Demain nous appartient [PV Vainqueur]

Bien que la subtilité des échanges de regards et de gestes discrets lui soit presque totalement invisible, il n'échappa pas à Shyrin que Brun et Acuité s'étaient également considérablement rapprochés. Il n'était plus question de mariage destiné à sauver les apparences et à donner un père à Espoir mais bien d'une union fondée sur l'amour et la tendresse. Même s'ils avaient du mal à se l'avouer et à se trouver, il semblait évident qu'ils iraient à présent de l'avant au lieu de se repousser en raison de convenances qui n'avaient pas cours.

Ayant mis la main sur sa coupe de vin en parvenant à ne rien renverser, elle resta sagement assise et les yeux baissés pendant que Vainqueur réglait encore quelques détails avec le jeune couple. Troublée par tant de révélations et tant d'émotions, elle peinait à faire face, surtout en ces circonstances qui n'exigeaient pas d'elle une image de perfection. Elle se permettait donc de repasser dans sa tête les événements de la soirée et les mots échangés pour tenter de mieux les appréhender. Tout lui semblait encore un peu flou, comme dans un brouillard de sensations. Comme la veille quand elle s'était laissée porter par le monde alors même qu'elle devenait l'épouse d'un Roi dont elle était la prise de guerre.

Bientôt, les invités prirent poliment congé et elle les salua gentiment, avec un doux sourire. Elle ne parvenait plus très bien à masquer sa fatigue devant tant de bouleversements et elle savait qu'ils étaient à même de le comprendre, ayant vécu eux aussi bien des tensions et des apaisements brusques ce soir-là. La porte se referma et elle mit quelques instants à réaliser que le silence était retombé et la calme revenu. Levant les yeux, elle s'attarda sur la silhouette de Vainqueur avec un léger sourire qui se voulait courageux. Elle aurait voulu dire quelque chose, elle aurait du dire quelque chose, mais rien ne semblait vouloir passer la barrière de ses lèvres. Rien ne lui venait. Y avait-il encore des choses à dire après tout cela ?

Il restait encore quelques détails à régler pour la forme. Dès le lendemain, Vainqueur préparerait la lettre indiquant à son Duc de Béarns, les dispositions à venir. Il ne pourrait refuser. Acuité retournerait chez elle avec ce mandat et reviendrait avec son fils et un avenir dans le Clan tout tracé.
Brun, il le savait, serait un conseiller parfait, il l'avait prouvé ce soir, même saoul ses propos avaient un intérêt.
Shyrin semblait apaisée bien que fatiguée. Quoi de plus étonnant après cette étrange journée ? Lui-même sentait tout le poids des émotions trop vives ou trop longtemps cachées qui s'étaient désormais vidés comme on crève un abcès.
La nouvelle famille Braveterre prit congé et Vainqueur les raccompagna. Il ne pouvait s'empêcher d'être heureux pour son ami qui trouvait un fils et une épouse en même temps.
Sans cela, le célibat l'aurait accompagné toute sa vie à n'en pas douter.

Le silence retomba dans les appartements et le Roi se servit un nouveau verre qu'il savoura au bord de l'ivresse. Par El, il n'était pas entraîné pour cela.
Shyrin le regardait, un sourire posé sur son délicat visage. Elle semblait épuisée mais persistait à tenir debout bravement.
Il s'avança vers elle puis se laissa tomber sur son fauteuil.

- Hé bien ! lança-t-il, les événements semblent avoir pris une tournure intéressante n'est-ce pas ?

De sa poche il tira le petit cailloux qu'elle lui avait donné et s'amusa à le lancer en l'air avant de le rattraper.

La désinvolture avec laquelle Vainqueur se comportait et semblait traiter les événements de la soirée aurait pu la choquer ou la vexer mais elle commençait à connaître son mari et savait que sous ses dehors de brute insensible, il cachait des émotions presque aussi violentes que les siennes.

- En effet, sourit-elle aimablement.

Elle reprit une gorgée de vin puis reposa sa coupe sur ses genoux et se mit à la faire tourner entre ses mains, comme hésitante sur la conduite à tenir ou les mots à prononcer.

- Bien des choses ont été dites, ce soir, commença-t-elle d'une voix lente et basse, incertaine.

