- ...souviens n'est-ce pas ? Promue dès sa deuxième année, sur recommandation spéciale de V. Rask, garde de Bourg de Castlecerf, dans son exercice de fonction préféré du moment : se plaindre.
- Elle était major lors de sa formation chez les cadets. Lora, concise à l'extrême pour ne pas changer.
- Qu'importe ! Sur recommandation spéciale du roi ! Spéciale ! Comme le coup du maître des écurie, une de ses amies d'enfance qu'il parait au mieux, et ça, c'est que les rumeurs les plus flatteuses. Le volume sonore et les gesticulations augmentaient exponentiellement, ce qui au final se fondait plutôt bien dans l'ambiance du marché qu'ils parcouraient.
- Soudaine ? C'est la petite-fille de l'ancien responsable, répondit encore Lora sans même un regard pour Rask. Les yeux de Lora scrutaient inlassablement les étals, les gens, les poches, les regards, son cerveau trouvant à peine le temps pour consacrer du temps à son collègue. Heureusement, la journée était calme.
- Fille, voilà le mot. Content que tu sois d'accord avec moi. Une femme de plus, choisie par Vainqueur, pour travailler dans son entourage. Coïncidences ? Non, c'est notre travail à nous les gardes de lever le voile sur les mystères qui planent sur la ville. La pointe de fierté qu'il ajouta à cette dernière ligne provoqua l'éclat de rire d'une gamine, de sa mère et même d'un boucher.
- Rask, notre travail est de patrouiller dans ces rues. Concentre-toi un peu. Dans une situation normale, il n'y aurait pas de quoi faire une scène de toute cette histoire, vraiment. Qu'écrire ?
- Mais je suis concentré et je peux discuter tout en patrouillant entre mes phrases, commenta Rask excédé, tout en patrouillant.C'est pas sorcier tout de même, continua-t-il, toujours en patrouillant.
- ...
- Si on ne fait rien, la garde va se retrouver avec un ramassis d'incompéten-"tes". Déjà que certains habitants du Bourg disent que nous sommes là seulement pour faire jolis alors que nous sommes deux gardes exemplaires, imagine s'il y avait une foutue gonzesse avec nous. Avec les critères du roi pour nos gardes féminines, elles sont au final plus qualifiées pour tapiner chez Chatim' que pour faire le trottoir, un sourire suffisant sur les lèvres en guise de ponctuation.
- ...
- ... Chez Chatim' que pour faire le trottoir, un sourire quelque peu moins suffisant sur les lèvres en guise de ponctuation.
- ...
- J'ai fait un jeu de mot là Lora. Patrouiller, faire le troittoir, Cha...
- J'avais compris. Rask, cette conversation est stupide. Cela devient récurant. Et notre travail en pâtit : tu n'es pas du tout attentif. La goutte d'eau faisant déborder le vase sûrement. Lora se demandait parfois pourquoi "toutes" ses interventions avec Rask se ressemblaient tellement ? Comme le recopié d'un dialogue débile, joué et rejoué par les mêmes acteurs inlassablement.
- Et qu'est-ce qui pourrait bien te faire dire ça ? interrogea Rask, les poings sur les hanches, prêt à la remettre à sa place d'une réplique bien placée.
- Le fait que tu te plaignes des femmes dans la garde à une garde. Pour être sûr d'être bien comprise, le "une" pouvant passer inaperçu, elle outrepassa son avarice syllabique légendaire pour rajouter le mot "femme" à la fin.
- C'est totalement stupide Lora, je sais bien que t'es garde - t'es ma collègue par Eda ! Mais si tu étais vraiment une femme - comme les autres j'entends, tu serais outrée par mes propos et tu m'aurais déjà giflé depuis le début de ma tirade. CQFD.
- ... ... ... Bon. Ca se tient. Dans un sens. Alors pour le fait que tu n'ais pas remarqué Jappeflèche ? essaya de nouveau Lora.
- Qu'est-ce que Miss Jappelevent vient faire là-dedans ? demanda Rask avec une franche antipathie dans la voix, ne comprenant foutrement pas ce que cette ****** pouvait bien faire dans la conversation.
- En train de nous écouter en ce moment même, juste sur ta droite, là depuis deux ruelles maintenant, livra enfin une Lora toujours égale à elle-même, continuant sa ronde sans même s'arrêter un instant après cette révélation brutale.

Rask eut un léger rire suffisant, croyant à une bonne blague de sa camarade - car comment passer outre le regard du "garde aux yeux de lynx" ?  nouveau surnom qu'il essayait de faire passer, vu que celui du "garde au charme indomptable" ne marchait plus aussi bien qu'à ses débuts.
Enfin, à la réflexion, il valait tout de même mieux être sûr.
Surtout que Lora faisant des blagues était une chose aussi rare qu'un Béarnais aimant son Duc.

Et donc la conclusion attendue s'imposait : "Par les couilles d'El, la chienne était vraiment là !" paniqua Rask se retournant, en ayant au moins la chance d'être totalement tétanisé ce qui l'empêcha de penser à voix haute.

Mona fendait la foule, balayant les environs des yeux. Bien droite, les épaules en arrière et le regard vif, elle s'appliquait à garder un air confiant et rassurant. Évidemment, personne ne se doutait qu'elle était plutôt à l'affut de beau garçons que de bagarres de tavernes et de voleurs à la tire. Il fallait bien s'occuper quand on passait des heures à parcourir les mêmes endroits en boucle.
Gardien leva la tête vers sa maitresse. Mona sentit son agacement et sourit, puis lui flatta doucement la tête.

Lâche moi, je serais sage, promis....

Il n'aimait pas du tout être tenu en laisse, plus habitué à marcher librement à coté d'elle. Mais cela faisait plus professionnel de le tenir ainsi et surtout ça diluait les sales rumeurs qui couraient en faisant passer Gardien pour un simple limier apte à sentir ce qu'elle ne voyait pas.
Il faudrait un jour qu'elle attrape celui qui avait lancé ces racontars au sujet d'elle et de son chien. Nul doute que si elle le tuait, elle bénéficierait de circonstances atténuantes. Occupant désormais sa ronde avec une foule de pensées réjouissante, Mona réprima un sourire féroce, déroula un peu la laisse de Gardien et reprit sa route d'un pas plus guilleret.
Soudain des voix familières effleurèrent ses oreilles. Tournant la tête, la jeune femme aperçu deux silhouettes caractéristiques: Lora et Rask, à n'en pas douter, d'autant qu'ils étaient censés patrouiller dans une zone voisine de la sienne. Ils semblaient discuter vivement, surtout Rask, car sa compagne de patrouille semblait faire à peine semblant de l'écouter. Prise d'une soudaine curiosité, Mona commença à les rattraper.
Lora l'avait remarqué, mais pas l'autre et il continuait à parler librement.
Trop de femmes dans la garde selon lui? Faire le tapin, n'est-ce pas? Chez cette vieille peau de Châtiment? Elle grinça des dents si fort qu'elle s'étonna qu'il ne l'ai pas entendu. Sa main se crispa sur la laisse de Gardien. Qu'est ce qui la retenait de ne pas lui faire avaler toutes ses dents sur l'heure? Rask se retourna alors sur les conseils de Lora.

"Bonjour Rask." dit-elle d'une voix qui suintait la colère contenue.

Ne pas le frapper surtout, ne pas le frapper. Ils étaient tous les trois en patrouille pour assurer l'ordre et non pas l'inverse, il serait terriblement malvenu de commencer à régler des comptes en plein milieu de la route, pendant le service. Mona serra donc les dents et se contenta de poser sa main sur la poitrine de Rask pour le pousser violemment.

"Maintenant patrouille et ferme ta grande gueule." ordonna-t-elle. "Tu es héroïque Lora! Il faudra que tu me dise ton secret pour le supporter, un jour."

Mona tira sur la laisse de Gardien qui s'était arrêté pour flairer quelque chose, pour reprendre sa patrouille aux cotés de ses deux camarades. Le chien semblait soudain nerveux, à flairer le nez en en l'air un peu partout.

Quelque chose...

