L'éveil guettait les murailles de son inconscience, rôdant à leurs côtés comme un loup silencieux, prêt à bondir pour détruire ces protection. Ce sentiment n'était pas nouveau, elle avait déjà vécu cela. Après l'attaque des bandits, dans les cachots en Chalcèdes, à chaque fois que son corps avait tenté de protéger son esprit en la coupant du monde, en la plongeant dans un noir absolu.
Elle ouvrit les yeux et inspira bruyamment en se redressant d'un coup dans son lit. Sensation étrange de sa gorge, comme si elle avait simplement arrêté de vivre et que tout d'un coup, sa respiration se rappelait qu'elle devait faire entrer de l'air dans ses poumons. Sa gorge la brûlait, ses muscles endoloris par l'étreinte trop serrée de ces larges mains assassines, l'incitèrent à se rallonger. Sa nuque regagna son oreiller et elle grimaça de douleur.
Immobile, elle tenta de respirer à petites goulées pour éviter de contrarier plus sa trachée. Sa main se porta sur sa poitrine, puis sa clavicule jusqu'aux muscles et sa peau légèrement gonflée, agressée qui recouvrait son cou.

Son regard chercha dans la pièce, un indice pour savoir où elle se trouvait. Elle l'ignorait. Ce n'était pas l'auberge qu'elle avait louée ni même la chambre de Brun. une autre chambre du château visiblement, elle s'en moquait car un autre détail attira immédiatement son attention : elle était seule.
Par la fenêtre, elle vit qu'il faisait sombre mais était incapable de savoir l'heure avancée de la nuit.
Seule, dans personne à son chevet. Shyrin était-elle morte ? Et Brun ? Pourquoi n'était-il pas ici ? L'horreur de son décès lui brisa le coeur et elle ne put réprimer un sanglot qu'elle tenta cependant d'étouffer.
Mais sangloter secouait ses épaules, sangloter lui donnait l'impression que sa gorge allait se serrer au point qu'elle ne pourrait plus respirer. Etait-ce la douleur de la strangulation ou bien la peine à cette simple idée ?
Tout se raviva en elle, la Fanel, le sang de Shyrin, son impuissance face à ses deux sbires. Avait-elle échoué ? Oui certainement. Voilà qu'elle se retrouvait seule désormais.
Elle voulut appeler quelqu'un, n'importe qui, mais sa bouche ne put émettre qu'un faible son qui lui déchira la gorge et tira de nouvelle larmes de contrariété et de douleur.

La porte s'ouvrit soudain, Brume apparut. Sur son visage, Acuité put lire un sentiment de soulagement avant que cette dernière ne referme la porte derrière elle. Elle se précipita à son chevet, saisit sa main entre la sienne. Acuité fronça les sourcils, préparée à une mauvaise nouvelle.

- Par Eda, vous êtes éveillée...murmura la brunette.
- Oui, souffla la petite duchesse en grimaçant sous l'effort.
- Je vais vous aider à boire et à manger.

Acuité ne souhaitait ni boire, ni manger. Elle souhaitait juste savoir si Shyrin avait survécu, elle souhaitait juste savoir où se trouvait Brun. En revanche, elle était incapable de formuler une seule de ses pensées, la frustration s'accumulait, tirant une nouvelle larme de ses yeux sombres et désespérés.

Sans attendre plus longtemps et sans un mot, Brume quitta la pièce dans la précipitation. Allait-elle crier dans les couloirs que la Duchesse était éveillée ? A nouveau, Acuité observa la fenêtre. Il était tard ou tôt c'était selon. Le château devait dormir depuis longtemps. La jeune femme prit le temps de ravaler ses larmes, d'essayer à nouveau de contrôler sa respiration pour calmer l'irritation. Rien n'y faisait, la brûlure s'intensifiait dès que son souffle s’accélérait. On aurait dit qu'un millier de petites aiguilles s'enfonçaient dans les tréfonds de sa trachée. Elle se convainquit de ne plus parler, pourtant elle avait tant de questions à poser !
Après un temps qui lui sembla interminable, Brume réapparut, un plateau chargé d'un bol de soupe et d'une tasse fumante de thé.
En déposant le tout sur sa table de chevet, elle lui expliqua que le thé avait pour but de la décongestionner. Un mélange de plante dont la Duchesse ignorait tout. Brume lui confirma que son visage était marqué, tout comme son cou. A son regard, elle comprit que son apparence devait être hideuse ou effrayante et préféra s'abstenir de lui demander un miroir.

Brume entreprit de lui faire boire sa soupe, cuillerée par cuillerée. Acuité désespéra de voir le fond de son bol et préféra renoncer en détournant la tête. Brume fronça les sourcils et lui reprocha de ne pas s'alimenter, soulignant au passage sa perte de poids importante.
Rien n'y fit, Acuité ne changea pas d'avis. Brume lui fit boire son thé, la chaleur attisa la fournaise de sa gorge, un gémissement plaintif lui échappa et elle repoussa la boisson.