Les yeux toujours baissés sur sa coupe, elle ne savait pas si Vainqueur souhaitait en parler avec elle ou juste boire encore un peu et aller se coucher avec son épouse. Même s'il s'était excusé pour ce qu'il lui avait fait, même s'il avait ouvert la voie à une relation plus saine et sereine entre eux par cet aveu, elle n'en restait pas moins convaincue qu'il la voyait comme une jolie et docile poulinière qui lui donnerait bientôt les héritiers nécessaires. L'amour et le lien étroit qu'elle avait senti et entendu entre Brun et Acuité avait éveillé son envie et même une certaine forme de jalousie. Elle avait fait le meilleur mariage possible, elle en était certaine, mais jamais on ne la regarderait comme Brun et Acuité se regardaient, et cela l'attristait un peu, si déraisonnable et injuste que ce soit.

Shyrin semblait hésiter sur le comportement à tenir face à lui. L'impressionnait-il à ce point ? Pourtant ce soir, il s'était quelque peu livré, il s'était abaissé à demander pardon. Et encore, pouvait-on réellement parler de s'abaisser ? Au contraire, il se sentait plutôt grandi d'avoir demandé pardon et d'avoir assumé ses erreurs.
Elle devait encore lui en vouloir d'avoir usé l'Art sur elle, mais au moins un premier pas avait été fait. Le temps achèverait ce travail et des jours certainement plus sereins les attendaient.

- En effet, rétorqua-t-il à son tour un sourire flottant sur les lèvres, tant pour avoir reprit ses propos que pour la réalité que ces mots exprimaient.

Pourtant, à l'observer qui faisait remuer son vin dans sa coupe, il sentait que quelque chose la dérangeait encore. Pour autant, il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Avait-il dit quelque chose de mal ? Il lui semblait bien que non.

- Comment vous sentez-vous ? osa-t-il sans avoir l'air d'y toucher.

Son regard alla de son propre verre au visage pâle de Shyrin. Il lui donnait l'opportunité d'exprimer ses ressentis ou sa fatigue. Il ne comptait pas la congédier pour autant, beaucoup de choses avaient été dites comme elle le soulignait, il était peut-être temps malgré les émotions et l'épuisement de faire un point, même court.
Se sentait-elle satisfaite ? Plus heureuse ? Elle avait pleuré mais pas de tristesse ni de colère. Son front s'était échoué sur son épaule, elle devait forcément se sentir soulagée, les signes ne pouvaient le tromper. Alors pourquoi cette si triste mine ?

- Puis-je faire quelque chose pour vous ? ajouta-t-elle alors, déterminé à lui rendre la nuit plus agréable.

Il pouvait faire monter de nouveaux plateaux, la laisser aller se coucher où bon lui semblerait, la Reine était libre d'agir comme elle l'entendait. Et si elle devait obéir à certaines obligations, il n'en demeurait pas exclu qu'elles soient remises au lendemain.

Shyrin entendit l'hésitation dans la voix de Vainqueur et sentit qu'il se montrait sincèrement soucieux d'elle. Désolée de lui avoir fait sentir qu'elle n'était pas aussi heureuse et reconnaissante qu'elle aurait du l'être, elle releva vivement la tête et lui offrit un sourire plus franc.

- Je suis simplement un peu fatiguée, commença-t-elle doucement.

Et puis finalement, elle choisit de se montrer plus franche et plus honnête, car c'étaient les non-dits qui avaient failli les mener tous au désastre ce soir. sans la présence d'esprit de l'ancien maître d'armes - pourtant bien aviné - ils auraient pu dire des choses irréversibles.

- En fait, reprit-elle en baissant les yeux, la voix hésitante et butant sur les mots. Je ne sais pas quoi vous dire. Il me semble que vos excuses changent bien des choses mais je ne sais pas encore comment ni à quel point.

Son accent s'était fait plus prononcé sur cette dernière phrase, preuve que fatigue et embarras se mêlaient dans ses aveux sincères. Relevant les yeux vers lui, elle quêta sa réaction dans ses gestes. Serait-il irrité qu'elle parle tant ? Qu'elle exprime trop de sentiments qui lui restaient insaisissables ? resterait-il indifférent ? Plutôt que de devoir affronter cette déception inévitable, elle changea brusquement d'avis et reposa sa coupe sur une tablette avant de se lever.

- Nous devrions nous coucher, conclut-elle d'une voix qu'elle espérait assurée et calme.

