Depuis l'attaque, Shyrin dormait fort peu. Du moins, après les premiers jours passés presque entièrement dans une sorte de coma réparateur. Depuis que son corps guérissait, son esprit s'agitait tant et plus. Chaque nuit, hantée par le visage grimaçant de Luve, elle se tournait et se retournait sans réussir à trouver la paix. L'esprit était à ce point malicieux qu'il avait même reconstitué les traits qu'elle n'avait pas pu voir avant mais que ses yeux auraient discernés sans mal à présent.

Cette nuit-là était déjà fort avancée quand elle avait bondi pour la deuxième ou peut-être la cinquième fois, elle en perdait le compte. Une fois son souffle revenu, elle ramena contre elle un oreiller et regretta de ne pas avoir accepté que Shane dorme avec elle. Mais elle espérait tellement que le Roi la rejoindrait un nuit ou une autre qu'elle préférait dormir seule malgré les cauchemars et la solitude glaciale.

C'est alors qu'un bruit inattendu la fit sursauter. des coups. Ça ressemblait à s'y méprendre à des coups lourds contre la porte de ses appartements. Sauf que personne ne frappait à la porte au milieu de la nuit et que Vainqueur n'avait aucune raison de passer par là, au risque de réveiller la moitié des domestiques. Le bruit se renouvela et cette fois elle n'eut plus aucun doute. Affolée à l'idée qu'il puisse y avoir eu un accident grave, quelque chose qui nécessiterait un réveil officiel, elle descendit de son lit et enfila une robe de chambre qu'elle ferma soigneusement ainsi que des pantoufles.

Traversant la chambre, puis l'antichambre et le salon, elle s'assura que personne n'était éveillé hormis elle-même, puis vint entrebâiller précautionneusement la porte. Stupéfaite de découvrir le Roi sur le seuil dans un état misérable, elle crut encore à un incident, à la guerre ou que savait-elle encore ! Jusqu'à ce que l'odeur de l'alcool la frappe de plein fouet et lui fasse froncer délicatement le nez. Marmonnant un juron dans sa langue maternelle, elle ouvrit grand le battant et fit entrer Vainqueur avant de fermer derrière lui. Qu'est-ce que c'était que ce cirque ?

- Par Sâ, dans quel état vous êtes-vous mis ?

La question était de pure forme car sa mine était éloquente. Débraillé, les cheveux en bataille et la visage tuméfié, il avait très exactement l'allure d'un soudard qui sort d'une taverne. À sa vue, elle hésitait franchement entre la colère et le rire. Tendant la main, elle esquissa pourtant un sourire, retenant pour le moment le rire qui menaçait.

- Venez que je vous soigne, on va dire que je vous maltraite.

La vilaine Chalcédienne avait-elle osé frapper le pauvre roi des Duchés ? Pour cela il aurait fallu qu'il accepte de s'agenouiller et de se tenir immobile et encore se serait-elle sans doute brisé les mains avant d'arriver à lui causer le moindre bleu. L'image accentua encore son sourire et la rendit plus indulgente. Elle allait l'installer sur son lit et lui retirer ses vêtements souillés pour nettoyer son visage. Inutile de réveiller Shane pour cela. Avec des yeux valides, elle était parfaitement capable de s'en occuper elle-même. Elle savait même où trouver l'onguent miraculeux d'Ava dont il restait un petit pot quelque part sur sa table de toilette parmi les peignes, brosses et flacons divers.

Il restait de l'eau dans l'aiguière et la cuvette était propre. Elle en versa un fond, ajouta un linge propre, le pot d'onguent, et se retourna vers le lit à l'instant même où Vainqueur y bondissait assis, au risque de se rendre malade. Les mots qu'il prononça ne pouvaient être que les paroles pleines d'emphase d'un guerrier aviné, il n'y avait pas d'autre explication. Sinon, par quelle folie le Roi des Duchés aurait-il cru envisageable de se rendre en Chalcèdes pour se venger d'affronts qui avaient déjà été punis.

- Ne dites pas de sottises, le gourmanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Elle franchit la distance qui les séparait et posa son matériel sur la table de chevet avant de s'agenouiller pour lui retirer ses bottes. L'effort la fit souffler et elle manqua rouler au sol, mais elle finit par y arriver. il lui fallut encore s'essuyer les mains sur un autre linge puis elle se mit debout entre les jambes de Vainqueur. Saisissant son menton d'une main douce, elle tourna son visage de manière à l'examiner à la lumière de la seule bougie restée allumée.