La chance, c'était quelque chose qui devait tourner n'est-ce pas ? Genre, être malchanceux un moment, puis se sentir en veine ensuite, histoire de respecter un certain ordre cosmique dans la destinée de l'univers. Ou d'autres foutaises du genre. Pourquoi ça tombait donc toujours sur lui ? Mona, pourquoi elle ? Passe encore qu'il passe pour un geignard auprès de Lora - il aimait bien passer pour un geignard auprès de Lora de toute façon, c'était la seule qui l'écoutait, ou du moins faisait semblant - mais tomber sur la garde au gros chien dans des circonstances pareilles, qu'avait-il bien pu faire pour mériter ça ?

- Je ferme ma "jolie" gueule si je le veux bien, grmblgmgnn... Et 'jour aussi... Patrouiller, patrouiller, gna gna gna, on dirait Lora si elle prenait la peine de parler marmonna Rask peu convaincu avant de se taire.

Et la-dite garde ne prit en effet pas la peine de répondre au compliment de Mona, à peine hocha-t-elle la tête avec un "mmhmmh" d'assentiment. Un jour donc, elle répondrait peut-être, en attendant elle était tout à son métier. Presque aussi à l'affut que Gardien, et toute aussi réactive, les sourcils rabaissés sur son regard devenu soupçonneux.

- Il y quelque chose de pas net... affirma-t-elle sans pour autant réussir à mettre le nez dessus.
- Wah, impressionnant, meilleure que le clebs de Mona, je savais déjà que t'étais une chienn... tenta Rask sur un ton badin pour dévier la conversation vers le bas, direction sous la ceinture, en espérant faire réagir quelques souvenirs à Jappeflèche.
- Par là, désigna Lora du doigt après un regard à Gardien et à sa propriétaire.

Rask finit par les suivre, les mains dans les poches, un peu dépité que ses interventions passent inaperçues. Il boudait légèrement derrière, laissant les deux gardes ouvrir la marche jusqu'à un étal de viande, comme tous les autres dans le marché, avec son présentoir et ses tonneaux de stocks. Mais l'attitude de Gardien ne laissait aucun doute, un truc que eux humains ne pouvaient pas vraiment percevoir parmi ces odeurs tenaces.
Mais le sixième sens de Lora s'arrêtait là lui-aussi. Temps de faire parler les gens pour continuer et elle commença donc à dégainer son épée pour s'avancer vers le boucher, un bon petit jeune tout sourire, encore épargné par les rigueurs et les excès du métier. Normalement, Rask l'arrêtait à ce moment là avant que le manque de tact légendaire de Lora ne détruise toute chance d'avoir le moindre indice, mais il était gavé qu'on le prenne de haut - mince, il était au moins aussi héroïque que les autres, et sûrement même deux fois plus !

- Tu devrais gérer ça Mona, c'est pas Lora qui va poser des questions, bavarde comme elle est. Il avait un sourire en coin, et il n'en branlait pas une, les bras croisés sur le torse. Ses yeux pétillaient d'une certaine malice revancharde : elle aimait pas ses rumeurs sur les compétences de jolies filles de la garde ? Qu'elle fasse voir ce qu'elle valait.

Le regard furieux, la voix sifflante et même en prime la laisse de Gardien, Rask conservait son sourire d'ange sans se démonter. Il était même extrêmement heureux d'arriver à énerver Mona, et il accepta donc ses tâches avec une politesse toute en retenue : traduction "démerde-toi".
Il la regarda arriver à hauteur de Lora pour stopper la malheureuse.

- ... répondit-elle sans attendre, avant de finir par hausser les épaules pour lui laisser le devant de la scène.
- Evidement, ça, c'est pas la partie la plus dure... commentait Rask à l'attention de Gardien tout en ne ratant rien de l'échange.

- Pa'q'je sache m'dame la garde. J''ai d'la viande, d'la bonne viande même. Vot' chien, il aurait pas senti ça par hasard ? La naïveté des propos le disputait à une certaine bêtise tandis que le jeune boucher regardait par dessus l'épaule de Mona pour voir l'animal de plus près, jusqu'à croiser les yeux de Rask, passant rapidement de l'ennui à l'indignation.
- *Ce* chien, là, en bas. Pas moi, bordel. Il est sincère mais pas futé ce gus, continua de soupirer intérieurement notre troisième larron.
- Ben j'ché pô, on m'apporte la viand' et j'la vend. Comme d'habitude. 'fin y a not' fournisseur qui s'est pas pointé c'matin, donc on a dû prendre d'aut' chargements pour compléter, mais c'est plutôt normal. Il haussa les épaules en désignant d'autres caisses encore fermées avec une forte odeur de viande séchée et salée. Vous voulez d'la viande pour vot' chien alors ?
- Ouaf ouaf, se moqua-t-on en réponse, sarcastique.

Rask se demanda pendant longtemps comment le type pu rire autant suite à son imitation canine. C'était drôle de voir les deux filles fouiller, mais ça allait devenir assez vite lassant : Mona se faisait dragouiller par le puceau de vendeur et Lora jouait à la méchante garde qui fouille partout. Il se mit à bailler.
- Attrapez. La voix de Lora le fit sursauter et il faillit presque rater la pièce de viande qu'elle venait de lui envoyer.

La viande séchée, ça ressemblait à de la viande séchée. Lanière ou gros jambon, même si là ça tenait plus du saucisson avec des des petites formes au bout et des ongles.
Rask écarquilla les yeux et tourna instantanément la tête vers Mona, en train de contempler un bout de carcasse humaine similaire. Par El ! Il parcourut rapidement la foule autour de lui du regard, personne n'avait encore rien remarqué, les dieux en soit remerciés, et il relança violemment le bout de main à Lora avec un regard noir.
Remet ça à sa place tout de suite ! Avoir une partenaire depuis si longtemps aidait à communiquer, ils n'avaient même plus vraiment besoin de se parler pour se comprendre. Mais parfois, Rask aimerait bien que sa collègue ait, en plus d'une logique et d'un instinct imparable, un minimum de sens commun et de relationnel. Parce que si le moindre badaud voyait ça, ça allait être une panique pas possible !

L'humour de la matinée s'envolait bien rapidement et Rask avait l'impression de dessouler direct après une bonne cuite, léger malaise en bonus. Heureusement que ces trucs avaient été trouvés dans les caisses que le benêt avait désignées tout à l'heure, ça n'avait pas été vendu au public.
Il se passa une main dans les cheveux et regarda Mona, tout air de moquerie disparu. Il allait falloir cuisiner ce joli petit bonhomme pour avoir un nom.

Puis il se rendit compte d'un truc. Et il grimaça horriblement. Il venait de toucher de la chair humaine *et* de se frotter les cheveux. Avec la même main en plus. Yurk.

Bien, le boucher semblait plutôt innocent et ne sembla guère perturbé par la question de Mona.  Elle réfuta son argument en lui répondant que le chien avait été généreusement nourri le matin même, mais l'homme ne voyait toujours pas ce qui pouvait s'être passé. Quoique, un détail mit la puce à l'oreille de la jeune femme: ce n'était pas le même fournisseur qui l'avait livré ce matin. Il s'agissait peut-être de viande avariée?
Non. Les odeurs qui lui parvenaient par le nez de Gardien n'évoquaient pas cela. C'était de la viande saine, séchée ou fraiche, mais provenant d'une bête inconnue. Quoique... Cette arrière-odeur lui était étrangement familière. Mona réfléchit un instant, puis passa devant Lora en lui faisant signe de la suivre.

"Ouvrez moi une caisse." ordonna-t-elle.
"Z'allez prendre d'la viande pour vot'bête?" demanda le boucher plein d'espoir.
"On verra."
"S'elle vous convient vous pouvez en prend' autant qu'vous voulez."

Le boucher lui lança un regard que Mona interpréta comme un insuportable mélange de fascination, de désir et de soumission, puis ouvrit la caisse. Il en monta une puissante odeur de viande salée, presque écoeurante qui fit froncer le nez à la jeune femme. Cela lui évoqua toutefois l'époque où elle passait sa vie à courir les bois: elle emmenait de la viande séchée qu'elle emportait comme provision de secours à chaque expédition.
Mona laissa donc mûrir un léger sourire sur ses lèvres, que le boucher prit pour lui. Son expression changea et elle jeta un regard froid et perplexe à l'homme, puis pencha la tête sur la caisse.
Ces saucissons avaient une drôle de forme. Comme si ils avaient un ongle au bout. En fait on aurait dit des doigts... La nausée monta aux lèvres de Mona. Cette odeur inidentifiée, mais pourtant familière, c'était le sang humain.

