Ses idées étaient si confuses à cet instant qu'il ne lui vint pas à l'idée que Vainqueur pouvait lui cacher quelque chose d'aussi grave qu'une utilisation de l'Art pour la guérir. Levant les yeux sur son visage, elle vit son sourire et y lut un embarras qu'elle ne s'attendait pas à voir et ne comprit pas davantage.

- Ne me laissez pas ! S'affola-t-elle alors qu'il se levait pour la quitter lui aussi.

Les larmes s'étaient taries après qu'il ait caressé ses joues pour les balayer. Elle surprit l'échange de regards entre le Roi et Shane et baissa les yeux, gênée sans savoir pourquoi. Quelque chose avait changé mais elle ne mettait pas le doigt dessus. Comme si elle n'était plus elle-même, ou comme si Vainqueur n'était plus Vainqueur ni Shane elle-même. Une légère grimace tira les traits de son visage et elle y porta machinalement la main, se souvenant brusquement de la lame qui avait meurtri ses lèvres. Était-elle défigurée ? Et Acuité ? Par Sâ ! Elle ne savait toujours pas ce qu'il était advenu d'elle. Relevant des yeux agrandis par la frayeur sur Vainqueur, elle l'interrogea alors.

- Où est Acuité ?

Bien qu'il ne l'ait pas réellement rabrouée sèchement, Shyrin se sentit aussitôt honteuse en voyant le regard qu'il posait sur elle et en entendant son explication. Elle baissa les yeux et joignit ses mains sur ses genoux en s'efforçant de contrôler les larmes qui menaçaient à nouveau de déborder de ses yeux. Elle devait vraiment être épuisée nerveusement pour se transformer en fontaine simplement parce que son mari ne la regardait pas comme elle voulait.

Pourtant, elle se souvenait bien de sa tendresse la nuit précédente, des mots si gentils qu'il avait dits, de ses excuses. Elle avait eu la sensation de franchir un cap avec lui, d'atteindre un nouveau niveau d'intimité ou quelque chose comme ça. Mais elle avait fait erreur, de toute évidence et la déception était rude alors même qu'elle n'était pas en état de contrôler ses émotions. De toute façon, quelque chose clochait, même si elle ne savait toujours pas de quoi il s'agissait.

Vainqueur revint s'assoir près d'elle mais elle ne put relever les yeux. Tordant ses mains sur ses genoux, elle les observait, suivant les mouvements de ses doigts fins et pâles comme si elle les voyait pour la première fois. Distraite par la question du Roi, elle lui jeta un coup d'oeil puis baissa rapidement les yeux en se mordant la lèvre. Elle n'était pas certaine de bien se rappeler de ce qui s'était passé mais était prête à tout pour que Vainqueur ne soit plus fâché contre elle et se montre à nouveau patient et doux comme il l'avait été la veille au soir.

- C'était... Luve Fanel... La soeur de Bhaal Fanel...

Ravalant ses lames à nouveau, elle ne put lever les yeux toutefois, évitant toujours le regard de son mari.

- Ils ont profité de la foule et de la confusion et elle m'a fait tomber de cheval...

Puis elle s'était assise sur elle et lui avait dit "vive la Reine". Elle en frémissait encore de terreur et de dégoût. De souffrance aussi. La douleur s'était réveillée dans ses épaules à l'évocation de ces souvenirs et elle effleura ses lèvres du bout des doigts. Était-elle horriblement défigurée ? Était-ce pour cela que Vainqueur se montrait si distant alors même qu'elle avait tant besoin d'être consolée et rassurée ?

La main de Vainqueur sur les siennes l'apaisa et lui fit du bien, renouant un peu le fil distendu de leurs relations après ces événements dramatiques. Elle n'eut pas le temps de s'y attarder cependant que les guérisseurs entraient et prenaient tout en main. Bien qu'ils soient délicats avec elle, elle se sentit manipulée et observée comme un animal curieux ou un objet exotique. Ils repartirent bientôt avec des murmures extatiques qu'elle ne comprit pas bien. La seule chose qu'elle saisit était qu'elle guérissait incroyablement vite et se remettrait très probablement après le repos adéquat.