- J'espère que votre ami sera plus présentable pour son union demain, marmonna-t-elle en affichant une mine contrariée qui dissimulait mal son envie de rire.

Ils s'étaient comportés comme deux adolescents qui découvrent la bière, assurément. Avec un soupir, elle trempa le linge encore propre dans l'eau et entreprit de nettoyer délicatement le visage du Roi plein de sang et de poussière, voire d'autres choses qu'elle préférait ne pas identifier. Au moins, cette visite impromptue et étrange avait-elle le mérite de lui changer les idées. La mine abîmée de Vainqueur remplaçait avantageusement celle de Luve devant ses yeux. Prenant ses idées aventureuses pour des serments d'ivrogne, elle préférait s'amuser de son état que réfléchir à ce qui l'empêchait de dormir et aux projets insensés qui étaient nés de cette nuit avinée.

Le rire de Vainqueur la fit tressaillir légèrement mais elle n'en acheva pas moins sa tâche avec soin. Elle avait à peine terminé qu'elle sentit la main du Roi remonter sur elle et l'attirer plus près. Troublée par ce changement soudain d'humeur et d'atmosphère, elle se laissa faire. Le linge retomba dans la bassin et elle enlaça son époux pour caresser en douceur ses cheveux en désordre.

- Vous voilà dans un bel état, souffla-t-elle avec un sourire indulgent.

Elle ne se souciait pas qu'il la salisse ou même qu'il ne sente pas très bon. Pour la première fois depuis des semaines, il osait la toucher. Enfin et à nouveau, il la considérait comme sa femme. Bien loin de s'offusquer des circonstances qui l'avaient mené à sa chambre, elle était secrètement flattée qu'il ait choisi de venir la trouver plutôt que de cuver sa bière avec son ami ou pire : seul dans son lit.

- Laissez-moi vous aider à vous mettre au lit, vous vous sentirez mieux, murmura-t-elle encore, caressant l'espoir secret qu'il ne se contenterait pas de se vautrer pour ronfler mais se montrerait à nouveau tendre.

Comme la seconde et dernière nuit passée dans son lit, quand il l'avait gardée dans ses bras. Elle n'avait jamais eu l'occasion de le lui dire mais elle lui avait été reconnaissante de ne pas avoir réitéré l'expérience du devoir conjugal ce soir-là compte tenu de la longue chevauchée du lendemain. Les séquelles de l'attaque ne lui avaient pas permis d'en ressentir pleinement les bénéfices mais elle avait compris son point de vue et à quel point il s'était montré attentionné en s'abstenant de la prendre comme il en aurait eu le droit.

Rendue plus assurée par le couvert de la nuit, elle osa poser un baiser tendre sur le front de Vainqueur en se penchant sur lui, puis elle s'efforça de se reculer mais ne put le décoller d'elle. S'il ne bougeait pas, elle serait bien en peine de lui faire faire quoi que ce soit. Cette pensée l'amusa et son sourire s'élargit.

- Allons, soyez sage et libérez-moi que je vous déshabille.

Le double-sens possible de la phrase la frappa et un petit rire lui échappa alors qu'elle s'empourprait. ce n'était pas ce qu'elle avait eu en tête en lui proposant de l'aider mais elle devait reconnaître qu'elle rêvait de retrouver son mari. La nuit et l'état de Vainqueur l'enhardissaient à coup sûr.

L'humeur malicieuse de Vainqueur s'accordait parfaitement avec celle maternelle et d'une indulgence amusée de Shyrin. Pourtant quand il leva les bras en la regardant et l'appela "femme", elle sentit tout autre chose. Il y avait toujours ce rire entre eux, cette complicité, mais aussi une petite chose en plus qu'il lui était difficile d'identifier avec certitude. Il était sale, sentait mauvais et se comportait comme le dernier des sales gosses puants de la cour du château et pourtant à cet instant précis, son coeur se mit à battre violemment dans sa poitrine. Une intimité toute nouvelle et intense venait de se créer et de se révéler à ses yeux, lui ouvrant un monde dont elle n'avait pas conscience jusque là. Un sourire nouveau mêlant bonheur et fierté étira ses lèvres alors qu'elle défaisait le Roi de sa chemise en la faisant passer par dessus sa tête.

- Vous êtes horriblement sale et dépenaillé, se moqua-t-elle gentiment avec un nouveau rire.

