crois pas vous avoir déshonorés, mais revenons pas là-dessus. Vous admettrez un jour que j'y ai ma place.

Le vieil homme s'étouffa d'indignation alors que l'insolent déclinait son présent. La paix ! La paix ! Il s'étrangla de plus belle. La poussière n'arrangeait rien et, à court d'air pur, il crut voir sa dernière heure arriver. Il serra la pâte de lapin dans sa poche et enfouit son visage cramoisi dans sa manche. Ça n'était pas le moment de flancher.

- On ne propose pas la paix une fois le crime accompli ! couina-t-il, se contenant difficilement. Vous sauriez cela si vous aviez un tant soit peu d'éducation ! De même que vous sauriez ce que mésalliance veut dire !

Il grommela furieusement dans son absence de barbe avant de reprendre froidement :
- Un cheval. C'est à prendre ou à laisser. Excusez ma vulgarité : vous pouvez vous asseoir sur mon pardon. Que je le veuille ou non, vous avez déjà votre place dans cette famille. Vous logez au château. Vous couchez avec Flore. Vous aurez beaucoup de petits palefreniers. Vous faut-il en sus ma bénédiction ?
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeVen 23 Aoû - 19:41

Rouge de colère, Plaisant s'étouffait presque de la proposition du palefrenier. Celui-ci fit la moue. Il savait qu'elle risquait de ne pas être très bien prise, mais à ce point ?
Le jeune homme s'avança de quelques pas vers son aîné, prêt à lui venir en aide. Mais bientôt le noble reprit contenance et en profita pour se lancer dans une tirade outrée. Impassible, Job laissa passer l'affront. Puis il réfléchit de nouveau un moment avant de répondre, enfin :

– J'sais peut-être pas lire ni écrire, mais j'sais que Flore est bien mieux avec moi plutôt qu'avec un nobliau intéressé qu'par sa dot. Il serait temps qu'le concept du mariage évolue un peu, vous n'croyez pas ?

D'un ton radouci, le jeune homme poursuivit, désireux de convaincre son interlocuteur :

– J'accepte le cheval, alors ; c'est un beau cadeau. Mais votr' bénédiction en serait un plus beau encore... votr' petite-nièce vous écouterait, vous, ajouta-t-il comme pour lui-même.

La soeur aînée de Flore et héritière des Raguelon, en effet, menait au palefrenier la vie dure. Et comme son plan de remporter le Tournoi Équestre avait échoué lamentablement, convaincre Plaisant qu'il méritait sa place dans leur famille lui semblait à présent le seul moyen de ramener de l'ordre dans sa vie.


Dernière édition par Job le Ven 24 Oct - 19:19, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeSam 14 Sep - 18:44

Malgré l'insulte, le garçon répondit avec calme et sang-froid, et le vieil homme se sentit soudain vaguement honteux. Par le rang et par l'âge, il était sensé être plus sage ; et il s'emportait, lui qui était venu témoigner sa gratitude. Il pensait avoir pris du recul par rapport à cette affaire ; mais manifestement le bât blessait toujours. Il n'avait toujours pas pardonné.

Les paroles du garçon étaient calmes, elles n'en étaient pas moins sottes, ou du moins naïves. La ritournelle du mariage d'amour, coqueluche des jeunes gens, revint et le plongea dans ses souvenirs. S'était-il marié par amour, lui ? Non, et il ne s'en était pas porté plus mal, bien au contraire. Au lieu d'une passion de cœur vite éventée, il avait bâti un amour sur les fondations solides de la bienveillance et de l'intérêt commun. Ils avaient vieilli ensemble, du moins jusqu'à ce que la maladie l'emporte...

Ses yeux se voilèrent et il écouta d'un oreille la suite des propos de Job. Il acceptait le cheval, bien sûr, sans tout à fait renoncer à ses prétentions folles... Qu'imaginait-il ? Rêvait-il de la famille unie après l'avoir délitée ? Et puis, de quoi parlait-il ?
- Votr' petite-nièce vous écouterait, vous...
S'était-il finalement fâché avec Flore ? La jeune fille lui reprochait-elle les conséquences de son choix ?

- Que voulez-vous dire ? demanda froidement le vieil homme, essuyant du revers de sa manche les larmes que la toux et les souvenirs avaient formées au coin de ses yeux.
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeLun 7 Juil - 18:33


Ses paroles calmes avaient chassé l'air outragé du vieil homme, sans pour autant qu'il ne soit remplacé par l'attitude compréhensive que Job espérait tant. Le garçon eut même un instant l'impression que Plaisant ne l'écoutait plus, vite effacée lorsque le noble reprit la parole d'un ton agressif.
Que voulait-il dire ? Un instant décontenancé, Job resta muet, incapable de comprendre ce à quoi il faisait référence. Puis il se rappela ses derniers mots, cette  réflexion à mi-voix que le vieil homme avait pourtant dû entendre.