Les choses allaient trop vite et lui paraissaient incompréhensibles, troubles, hors de sa portée. Shane arriva avec un plateau, l'incitant à manger, mais ce n'est qu'avec Vainqueur qu'elle consentit à avaler une bouchée du pain qu'il lui présentait. Levant sur lui un regard incertain, elle vit qu'il croyait fermement à ce qu'il disait, que les Fanel ne la menaceraient plus, et elle en eut de la peine. Il fallait être naïf pour croire que l'affaire s'arrêterait là. Même si elle n'avait fait que défendre sa vie, elle avait tué Luve et Bhaal ne le lui pardonnerait jamais. La conscience de son geste lui vint d'un coup et ses mains se mirent à trembler. Traîtresse et meurtrière, méritait-elle encore de s'en remettre à Sâ ou de se dire Chalcédienne ? Son propre père la renierait sans doute après cela.

Tournant la tête pour refuser le reste de la nourriture, elle glissa ses mains sous le drap pour les dissimuler et les serrer l'une contre l'autre. Elle se sentait écorchée, meurtrie plus profondément que ce qu'avaient fait les lames de Luve sur elle. Lointaine, elle resta dans ses pensées un moment avant de revenir à Vainqueur. Elle n'arrivait plus à lui sourire. Le dévisageant avec attention, elle vit ses traits fatigués, les cheveux blancs qui mêlaient leurs ondulations aux noirs, et son regard brillant de l'épuisement qu'il devait ressentir. Son cœur se serra et elle sortit une main pour frôler du bout des doigts les petites rides qui étoilaient le coin de ses yeux quand il souriait.

- Vous paraissez fatigué, murmura-t-elle.

Il lui semblait si familier et si différent, elle ne saisissait toujours pas pourquoi il n'était pas le même que d'ordinaire. Même si elle avait été profondément choquée, elle n'aurait pas du trouver si étrange le visage de son propre mari. Soudain le jour se fit dans son esprit embrumé. Il n'était pas différent, c'était elle. Il n'avait pas changé mais simplement, elle ne l'avait jamais vu comme elle le voyait à présent. Les yeux agrandis par la stupeur, elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Que pouvait-elle dire ? Comment avouer à Vainqueur qu'elle lui avait menti depuis le début ? Et pourtant, c'était fascinant. Comment un tel miracle avait-il pu se produire ?

Sortie de sa contemplation fascinée des traits de Vainqueur si précis à présent par un rire las, Shyrin parvint à reprendre une expression plus naturelle et à sourire légèrement même. Elle comprenait quelles responsabilités lui incombaient, certes, mais elle voyait aussi combien il était physiquement épuisé. Quoi qu'il ait fait, il ne pourrait pas tenir beaucoup plus longtemps sans repos. Et c'était sa responsabilité à elle, en tant que son épouse et sa Reine, de s'assurer qu'il soit apte à ses fonctions. Mêlant ses doigts aux siens, elle tira doucement pour qu'il approche. Du moins, elle en fit le geste, lui laissant l'initiative puisqu'elle ne pouvait guère se servir davantage de ses bras.

- Venez, dit-elle doucement. Il est encore très tôt.

Sans lui laisser le choix de répondre ou protester, elle se décala maladroitement dans le lit pour lui laisser la place de s'allonger près d'elle et de poser sa tête sur elle.

- Vous avez besoin de repos pour commencer sinon vous ne serez bon à rien, décréta-t-elle. Shane s'assurera qu'on vous éveille dans deux heures.

Toujours sous le coup du choc d'avoir compris qu'elle y voyait à présent clairement, Shyrin n'envisageait pas une seule seconde de dormir. Elle laissa Vainqueur s'installer comme il le souhaitait et se tourna comme elle put pour l'observer. Fascinée, elle ne parvenait pas à détacher son regard de ses traits. Il était beau, comme elle l'avait soupçonné. Du moins à ses yeux à elle. Beau comme un homme viril et déterminé, comme un guerrier, pas comme ces hommes trop efféminés qu'on disait peupler les Duchés aux soirées chalcédiennes.

Les yeux grands ouverts, elle laissait courir ses doigts avec légèreté sur son visage, découvrant avec émerveillement et pour la première fois l'homme qu'elle avait épousé sans jamais l'avoir véritablement vu. La fatigue finit par avoir raison d'elle toutefois et elle se laissa glisser dans le sommeil, sa main restée sur la joue râpeuse de Vainqueur.