Brume parla lors, au début avec gêne. Elle lui apprit que le clan s'était réunis, sans elle. Ensemble, ils avaient tenté de sauver la Reine. Le Maître d'Art était avec eux, à sa place.
La frustration et la colère se mêlèrent à ses émotions déjà instables.
Brun avait effectué le devoir qui lui revenait à elle.
Elle ignorait si elle devait lui en vouloir ou bien le remercier. Elle lui en voulait c'était l'évidence même. Il ne maîtrisait pas la magie et s'était aventuré sur un terrain dangereux, sans même la consulter. Il aurait pu s'y perdre encore. Dans tous les cas, cela expliquait qu'il ne soit pas venu à son chevet. S'inquiétait-il au moins pour elle ?
Elle soupira doucement.

Brume lui raconta que la femme au visage couturé de cicatrices était morte, ainsi que la majorité des assaillants, que Brun l'avait veillée à l'infirmerie jusqu'à ce que le Roi ne vienne le chercher. A priori, ce n'était pas après lui qu'il en avait à l'origine.
Une nouvelle colère s'imposa en elle.
Renfrognée, elle leva la main devant la domestique, lui indiquant qu'elle en avait assez entendu.
Brume tenta encore de lui faire boire son thé, mais Acuité refusa à nouveau. Elle voulait être seule et se morfondre de l'avancée de la situation.

La petite brune finit par quitter la chambre tristement, laissant au moins la tasse de breuvage qu'elle demanda à Acuité de boire pour sa santé. La petite Duchesse lui sourit mollement comme pour lui promettre qu'elle le ferait. Alors la jeune femme quitta les lieux. Acuité se retrouva seule à nouveau. Le regard perdu dans l'horizon, elle malaxait mentalement toutes les nouvelles données.

Après une toilette sommaire pour enlever la sueur et le sang, Brun se traîna jusqu'à la chambre que, d'après les ordres du Roi, il savait être celle d'Acuité. La chambre était obscure et silencieuse. Ayant troqué la torche contre une chandelle, il entra sans s'annoncer.

Lorsqu'il fut suffisamment proche, il rencontra les yeux noirs d'Acuité. Il fut surpris et soulagé qu'elle soit éveillée ; c'était certainement bon signe, mais en un sens il regrettait de ne pouvoir seulement s'écrouler à son côté. Il avait l'air vieux et fatigué.

Sur la table de nuit, il déposa la chandelle, et au pied du lit, l'arc et le poignard. Hésitant un instant, il enleva ses bottes aussi et s'allongea près d'elle. Du doigt, il caressa sa joue meurtrie.
- Comment vas-tu ? souffla-t-il, comme si Espoir était endormi dans son berceau à côté du lit, et qu'il ne fallait pas le réveiller.

La porte s'ouvrit à nouveau peu de temps après. Acuité s'attendait à ce que Brume réapparaisse pour une quelconque raison justifiée par son inquiétude à son égard. Il n'en fut rien, la silhouette qui pénétra dans la pièce était plus grande et plus large.
Son coeur s'emballa de peur, venait-on l'achever ? Non, c'était ridicule, pourtant son corps ne la laissait pas en paix, angoissée qu'elle était après les événements passés.
Sa respiration se fit plus saccadée et elle se borna à la contrôler pour ne pas avoir mal lorsqu'elle reconnut enfin Brun, à la lueur de sa chandelle. Son soulagement fut instantané. Il semblait fatigué, épuisé même. Malgré la faible luminosité, elle pouvait remarquer ses traits tirés.
Il déposa la chandelle sur la table de chevet et d'autres objets au pied du lit, retira ses bottes et s'allongea à côté d'elle.
Ce nouveau poids sur le lit fit bouger le matelas de plume et les oreillers qui lui calaient la nuque. Elle retint une grimace mais ne se plaignit pas.

De ses doigts, il caressa sa joue comme s'il jaugeait l'étendu des dégâts.
A sa question, ses yeux brillèrent légèrement, muent par l'émotion qu'il suscitait par sa présence et par ses mots. Elle aurait souhaité se lover dans ses bras, oublier toutes les horreurs traversées, mais présentement, la souffrance l'empêchait d'effectuer des mouvements de cette ampleur.

- Je suis en vie, chuchota-t-elle d'une voix trop éraillée pour être réellement audible. Et toi ?
Elle fit l'effort de tendre le bras jusqu'à lui, mêla ses doigts aux siens et les serra. Le contact la rassura, le contact lui fit du bien. Elle lui en voulait, un peu; mais voulait qu'il reste, beaucoup.

- Tu es increvable, rigola Brun, car il ne lui restait plus même l'énergie de penser - et la douceur de sa main sur sa joue, effleurant à peine ses blessures, venait contredire la crudité de ses mots.

Il oublia, ou omit, le reste de sa question. Il était en vie. Il était épuisé. Il n'avait pas envie d'expliquer. Il avait envie de la prendre dans ses bras, mais il n'osait pas, pas par pudeur ni par convenances cette fois, mais parce qu'il ne voulait pas lui faire mal.