— Oui, votr' petite-nièce, Dame Constance... Oh, vous pensiez que j'parlais de Flore ? J'suis désolé d'vous apprendre que tout va très bien pour nous. Mais sa sœur m'traite plus bas qu'terre et même Flore est concernée. Y serait bien qu'elle comprenne qu'y faut accepter les choses, même si elle m'aimera sans doute jamais. Comme vous le faites, vous. Vous acceptez, conclut-il après une légère pause.

Job craignait que ce discours sincère ne lui attire que reproches supplémentaires de la part du noble. Certes, c'était de sa faute si une fracture s'était créée au sein de la famille Raguelon, mais Constance aurait pu être bien plus compréhensive, à l'instar de ses parents qui avaient plus ou moins accepté le jeune homme à présent.
Malgré ses doutes quant à l'utilité de son argumentation, le palefrenier voulait tout tenter pour sauver la situation, et il était certain que Plaisant pouvait jouer un rôle crucial dans sa réhabilitation.


Dernière édition par Job le Ven 24 Oct - 19:20, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeDim 13 Juil - 19:05

Le jeune homme continuait de le provoquer, rumina Plaisant. Comment pouvait-il dire qu'il avait accepté? Il s'était résigné comme le paysan regarde, impuissant, son champ dévasté par la tempête. Le mal était fait: il était vain de lutter.

- Avez-vous songé qu'avec l'honneur de sa famille, vous avez ruiné ses propres chances de mariage ? répondit-il, vexé que le palefrenier mette en cause l'un des membres de sa famille.

Job n'était pas méchant, certes, il l'avait prouvé en lui sauvant la vie. Il n'était peut-être même pas si intéressé qu'il l'avait cru au début. Mais il n'avait pensé qu'à lui en épousant Flore. L'avenir de la jeune fille et de sa famille n'était pas entré dans ses considérations simplistes. On aime, on épouse : fallait-il être sot !

Maintenant Flore était déshéritée et Constance aigrie. Il l'apprenait mais n'en était pas surpris. L'aînée avait toujours eu un caractère fort, et avait sans doute mal pris de voir s'envoler ses meilleurs partis. Désormais tout le monde devait croire que n'importe quel crotteux pouvait épouser les filles De Raguelon...

- Soit. Je lui en toucherai un mot, concéda-t-il, hochant la tête d'un air triste.
Il doutait de pouvoir faire grand chose : il n'était que le vieil oncle un peu fantasque qui ne vivait même pas au château familial. Et puis il n'avait pas prévu de s'y rendre. Il lui faudrait faire le voyage: ce n'était pas le genre de sujet qui pouvait s'aborder par courrier. Il sentait déjà les cahots du chemin lui secouer l'échine...

Cette pensée désagréable le ramena au présent proposé: un cheval, que Job avait accepté. Il avait hâte de régler sa dette et d'en finir.
- Revenons à nos affaires, reprit-il, plus à son aise dans ce domaine. Vous verrez avec la maîtresse d'écuries la monture que vous désirez.
Il préférait déléguer la tâche à qui de droit. Soudaine avait la tête sur les épaules, bien qu'elle fut peu disponible ces derniers temps, entre la préparation du Tournoi et celle de la guerre.

Une étincelle s'alluma dans ses petits yeux et il proposa, enthousiaste :
- Que diriez-vous d'un cheval de guerre ? Pour accompagner nos glorieuses troupes au combat ?
Il ne savait pas si l'homme avait prévu de participer à l'expédition en Chalcède. Mais ne faisait-il pas partie de la noblesse d'épée désormais ?

Il eut un sourire mesquin et tâcha de rien laisser paraître de l'espoir qu'éveillait en lui cette idée.
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeVen 24 Oct - 19:21

Ses “chances de mariage” ? Non, Job n’avait pas raisonné ainsi. Il savait que les nobles ne se mariait presque jamais par amour, et certainement pas en dessous de leur condition, mais ce qu’il vivait avec Flore les avait tous deux bouleversés, au point de les pousser à fuir ensemble. Ils n’avaient pas pensé à leurs rangs, pas pensé à leurs obligations, pas pensé à l’opinion de leurs familles. Ils s’étaient laissés porter par leurs sentiments, leur passion, et s’étaient fait de tendres promesses avec la certitude de vouloir les tenir… promesses qu’ils avaient tenues, envers et contre tous.
Les “chances de mariage” de Croyance… Il était certain qu’elle ne ferait pas un mariage d’amour, elle. Elle était raide et sévère comme la justice, et il ne faisait aucun doute pour Job qu’aucun homme ne voudrait d’elle… à moins d’être intéressé par sa dot, ou ses capacités de gestion d’un domaine, il voulait bien lui accorder cette qualité. Alors, compte tenu de ces critères, était-il juste de dire que l’incartade de Flore avait ruiné ses “chances de mariage” ? Le jeune homme n’y croyait pas, mais l’Honneur, si cher au cœur des nobles et si incompréhensible pour lui, devait certainement être pris en considération.