Tressaillant au bruit de la porte, Shyrin ouvrit aussitôt les yeux. Était-ce déjà le moment de réveiller Vainqueur ? De le renvoyer à ses obligations ? Elle espérait que non. Ils n'avaient que si peu de temps ensemble. Elle reconnut soudain la silhouette du maître d'armes. L'ancien maître d'armes, se corrigea-t-elle mentalement, et à présent Conseiller du Roi. Grimaçant légèrement à cause de la douleur, elle s'efforça de se redresser alors que le rouge envahissait son front et ses joues.

Elle était aussi gênée que s'il les avait surpris nus dans le lit conjugal. Or, non seulement ils étaient habillés mais ils dormaient sagement l'un à côté de l'autre, tentant de se remettre après tous ces événements. Il était donc dit que jamais elle ne parviendrait à être à l'aise en face de cet homme. Elle aurait du montrer plus de dignité, prendre du recul et être indifférente, mais Brun Braveterre était le meilleur ami de son mari et le futur époux de sa plus proche amie, si tant était qu'Acuité ne lui ait pas définitivement retiré son amitié. Bref, en tout cas, elle était mortifiée qu'il la trouve ainsi.

- Merci, murmura-t-elle maladroitement alors qu'il l'assurait être satisfait de la voir se remettre.

Elle ne put s'empêcher de détailler ses traits et d'en être frappée. Tant de nuances lui avaient échappé jusqu'à présent mais aujourd'hui, elle voyait un homme torturé et au visage marqué. Il avait l'allure d'un pirate ou d'un guerrier sans foi ni loi. Comment diable Acuité avait-elle pu tomber amoureuse de cet homme si rude au point de lui offrir sa première nuit sans promesse de lendemain ? Elle ne comprenait décidément rien à l'amour. Et ça resterait toujours un mystère pour elle puisqu'elle n'était pas destinée à connaître ces émois.

Elle baissa les yeux, pour masquer sa jalousie ou sa stupeur devant ses propos vengeurs. Après avoir donné sa vie pour la paix, elle n'était évidemment pas très enthousiaste à l'idée de déclencher une autre guerre. Et si elle avait accordé pardon et miséricorde à Luve, ce n'était certainement pas pour voir abonder les idées revanchardes dans la tête de son époux. Le sujet passa heureusement à autre chose et elle put relever la tête pour sourire avec plus de naturel.

- Remerciez Acuité de ma part, s'il vous plaît. J'espère qu'elle se remet également de ses blessures.

Doux euphémisme pour exprimer l'angoisse qui avait été la sienne jusqu'à ce qu'on l'ait un peu rassurée sur le sort de son amie. Elle savait qu'elle avait oeuvré pour elle, blessé Luve, tenté de la protéger par tous les moyens, et elle lui en était infiniment reconnaissante. Mais les effusions viendraient plus tard. L'heure était à la mesure et à la dignité devant l'homme qui la haïssait le plus au monde après Bhaal Fanel et les guerriers de Chalcèdes.

- Je sais ce qu'elle a fait pour moi et je souffre qu'elle en ait été blessée par ma faute, ajouta-t-elle plus doucement.

Elle n'osait pas regarder du côté de Vainqueur. Clouée au lit, elle ne lui était d'aucune utilité hormis pour prendre quelques instants de repos avant un nouveau dérangement. Il allait la quitter encore et elle resterait à attendre que son corps veuille bien guérir. La demande inattendue et incongrue de Maître Braveterre la sortit de ses pensées et elle acquiesça avec un sourire gracieux bien qu'un peu surpris.

- Bien sûr. Shane vous ouvrira ma garde-robe.

Elle se demandait bien pourquoi il avait besoin d'une étoffe mais n'osa pas le lui demander. De toute façon, il n'avait pas besoin de se justifier devant elle. Elle tourna les yeux vers le coin où elle espérait trouver sa soeur pour lui faire signe mais le trouva vide. Sans doute ne tarderait-elle pas à revenir. Si Vainqueur voulait bien se donner la peine d'intervenir à présent, elle était de plus en plus embarrassée devant son ami. Tout aimable qu'il soit, elle pouvait sentir sur elle son mépris et sa rancoeur. Ses yeux lui disaient en quel peu d'estime il la tenait, ce qu'elle n'avait jamais pu voir jusqu'à présent, n'ayant fait que le ressentir dans ses attitudes et le ton de sa voix. Elle s'en sentait humiliée et infiniment embarrassée, ne sachant comment se montrer plus avenante qu'elle ne l'était déjà.