- Ça ira mieux demain, murmura-t-il.
Plus un souhait qu'une certitude ; un acte de foi dans un avenir qu'ils avaient à peine entrevu et qui, peut-être, n'était pas perdu.

Demain viendrait vite : l'aube ne tarderait pas, et il s'endormait déjà à moitié.

Ne pouvant mêler son rire au sien par peur de la douleur qu'il déclencherait, elle se contenta de sourire discrètement. Increvable...
Ce n'était rien de le dire. Acuité jouissait d'une chance insolente, parfois elle se sentait bénie des Dieux. Lorsqu'elle y réfléchissait, elle se demandait encore comment elle avait pu survivre à tout cela : la guerre, la torture, l'infection, la crue d'Art, le froid, la faim et aujourd'hui, une strangulation.

Elle se souvint alors qu'il n'y avait pas si longtemps, elle avait songé d'une manière pourtant très lointaine, à mettre fin à ses jours. Une pensée fugace, aussi légère qu'un battement d'ailes d'oiseau qui n'avait duré qu'un instant et qui avait porté ses pas au bord des falaises.
Même là, le courage l'avait quitté ou la raison reprise. Cet épisode avait été délaissé de ses pensées, rangé dans un jardin secret où nul n'avait accès.
En réponse au murmure, à cet appel à la paix et à l'espoir, elle écarta un peu plus son bras, lui offrant l'accès à sa poitrine.

- Viens...

Sans pouvoir réellement bouger, elle ne pouvait se blottir contre lui. En revanche, lui le pouvait. Ce n'était peut-être pas très conventionnel, et peut-être n'y trouverait-il pas son compte, mais elle refusait qu'il reste si loin d'elle, pas après cette journée, pas après la peur éprouvée. Elle souhaitait se sentir vivante, sentir son coeur battant dans l'écho du sien, sa respiration qui déjà s'apaisait.

Sans plus hésiter, Brun se blottit contre la maigre poitrine d'Acuité comme sur le plus confortable oreiller du monde. Il s'endormit aussitôt.

Au lever du jour... a écrit:

1/2 Acuité est réveillée avant Brun.
3/4 Acuité dort dans les bras de Brun.
5/6 Brun dort dans les bras d'Acuité.

Le jour s'était déjà levé depuis plusieurs heures lorsque Brume pénétra dans la pièce. Brun et Acuité dormaient dans la même position, comme s'ils n'avaient pas bougé.

Réveillé par le bruit de la porte qui grinçait, Brun ouvrit deux yeux brumeux et regarda la servante s'avancer vers eux, chargée d'un copieux petit-déjeuner. Alors que la brune atteignait la tête de lit, il fut saisit d'une peur panique. Ils étaient dans le même lit ! Bien qu'il soit trop tard pour se cacher, il se retourna sur le ventre et fit mine de se rendormir, le visage enfoncé dans les draps.

La servante prit tout son temps pour saluer Acuité et lui faire ses recommandations sur les différents aliments que la petite Duchesse pourrait aisément ingurgiter (thé bienfaisant, fruits écrasés...). A aucun moment elle ne releva la présence évidente d'un homme à ses côtés.

Au bout d'un temps qui lui parut interminable, Brun entendit la porte se refermer et s'autorisa à s'extraire des draps, levant vers Acuité un regard tourmenté.

Le membre 'Brun Braveterre' a effectué l'action suivante : Le hasard en action

---

'Hasard 6' : 5

Contre son corps, le poids de Brun se déplaça. Acuité ouvrit les yeux dérangée par la perte de chaleur qu'apportait ce mouvement. Elle aperçut Brume qui déposait un plateau, osa un regard vers Brun qui se cachait dans les draps. Elle réprimât le sourire qu'il lui inspirait. Faisant comme si de rien n'était, Brume lui donna les diverses recommandations concernant la prise de ce petit-déjeuner. Elle ne la gourmanda même pas de ne pas avoir achevé le thé et un posa un nouveau fumant à la place. Son regard était sévère et semblait dire " buvez le celui-la !".
Acuité lui sourit, reconnaissante épargnant sa gorge en économisant sa voix. Elle hochait la tête ou la secouait en fonction des réponses qu'elle devait donner. Ses courbatures semblaient être pire que la veille, tout son corps semblait lui rappeler qu'elle n'était pas passé loin de la mort. Comme elle se redressait avec difficulté, aidée par sa domestique qui ajusta ses oreillers, son estomac meurtri par le poing de son agresseur se rappela à elle, faisant remonter une bile acide dans sa gorge qui piquait.

Brume finit par quitter la pièce et Acuité croisa le regard tourmenté de Brun. Cette fois-ci, elle ne put retenir l'éclat de rire qu'il lui provoqua. Un coassement eut été plus juste à dire vrai. Sa gorge sembla se déchirer et tira quelques larmes à la jeune femme tandis qu'elle portait sa main à sa bouche.
Laissant la douleur passer les yeux clos, elle se reprit aussi vite qu'elle le put et chuchota :

- Brume est dans la confidence, rassure-toi et mange.