Job ne répondit pas à la question, sûrement rhétorique de toute manière, de Plaisant. À la place, il murmura des remerciements sincères lorsque le vieil homme promit de parler à l’héritière du domaine. Il n’y passait pas tant de temps, mais un doyen avait toujours de l’influence sur ses cadets, non ?

Plaisant enchaînait déjà, lui laissant le choix de la monture et lui indiquant de voir avec Soudaine, son ancienne supérieure. Un petit sourire illumina les traits du jeune homme, qui l’appréciait bien et n’avait guère eut le temps de lui parler depuis son arrivée à Castelcerf, malgré le temps passé dans les écuries. À croire qu’elle était véritablement débordée.
Mais Job n’eut pas le temps d’y réfléchir plus avant, car le noble lui fit une proposition à laquelle il n’avait encore jamais songé. La guerre. Voulait-il participer à la guerre.

Sa première pensée fut que Flore le tuerait d’oser s’y risquer quand rien ne l’y obligeait. Sa deuxième fut pour la gloire qu’il en retirerait, et l’approbation familiale qu’il recevrait sans nul doute possible en s’illustrant au combat. Et sa troisième… revint à Flore, et à son éventuelle mort. Il n’avait reçu aucune éducation à quelque arme que ce soit, et risquait véritablement sa vie à la guerre.
D’abord inquiet pour son mariage, le jeune homme avait été euphorique mais retrouvait de sombres pensées. Il ne jurait que par sa distinction, ces derniers temps, mais savait fort bien que la guerre, le combat, pouvaient signifier la mort tout autant que la gloire.

Job baissa la tête, confus.
– Je… Je sais pas trop, finit-il par dire, autant pour lui-même que pour Plaisant.
Conscient que le vieil homme attendait sûrement mieux que cela, il se força à continuer… sans trop de succès.
– Y va falloir que j’réfléchisse…
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeSam 25 Oct - 19:42

Plaisant put voir la réflexion se peindre sur le visage du jeune homme, qui ne devait pas souvent revêtir ce genre d'expression. Cela le conforta dans son idée que Job était gentil, mais un peu limité. Le pour et le contre marquaient clairement ses traits. Quel piètre politicien il aurait fait ! Enfin, c'était un palefrenier : on ne pouvait pas lui demander à la fois d'être une lumière et de pelleter le crottin. Par El, il réfléchissait encore, qu'allait-il décider ? Le vieil homme n'avait pas pensé susciter une cogitation telle. Le suspense le prenait presque...

- Je ne sais pas trop. Y va falloir que j'y réfléchisse, bafouilla finalement l'intéressé, fidèle à son éloquence ordinaire.
Et puis ce fut tout. Il n'y avait plus rien à en tirer. Au moins avait-il réellement considéré cette idée. Cela ouvrait de nombreuses possibilités... de nombreux futurs possibles...
- Réfléchissez donc, répondit Plaisant, agacé. Vous me ferez savoir quand vous aurez décidé. Ce n'est pas le même genre de bête ajouta-t-il, fin connaisseur.

Sa mission accomplie, il était plus que temps de prendre congé. Mais il ne "savait pas trop", lui non plus, comment s'y prendre.
- Eh bien, bonne journée, dit-il en promenant sur le box un regard sceptique, comme doutant que cela fut possible. Vous savez où me trouver. Bien... Bien...
Il le scruta, se demanda s'il devait le remercier à nouveau, mais décida que c'en était assez. Au lieu de quoi il lui tendit sa vieille main potelée, attrapa maladroitement celle du palefrenier (ils n'avaient jamais échangé ce genre d'amabilité), sentit les cals, grimaça, transforma la grimace en sourire et s'en fut.

Du mauvais côté, évitant soigneusement les cous de chevaux, qui étaient partout.
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MessageSujet: Re: Gratitude et crottin [Plaisant, fin août]   Gratitude et crottin [Plaisant, fin août] I_icon_minitimeLun 10 Nov - 21:47

Comme prévu, le noble aurait aimé une réponse plus claire que celle que Job pouvait lui fournir. Eh bien, qu’importe. Le garçon prendrait quelques heures, ou quelques jours, pour y réfléchir, choisirait avec Soudaine, qui se chargerait d’informer Plaisant… cela ne lui poserait sûrement pas vraiment de problème. Moins qu’à Job, en tout cas, qui n’en finissait plus de cogiter.
La vie, la mort, la famille, Flore… À peine s’aperçut-il que le noble prenait congé lorsqu’une main ridée s’empara de la sienne, et il la serra en marmonnant un “bonne journée messire” distrait. L’homme lui avait assurément donné de quoi s’occuper l’esprit.

FIN
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