"Oh foutre! C'est déguelasse!"

Lora était arrivée aux mêmes conclusions qu'elle et venait de lancer un saucisson/doigt à Rask. Il passa par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, puis relança le bout de viande à sa coéquipière pour qu'elle le remette à sa place. Le regard de Mona croisa le sien et elle constata avec soulagement qu'il avait l'air à peu près sérieux pour une fois. Elle lui fit signe de les rejoindre, puis se tourna vers le boucher.

"Mon mignon, tu vas devoir fermer pour aujourd'hui je crois, on a quelques questions à te poser..."
"Je...Je..."
"Tss, fallait réfléchir avant d'acheter de la viande à n'importe qui. C'était qui le type qui t'a vendu ces machins?"
"J'en sais rien..."

Mona se sentait révulsée, dégoutée au plus profond de son être. De la viande humaine séchée comme des lanières de boeuf... Elle fit un pas en avant et saisit le boucher par l'entrejambe.

"Si tu veux garder ça, tu crache le morceau."

Rask s'approcha pour aider à son tour et se maudit intérieurement pour son altruisme dès qu'il posa les yeux sur la scène. Il respira un bon coup, décidé à ne pas perdre les couleurs qu'il venait de regagner à l'instant, mais n'importe quel homme aurait compati et senti la souffrance du pauvre boucher comme si elle était la sienne.
Le garde passa un doigt sous sa veste pour élargir son col histoire de se donner un peu d'air le temps d'avaler - parce que de la viande humaine, n'importe quel déjanté peut vous pondre ça, mais se faire briser les, ah, ahh, non il ne voulait même pas y penser. Sauf qu'il le fit, aspiré par un autre contexte qui sentait le vécu et l'excitation.
Lui-même consterné par son manque de sérieux, Rask décida qu'il valait mieux qu'il se mette au travail rapidement avant de passer véritablement pour un guignol.

- Ecoute, ça aurait pu arriver à tout le monde tu sais. C'est ton fournisseur qui te l'a mise à l'envers - et à nous aussi donc. Si Mona était tout à l'entrejambe, Rask s'occupait de passer un bras amical par dessus les épaules du boucher. Le jeu du gentil et du méchant garde marchait toujours. T'as rien à te reprocher, tant que tu coopères. Ca serait dommage de passer de victime à coupable d'obstruction à une enquête, non ? On serait un peu plus *ferme* dans ce cas. Il s'assura d'un regard de connivence à Mona pour qu'elle s'occupe de faire passer le mot aux parties maltraitées.
- Techniquement, vous êtes déjà coupable de détention de... commençait à s'immiscer Lora, avec un ton aussi plat que si un codex de loi avait été doué de la parole.
- Blablabla, t'es coupable que de ce qu'on met dans notre rapport. Et je crois que ce qu'on aimerait tous ici, c'est d'avoir un nom sur ce rapport, et pas le tien. N'est-ce pas mon gars ? Sourire étincelant et clin d'oeil amical en prime.


La journée avançait par ellipse, chacun retrouvant la routine habituelle qui caractérisait la majeure partie de leurs journées : marcher dans la ville d'un point à un autre. L'objectif était toutefois assez intéressant pour une fois, à savoir remonter la ligne d'indices jusqu'à quelque chose de concluant. Si la description du fournisseur les avaient dirigés vers les docks, ils avaient pu ensuite faire le tri entre les grossistes, trouver des employés particulier un peu louche, promettre deux à trois tournées de bières pour délier autant de langues, et finalement avoir une adresse et un nom.
Un type qui bossait depuis longtemps, mais qui avait toujours été un peu louche, solitaire, presqu'animal. Le genre de gars à vivre tout seul dans sa piaule dans les bas fonds. Pas de quoi en faire un fromage, s'il n'avait commencé à être encore plus louche depuis un certain temps : il ratait le travail, avait l'air de sortir le soir, était déconcentré au possible, commençait une légère paranoïa.

- Et le mieux : c'est que ce laps de temps correspond à peu près au réveil de nos chers vifiers en Cerf, avec ce truc glauque qui s'est passé au tournoi de la Fête des Moissons. Pas mal non ? Alors, alors, c'est qui le meilleur ?

Rask se pavanait affreusement vu qu'ils n'avaient maintenant rien à faire à part marcher jusqu'au lieu dit pour, a priori, trouver leur homme. Si les informations avaient été à chaque récolté d'un concert commun, le garde profitait simplement du fait que c'était lui qui tenait le papier avec le nom et l'adresse.
Et comme Lora (après avoir argumenté un moment sur "mais pourquoi on a pas mis aux fers le boucher, vu qu'il détenait des produits impropres à la vente ?") s'était décidée à réfléchir à la question toute seule dans sa tête - ou à bouder, c'était assez difficile à dire, il ne restait plus que Mona devant qui raconter des anêries.

- Certes, je le concède. Tu avais l'affaire bien *en main*. Ca *tatait* dur du côté des indices, et c'est quand même un gros paquet que tu as soulevé là. Avec Gardien bien sûr, le mérite lui revient en partie également, même si pour la partie pratique, c'est toi qui a su *appuyer* là où ça comptait. Très, très douée. Seconde place Mona donc ? Sans rancune. Le hic, c'est que même si Rask pouvait continuer pendant encore longtemps comme cela, à un moment il allait bien falloir jeter un coup d'oeil à ce bout de papier. Or, comme il avait bien entendu oublié ce que Lora avait noté dessus et qu'il ne savait absolument pas lire, il allait rapidement être bien embêté.

Blanc de panique, le boucher ne fut pas rassuré par l'approche de Rask, qui pourtant, ne manifesta aucune brutalité et ôta toute crédibilité à Mona en se montrant plutôt sympathique envers le pauvre homme, qu'elle gardait pour ainsi dire "bien en main". Comme dans un numéro de marionnettiste bien rôdé, elle prit toutefois soin de serrer de toute sa puissance son poing autour des parties maltraitées du boucher sur la fin de la phrase de son collègue. L'homme couina, alors qu'enfin, Mona consentait à le lâcher pour laisser Rask finir son numéro de garde bienveillant, tout deux ignorants Lora qui semblait presque réciter de sa voix morne un extrait de la loi. Elle croisa le regard de sa victime et comprit avec une extrême satisfaction que l'homme allait enfin coopérer, même si pour cela il fallait remercier Rask.

Mona déambulait dans les rues. Ils avaient cavalé sur des kilomètres d'un point à un autre, remontant petit à petit depuis le fournisseur d'un individu à un autre, traçant lentement mais sûrement la piste des saucissons de doigts.  La jeune femme caressait l'espoir sinon de coincer le coupable au moins d'avoir une idée de son identité avant la fin de la journée. Et ses espoirs étaient presque sur le point de se réaliser: un nom et une adresse, serrés dans un petit papier dans le poing de Rask.
Ce dernier fanfaronnait tout en marchant, à tel point que Mona commençait à se demander quand il allait commencer à cabrioler quelques pas plus loin comme un jeune chien. L'image qu'elle s'en fit lui donna envie de sourire, mais elle la réprima. Gardien grogna dans ce qui s'approchait d'un rire canin en percevant ses pensées et s'ébroua au bout de sa laisse.

A ma prochaine permission, on ira courir dans les bois et pas de laisse c'est promis

Mais en attendant, ils avaient un fournisseur de saucissons de doigts à coincer. Mona fut soudain prise d'un doute sur la direction à prendre, aussi elle se tourna vers Rask qui bavardait toujours joyeusement sans se rendre compte qu'elle ne lui prêtait aucune attention. Elle saisit tout juste qu'il faisait quelque jeu de mot foireux à propos de sa manière de mener l'interrogatoire, mais sans chercher plus loin, le coupa.

"Qu'est-ce que Lora a indiqué sur son papier déjà? Je ne suis pas sûre de la direction qu'il faut prendre."