Vainqueur n'avait pas besoin d'une épouse émotive et qui posait des questions gênantes sur ses sentiments. Il avait besoin d'une reine rationnelle et mesurée dans ses propos comme dans ses émotions.

Elle mit sa morosité sur le compte de la fatigue, Vainqueur pouvait aisément le concevoir. Lui-même commençait à sentir l'épuisement le gagner alors qu'il restait demain à parader. La Chasse à courre demanderait beaucoup d'énergie, il devait être en forme et sous un de ses meilleurs jours. Entre la fête des deux derniers jours et les émotions éprouvées, il allait devoir faire un effort surhumain si cette nuit s'annonçait à nouveau longue.
Lui avait-elle tout dit ?
Visiblement non, le regard baissé elle reprit d'une voix hésitante ce qui probablement la travaillait.
Il lui sourit lorsqu'elle releva les yeux pour croiser les siens et hâtivement, proposa d'aller se coucher.
Ce soir, il avait fait mouche, il le savait bien. Ses excuses, non contentes de lui retirer un poids conséquent sur la conscience avaient arrangé bien des choses.

Il l'aida à se relever et la laissa filer se préparer pour la nuit. De son coté, dès qu'il fut seul, il se déshabilla, déposa ses vêtement sur le valet de chambre à proximité et enfila ses vêtements de nuit, une chemise fine et des braies bien plus légères que ce qu'il portait en journée. Puis, il se mit au lit.
L'état de Shyrin l'inquiétait ou du moins, l'intriguait. Elle semblait perturbée et la fatigue seule ne pouvait pas en être la cause.
Lorsqu'elle revint, il la laissa s'installer dans leur lit, observa avec un certain ravissement la charmante chemise de nuit qu'elle portait et qui soulignait ses formes graciles et élégantes.
En dehors du bruissement de tissu, le silence s'imposait entre eux. Il le rompit rapidement souhaitant faire éclater cette bulle de malaise entre eux.

- Mes excuses vous sont acquises, dit-il tout bas en tournant son visage vers elle. Laissez vous du temps pour en faire ce que vous souhaitez. Je serais patient.

Sur la table de chevet, le petit cailloux siégeait. Un rappel quotidien pour le Roi jusqu'à ce qu'il puisse s'en définitivement s'en débarrasser.

Shyrin ne dit pas un mot pendant qu'elle était apprêtée pour la nuit. Elle aurait aussi bien pu se coucher dans son propre lit mais ce n'était pas ce qu'elle souhaitait et elle ne voulait plus se montrer aussi lâche. Calme et silencieuse, elle avait été déshabillée et revêtue d'une des chemises de nuit confectionnées pour elle par la couturière du château, comme le reste de son trousseau. Ses cheveux avait été brossés et coiffés en une tresse lâche qui revenait sur son épaule.

Elle rejoignit enfin la chambre royale et grimpa dans le lit de Vainqueur pour la seconde fois de sa vie. Cette vérité la frappa d'un coup alors qu'elle rabattait les draps sur elle. Les choses étaient cependant très différentes de la veille. Elle se sentait très différente. Vainqueur aussi semblait changé. Le seul fait qu'il se soit excusé auprès d'Acuité et Brun, puis auprès d'elle, était une chose qu'elle n'avait pas crue possible. Ce soir encore, il lui prouvait qu'il pouvait la surprendre de bien des manières.

Ses mots et le ton de sa voix la touchèrent. Ils la bouleversèrent même profondément. Plus encore que lorsqu'il lui avait demandé pardon devant leurs amis. Serrant les lèvres pour les empêcher de trembler, elle tendit sa main vers la sienne, tâtonna quelques instants puis réussit à mêler ses doigts aux siens. Un sourire un peu hésitant se dessinait sur ses lèvres quand elle lui fit lever le bras et se glissa plus près pour s'appuyer contre son flanc, la tête contre son épaule.

- Je vous remercie. Je n'aurai plus peur.

Peut-être pas immédiatement, il faudrait le temps que tout cela soit appréhendé, intégré, apprivoisé, comme tout ce qu'il y avait entre eux. Elle se saisit de sa main opposée et l'amena entre eux, contre son torse, en se calant contre lui. Curieusement, elle se sentait plus légitime pour imposer ces preuves d'affection ce soir-là. Si cela le gênait ou lui déplaisait, il n'aurait q'à le dire et la renvoyer dans son lit une fois sa petite affaire faite, après tout.