Shyrin offrit un sourire hésitant mais qui se voulait indulgent à Vainqueur qui se levait. Acuité avait peut-être fait son devoir aux yeux du Roi qu'il était, mais aux siens, elle s'était comportée en héroïne en tentant de la défendre. Silencieuse, elle sourit encore alors qu'il lui faisait ses adieux et l'assurait de son prochain retour auprès d'elle. Elle savait qu'il avait bien d'autres obligations et q'elle ne devait pas le retenir malgré son désir de le voir rester auprès d'elle. Elle avait tellement envie d'avoir le temps de découvrir encore et encore chacun de ses traits.

Inclinant la tête pour rendre son salut au Conseiller du Roi qui le suivait de près, elle les suivit des yeux jusqu'à ce que la porte se soit refermée sur eux. Un silence s'éternisa quelques instants après, puis elle tourna la tête de l'autre côté et chercha Shane des yeux. Comme appelée par le silence laissé par les deux hommes, Shane apparut presque aussitôt. Ne sachant trop comment aborder le sujet qui la rendait fébrile, Shyrin tapota le lit à côté d'elle d'elle en douceur pour inviter sa soeur à la rejoindre.

- Oh Shane ! Murmura la Reine en tendant la main comme elle pouvait pour que sa soeur s'en saisisse. Tu étais avec moi à chaque instant.

Les mots lui étaient venus naturellement et simplement, sans qu'elle y réfléchisse vraiment. C'était ainsi qu'elle le ressentait. Shane avait été auprès d'elle, dans son coeur, dans son esprit, à chaque instant de cette journée et de la nuit qui avait suivi. Elle la contemplait à présent, curieuse de découvrir enfin les traits de son visage alors que depuis toujours elle n'était qu'une silhouette chaleureuse à l'aura affectueuse.

- Tu es jolie, chuchota-t-elle, émue, un peu étonnée, et surtout heureuse de le découvrir.

À travers le voile de ses larmes, Shyrin ne put retenir un éclat de rire aussi joyeux qu'incrédule.

- Oui, souffla-t-elle dans la même langue, celle des secrets partagés et de la complicité avec sa soeur. C'est un miracle.

L'émotion était violente mais la bonheur tout autant. Depuis des heures, elle avait compris mais ne pouvait rien dire, rien révéler à son propre mari. Il n'y avait que Shane qui puisse entendre ces mots et comprendre sa joie à découvrir enfin le monde de ses propres yeux. Certes, il faudrait le dire à Vainqueur, et vite, mais elle rechignait à admettre qu'une fois encore elle avait menti depuis qu'elle le connaissait. À présent que Brun Braveterre était revenu la haïr de près, il ne se priverait pas de murmurer à l'oreille de Vainqueur quelle traîtresse elle était. À cette idée, elle perdit un peu de son sourire et serra plus fort la main de Shane.

- Ils m'en voudront tous d'avoir menti, murmura-t-elle, espérant contre toute logique que sa soeur aurait une solution miraculeuse à lui proposer.

Elle en venait presque à souhaiter retrouver sa vue trouble plutôt que de devoir affronter tous ces regards réprobateurs ou de colère.

Accueillant sa soeur contre elle, Shyrin referma précautionneusement ses bras autour d'elle tout en répondant pensivement.

- Je le dirai à Vainqueur, je crois. Si je trouve comment faire... Il a le droit de savoir.

Et elle voulait des bases saines pour ce mariage. il y avait trop longtemps qu'elle mentait en s'en sentait coupable. une part d'elle pourtant lui en voulait à lui de n'avoir jamais remarqué tous les efforts qu'elle faisait pour ne pas se trahir, de n'avoir jamais voulu voir la vérité alors qu'Acuité n'avait mis que quelques heures à la deviner. Au fond, la regardait-il vraiment ?

Chassant ces pensées moroses et peu charitables, elle se concentra sur le bonheur de sa vue retrouvée. ou trouvée plutôt. Elle avait déjà découvert tant de choses en à peine quelques heures et il lui en restait mille fois plus à voir de ses propres yeux. c'était étourdissant.

- Oui, admit-elle sans détour devant la question de Shane.

