Vainqueur avait demandé une entrevue avec Bienséance, et bien qu'il n'est pas expliqué pour quelle raison, elle se doutait bien que cela aurait à voir avec les terribles nouvelles arrivées de Rippon.

Les tapisseries racontant les exploits des ancêtres Loinvoyant avaient été retirées à sa demande, pour cette occasion, elle ne voulait que Vainqueur tente de justifier ses futurs actions à travers celle de ses ancêtres. Elle les avait remplacées par de très belles tapisseries représentant la faune des Duchés. Au dessus de l’âtre deux portraits représentant Prospère et Vainqueur dominaient la pièce de leurs regards. En face un bureau avec papiers, encres et plumes, sa carte était repliée. Et à côté du bureau une bibliothèque remplie de livres d’histoire sur les Duchés. Dans un coin, un petit canapé avec un métier à tisser laissait entrevoir le début de confection d’une écharpe, et sur un tabouret trônait fièrement un panier rempli de petits gâteaux. La fenêtre menant sur le balcon était ouverte, laissant ainsi passer une bise fraîche et rafraichissante.

Tout était en ordre. La table autour de laquelle ils allaient s’asseoir trônait fièrement au milieu de la pièce. Un unique fauteuil faisant face au sien, laissait bien entendre que personne ne les dérangerait. Son service à thé avec seulement deux tasses sur la table, était remplis de thé vert du Duché de Cerf, l'un des préférés de Prospère.

La porte s'ouvrit et Vainqueur pénétra dans la pièce. Il s’arrêta derrière le fauteuil puis déclara .

- Mère... Je pars en Rippon dans deux jours, à la tête d'un ost rapide.


Voyant son fils, main sur l'épée, Vainqueur avait vraiment fière allure.

Et bien, c'est triste de voir qu'il faille de si tragique évènement pour que mon fils ai enfin l'allure d'un roi... Voyons voir si il peut faire les meilleurs choix pour son royaume....

- Mon fils, c'est toujours une joie de te voir, même si les tragiques évènements ne prêtent pas aux réjouissances. Prend donc place, de tels décisions ne doivent pas être précipitées, j'ai du temps devant moi, nous pourrons réfléchir ensemble aux mesures à prendre appropriées.

Elle accompagna ses paroles d'un geste indiquant le fauteuil, et lui servit une tasse de thé.

Vainqueur était entré dans le salon et avait fini par s’approcher de la table sur laquelle le thé l’attendait, mais Bienséance savait que le jeune homme devenait de plus en plus difficile à amadouer.
La fougue et la détermination de son fils sont clairement celle d’un grand roi, très certainement héritées de ces glorieux ancêtres. Elles lui permettent de s’attirer la reconnaissance de nombreuses personnes et, Bienséance le reconnaissait, est un bel aspect de sa personnalité. Mais Vainqueur a toujours tendance à mêler fougue et précipitation. Hors tel le mélange d’un thé blanc des montagnes et de biscuits épicés Chalcédiens, ce mélange se finit souvent en catastrophe.

Et là encore son fils se trompait.

Bienséance posa la tasse qu’elle venait de servir devant le fauteuil, encore vide, destiné à son fils, puis se servit une tasse et bût une rapide gorgée. Le thé était parfait, comme toujours.

-Tu as raison Vainqueur, nous ne pouvons laisser de tels événements se reproduire, et c’est en ta qualité de roi que tu dois te montrer ferme pour éviter une nouvelle tragédie.

Bienséance lut l’étonnement sur le visage de son fils, il ne s’attendait pas à une telle réponse de sa part, et, le temps d’une gorgée de thé, elle reprit sans lui laisser le temps de répondre.

-Et c’est pour cette raison qu’en tant que roi tu te dois de montrer l’exemple. Il est de ton devoir de te rendre en Rippon pour montrer au peuple que tu es là pour lui. Va à la rencontre du peuple, apporte leur des vivres et du matériels. Fais toi voir, et montre combien le royaume pense à eux et souhaite les aider.

Bienséance s’autorisa une autre gorgée avant d’enchainer.

-Tu as beau dire que le Duc Lunabile est un incapable, il n’en reste pas moins un Duc, une des plus grandes personnalités du royaume. Il est de ton devoir de le conseiller, de l’aider à organiser des patrouilles. Apporte lui des hommes supplémentaire si besoin est. Et si il est aussi incapable que tu sembles le penser n’hésite pas à lui imposer ta façon de faire car tu es son roi. Le peuple n’a pas besoin de sang, il désire avant tout la sécurité et qu’on lui montre qu’on s’occupe de lui. Et en passant ça sera l’occasion de revoir la petite Sérénité, l’épreuve a du être très dure pour elle, et ta présence ne pourra que la réconforter.