- Croyez-vous que leur mariage sera heureux ? reprit-elle, plus pensive.

Alors que Vainqueur lui donnait tout le temps nécessaire, Shyrin décida de venir se lover contre lui. Il l’accueillit comme elle le souhaitait et referma son bras sur elle. Par El qu'elle semblait frêle et fragile contre son corps. Forcirait-elle un peu ? Lorsqu'il s'en rendait compte il craignait toujours qu'il ne la blesse avec sa carrure haute et ses bras taillés pour le combat.
Légèrement inquiet par ses pensées, il sourit cependant à ses mots.
Peur de lui, voilà bien une idée qui ne lui était pas forcément venu à l'esprit. Elle était sa prisonnière mais il ne l'avait jamais mal traité, ni lui ni un autre. Son confort avait été étudié et il y avait veillé.
Désormais elle était sa femme et jamais il n'oserait lever la main sur elle et encore moins son Art.
N'était-il pas sensé la protéger ?

Il la serra un peu plus contre lui tandis qu'elle liait leur mains contre son torse.
Calée ainsi, elle parla du mariage de Brun et d'Acuité. Vainqueur laissa un éclat de rire s'échapper. Son torse en se soulevant, secoua la jeune rousse.

- Heureux peut-être, agité très certainement, ricana-t-il.

De ce qu'il en savait pour avoir vu sa petite cousine errer durant une année dans les couloirs à le guetter, le couver d'un amour sans limite n'avait pourtant pas empêché ses excentricités et ses impulsions immodérées.
Quant à lui...que pouvait-il en songer ? Brun était plutôt tempéré mais il était tout aussi capable de gronder. Ne l'avait-il pas fait dans les jardins sous la menace d'emprisonner sa future femme ? par El, s'il s'était attendu à cela...
En réalité, si ces deux là s'étaient décidés plus tôt, tout aurait été réglé bien avant et Espoir serait né de manière légitime.
Mais l'amour les possédait-il avant tout cela ? Il en doutait, au moins du côté de Brun.

Il se rendit compte qu'il s'était perdu dans ses pensées trop longtemps, délaissant son épouse.

- J'ai hâte de rencontrer Espoir, avoua-t-il.

Un aveu qui était difficile à faire, pour lui. Au delà de l'existence même de cet enfant, il voulait découvrir ses traits, se rendre compte de la ressemblance avec ses parents. Il imagina un portrait de la petite famille réunie, entre le regard sombre d'Acuité et la mine renfrognée de Brun, par El...cet enfant partirait peut-être avec un sacré handicap dans la vie.

Le rire de Vainqueur résonna sous son oreille et la secoua contre lui, ce qui la fit sourire plus largement. Elle devait avoir l'air d'un oiseau tombé du nid à ses côtés.

- Vous les connaissez bien mieux que moi, admit-elle avec un sourire amusé.

L'idée de ce couple amoureux et tempêtant dans les couloirs avait quelque chose de réjouissant. Elle était impatiente de les voir ainsi passionnés et heureux. Mais cela éveillait une mélancolie nouvelle à l'idée qu'eux-mêmes ne connaitraient jamais cette passion. Bien sûr ils y avait entre eux confiance, respect mutuel et loyauté, il y avait même une certaine tendresse comme le prouvait cet instant mais jamais ils ne sauraient ce que c'était de se marier par amour et une part d'elle le regrettait bien que ce soit complètement déraisonnable.

L'aveu du Roi après un long silence la surprit et elle ne put s'empêcher de lever les yeux vers son visage pour le scruter. Bien sûr, c'était inutile et l'essentiel de l'expression de son visage lui échappait, mais elle parvenait néanmoins à le sentir un peu plus tendu voire inquiet. Non à cause du visage de cet enfant, mais bien pour son avenir et celui de ses parents.

- Le mariage légitimera-t-il sa naissance ?

Après tout, si Brun épousait sa mère et reconnaissait être le père d'Espoir, l'enfant ne retrouverait-il pas un statut plus juste à défaut d'être pleinement légitime ? Croirait-on à un rafistolage honteux ? Croirait-on toujours qu'il était le fruit des violences chalcédiennes subies par la Duchesse ? À cette idée, elle baissa les yeux et se mordit la lèvre. Elle-même serait toujours désignée comme responsable en arrière-plan.