Mona déchiffrait à peine, il était vrai, mais elle soupçonnait quand même Rask de n'être pas être capable de reconnaitre son nom à l'écrit. Elle leva donc un oeil perplexe vers lui, attendant de voir si il pouvait lui donner sa réponse ou si elle devait le forcer à lui donner son papier. Car évidemment connaissant l'animal, il allait refuser d'accepter qu'il ne pouvait pas lire et qu'elle devait le faire à sa place.
Trouvant finalement qu'il mettait un peu trop de temps, Mona coinça la laisse de Gardien dans sa ceinture et s'approcha de Rask, prête à l'affrontement.

"Bon allez donne."

Lora avait la tête pleine d'énigmes à résoudre : pourquoi fallait-il tordre les lois pour arriver à leurs fins, pourquoi Mona souriait-elle bêtement toute seule, pourquoi Rask espérait encore qu'on l'écoute, pourquoi allaient-ils dans une mauvaise direction.
Elle n'en faisait pas part à ses camarades, comme à son habitude. Le fait est que leurs méthodes "marchaient", quitte à ce que Mona fasse dans la brutalité gratuite et Rask dans la mièvrerie complice. Or,  si Lora aimait une chose avant tout, c'était le travail bien fait. Autant donc laisser ces deux-là mener la marche comme ils l'entendaient. Rask était assez intelligent pour lui demander de nouveau l'adresse lorsqu'il aurait fini ces petits jeux, et par chance, Mona avait justement assez peu de patience pour souhaiter y mettre un terme prématuré.

- ... Rask resta figé, une légère moue en travers des lèvres et un regard hautement dubitatif sur Mona. Avec toues les conneries qu'il avait dites jusque là, elle arrivait encore à être sérieuse et logique ? Il perdait véritablement de sa verve, peut-être une moins bonne improvisation, ou alors quelque chose dans son attitude, la mauvaise mimique au mauvais moment et cela ruinait ses plaisanteries ?  Le fait qu'elle ait un regard perplexe signifiait qu'il jouait peut-être dans de l'humour un petit peu trop haut pour elle, oui sûrement cela. Mais l'approche à l'inverse indiquait un intérêt.
Immobile, papier aux bouts des doigts, Rask était une cible facile en pleine interrogation intérieure. Mona ne la rata pas, et même Lora en profita.
- Oy, c'est moi qui fait des monologues toute seule dans ma tête Rask. Pas la peine de me voler mon rôle hein, Mona t'as piqué le papier des mains tu sais, elle est déjà devant. Deux phrases et même plusieurs verbes... La pression se faisait sentir tant ils se rapprochaient du but, et du danger potentiel.


Rask mit un peu plus de temps que les deux autres à changer de registre. Peut-être était-il encore en train de réfléchir à comment répondre à Mona, il ne s'en souviendrait plus dira-t-il par la suite, confus. Il avait bien cru voir Mona encocher une flèche après que Gardien ait grogné un peu plus fort, mais il n'y avait pas vraiment prêté attention sur le coup. Comment aurait-il bien pu savoir qu'ils étaient arrivés à la bonne adresse ? Toutes ces cases miteuses du bourg se ressemblaient, avec quatre planches pourries en guise de murs et des vitres plus crasseuses que le cul des prostituées du port. Il s'en voulait pourtant.
Lora avait été prête elle. Elle l'était toujours de toute façon, elle était une garde jusque dans le moindre des fibres de son être, comment pouvait-elle ne pas être prête ? Trop prête alors peut-être ?

Parce que c'est bien ce qui arriva, lorsque les deux femmes échangèrent des regards pour approcher de la piaule pouilleuse, Lora devant, la main sur son poignard - toujours plus facile à sortir qu'une épée en cas de besoin - et Mona en couverture avec un arc déjà prêt, Gardien crocs découverts. Elles étaient parées.
Alors, lorsque la vitre se brisa sous l'assaut d'une hyène folle furieuse sautant sur la garde la plus proche et lorsque des bruits de courses se firent entendre à l'arrière, Lora n'eut qu'une seule phrase.

- Derrière, le laissez pas partir !!! cria-t-elle par dessus les aboiements, tandis qu'elle bloquait les éclats de verre et les dents d'une main, sortait sa lame de l'autre et serrait les muscles de son dos pour amortir sa chute.

Mona attrapa lestement le papier dans la main de son collègue sans qu'il semble comprendre tout de suite qu'elle l'avait prit. Ce type était exaspérant. Pourquoi avait-il décidé de devenir garde? Selon la jeune femme, c'était un genre de punition divine. Elle se concentra sur le papier. La lecture n'était vraiment pas son fort, mais elle se pensait toutefois capable de déchiffrer une adresse. Mona grinça: évidemment il fallait que Lora ai une écriture en pattes de mouches totalement inextricable.

Elle eu quand même le temps de lire l'adresse avant que Rask ne culbute qu'elle lui avait prit le papier de la main, ce qui ne contribua pas à la rassurer quand aux faculté mental du garde. Aussitôt, la jeune femme continua sa route. Les deux suivraient bien assez tôt et avoir de l'avance lui ferait des vacances. Ils n'étaient plus très loin, aussi Mona ne creusa pas trop la distance.

Quelques minutes plus tard, Lora et elle même finirent par parvenir à l'adresse de leur suspect, Rask un pas derrière, prêts à toutes éventualités. La jeune femme détacha le mousqueton qui reliait le collier de Gardien à sa laisse, qui se mit à pendre le long de sa jambe, toujours accrochée à sa ceinture. Le chien se plaça à sa gauche, dans son angle mort pour la couvrir si elle avait besoin de tirer, alors qu'elle encochait une flèche sur son arc.

Ils n'eurent même pas le temps de frapper. Une énorme bête sauta à travers la fenêtre, grondant et ricannant comme une possédée, pour se jeter droit sur Lora. Prise au dépourvu Mona ne pensa même pas à tirer.

Protège Lora, Gardien!

Malgré son envie de participer à la chasse qui s'engageait, le chien attaqua la hyène sans hésiter une seconde. Lora avait détécté quelque chose qui avait échappé à Mona, puisqu'elle avait crié "derrière". Le fugitif avait dû prendre la fuite par une autre porte. La jeune femme fit signe à Rask et ils partirent à la poursuite du suspect.

La garde courait très vite, en faisant des bonds à la manière d'une biche, mais la peur donnait des ailes et elle ne voyait que le dos de leur proie qui cavallait une vingtaine de mètres devant. Ils devraient certainement le talonner un long moment avant de réussir à le rattraper. Mona jeta un oeil derrière elle: Rask la suivait sans paraître faire trop d'efforts, à grandes foulées lourdes. Elle lui adressa un sourire en coin: il allait tenir le coup.

Mona reporta donc son attention sur le fugitif. Si elle pouvait lui tirer une flèche dans la jambe... Elle encocha tout en courant, puis s'arrêta.

"Continue à courir!" cria-t-elle à Rask.

Elle bloqua sa respiration, visa, tira, expira. Le projectile frôla la cheville du suspect et s'écrasa sur le pavé: elle avait tiré à l'instant où il tournait le coin de la rue. Tant pis. Il lui fallait continuer à courir, elle retenterait sa chance plus tard.

Tous les récits de combats orchestrés, les passes d'armes et la technique, le jeu psychologique avec l'adversaire, le moment où tout se fige et où l'on voie sa vie défiler devant ses yeux. C'est du flan. Rien que de la parlotte, rien qu'un truc minable à raconter pour les autres autour d'un feu.
Lora y était dedans. Là,  dans l'instant. Ce moment bref, sec, impalpable. Sans les jointures habituelles pour que le flot du temps s'écoule sans à-coups. Sans que le cerveau agisse et transmette quoique ce soit, construise des phrases. Seulement le temps pour des mots, hachés menus. Des poussières d'instincts pressés par la survie.

Le bras, pas la tête. Dents sur cuir. Mâchoire. Féroce. Dague coincée. Résister. Encore. Bave et puanteur, déchirement et douleur, rage et adrénaline. Puis d'un coup, plus rien.
Comme un réveil après une cuite, il fallait une micro-seconde d'adaptation. Lora recolla les morceaux : Gardien ayant percuté l'animal, tels deux boules de poils roulant plus loin et l'étau sur son poignet se volatilisant simultanément. Elle était debout - elle ne se souvenait pas s'être relevée. Et sa dague était dans sa main, son corps ayant décidé de continuer tout seul alors qu'elle retrouvait ses esprits. Elle pensa à son bras, le temps de tourner les yeux pour découvrir le cuir en morceau et le sang, le sang, le sang et la douleur qui finit enfin par percuter comme une charrette en pleine face.
Serrer les dents et ne pas y penser, ne pas y penser, ne simplement pas penser. Réfléchir, c'est fléchir deux fois. AGIS ! Tendue telle une flèche...