Utiliser les murmures lui semblait moins douloureux même si par ce biais sa voix lui faisait défaut.
Elle aurait pu lui dire qu'elle comptait prendre Brume à son service dès qu'ils seraient mariés. La jeune femme lui était fidèle et surtout loyale. Elle serait un bien précieux pour leur avenir.

- C'est...comment ? demanda-t-elle alors, curieuse mais aussi effrayée de savoir à quoi elle ressemblait.
D'un geste lent, elle pointa son visage d'un doigt peu assuré.

Brun fut soulagé, bien qu'un peu perturbé. Acuité avait-elle tout confié à sa servante ? Lui n'avait rien dit à quiconque, pas même à Vainqueur ; et la petite Duchesse s'était livrée à sa domestique ? Devait-il craindre d'autres confidents ?
Brun ne fit pas de reproches. La jeune femme avait l'air de souffrir.
- Laisse-moi voir, dit-il en s'asseyant sur le lit, levant d'un doigt son menton pour observer son cou à la lumière du soleil matinal.
Les marques faisaient un dégradé de bleu et de violacé. Bientôt elles bruniraient. Les coups sur son visage étaient laids, mais superficiels.

- C'est... coloré, répondit-il, choisissant ses mots avec plus de soin que la veille.
Il rit un peu, mais le cœur n'y était pas. Comme si ces coups étaient les siens, il se sentait responsable de l'état d'Acuité. Elle était sa femme et il n'était pas sensé laisser ça arriver.
- Un foulard pourra masquer les marques. Brume...? devrait te trouver ça.
Quant à son visage... D'un air désolé, il effleura ses ecchymoses et posa un baiser léger sur ses lèvres. Une manière de lui demander pardon, pour l'avoir laissée en arrière et pour tout ce qu'elle pouvait bien lui reprocher, avant ça. Brun avait pleinement conscience qu'il avait failli la perdre. Il ignorait toujours ce qui, qui l'avait sauvée. Ça n'était pas lui.

Cela faisait partie des nombreuses questions qu'il avait à lui poser. Mais il pouvait bien laisser à Acuité le répit du petit-déjeuner. Parler lui était douloureux, bouger sans doute aussi. Brun saisit le plateau garni et l'installa sur ses genoux. Elle n'avait plus qu'à tendre la main.

Brun se redressa jusqu'à s’asseoir totalement. D'un doigt, il l'incita à lever son menton et malgré la douleur des courbatures de tous ses muscles, elle obtempéra pour qu'il puisse voir. Il ne mentirait pas, en cela elle pouvait avoir confiance en lui. Dès qu'il s'agissait d'une vérité toute crue, il n'avait pas son pareil.
Coloré...Elle ne pouvait qu'aisément l'imaginer. Pour autant, elle ne souhaitait pas se munir d'un miroir pour s'en rendre compte par elle même. Elle s'était déjà vue, détruite, éteinte, désespérée, elle ne voulait pas en ajouter à la liste d'autant plus qu'elle avait perdue la face quant à la situation. L'inconscience, la douleur, elle aurait pu mourir.

Son regard se posa sur Brun dont la bouche riait au détriment de ses yeux. Elle en était persuadée, il s'en voulait. Pourtant il n'avait rien à se reprocher.
Le foulard était une bonne idée et elle lui sourit en échange. Brume pourrait certainement l'aider, même Satine qui à l'auberge possédait tous ces effets. Satine et Juste...par Eda elle les avait oublié. Avaient-ils été prévenus ? Avait-on prévenu ses parents ?
Ses pensées s'envolèrent alors qu'il effleurait son visage et qu'il déposa un baiser doux et léger sur ses lèvres. Elle cligna des yeux deux fois, surprise, ne s'attendant vraiment pas à un tel acte de tendresse de sa part. Cela ne lui ressemblait pas.

Pourtant, dans le même élan, il attrapa le plateau et le posa sur ses genoux comme pour réduire la distance entre les mains de la Duchesse et le thé.

- Merci tu es gentil, murmura-t-elle émue d’être la cible d'autant d'attention.

Ignorant sa gorge qui l'irritait autant que du papier de verre, elle saisit la tasse de thé et souffla doucement sur la fumée qui s'en dégageait. Elle aspira le liquide, déglutit en grimaçant. Le goût était infecte, la brûlure déroutante.
Elle le regarda tandis qu'il mangeait, observa ses traits fatigués, se demanda comment s'était passé la session d'Art. Il avait pris des risques inconsidérés.

-As-tu entendu mon appel à l'aide ? Par l'Art je veux dire, finit-elle par demander.

Pensif, Brun regarda Acuité souffler sur son thé. Elle n'allait sans doute pas apprécier qu'il la surveille ainsi pendant qu'elle mangeait. Il céda à l'appel de la faim et fourra une brioche dans sa bouche. Cela lui rappela le petit-déjeuner qu'ils avaient partagé, quelques jours plus tôt. Étaient-ils alors plus insouciants ? Non, ils attendaient avec angoisse le verdict du Roi. Aujourd'hui leur avenir était assuré, mais qu'en serait-il de celui du pays ?