Bienséance se permit une dernière gorgée avant de conclure.

-Maintenant prend place mon fils, il s’agit de ton thé préféré, tu auras besoin de force avant de partir, et je ne crois pas que tu trouveras ce genre de thé chez le Duc Lunabile.

Elle accompagna à nouveau cette dernière phrase d’un geste de la main désignant à son fils le fauteuil.

- Je prendrai la tête d’un ost rapide pour Rippon, mère.

Bienséance parvenait à comprendre les intentions de son fils, mais pas à les accepter. Certes Vainqueur voulait se distinguer de son père, et ceci était parfaitement compréhensible. Certes il voulait imprégner l’histoire de sa marque, et cela aussi elle le comprenait. Mais c’est sa manière de vouloir le faire que Bienséance ne pouvait accepter.
Depuis des décennies, Sagesse d’abord, puis Prospère ensuite, ont maintenu la paix et la prospérité dans le royaume sans jamais entrer en guerre. Il y a, bien sur, toujours eu des raids Chalcédiens, ou de pirates, mais jamais ces raids n’ont apporté autant de malheur qu’une guerre. Il est possible de se protéger de ces raids, voire même de les anticiper dans certains cas, mais jamais on ne pouvait connaître l’issue d’une guerre ni ses répercutions désastreuses sur le royaume.

Elle prit une grande gorgée de thé, reposa sa tasse vide sur la table, et leva les yeux vers les portraits de Vainqueur et Prospère, comme pour leur demander de témoigner avant de déclarer.

- J’espère que ton père et moi t’avons assez bien éduqué pour être sûrs que tu ne seras jamais le genre d’homme qui profites de la faiblesse, de la tristesse, d’une femme pour se permettre de batifoler avec elle. Bienséance pris grand soin de bien insister sur le mot batifoler. Mot qu’elle n’avait jamais employé.

Mais Bienséance n’allait pas insister là-dessus, ce n’était pas le bon moment. Par contre il y avait des mots qu’elle ne pouvait accepter dans la bouche de son fils.

- Il n’y a pas besoin de roi dans les Quatre-Duchés pour cela

Ces mots l’avaient profondément blessée. Elle savait qu’élever la voix avec Vainqueur ne servirait à rien. Mais elle devait lui faire comprendre que de tels propos n’étaient pas acceptable, en tous cas pas pour elle.
Elle enchaina d’une voix ne laissant transparaitre aucunes émotions, mais accompagnée d’un regard noir qui en disait long sur son état d’esprit.

- Par contre que crois-tu donc qu’un roi est pour son peuple ? Il s’agit du protecteur et du serviteur de son peuple mon fils. Par Eda, tu oses dire, devant le portrait de ton père, que les Duchés n’ont pas besoin d’un roi qui porte assistance, réconforte, et se préoccupe de son peuple. Tu penses que les décennies de paix passées à apporter bonheur, bien-être et paix aux habitants des Duchés par ton père, et ton grand père avant lui, étaient inutiles ?

Bienséance savait que raisonner avec son fils serait très difficile, voire impossible, car si il y a bien quelque chose qu’il a hérité d’elle c’était sa ténacité. Mais elle estimait de son devoir de le faire, pour le royaume, pour lui, et surtout pour elle-même.

Bienséance connaissait très bien son fils, et elle savait, à la vue de ses réactions, qu’elle avait réussi à le décontenancer. Mais elle allait devoir elle aussi faire des concessions, si elle voulait pouvoir faire en sorte que la situation reste sous contrôle.

Jamais elle ne pourrait, de toute façon, empêcher son fils de partir dans son raid vengeur en Chalcède. Le Roi avait pris sa décision, les préparatifs étaient lancés, et ce n’était surement pas la vieille Reine-mère qui allait pouvoir empêcher cette terrible machine de se mettre en marche.

Mais il y avait deux points sur lesquelles elle se devait de peser de tout son poids. Premièrement il lui fallait faire en sorte que ce Raid ne se transforme pas en une terrible et dangereuse guerre, mais ceci pouvait attendre le retour de son fils, les résultats du raid seraient une bonne source d’informations.