... qui se perdit sur un pavé, rebondit plus loin et finit par se figer entre deux badauds surpris par toute cette soudaineté.
Rask ne s'était pas arrêté avant et ne s'arrêta toujours pas. De l'action enfin. Et de quoi se rattraper pour son manque de réactivité initiale : c'était pas seulement un enfoiré sûrement coupable d'atrocité qu'il coursait, c'était sa propre connerie infantile qu'il n'avait pas su museler depuis ce matin. Rask avait doublement les crocs pour cette proie.
Les vannes, les plaisanteries, les fanfaronnades, ça s'effaçait bien vite. Car le travail de garde, c'est pas dur. C'est pas une vocation dans l'âme comme Lora le dit, c'est un truc majoritairement pépère où t'en branles pas une pour en échange dix secondes de stress intense où tu dois absolument, sous aucun prétexte, quitte à mourir même, jamais merder. Et vu que Mona était maintenant derrière, c'était à Rask de mettre sa vision de la chose en pratique et de tenir la cadence.

Le bougre était rapide. Même à vingt mètre, on sentait la peur lui bouger les entrailles comme à un vrai animal. Si Jappeflèches faisait des sauts de biches devant son champs de vision précédemment, Rask avait maintenant un suspect qui semblait aussi agile qu'un chien errant. Le garde cracha par terre en reprenant son souffle. Lui, il avait que des jambes. Mais rien à foutre, ça ferait l'affaire. Rask était tellement énervé qu'il aurait pu courir jusque dans les profondeurs sous-marines de El lui-même.

- Coupe par la rue des tisserands, je le rabats sur toi ! lança Rask en tournant la tête derrière lui, joignant le geste à la parole à l'intention de Mona.

Il avait perdu le sourire qu'elle lui avait lancé précédemment : aussi confiant dans son endurance qu'il pouvait l'être, Rask constatait bien que leur homme était plus dégourdi que lui. Et il ne souhaitait absolument pas risquer de le perdre en allongeant excessivement la course-poursuite. Il hocha la tête à l'attention de l'archère, et se prit le pied dans un pavé.

- Mer... "tain, c'est bon, fonce ! Presque content de retrouver ses coups du sort habituels, Rask en reçu le sursaut de rage nécessaire pour compenser ce petit ralentissement. Remonté à bloc, il adressa enfin un même sourire en coin à Mona : il tiendrait le coup, et elle aussi, et à deux, à l'embranchement des tisserands et des menuisiers, ils allaient l'avoir ce fils de pute !

La hyène était plus forte et plus grande. Ses mâchoires claquaient sèchement et régulièrement en produisant un bruit de piège à loup qui se referme, cherchant à mordre Gardien. Le poids de la bête écrasait le chien, qui ne pouvait que maladroitement tenir les crocs loin de son visage en poussant tant bien que mal sa tête avec ses pattes. Il avait déjà été acculé dans sa vie, mais ne s'était que rarement senti aussi impuissant de son existence. Si seulement Mona avait été là! Elle aurait tué la hyène avec ses flèches ou son couteau sans aucun problèmes, alors qu'elle était trop occupée à essayer de le mordre. On est toujours plus fort quand on est deux et on a moins peur...


Mona enrageait! A cette distance elle aurait pu épingler une petite mirabelle jetée en l'air sans viser! C'était quand même bête d'avoir raté la grande jambe de son grand fugitif. Ce fut alors que Rask eu une bonne idée, probablement la première de sa carrière. Tout simplement coincer le suspect entre eux deux comme un cerf entre les rabatteurs et les chasseurs. Elle acquiesça joyeusement et continua à courir vers la rue des tisserands. C'est alors que son collègue trébucha. Instinctivement, elle ralentit, mais il lui cria de continuer en se remettant d'aplombs.

Mona s'engagea dans la rue des tisserands. Avec un peu de chance, la poursuite était bientôt finie! Elle ne détestait rien autant que de courir en ville: le choc régulier de ses pieds contre le pavé dur finissait par lui faire mal aux chevilles, alors que l'humus de la forêt et l'herbe des champs n'étaient qu'un agréable tapis moelleux. Mais ils étaient sur le point de coincer cet imbécile de fugitif! Tout aurait été tellement plus court si elle avait eu Gardien! Le chien, bien plus rapide qu'un homme aurait rapidement rattrapé et maitrisé le suspect sans qu'ils aient besoin de cavaler des heures durant!

Au bout de la rue, Mona aperçu alors Rask et sa proie qui tournaient le coin. Sans même s'en rendre compte, elle banda son arc et plaça l'homme au bout de sa flèche. Si il s'arrêtaient, tant mieux, sinon elle se ferait une joie de le priver d'une rotule!

Rask adorait quand un plan se déroulait sans accroc. Il y avait eu quelques ratés ici ou là, mais dorénavant, avec leur fugitif entre Mona et lui, comment cela pourrait-il déraper ?
L'homme dut apercevoir l'archère car il tourna la tête vers le garde. Son visage enfin, avec des yeux verts déformés par la peur d'être pris et une courte barbe brune mal taillée et délavée par le sel. En retour, Rask lui sourit à pleines dents : on va t'avoir, gars.
Le hasard en action, ou une logique perturbée, fit que leur proie continua de filer vers Mona. Elle avait bien raté son tir la première fois n'est-ce pas ? Le choix restait tout de même bizarre, et Rask, continuant toujours sa course derrière lui mais en faisant attention de ne pas rester dans l'angle de tir d'une flèche perdue, commençait à se demander vers où cette course menait leur homme. Une fuite par simple réaction de terreur ou un repli planifié vers un endroit plus sûr ?


... elle resta immobile. Les rouages habituels étaient en vrac. Comment aborder la scène avec un camarade canin ? Dans uns situation normale, elle n'aurait même pas eu besoin d'analyser le cadre d'action pour coordonner ses mouvements à ceux de Rask. On était presque mariée à son co-équipiers dans la garde : on passait plus de temps avec lui qu'avec non amants, on finissait les phrases l'un de l'autre, on avait ses arrières et il avait les nôtres. Une sorte de compréhension mutuelle, un lien psychique, une emphase ou une complémentarité.
Là, c'était simplement deux bêtes qui se battaient à coup de griffes et de crocs et Lora avait le plus de peine au monde pour trouver une ouverture dans une touffe de poil qui soit celle de son adversaire et pas celle de son allié. Gardien dessus, Gardien dessous, Gardien sur le côté. Ca bougeait trop vite et sans aucun ordre apparent.
Alors elle raffermit sa poigne sur sa dague : elle devait planter vite et juste une fois qu'elle en aurait trouver l'opportunité. Les flancs de la hyène commençaient enfin à se dessiner dans sa tête, et le geste adéquat avec... Plus que quelques instants... Plus que quelques battements de coeur à tenir pour Gardien, mais Lora n'avait aucun moyen pour le rassurer.

Décidément le fugitif lui faisait de plus en plus penser à un cerf aux abois. Mona et Rask l'avaient déjà coincé comme on coince un gibier et voilà qu'à présent il courrait au devant d'elle aveuglé comme une bête terrifiée! Elle inspira un grand coup puis bloqua sa respiration, les yeux rivés sur sa cible. Le genou bougeait à un intervalle régulier et Mona su comment placer sa flèche pour l'embrocher là où elle le souhaitait, une largeur de main sous la rotule.

Elle lâcha la corde. Expira. Le projectile prit son envol et se planta dans le mollet du suspect exactement là où elle l'avait prévu. L'action n'avait pas duré dix secondes. Alors qu'elle baissait son arc, l'homme roula au sol et au moment où elle fit jouer son épaule pour la détendre, il se mit à crier, réalisant ce qui s'était passé, en pressant sa jambe de ses deux mains. Une joie violente prit possession de Mona, la joie de celui qui voit sa proie tomber.

"Ce ne fut pas si difficile. Regarde ça, on a plus qu'à l'achever!" dit-elle en poussant l'individu du pied pour illustrer ses propos. Enfin, si ils l'avaient coincé, c'était grâce à Rask. Elle fini donc par ajouter presque à contre coeur à l'intention de ce dernier: "C'était une brillante idée, camarade."