Acuité ne l'interrogea pas sur Shyrin. Surpris, Brun s'en accommoda. Brume avait peut-être déjà renseigné sa maîtresse ? Comment aurait-elle su ? Le château bruissait-il déjà ? Lui, ne pouvait pas se prononcer sur l'état actuel de la Reine. Il espérait que Shyrin avait passé la nuit.

- Oui, répondit-il en avalant sa deuxième brioche.
Il avait si faim qu'il devait se rappeler d'en laisser pour Acuité.
- Comme l'autre fois que tu avais été attaquée dans les bois.
Brun devait bien le reconnaître : il avait l'Art, du moins sous une forme passive. Cela ne lui plaisait pas, mais par deux fois, cela lui avait permis de porter secours à Acuité ; peut-être trois fois, car il restait persuadé que la Duchesse blessée n'aurait pas pu donner toute l'énergie que le Roi avait puisée en lui. Il espérait que Vainqueur en resterait là.

- Ainsi tu as sauvé la Reine.
Par l'alerte et par le poignard, qui avait dû ralentir, à défaut d'arrêter, la Chalcédienne.
- J'ai ramené tes armes, dit-il à titre informatif, avec un mouvement de tête du côté où elles reposaient sur le plancher.
Il attrapa le pot de miel et y plongea sa cuillère.

L'entendre enfin dire qu'il entendait la magie la rassura et lui fit plaisir. Depuis le temps qu'elle le lui disait et qu'il persistait à la contredire, enfin, il assumait son don. Peut-être plus faible, bien moins développé c'était une évidence mais pourtant bien présent. Le souvenir de l'attaque des brigands forma une boule dans son estomac. Sa mémoire lui ramena l'odeur du sang, de la sueur et de la peur qui s'était échappé de chacun de ses pores. Là-bas pour sauver sa vie, elle en avait pris une autre. Là-bas, elle avait tué pour la première fois dans un combat paniqué, décousu, sale. Il n'y avait nulle propreté dans la mort, le sang souillait tout ce qu'il touchait.

Un frisson désagréable lui picota la nuque et elle manqua de lâcher tout à fait sa tasse lorsqu'il lui indiqua qu'elle avait sauvé la Reine.
Elle reposa sa tasse sur le plateau toujours posé sur ses genoux à lui, légèrement perturbée. Elle n'avait rien sauvé du tout, son coup de poignard n'avait pas pour autant stoppé la Chalcédienne. Le regard et le sourire de cette dernière lui revint en mémoire. Pas un cri ne s'était échappé de ses lèvres, comme si la douleur n'avait pas d'importance, comme si la peur lui était inconnue.
Lorsqu'il parla de ses armes, elle fronça les sourcils. Elle n'en avait usé que d'une.
Devant son incompréhension, il reposa le plateau sur la table et se pencha pour récupérer les préposées.

Acuité reconnu son couteau de chasse et puis, elle vit l'arc. Son arc. Son bien le plus précieux avant tout cela.
Étrangement, elle eut un mouvement de recul qui la fit grimacer de douleur. Partagée entre la joie de retrouver le présent qu'il lui avait fait et l'horreur de l'usage que l'autre en avait certainement fait. Combien des siens avait-elle tué avec ? Combien de soldats des Duchés ou de simples innocents sur la route qui l'avait séparée de son pays à ici ?

- Je suis désolée, finit-elle par bredouiller toujours de sa voix eraillée. Je ne peux pas le récupérer.
Subitement, elle n'avait plus faim. La gorge nouée autant que son estomac, la nausée l'envahit et elle devint aussi pâle que la Lune. Le goût acide de la bile remonta dans sa gorge. Sur la garde de son couteau, une trace de sang demeurait.

Frissonnante, une larme roula sur sa joue tandis qu'elle observait ses mains qui tremblaient.
- Luve Fanel ne pouvait pas me toucher, je le lui avais ordonné par l'Art. Je pensais à cet avantage, mais à la place, elle m'a envoyé deux hommes des Duchés.

Brun réalisa qu'il avait sans doute été indélicat de mettre sur la table du petit-déjeuner des souvenirs sanglants et des armes qui, s'il les avait nettoyées, demeureraient à jamais entachées. Il déglutit sa brioche et les fit disparaitre de la vue de la petite Duchesse, soudain livide.

- Ça n'a aucune importance, dit-il.
Et il était aussi sincère que lorsqu'il avait minimisé jadis, face à Acuité, la valeur de l'arc. D'aussi bonne facture qu'il fut, l'arc n'était qu'un objet. Il n'avait pour Brun aucune valeur sentimentale. L'arme en avait eu pour Acuité, mais désormais elle avait son arc des Montagnes, et si elle le souhaitait, il lui en offrirait un autre - Brun le pouvait désormais, sans que l'on vienne le confronter sur ce qu'un tel cadeau pouvait signifier. Il voulait juste lui faire plaisir, et sur son visage pâle, voir revenir son sourire.

- Luve Fanel est morte et Shyrin est vivante, murmura-t-il en effaçant ses larmes d'une caresse, comme il l'avait fait sur la plage. Nous avons gagné cette manche.
Pensée simpliste mais bien suffisante pour l'instant. Brun refoula sa curiosité sur le sauvetage d'Acuité et cet énième pouvoir de l'Art, pour se concentrer sur la jeune femme.