Reprenant un linge qu'elle trempa dans l'eau fraîche, elle lui rinça le visage et le torse gentiment, toilette sommaire destinée à l'aider à se sentir mieux. Elle le débarrassa ensuite tant bien que mal de ses chausses en ignorant volontairement tout ce qu'il pouvait y avoir de vaguement séducteur à l'affaire, puis alla poser ses vêtements souillés dans l'antichambre.

- Vous serez bien puni demain, prédit-elle en revenant, sans se départir de son sourire.

Il l'attendrissait, au fond. Mais pas seulement. Même si elle refusait d'y réfléchir et de mettre des mots dessus, il y avait autre chose de sous-jacent, elle le savait. Elle lui donna un bâtonnet de menthe à mâcher pour l'haleine et aussi pour la nausée, puis l'aida à s'allonger à demi contre les oreillers. Il valait mieux qu'il ne soit pas trop à plat, il risquait de se sentir mal. Une bassine vide posée au pied du lit près de lui et elle rejoignit l'autre côté du lit. Là, elle se défit de sa robe de chambre et de ses pantoufles, puis se glissa sous le drap à ses côtés.

- Je demanderai à Shane de vous préparer un remède demain matin, promit-elle en se tournant sur le côté pour le veiller.

Sa main s'égara un instant, le revers de ses doigts caressant sa joue et sa mâchoire déjà un peu râpeuse. Son sourire s'était attardé mais elle ne voulait pas l'empêcher de se reposer alors qu'elle savait combien il souffrirait de ses folies le lendemain. Elle avait vu les plus fiers guerriers de Chalcèdes se rouler au sol parfois au lendemain de nuits épiques avec son père. Elle n'était ni choquée ni irritée, juste désireuse de l'aider à se sentir mieux.

Fière et heureuse qu'il reconnaisse ses mérites et surtout qu'il admette qu'il était plus que satisfait de ce mariage, Shyrin en rougit dans la semi-obscurité. Elle n'avait pas soufflé la chandelle, au cas où Vainqueur aurait besoin de trouver la bassine posée non loin de lui. Le profil qui se découpait dans le halo lumineux l'émut soudain plus fort, lui donnant envie de sauter de joie ou de pleurer de bonheur ou peut-être juste de l'embrasser et se serrer contre lui encore. Elle ne fit rien de tout cela pourtant, consciente qu'il était encore à la limite du malaise. La menthe finirait par le soulager mais ce n'était pas non plus une garantie absolue contre les vomissements. Surtout avec l'alcool.

Une grande main chaude et sèche atteignit alors sa cuisse et fit battre son coeur plus vite. C'était ridicule, se morigéna-t-elle en silence. Outre le fait qu'il était bien trop malade pour envisager de la prendre, il aurait fallu être idiote pour souhaiter que se reproduise la douleur de la première nuit. Pourtant, malgré la souffrance et son incompréhension de l'acte, elle avait aimé cette union de leurs corps qui rendait leur mariage si concret et faisait naître une intimité plus forte entre eux.Contre cela, Brun Braveterre ne pourrait jamais rien, songea-t-elle non sans une certaine mesquinerie. Mais tant qu'il ne comprenait pas qu'une épouse ne pouvait voler la place d'un ami, rien ne pourrait s'arranger entre eux.

Chassant le royal et irritant conseiller de son esprit et du lit conjugal, elle eut une pensée compatissante pour Acuité avant de revenir à son propre mari tout prêt à ronfler. Le lendemain, il serait étonné de se réveiller là, outre le fait qu'il serait sans doute malade. Qu'importe, elle se lèverait avant lui de toute façon et s'assurerait qu'il ait le remède adéquat au réveil ainsi qu'un bain. Elle aussi, avait fait le bon choix, se dit-elle alors avec un sourire. Puis une autre pensée traversa son esprit. Puisqu'il ne se souviendrait de rien le lendemain, autant en profiter pour savoir si le petit doute qu'elle gardait soigneusement à l'écart depuis l'arrivée du Roi avait lieu d'être ou non.

- Vainqueur ? Chuchota-t-elle pour ne pas troubler le demi-sommeil dans lequel il glissait. Avez-vous... Y avait-il des femmes, ce soir ?

Shyrin sourit encore devant la réponse incompréhensible de son mari. Il y avait au moins une chose claire, il ne s'était pas vautré dans les bras d'une autre femme, il ne l'avait pas humiliée de cette manière et elle lui en était reconnaissante. Il était fidèle à sa parole et c'était tout ce qu'elle lui demandait. Qu'il lui soit infidèle serait évidemment une immense souffrance mais tant qu'il lui épargnait l'humiliation d'une liaison connue de la Cour, elle respecterait sa part du marché également.