Il fallait, par contre, absolument que le passage de Vainqueur en Rippon ne se transforme pas en un incident diplomatique. Rippon a toujours été un Duché difficile, à la loyauté vacillante. Et si par malheur Vainqueur décidait d’entrer en guerre avec Chalcède, il ne pouvait se permettre de perdre le soutien de ce Duché.

Bienséance se resservit une tasse de thé, et fît un signe d’approbation de la tête à son fils puis déclara tout en se levant de sa place.
- Et bien je suis contente de voir que nous sommes d’accord toi et moi.

Elle se déplaça jusqu’à sa panière de gâteaux, au fond de la salle et la prit dans ses mains.

- Nous sommes d’accord sur le fait que la force et les armes ne sont pas les seules solutions qui existent pour résoudre tous les problèmes qui se posent à nous. Reprit-elle en revenant s’asseoir sur son siège.

C’était le moment le plus important, elle devait faire comprendre à son fils que si la force peut être une solution aux problèmes posés par Chalcède, elle ne le serait pas aux problèmes posés par Rippon.

Elle posa la panière sur la table, et prit un gâteau qu’elle commença à tremper dans sa tasse nouvellement remplie.

- N’oublie pas quand tu seras en Rippon que le Duc a toujours été, et doit rester un allié important des Duchés. Il te faudra te montrer ferme car son erreur n’est pas pardonnable, mais aussi agir avec tact. Les gens n’aiment pas se voir imposer des choses par les plus puissants qu’eux. La famille Lunabille, même si elle n’y met pas toujours de la bonne volonté, nous a toujours fidèlement servis, et se les mettre à dos eux, ainsi que le Duché de Rippon, serait une très grave erreur. A toi de leur montrer le bon chemin, sans pour autant couper leur autorité.

La manière dont Vainqueur gérerait la famille Lunabille s’avèrerait décisif pour le futur du royaume, et ceci encore plus si il prenait la folle décision de partir en guerre contre Chalcède. Vainqueur allait au devant de son premier grand défi politique en tant que roi, et sa gestion de la situation en Rippon serait un réel indicateur de ses capacités à gérer le royaume. Et s’il venait à se mettre le duc à dos, Bienséance savait qu’il ne lui resterait plus qu’une solution pour s’assurer la fidélité de Rippon.

Bienséance croqua un morceau de son gâteau, et reposa le reste à côté de sa tasse avant d’enchainer.

- Et comme tu l’as dis toi-même il est important que ton peuple voit que tu penses à eux, c’est pour cela qu’il serait intéressant qu’à ton retour victorieux de Chalcède, tu organises une grande fête pour le peuple de Rippon pour célébrer ta victoire et la mémoire des morts enfin vengés. Je me débrouillerai pour t’envoyer des troubadours, ménestrels qui chanteront à ta gloire et à celle de tes hommes et tous ce dont tu auras besoin.

Bienséance espérait qu’en flattant ainsi l’égo de son fils, il l’écouterait un peu plus, bien qu’elle doutait que ces mots aient une quelconque influence. Il était de toute façon temps de conclure cette discussion, et surtout qu’elle ait le dernier mot. Elle bût une dernière gorgée.

- Mais je ne te retiendrais pas plus longtemps, je sais que tu n’apprécies pas être ici à m’écouter mais que tu sois venu me demander conseil me fait plaisir. Elle savait très bien qu’il n’était pas venu pour ça mais qu’importe si elle pouvait le persuader du contraire ce serait déjà ça de gagner. Tu as certainement beaucoup de choses à préparer. Et moi aussi d’ailleurs, fais moi savoir ce dont tu as besoin pour célébrer ton retour. Et ne t’inquiète pas je prierais pour ta victoire et ton retour sain et sauf.

Cette discussion était terminée. Son fils ne devait rien trouver à redire à ses conditions, elles étaient de toutes façon les meilleurs que l’on puisse appliquer. Alors elle se leva et se dirigea vers la fenêtre avant de déclarer.

- N’hésite pas à prendre un gâteau avant de partir, ils sont délicieux. Et penses à saluer Sérénité de ma part quand tu seras en Rippon.

Bienséance allait avoir du travail, il fallait qu’elle soit prête si Vainqueur n’était pas à la hauteur. Il allait être temps que sa plume rentre en action. Les messagers allaient surement avoir beaucoup de travail dans les mois qui viennent.