- Ne te soucie que de te remettre. Il faut que tu manges, ordonna-t-il, sans savoir que la même scène se déroulait - ou s'était déroulée - dans les appartements de la Reine.
Bien qu'il eut léché la cuillère, il prit une nouvelle cuillerée de miel et se pencha pour la délayer dans le thé d'Acuité. Brun serait plus intraitable que Brume, parce qu'il était là.

La véracité imposée dans ses propos la touchait. Il ne parlait pas juste pour la soulager, il lui disait simplement la vérité. Une vérité qu'elle n'aurait jamais imaginé. L'arme lui était totalement indifférente. Ainsi, à l'époque où il la lui avait offerte, elle s'était persuadée qu'il l'avait fait par égard pour des sentiments envers elle, mais cela lui confirma qu'il n'en était rien. Il avait simplement souhaité remplacer celle qu'elle avait brisé. Elle le regarda, livide, ne sachant que répondre. Le temps avait passé, ils avaient traversé tant de choses, cette époque où elle l'aimait telle son ombre dans les couloirs lui semblait si lointaine.
Elle avait mûrie, il avait vieilli et avait fini par abaisser ses défenses vis à vis d'elle. Aujourd'hui, leurs destins étaient liés.

Comme il essuyait ses larmes avec douceur, il se contenta de lui dire que pour l'instant, ils avaient gagné. Elle ne voulait plus de prochaine bataille, elle voulait vivre enfin en paix avec son fils et lui, son futur époux à ses côtés.
Cette pensée résonna étrangement en elle. Considérer Brun comme son époux était déstabilisant, lui qui depuis le début n'avait été que l'objet de son intérêt et de sa passion, un fantasme qu'elle désirait plus que tout, l'origine d'un amour qui continuait à la consumer.
Il l'encouragea à manger, à se remettre, mais en était-elle seulement capable ? Laisser ses plaies se panser était une chose, détourner l'attention de son esprit une autre.
Luve était morte, Bhaal enverrait-il quelqu'un d'autre ? Elle restait persuadée que la mort de sa soeur ne l'attristerait même pas.
Comme Brun lui tendait à nouveau son thé agrémenté de miel, elle le saisit et en bu une gorgée sans le quitter des yeux.

- Et tu comptes t'en assurer je suppose ?
Elle arbora un léger sourire en coin.
- Tu vas vraiment me regarder manger ?

C'était adorable et à la fois très embarrassant. Elle préféra baisser les yeux et se concentra sur le tourbillon de boisson. Sa nausée commença à passer, chaque nouvelle gorgée l'y aidait. Lorsque la tasse fut vide, elle la reposa sur le plateau et reporta son attention sur le Conseiller du Roi.

- Tu n'aurais jamais dû prendre le risque d'artiser avec le Clan.

Pas vraiment un reproche, pas vraiment une plainte. Elle ne faisait que soulever l'évidence. Il avait pris de trop gros risques et ce, sans même la consulter. Il avait pris sa place et si elle pensait en connaitre les raisons, elle refusait qu'il se mette en danger aussi facilement.
Comme pour conserver l'intimité qu'ils partageaient, elle ouvrit la bouche tel l'oiseau attendant sa béquée.

Le sourire d'Acuité revint, et elle finit son thé. Satisfait, Brun sourit lui aussi. Oui, il allait la regarder et oui, il allait veiller sur elle, voire la surveiller, à présent qu'il avait promis de ne plus la quitter et de l'épouser. Au même titre qu'Espoir, elle était désormais sa responsabilité. Bien sûr, il connaissait son fichu caractère : il savait que la petite Duchesse ne se laisserait pas materner aussi facilement. Pourtant, après un reproche énoncé platement, Acuité ouvrit la bouche pour qu'il la nourrisse comme un petit enfant. Brun en resta comme deux ronds de flan. Était-elle si mal en point ?

Perplexe, il déchira sa troisième brioche entre ses dents, et approcha la moitié duveteuse des lèvres d'Acuité. Il profita qu'elle avait la bouche pleine pour plaider sa cause.
- Je n'ai pas eu le choix.
Ainsi Brume, décidément bien renseignée, avait informée Acuité sur sa participation au sauvetage d'Art. A moins qu'Acuité l'eut senti ?

- Vainqueur est venu te chercher à l'infirmerie. Tu étais inconsciente mais il y avait urgence : la vie de la Reine était en danger.
Il omit de mentionner que le Roi avait menacé de réveiller lui-même Acuité, puisque Brun s'y refusait.
- J'en veux à Shyrin pour ce qu'elle a fait (pas fait eut été plus juste) mais... je n'allais quand même pas refuser d'aider Vainqueur à la sauver.
En vérité, plus que la volonté de sauver Shyrin, plus que la volonté d'aider Vainqueur, il y avait eu celle de protéger Acuité. Mais elle ne voudrait sans doute pas l'entendre.