"Tu es douce", dit-il alors, la faisant rougir un peu plus et sourire encore et toujours. Il avait un don pour la surprendre au moment où elle s'y attendait le moins avec des mots ou des gestes qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir venir de lui. Une main sur son épaule, elle caressa doucement sa peau de son pouce.

- Vous êtes saoul mais vous êtes à votre place, lui chuchota-t-elle en retour. Dormez à présent, vous en avez besoin.

Ramenant sa main contre elle de crainte de le déranger, elle se cala sur son oreiller, toujours de côté et sans déplacer la main de Vainqueur. Il la touchait enfin, il la tutoyait, il la trouvait douce... Elle était dangereusement proche de la félicité conjugale. Et plus proche encore de désirer son mari, ce qui était une découverte absolument stupéfiante. Mais pour l'heure, il avait besoin de repos. Elle espérait seulement que cette nuit serait la première d'une longue série à passer ensemble et qu'au lendemain, une fois dégrisé, il la trouverait toujours aussi douce, et bien d'autres choses encore.

Si Shyrin avait mal dormi, elle pouvait difficilement accuser les cauchemars cette fois. Le peu qu'elle avait réussi à trouver le sommeil avait été bien plus troublé par la présence de Vainqueur que par les fantômes qui la hantaient depuis des semaines. Et par ses ronflements, devait-elle avouer. Mais elle ne lui en voulait pas. il payerait déjà bien assez cher au réveil, il était inutile qu'elle ajoute quoi que ce soit.

Éveillée dès l'aube donc, elle avait enfilé une sage robe de chambre et refait une tresse lâche sur son épaule pour prendre un petit déjeuner réparateur dans le petit salon attenant à sa chambre. Elle avait demandé à sa soeur de préparer le remède qu'affectionnait son père et de faire monter un bain pour le Roi. Enfin, elle lui avait recommandé de s'adresser à son valet pour qu'il apporte des vêtements à sa majesté.

Tout fut bientôt prêt et le jour dûment levé, elle regagna donc sa chambre pour attendre le réveil de Vainqueur qui ne tarderait plus, pensait-elle. Et elle avait raison. À peine s'était-elle approchée du lit que le Roi émergea visiblement avec beaucoup de peine. De toute évidence, ce serait plus douloureux que ce qu'elle avait craint. Il jura, verdit, se redressa, verdit encore plus puis chercha son regard pour l'interroger après avoir compris qu'il était sans sa chambre à elle. Sâ, la moindre de ses pensées pouvait se lire sur son visage ce matin-là. Elle s'en serait réjouie si ça n'avait pas été synonyme de souffrance pour lui.

Approchant un peu plus, elle prit une grande coupe posée près du lit et vint la lui mettre dans les mains avec douceur. Son sourire se voulait compatissant mais en réalité, elle était assez amusée par son air perdu. Et troublée parce qu'elle ne l'avait jamais vu être le moins fort des deux.

- Buvez, ça vous fera du bien, lui commanda-t-elle à voix basse.

Souriant toujours, elle s'assura qu'il n'en renversait pas en le portant à ses lèvres. Si la mixture n'était guère engageante, son effet salutaire était quasi-immédiat. Du moins sur son père. Mais elle soupçonnait qu'ils étaient du même bois.

"Par les bourses d'El" ? Quelle sorte d'expression était-ce donc là ? Encore plus amusée par les grimaces et les grognements de Vainqueur. Il y mettait de la bonne volonté pourtant et but son remède sans en laisser une goutte. Dissimulant mal son sourire, elle se détourna pour reposer la coupe plus loin puis vint s'asseoir au bord du lit à côté de lui, comme il l'y invitait.

- Si je voulais vous tuer, je m'y prendrais autrement, soyez-en sûr, le taquina-t-elle.

Aussitôt l'assaillit le souvenir de la mort de Luve, le sang giclant sur elle, la recouvrant, l'étouffant. Chassant un frisson désagréable, elle revint à Vainqueur, non sans songer brièvement qu'il était étrange qu'on ne lui ait jamais reproché la mort de la guerrière. Souriant toujours mais avec plus de douceur, elle frôla avec légèreté le visage tuméfié de son mari et lui adressa une moue éloquente.