Gardien avait de plus en plus de mal. La hyène était terriblement forte et il était fatigué, car il avait passé la nuit d'avant à veiller à la porte d'une chambre d'auberge en attendant que Mona se décide à en sortir. Qu'elle s'accouple souvent, formidable, mais si seulement elle pouvait penser de temps en temps au fait que pendant ce temps, lui restait devant la porte à l'attendre pour rentrer à la cambuse! Cela ne lui posait pas trop de problèmes de patienter une partie de la nuit, du moins en temps normal, mais la fatigue était quelque chose de terriblement handicapant lors d'un duel face à une hyène déchainée.

Soudain, son terrible adversaire sembla faiblir. Ses pattes s’amollirent et ses yeux semblèrent s'éteindre. Le fauve fit un ou deux mouvements spasmodiques, claqua une dernière fois des mâchoires et chut lentement sur le coté, un poignard planté entre les côtes. Gardien se releva et s'ébroua encore secoué. Répugnante bête, mais elle n'allait plus déranger personne à présent, à part peut-être celui qui devra enlever son cadavre du milieu de la rue.

Il leva la tête vers Lora et jappa un remerciement joyeux, avant de trottiner vers elle pour lui lécher les mains. C'était elle qui avait tué la hyène. Il s'était toujours dit que Mona était la meilleure des humaines, mais là où une autre aurait profité du fait que le fauve soit occupé pour fuir, la garde avait décidé de l'aider. En cela, cette fille valait bien sa maitresse tout bien pesé.

Bingo ! Jappeflèches était bel et bien toujours fidèle à sa réputation, un tir parfait dans le mollet d'un homme en pleine course. La poursuite se terminait là, le fugitif criant au sol et les gardes fiers du devoir accompli.
La jubilation d'après l'effort se transformait en parole, comme dans un besoin irrépressible de s'exprimer et Rask constata une nouvelle fois la violence dont Mona pouvait faire preuve. L'achever, ben voyons. La donzelle avait paraît-il passé toute son adolescence en forêt où elle avait chassé un ours-esprit du vent pour qu'il la bénisse d'un don à l'arc. S'il n'était pas sûr de la deuxième partie des qu'en-disait-on, il avait déjà remarqué que Mona pouvait avoir un sale caractère de prédatrice - et donc pas seulement pendant qu'elle s'envoyait en l'air.

- Et c'était un tir encore plus brillant, partenaire, concéda-t-il de bon cœur avec un sourire carnassier tout en s'agenouillant près de leur captif, braillant des cris et pissant du sang. On va quand même pas trop l'abîmer hein, not' petit fuyard. Faut qu'on lui lise ses droits et qu'il nous raconte gentiment sa petite histoire en retour, n'est-ce pas ? Que c'est un bon fuyard, ça, il comprend quand on lui parle. Hey, Rask aimait se la jouer cool et serein. Alors quand on venait mettre sa journée en bordel avec des histoires de trafic de chaire humaine dans le bourg, il avait bien le droit de se venger un peu. Non ?


Non pas que se reposer ce soit pour les chiens, sans jeu de mot stupide, mais Lora avait autre chose à faire que de se laisser lécher les doigts. Bon, allez, un petit peu pour la forme. Et même que Gardien reçut une grattouille sur le haut du crane en prime, mais pas plus.
Car fouiller la maisonnette était plus pressant. Si les deux autres mettaient la main sur le suspect, il leur faudrait bien des preuves également. L'agression sur sa personne suffisait bien sûr, mais comprendre le fond de l'affaire était plus important qu'inculper le type pour un crime mineur.
Ca puait le renfermé et c'était dans un bordel sans nom. Leur homme partageait ses quelques mètres-carrés de vie avec son animal. Répugnant. Mais il fallait bien que quelqu'un s'y colle. Lora remonta donc son veston sur ses narines et se mit à farfouiller, notant et relevant dans sa mémoire tout ce qui pouvait l'être.
A un moment, mais à un moment seulement, elle se retourna alors vers Gardien pour l'interroger du regard. Comment on demandait à un clebs d'aider à trouver des trucs ? Elle essaya au pif : "Gardien. Fouille ?"


Ce fut pourtant limpide comme un déclic. Une convergence homme-animal, un message clair. Fracassant. Brutal.
Vif.
Comme un lien qui se brise. Qui de la plénitude ne laisse que le néant froid. La mort ne méritait jamais d'être côtoyée d'aussi près.
ILS VENAIENT DE TUER SA MOITIE ! C'était pire que tout, insupportable. Une douleur horrible qui submergea tout reste de sens commun.

Si c'était un homme qu'ils avaient mis à terre, Rask ne sut vraiment trop dire ce qu'il se réveilla. Une bête ? Un dément ? En tout cas, un truc super incroyablement fort pour l'envoyer valser à trois mètres comme s'il ne pesait rien.
Le fou se débarrassa aussi facilement de l'emprise de Mona. L'air se figea alors qu'il jetait quelques regards perdus sur la scène, cherchant peut-être le meilleur chemin pour courir. Et c'est ce qu'il fit. A deux, trois ou quatre pattes ? N'importe comment. Rask n'avait qu'un adjectif : inhumain.

La douleur et la mort. C'était tout ce qu'il restait. Avec la certitude de la flèche dorénavant brisée dans son mollet et le sang qui coulait à flot. L'artère était touchée ? La question fit mal, comme si le mode interrogatif lui-même devenait trop complexe.
Trouver un refuge. Trouver + Refuge.
Égale l'auberge de Faucheur.

Mona éclata de rire. Elle avait attrapé sa proie et l'allégresse était suffisante pour qu'elle oublie momentanément à quel point Rask avait été irritant aujourd'hui pour simplement accepter le compliment avec une joie sans mélange. Elle sentit que Gardien partageait son enthousiasme et que Lora et lui étaient venus à bout de hyène. Cette histoire finissait plus que bien pour les gardes, au final. Cela n'avait même pas été si difficile.

Mona s'accroupi près du captif pour examiner la blessure qu'elle lui avait infligé. Oh ça faisait très mal bien sûr: la flèche avait traversé le gros muscle du mollet de part en part, mais épargné toutes les grosses artères et les tendons. Il ne garderait probablement pas de séquelles, heureusement pour lui.

"Ne pleure pas, gibier, c'est sur tes jambes que tu ira à l'échafaud!" s'esclaffa Mona.


Gardien agita la queue quand les doigts de Lora grattèrent le sommet de son crâne. Il était content, la hyène était morte et son maitre maitrisé. Tout allait pour le mieux. Mais le repos n'était pas encore venu. La garde se dirigea vers la cahute et y entra. Le chien mit ses pas dans les siens et entra à sa suite. Cela lui faisait bizarre de suivre une autre humaine que Mona, même si ce n'était que vraiment temporaire. Lora s'arrêta après l'entrée, révulsée par l'odeur qui régnait à l'intérieur. Gardien s'assit à ses pieds et leva poliment la tête vers elle quand elle lui demanda de fouiller.

Il voulait bien ce n'était pas de la mauvaise volonté, mais fouiller pour chercher quoi?

Lora veut que je fouille...
Cherche des indices, une odeur de viande comme celle de la boucherie ou quelque chose comme ça.

Rassuré par la voix de sa maitresse, Gardien se mit donc à fouiner dans la maison, le nez au sol. Une odeur immonde montait du sol à un endroit précis. Il s'y assit et fixa Lora pour lui faire comprendre qu'il avait trouvé quelque chose, sans penser à aboyer.


Mona de son coté était en train de se demander si il valait mieux arracher la flèche ou simplement la casser et attendre d'être rentré à Castelcerf pour l'extraire. C'était une question secondaire, mais elle tenait à trainer la prise devant la justice dans un état à peu près correct. Non, il valait mieux qu'elle la casse à un pouce au dessus de la chair. Si elle l'arrachait, la plaie risquait de saigner à flots, mais si elle la laissait la blessure risquait de s'élargir.