- Il y a l'air assez attaché, ajouta Brun, songeur, comme s'il se parlait à lui-même.
Bien qu'elle ait fini la brioche, sa main était restée suspendue devant la bouche d'Acuité.

La surprise se lut sur les traits de l'homme, Acuité réprimât un sourire impatiente d'observer la suite de sa réaction. Il finit néanmoins par déchirer un morceau de brioche qu'il avança ensuite vers sa bouche à elle. Elle mordit dedans et fit l'effort de mâcher lentement, ignorant les cris de détresses de son corps.
Pendant ce temps, elle écoutait son récit.
Elle s'était attendu à ce qu'il lui dise ne pas avoir eu le choix, Vainqueur avait dû être très persuasif. En revanche, elle n'avait pas idée par quel élément son choix avait été décidé.
Il était facile d'imaginer la scène, elle inconsciente, Brun à ses côtés, Vainqueur déboulant et arguant qu'il avait besoin d'elle pour le clan. Brun s'était naturellement proposé à sa place, lui épargnant une fatigue qu'il avait dû jugé fatale.
Elle lui en voulait d'avoir accomplis le devoir qui lui incombait à elle. Elle en voulait à Vainqueur, de ne pas lui avoir laissé le choix et d'avoir profité de son affection pour lui en s'assurant qu'il ne refuserait pas. A peine retrouvé, il profitait de leur amitié.

Lui en voulait à Shyrin, toujours, pourtant il avait donné son temps, son énergie et le peu de magie pour la sauver. C'était un grand sacrifice et elle espérait que d'une manière ou d'une autre, Vainqueur l'en remercierait. Elle se demandait en revanche, comment le clan avait réagi en découvrant que le Maître d'Armes possédait l'Art. Son absence à elle avait-elle été remarquée ?
Attaché à Shyrin ? Ce n'était rien de le dire. Il suffisait de les observer un peu pour se rendre compte qu'une complicité unissait ces deux là. De l'amour peut-être, dans tous les cas, ils n'étaient pas indifférents l'un envers l'autre c'était certain.
Brun était-il jaloux ? Fâché de savoir le Roi tomber pour une femme ? A moins que ce ne soit le fait que Shyrin soit Chalcédienne ?
Elle préférait ne pas savoir, une partie d'elle préférait l'ignorance.

Comme il semblait rêvasser la main toujours suspendue devant elle, elle posa ses lèvres autours d'un de ses doigts et le mordit doucement.
Dès qu'il réagit, elle lui sourit avec effronterie.

- Encore, quémanda-t-elle.

L'instant d'après, son sourire s'effaçait pourtant.
- C'était mon devoir à moi, reprit-elle en fronçant les sourcils le regard soudain dans le vide. Le Clan va me penser lâche.

L'était-elle ? Était-ce la peur qui l'avait paralysée au point de se laisser battre si facilement par deux hommes ? Avait-elle choisi de se battre contre eux plutôt que contre Luve ? Avait-elle abandonné la Reine ? Pour l'instant, il restait quelques souvenirs flous et lorsque tout lui reviendrait en mémoire, elle craignait de découvrir la vérité.

Au contact des dents sur ses doigts, Brun sursauta. Le comportement d'Acuité était si surprenant qu'il aurait pu éclater de rire, sans ses paroles de repentir.
- Je me contrefous de ce que pense le Clan, dit-il, soudain furieux.
Car quoi ? Tout le Royaume chuchotait que la précieuse fille du Duc de Béarns avait été violée par les barbares, tout le Royaume chuchoterait bientôt que son bâtard ne lui était peut-être pas arrivé contre son gré ; et Acuité se souciait de ce que pensaient quelques magiciens coincés ?!

Brun n'avait pas les Artiseurs en haute estime, et encore moins de leur Maître. Ils avaient beau posséder cette magie époustouflante, ils avaient beau avoir joué dans la guerre un rôle déterminant, ils n'en restaient pas moins de petits nobles, ou gueux, occupés à gratter l'esprit d'autrui. Leur rôle avait été vil, Brun en était persuadé, même s'il découvrait que la magie pouvait aussi servir à faire le bien. Cette magie, Brun s'en méfiait et il aurait voulu, pour plus de tranquillité, que ni lui, ni sa femme, ni son fils n'en soient doués. Il n'avait jamais songé avant qu'Espoir puisse hériter de la magie Loinvoyant, mais c'était plus que probable ; Brun en fut si perturbé qu'il oublia presque les dents d'Acuité.

Reprenant ses esprits, il regarda le plateau du petit-déjeuner. Il avait mangé toutes les brioches, mais il restait du pain. Il sépara la croute d'une des tranches, dont le croustillant ne plairait sans doute pas à l’œsophage d'Acuité. Pressa la mie en une petite boule et la trempa dans le ramequin de confiture de groseilles. Appliqué, Brun donna la becquée à Acuité, mais elle n'arrivait pas à ouvrir la bouche assez grand, et la mie laissa sur ses lèvres des traces rosées. Cela rappela à Brun les lèvres meurtries de la Reine, et il grimaça.