- Si vous sortez de chez moi avec cette tête, on dira que je vous maltraite, soupira-t-elle, réitérant sa plaisanterie perdue par l'ivresse du Roi. Après le bain, je vous mettrai un onguent.

Le même qu'elle avait appliqué sur les chairs martyrisées d'Acuité mais cela elle ne pouvait le lui dire, c'était bien trop intime. Déconcertée par sa demande, elle le contempla quelques instants sans paraître comprendre puis saisit soudain qu'il lui demandait s'il avait usé de son droit conjugal alors qu'il était dans un état avancé. S'empourprant d'un coup, elle baissa les yeux alors qu'un large sourire étirait ses lèvres.

- Vous vous êtes couché bien gentiment, si c'est là le sens de votre question.

Mais elle se souvenait avec précision de ses mots gentils et de sa grande main chaude sur sa cuisse, elle en sentait encore les contours sur sa peau à travers sa chemise. Pour la première fois, elle avait eu envie de plus avec lui, des choses qu'elle ne savait pas nommer. Elle ne savait pas bien si elle en était heureuse ou honteuse.

Décontenancée par le rire de Vainqueur, Shyrin sursauta légèrement mais se reprit aussitôt. Elle devait cesser de craindre le moindre de ses éclats ou de ses gestes brusques comme s'il menaçait de l'agresser. Ce n'était pas comme s'il avait jamais été menaçant physiquement, qui plus est. Vraiment, elle était sotte. Dessinant un sourire sur ses lèvres, elle releva les yeux en esquissant un petit geste vague de la main.

- Ne vous excusez pas. Vous êtes libre de vous amuser comme vous le désirer, ce n'est pas moi qui vous le reprocherai.

C'était maladroit mais elle voulait lui faire savoir qu'elle n'était pas choquée ni même offensée. Au contraire, elle s'était sentie flattée qu'il se tourne vers elle en se trouvant dans un état peu autonome. Les couleurs lui revenaient déjà, remarqua-t-elle, heureuse que le remède le soulage. Il se souvint alors du bain et elle glissa au bas du lit pour lui tendre la main, réalisant trop tard qu'elle le maternait sans doute un peu trop.

- Il est prêt, venez.

Souriant toujours malgré tout, elle le mena dans le petit salon où la baignoire avait été installée devant la cheminée où crépitait un bon feu. Il faisait frais dans le château le matin et elle se réjouissait qu'on ait pris en compte sa demande de bien chauffer ses appartements, même si le Roi devait trouver que c'était là une dépense bien inutile et qu'elle devrait s'endurcir, sans doute.

- Voulez-vous de la compagnie ou préférez-vous en profiter en paix ? S'enquit-elle en toute innocence, sans se douter qu'on aurait pu croire qu'elle proposait de se baigner avec lui.

Elle ne suggérait évidemment que de rester assise non loin de là pour bavarder avec lui s'il le désirait ou même l'aider à se laver si tel était son souhait. Rien que de très décentes et naturelles choses entre époux, en somme. Chez elle, les femmes de la maison offraient ce même service aux invités masculins, c'était bien normal.

Un peu déconcertée, Shyrin resta un moment plantée au milieu de la pièce, un sourire un peu niais s'attardant sur ses lèvres à mesure qu'elle tentait de comprendre. Mais rien ne lui venait en tête. Elle ne saisissait décidément pas les coutumes étranges de son nouveau pays. Du moins, certaines lui restaient-elles complètement obscures. Elle finit par réaliser qu'elle était plantée comme une racine et se réveilla de sa stupeur en clignant des yeux. Un léger haussement d'épaules plus tard, elle avisa l'eau par terre, les vêtements éparpillés et le Roi à demi endormi, et un sourire indulgent lui revint.

Après s'être assurée que le savon était à portée de main de Vainqueur sur un petit tabouret, de même qu'une aiguière d'eau chauffée et des linges pour se sécher, elle résolut donc de procéder à sa propre toilette. Sans plus déranger son époux, elle quitta les lieux et gagna sa propre garde-robe où elle se fit vêtir par Shane après de rapides et efficaces ablutions. De retour auprès du Roi, elle le trouva assoupi dans sa baignoire et s'en attendrit à nouveau. Elle n'hésita qu'un instant avant d'approcher pour le réveiller en promenant ses doigts le long de sa joue râpeuse.

- Vous allez prendre froid, chuchota-t-elle alors qu'il revenait à elle.