La garde avait à peine posé la main sur la flèche que le blessé tressallit. Mona cru d'abord que la douleur avait donné des ailes à l'homme, mais quand il fit valser Rask à plusieurs mètres avant de la propulser contre un mur du revers de la main elle comprit qu'il se passait quelque chose de pas net. Encore! Et elle qui avait pensé que cette satanée histoire était finie! La jeune femme se redressa en se frottant le crane alors que le suspect regardait autour de lui avec un air tout sauf humain.

Et quand il s'enfui, Mona fut prise d'une vague envie de l'achever. Elle avait passé suffisamment de temps à chasser pour savoir quand une créature est finie! Elle se leva et ramassa son arc qui avait valsé dans les airs quand elle était tombée, puis se tourna vers Rask.

"Haut-les-coeurs, avec le sang qui goutte de sa jambe, il ne sera pas difficile à pister!"

- Oh, évidemment... soupira Faucheur en relevant les yeux du cadavre à ses pieds pour remarquer enfin les deux gardes ayant accourus sur place.

L'homme ne leur prêta pas plus d'attention sur le moment, reprenant sans plus attendre le fil de nouvelles pensées naissantes. Il était assez grand, d'une minceur tirant vers le maigre, avec des mèches éparses couleur brun et sel et un regard toujours en mouvement. Ses habits - un patchwork indéfinissable tant simpliste que fantaisie - et sa constante activité - il n'avait pas arrêté de jouer avec les fils de son amulette depuis ses premiers mots - finissaient de lui donner l'air d'un excentrique ayant réussi.

- Pauvre Johan, dire que je l'ai envoyé chercher des gardes pour signaler ce désagrément il y a moins de vingt secondes... Une blessure par flèche, en pleine journée et en pleine rue, c'était soit un criminel très idiot soit des gardes très zélés. Une chance sur deux, et une mauvaise déduction pour mon début de journée. Cela commence bien.

L'auberge de Faucheur n'était pas vraiment fréquentée par les gardes. Loin de là. Elle avait une petite réputation, celle qui dérange comme une plaie dans le dos : on sait très bien où elle est, mais on n'arrive pas à l'attraper. Il était de "notoriété" commune chez les gardes que l'endroit n'était pas totalement net, comme il était aussi clair que personne n'avait encore véritablement rien trouvé pour constater quelque chose de plus méchant qu'un manque d'hygiène, des histoires de salaires ou un litige sur les eaux usées.
L'établissement était assez festif et bien tenu pour ne pas être un cloaque immonde d'assassins et de brigands, mais l'apparente façade n'en faisait presque que plus froid dans le dos. Le monde était certes plus simple quand les criminels ressemblaient à des voyous et que les honnêtes têtes dissimulaient bien des honnêtes gens.
Et la proie d'une journée, si vifière qu'elle soit et si horriblement qu'elle agisse, morte à la fin d'une longue course et d'un aussi longue trainée de sang, à quelques mètres à peine de cette auberge là... Le tableau était une simple succession de coïncidences.

- Mais je m'égare non ? Vous, qui avez un arc contrairement à votre collègue, j'espère que vous aurez l'obligeance de récupérer assez vite votre mmm -  "présumé innocent" ne convient plus vraiment tout à fait n'est-ce pas ? - coupable post-mortem. Ayant déjà mon enseigne pour avertir le chaland, il va sans dire que c'est une publicité dont je me passerai fort.

L'air de Faucheur était le plus naturel au monde, avec une sorte d'autorité un peu trop sympathique se servant du bon sens pour le pousser jusqu'à ce qu'il fallait juste de provocation. La décontraction avec laquelle il ignorait Rask et le plaisir qu'il prenait à fabriquer ses phrases pour la dame en uniforme prouvaient véritablement une seule chose : Faucheur jouait à la vie, et il semblait assez sûr de lui pour s'imaginer en connaître les cartes.
Le garde n'y attendait quelque peu vu ce qu'il supposait déjà sur le personnage, mais la réalité dépassait vraiment toutes les fictions. Rask était bouche bée.


Lora, quant à elle, loin de toute ses préoccupations et après avoir éjecter l'hypothèse comme quoi Gardien était un chien bien trop intelligent pour son propre bien, pensait plutôt à la fermer.
L'odeur était en effet irrespirable là dessous. Un, deux, trois...cinq...sept... Le nombre ajouté à la puanteur finit par lui faire tourner la tête au point qu'elle en prenne les mots de sa collègue pour pouvoir commenter tout haut son malheur : oh foutre.

Mort! Mais comment ce type avait pu mourir d'une flèche en travers du mollet? Mona n'en revenait pas! C'était la seule blessure qu'elle lui avait vue et elle n'était strictement pas mortelle: il n'avait pas perdu beaucoup de sang et la plaie n'avait pas pu s'infecter et le tuer en si peu de temps! On ne connaitrait donc jamais le fin mot de cette histoire! Plus d'espoir d'aveux, plus de délation, plus de réseau illégal déterré et arrêté au grand complet. Mona ne prêta qu'une attention distraite à l'aubergiste qui discutait.

"Ce n'est pas ma flèche qui l'a tué." corrigea-t-elle simplement.

Ce type manquait de jugeote: ne pas voir qu'une blessure au mollet n'était pas mortelle, ça allait loin quand même. La garde fini par se dire que le cœur de son fuyard avait lâché. C'était étrange pour un homme pas si vieux que ça mais, après tout, la douleur de la blessure ajoutée au stress intense de la poursuite et à la fatigue était certainement un cocktail bien dangereux, même si elle trouvait suspect qu'il en soit mort. Mona se passa la main dans les cheveux et soupira. Cette journée devenait vraiment longuette.

"Cessez de causer vous devenez insolent! Si vous continuez, on vous emporte avec le macchabée et on vous balance dans le même trou!" s'emporta-t-elle. Cet aubergiste était d'un fatiguant! "Rask! On remonte le mort à Castelcerf pour le fouiller!"
Mona, on a besoin d'aide ici! Je crois que Lora va se trouver mal.

Par le biais de son lien avec Gardien, la garde perçu quelques images rapides et des odeurs atroces qui lui firent instinctivement froncer le nez. En effet ils auraient besoin d'aide là en bas.

"Et on va aller aider Lora et Gardien en bas après." ajouta-t-elle.

C'était juste du foutage de gueule pur et simple. L'aubergiste les *toisait*, comme s'ils n'étaient rien. Le pire dans tout ça, c'est que Rask savait très bien que s'il lui mettait son poing dans la tronche, il jouerait en fait sûrement son jeu à lui.

Mona eut les nerfs de répondre simplement. Rask préféra se taire.
Et Faucheur se contenta de hausser un sourcil, neutre. Vraiment ?

L'interrogation était là, dans les airs. Des hypothèses, c'étaient tout ce qu'ils pouvaient bâtir pour l'instant et il y en avait décidément trop. Rask se mordit l'intérieur de la lèvre alors que Mona continuait. Repartir ? Comme ça ? Sans rien apprendre de plus après cette journée à crapahuter ?
Faucheur souriant aimablement et inclinant la tête pour un très poli "je vous remercie" fut la goutte d'eau faisant déborder le vase.

- J'ai plus confiance en elle qu'en moi-même, elle se débrouillera. Et Gardien aussi. Par contre... la coupa-t-il en grinçant des dents. Si je comprend bien, c'est vous qui avez "trouvé" le corps. Je suis sûr que votre publicité peut souffrir le temps de répondre à quelques questions ?

Rask avait lancé les mots comme des gros morceaux de marbres, imperturbables pavés destinés à faire mal. Et le sourire qu'il offrit à la grimace de Faucheur fut le plus large qu'il avait eut de toute la journée.

L'aubergiste finit par soupirer, constatant qu'il n'avait pas vraiment le choix.
- Si vous pensez vraiment que vous n'avez pas mieux à faire... Que désirez-vous savoir ? Le ton suffisant avait disparu d'un coup, comme s'il n'avait jamais été là. A la place, lassitude et ennui : sûr de lui, Faucheur ne voyait aucun enjeu intéressant.

Rask lança un regard suppliant vers Mona. Il n'était vraiment pas sûr de pouvoir tirer quoique ce soit d'un type pareil, mais partir maintenant, pour lui, c'était comme avouer qu'ils avaient perdu sur ce coup. Et l'ex garde au charme indomptable, nouvellement garde aux yeux de lynx, avait un soupçon d'orgueil malgré toute sa clownerie.