A son éclat de voix, Acuité sursauta légèrement. Elle ne s'attendait pas à autant de fureur et ne comprenait pas sa colère. Elle ne s'en contrefoutait pas. Elle allait devoir vivre avec chacune de leur pensées, comment pouvait-il l'ignorer ?
Elle en oublia sa facétie précédente et le regarda, stupéfaite pour ne pas dire inquiète et effrayée. Sa bouche s'était refermée tandis que lui détournait son attention sur le plateau. Elle se redressa légèrement, reprit une certaine contenance pour que lorsqu'il se tourne à nouveau vers elle, il n'en déduise rien.

Intérieurement, elle ne savait pas quoi penser. Comment pouvait-il s'énerver pour si peu, alors que l'instant d'avant il était si attentionné ? Alors qu'il venait de faire une boulette de mie trempée dans la confiture, elle ouvrit à nouveau la bouche, docile espérant qu'il se soit apaisé.
En lui glissant la nourriture à travers ses lèvres, la confiture la marqua et machinalement il grimaça, tandis qu'elle y passa sa langue pour tout récupérer.

- Merci, murmura-t-elle déprimée, je ne voulais pas t'énerver.

Un soupir plus tard, elle ajouta :
- Rien ne t'oblige à rester.

Encore une fois, le jeu reprenait. Un jeu qu'elle détestait mais qui toujours trouvait sa place entre eux. Entre amour et indifférence, colère ou consolation elle ne savait jamais sur quel pied danser. Lui-même oscillait constamment entre toutes ses émotions, bonnes ou mauvaises. Serait-ce toujours le cas, même lorsqu'ils seraient mariés ? Avaient-ils réellement pris la bonne solution ? L'aimait-il suffisamment pour changer les règles de ce jeu ?

Énervé ? Il n'était pas énervé ! s'énerva Brun. Acuité n'avait pas à s'excuser avec cet air martyr. Ne prenait-il pas soin d'elle ? Visiblement pas assez, vu la manière dont elle le congédiait. Il n'était qu'une Brume en moins efficace.

Brun s'assit sur le bord du lit et chaussa ses bottes. Il se releva, passa l'arc blanc en travers de sa poitrine, ramassa le poignard et le posa sur la table de nuit. Avec dignité, il épousseta les miettes de brioche sur sa tunique froissée par la nuit, et déclara sans tout à fait regarder Acuité :
- Tu as fait ce qu'il fallait et moi aussi. Alors cesse de te torturer pour rien. D'autres s'en chargent très bien à ta place.
Il regretta la dureté de ses paroles, mais c'était vrai. Le sort s'acharnait sur la petite Duchesse, et à chaque fois elle résistait, à chaque fois elle s'en sortait la tête haute. Alors pourquoi s'accabler ? Les souffrances que les autres lui infligeaient ne lui suffisaient-elles pas ?

- Et mange tes tartines, finit-il comme à un petit enfant, car c'est ce qu'elle avait prétendu être avant de redevenir la froide Duchesse, car c'était ce qu'elle lui semblait être dans ce lit, petite, faible et meurtrie.

- Je vais prendre des nouvelles de la Reine, s'excusa-t-il aux yeux d'Acuité et aux siens. Je reviendrai bientôt.
Sa voix s'était adoucie, car il n'arrivait plus à être si dur avec elle, surtout dans son état. Avant de passer la porte, il se retourna une fois.

Elle remarqua l'air contrit lorsqu'il s'installa sur le bord du lit. Replaçant ses bottes à ses pieds, il se releva ensuite, récupéra l'arc et plaça le couteau de chasse sur son chevet. Elle détourna les yeux, ne souhaitant pas se retrouver confronter à cette vision immédiate.
Les mots qu'il prononça furent durs, trop durs à entendre dans un moment pareil. Elle souffrait, était fatiguée et la peur courrait encore dans ses veines, comme si l'événement n'était pas encore tout à fait fini. Dans sa tête, lorsqu'elle fermait les yeux, elle revivait pleinement les scènes de la veille.
Serrant aussi fort que possible les draps pour résister aux pleurs qui menaçaient de la submerger, elle aurait pu crier et lui demander de ficher le camp là tout de suite, plutôt que d'en entendre plus.
Elle n'en avait pas la force, ni même l'envie.

Qu'il la laisse, ce serait déjà un moindre mal et comme si l'engueuler ne suffisait pas, il la traita comme une enfant. Elle regretta aussitôt d'avoir voulu jouer le jeu de la petite malade attendant sa béquée, même de cela, il arrivait à la faire regretter.
Comme il indiquait se rendre dans les appartements de Shyrin, sa voix s'était radoucit, un peu plus encore lorsqu'il précisa qu'il reviendrait. Là encore, elle fut tenté de lui jeter sa tasse vide et lui dire qu'elle s'en fichait. Qu'il fasse ce que bon lui semblait, il n'avait de toute les manières jamais agi autrement.
Elle attendit qu'il parte, lui rendit son regard alors qu'il se retournait une dernière fois et dès que la porte fut tirée, elle se mit à pleurer.