Oui le Roi était beau et lui plaisait. il avait l'allure des guerriers de chez eux, avait-elle trouvé depuis leur première rencontre, et ses traits lui plaisaient aussi. Même s'il était encore un peu étrange de s'habituer à voir tant de détails sur les gens. Le sujet dévia et elle s'empourpra tout à fait, gardant volontairement la jeune fille contre elle pour ne pas avoir à subir ses regards en plus du feu de ses questions.

- C'était... C'était étrange. D'abord assez doux, il m'a beaucoup embrassée. Ensuite douloureux quand il est venu... Et ensuite moins désagréable.

Bon évidemment la description n'aiderait pas beaucoup Shane mais elle n'avait pas beaucoup plus à lui livrer pour le moment étant donné qu'elle n'avait partagé la couche du Roi qu'une seule fois. Du moins pour y faire autre chose que dormir. Un léger sourire lui revint alors qu'elle se rappelait les paroles de son mari avant quelle s'endorme dans ses bras.

- Il est plutôt gentil, conclut-elle, toujours dans leur langue comme si on risquait de les surprendre.

Les yeux dans le vague, Shyrin se mordilla la lèvre, embarrassée d'admettre qu'elle n'en savait guère beaucoup plus sur le sujet.

- Ce n'est arrivé qu'une fois. Le premier soir.

Et si c'était tout ce qu'il y avait à en savoir et en ressentir, alors elle ne voyait pas bien pourquoi c'était le sujet de tant de discussions et d'embarras. Ça n'avait pas été trop déplaisant, certes, du moins une fois la douleur initiale passée, mais franchement ce n'était pas non plus très confortable ni spécialement agréable.

- J'imagine qu'il doit y avoir autre chose, murmura-t-elle, pensive.

Ramenée au présent par le geste de Shane, elle baissa les yeux sur son ventre et sourit avec douceur, toujours un peu incertaine à l'idée d'être mère.

- Il faudrait un garçon pour faire un roi fort, un guerrier. Mais... Une fille héritera aussi.

En fait, elle craignait que ses enfants ne restent pas les siens très longtemps. Pris en charge par d'autre puisqu'elle n'était pas sensée avoir le temps de s'en occuper, elle serait sans doute plus une reine qu'une mère pour eux et le regrettait. Au moins auraient-ils Shane pour veiller sur eux, comme elle.

- Tu voudras bien ?

Avec ses nouvelles fonctions, elle avait eu l'impression que sa soeur ne voulait plus tellement être seulement sa soeur et sa suivante, qu'elle avait d'autres ambitions. Mais peut-être était-ce simplement elle qui était trop absorbée par son mariage.

- Il faudra que tu lui apprennes d'où nous venons, reprit-elle tout bas avec avec un sourire complice.

La complicité renaissante avec sa soeur mit du baume au coeur à Shyrin qui se sentait plutôt perdue et abandonnée depuis son réveil. Bien des choses avaient changé entre elles depuis leur arrivée dans les Duchés, mais finalement, malgré les moments d'éloignement, elles se retrouvaient toujours. Shane ne serait plus ses yeux, certes, mais elle aurait mille nouvelles choses à lui apprendre, comme à son enfant.

- Je ne sais pas si nous aurons le droit de lui apprendre notre langue, mais s'il entend tes chansons, ce sera déjà un peu de chez nous qui reste en lui.

Elle souriait, rendue rêveuse par l'évocation de cette progéniture à venir et ce qui découlerait de la naissance tant espérée. Outre le bonheur infini d'être mère, elle verrait également son statut et son avenir assurés, comme ceux de ses proches. Cet enfant serait le symbole de la paix et leur salut à tous.

- J'espère qu'on me laissera aussi prendre soin de lui, soupira-t-elle doucement, peu optimiste sur les moeurs dans les Duchés concernant l'éducation des enfants.

Quant à passer ses nuits dans les bras de son Roi... Elle sourit devant la taquinerie de sa soeur et la serra un peu contre elle. C'était bon de partager à nouveau son lit et sa chaleur, comme autrefois, quand Shane veillait sur elle.

- Bien sûr, chuchota-t-elle en retour. Nous te trouverons un bon mari... Ou peut-être que tu trouveras un amoureux... Tu as le droit...

De murmure en chuchotis, mains et cheveux mêlés, sourires jumeaux sur l'oreiller, Shyrin se rendormit sous la bienveillante supervision de sa soeur.