Des papouilles mouillées. Plus de papouilles mouillée. Plein de papouilles mouillées.
Lora ouvrit les yeux pour finalement croiser ceux de Gardien. Inexpressive, elle ramena une main sur son visage pour constater - avec un dégoût extrêmement intériorisé - l'épaisseur de la couche de bave lui recouvrant le visage. Elle se redressa en position assise.
Un regard circulaire lui apprit que Gardien l'avait tirée de nouveau au rez-de-chaussée. Elle retrouvait un brin d'air, sensation agréable. Malheureusement courte sous l'appel du devoir.
Bon chien. Prêt pour un deuxième essai ? indiqua-t-elle le plus naturellement au monde en se relevant.

Cela était surprenant. Mona s'attendait à ce que Rask en profite pour tirer au flanc. Elle devait bien admettre qu'elle était surprise par son camarade, mais selon elle, cet aubergiste bien que pas très clair ne méritait pas l'effort de l'interrogatoire. Mais bon, le garde avait peut-être détecté quelque chose qui lui avait échappé, ce n'était pas la première fois que ça arrivait aujourd'hui.

Elle claqua de la langue en signe de désaprobation.

"On ne va rien faire qui s'apparente à un interrogatoire en pleine rue." Mona balaya les environs du regard: "Il nous faut une bleusaille pour surveiller tout ça et être sûr que le mort n'attrape pas la bougeotte pendant qu'on ne regarde pas."

La garde dégraffa sa cape et la jeta sur le cadavre pour le cacher aux regards indiscrets. Elle fini par décider de que qui était le plus raisonable: se plaçer dans l'entrée de l'auberge, de manière à ne pas être entendue aux quatre vents, mais également à garder l'oeil sur le mort dans le même temps. Elle aurait aussi pû laisser Rask sur les lieux pendant qu'elle procédait à l'interrogatoire à l'intérieur, ou l'inverse, mais elle ne tenait pas particulièrement à rester sans alliés dans ce genre d'endroit ou d'envoyer un camarade en faire de même.

"On va se mettre juste là dans l'entrée. Il n'y a personne dans une taverne à cette heure."

Mona avait passé suffisamment de temps dans celle de ses parents puis celle de sa soeur pour le savoir. Elle bouscula l'aubergiste dans la direction, tout en surveillant le mort d'un oeil.

Gardien entendit le bruit: ça devait arriver, Lora s'était évanouie. L'odeur était vraiment atroce, c'était clair et net. Le chien avait cessé depuis longtemps de respirer par la truffe, et l'humaine aurait peut-être du en faire autant. Il réfléchit un instant, puis attrapa l'évanouie par le col de sa tunique pour la tirer hors de cette infâme cave. Plus vite il la quitterait mieux ce serait. Gardien s'appliqua à la placer assez loin de la trappe pour que l'odeur ne soit plus trop perceptible et lui lécha le visage pour la ranimer.

Comment ça elle voulait retourner là dedans? Mona n'aurait pas eu un autre genre d'idée, cela dit. Gardien jeta un regard perplexe, puis se rassis au bord de la trappe pour montrer qu'il était près à descendre, puis la précéda dans l'escalier. Plus vite elle aurait vu, plus vite elle repatirait! Tous ces gens assez morts accrochés aux murs, c'était peu ragoutant et sa puait!

L'aubergiste haussa de nouveau les épaules, peu concerné par les problématiques matérielles des deux gardes. Il préférait ne pas en rajouter en commentant à loisir leurs actions : plus vite on lui lâcherait la grappe, mieux Faucheur se porterait. Et il était prêt à jouer au gentil petit toutou pour cela.

- Parfait, ne put-il toutefois s'empêcher de lâcher une fois les gardes décidés, invitant les gens d'un geste de la main pour aller dans l'entrée désignée.

Faucheur croisa les bras devant lui, changea son poids d'une jame à l'autre, grimaça un air sévère puis finalement décida qu'il valait peut-être mieux sourire. Il attendait patiement les questions.

Mona n'aimait pas du tout l'air de cet individu. Il avait une insolence folle dans son regard, c'était insupportable pour ses nerfs déjà en bouillie et elle avait une terrible envie de lui enfoncer le nez à coups de poings avant de le mettre au trou pour huit jour, histoire de lui apprendre à faire le malin avec les gardes de Castelcerf. Elle caressa machinalement les flèches qui se serraient dans son carquois, puis se positionna dans l'entrée de manière à bloquer le tavernier dans le coin entre la porte et le mur.

"Ça n'a pas l'air de vous choquer plus que ça d'avoir un homme venu crever devant votre taverne..." déclara-t-elle après un rapide coup d’œil sur le cadavre. "Un honnête homme serait plus secoué, non?"

Donc à moins d'avoir un contrôle de lui même à toute épreuves, celui là avait un comportement suspect. Et il énervait profondément Mona, accessoirement. Et voilà qu'il se mettait à sourire: qu'est ce qui la retenait de lui faire sauter toutes ses dents? Elle s'enquit machinalement de Gardien, qui visiblement avait trouvé avec Lora quelques pièces à conviction pour le moins juteuses vu l'odeur qui remontait à son nez par l'intermédiaire de celui du chien, puis se tourna vers le tavernier en lui jetant son regard le plus méchant.

"Vous le connaissiez?" dit-elle en désignant le mort. Cela expliquerait peut-être pourquoi il était venu mourir ici.

La garde connaissait visiblement son affaire, et Faucheur se sentit immédiatement acculé. Le sentiment lui tira une brève moue de désapointement : il était déjà en train de coopérer, devaient-ils ainsi encore pousser leur avantage en lui imposant leur supérioté martiale ? A regret, il dut toutefois bien s'avouer que c'était intelligent. Et il rassura son propre égo en se disant qu'il aurait fait de même à leur place si les rôles avaient été inversés.

L'aubergiste se reprit bien vite dès que l'archère ouvrit la bouche, et il se montra attentif à ses paroles. La question était-elle rhétorique ? Faucheur ne préféra pas prendre de risque, il était là pour répondre aux questions, pas pour les éviter.

- Non, je ne vois pas le lien. Vous êtes une honnête femme je suppose, et vous n'êtes pas secouée. Je n'ai jamais été des plus altruistes, les gens meurent dans leur lit ou dans leur sang, qu'y puis-je et pourquoi perdrais-je mon énergie à m'en préoccuper ? C'est votre travail, pas le mien.

Faucheur n'était sûrement pas des plus diplomatiques non plus, car les mots étaient bien là malgré le ton totalement neutre qu'il employait. Il disait la vérité toutefois, Faucheur jouait à mentir quand il en avait envie ou quand il le devait, et il n'était présentemment dans aucun de ces deux cas de figure. Et la question suivante suivait le même procédé.

- C'est très possible, son visage semble me dire quelque chose. Mon registre est plus fiable que ma mémoire toutefois : s'il a été client de mon auberge, la date de son séjour et sa description devraient s'y trouver - je me méfie des noms, tout le monde peut s'amuser à donner celui qu'il veut. Vous pourrez le prendre pour l'examiner si vous le désirez.

Et son identité y figurerait bel et bien.

Mona pinça les lèvres. Il pourrait au moins avoir la décence de faire semblant d'avoir l'air soucieux, coincé qu'il était par deux gardes contre une porte. Il n'avait pas tort à propos du mort, mais elle ne l'aurait reconnu pour rien au monde et se contenta de croiser les bras sous sa poitrine dans une posture pleine d'irritation en lui lançant un regard franchement menaçant. Le registre dont il avait parlé était intéressant, mais ça entrainait un gros problème: il fallait aller le chercher. Pour cela, deux solutions: soit elle laissait le tavernier le chercher seul, lui laissant une chance de faire un sale coup, soit elle y allait avec lui, se jetant ainsi dans un potentiel nid d'adversaires.

Mona ne parvenait pas à définir laquelle était la moins problématique. Elle fini par se décider.

"Rask, tu reste là pour t'assurer que le mort ne crée pas d’attroupement, moi, je vais chercher le registre." ordonna-t-elle à son collègue avant de se tourner vers le prévenu. "Vous allez rentrez avec moi et me filer ce registre."

Là-dessus, saisissant le tavernier par l'épaule pour l'écarter, elle ouvrit la porte pour entrer dans le bouge.