Perdu dans ses pensées, Vainqueur finit néanmoins par baisser son regard sur Shyrin. Elle s'était légèrement redressée et le regardait à son tour.
A sa question pleine d'espoir, il n'eut qu'un léger sourire compatissant en échange puis il secoua la tête.

- Non, l'enfant est né en dehors des liens du mariage. Pour toute sa vie, Espoir sera un bâtard et Acuité portera surement le déshonneur que cela implique. Glace pourrait la renier, lui demander d'abandonner son titre de Duchesse afin de réparer le préjudice. Mais s'il le fait, alors il perd un héritier potentiel. Tout bâtard qu'il est, Espoir n'en demeure pas moins un Loinvoyant.

Il marqua une pause, réfléchissant aux autres tenants et aboutissants de cette situation.

- En se mariant, Brun pourra toutefois l'élever aux yeux de tous, comme s'il était de lui.

Au final bien que compliquée, cette option paraissait la plus juste pour l'enfant comme pour ses parents. Nul ne pourrait le protéger des rumeurs et des on-dits, Espoir devrait apprendre à vivre avec. Qui pouvait savoir ce qu'il serait capable d'accomplir ? Peut-être suffisamment pour être reconnu pour ses actes plutôt que pour sa naissance.

Déçue bien qu'elle ait compris de quoi il retournait, Shyrin baissa la tête et se mordit la lèvre une fois encore. Espoir serait pour toujours un bâtard chalcédien et elle serait pour toujours le symbole de ce qu'Acuité avait subi et de la monstrueuse cause de la naissance de son fils. Fermant les yeux quelques instants, elle remit sa joue contre l'épaule de Vainqueur avec un petit soupir contraint.

- Votre patronnage sera important dans la vie de cet enfant.

Avec des parents mariés et amoureux, un parrain royal et une éducation complète, Espoir aurait une chance de s'en sortir. Et si Acuité et Brun lui révélaient la vérité à propos de sa naissance, il saurait sans doute faire face au mépris, aux moqueries et aux insultes.

- J'espère vous donner un fils très vite, promit-elle un peu soudainement.

Ses pensées avaient suivi un chemin connu d'elle seule l'amenant à se voir avec un enfant dans les bras. D'autant que sans cela, sa place perdait de sa légitimité. Même si elle ne l'avait jamais dit aussi ouvertement, Bienséance n'hésiterait pas un instant à pousser Vainqueur à la renvoyer à son père si elle se révélait incapable de lui donner des héritiers.

Vainqueur hocha la tête. Oui son patronage serait important dans la vie de cet enfant,mais peut-être pas au sens strict dont elle l'entendait.
Au delà de la protection, il avait également pour rôle de s'assurer que Espoir ne pourrait devenir une arme retournée contre lui.
En grandissant et bien que bâtard, son origine Loinvoyant pourrait intéresser des nobles mal intentionnés qui verraient en lui un successeur potentiel à Glace ou un héritier potable pour le trône.
L'histoire le leur avait déjà montré, le trône n'avait pas connu que des Roi ou des Reines de sang pur. Les Guerres intestines, les tentatives d'assassinat, les intrigues de la cour, tout pourrait être un danger pour le jeune garçon.

S'il se montrait aussi excentrique qu'Acuité ou aussi avide pouvoir que Glace, il pouvait menacer la ligne de succession directe. Aussi, il comptait sur les compétences de Brun et sur sa fiabilité pour s'assurer que nul ne détournerait le jeune homme de son chemin.
Sa loyauté devrait être sans faille, pas seulement envers ses parents.

Toutefois, il se garda bien d'expliquer tout ceci à Shyrin, essayer de comprendre le moyen de fonctionnement des Duchés devait déjà être une épreuve pour elle et la journée avait été longue.
A sa promesse, il sourit et répondit d'une voix douce :

- Je n'en doute pas une seconde.

Puis il déposa un baiser sur le haut de son crâne. Ses cheveux sentaient bon, ils étaient doux et soyeux au toucher et le Roi s'en enivra un peu en fermant les yeux. C'était agréable de tenir sa femme dans ses bras, agréable et différent des maîtresses qu'il avait pu avoir ou de la solitude d'un lit froid.

- La journée a été longue et demain sera surement plus fatiguant encore, il vous faudra tenir en selle. Vous devriez dormir à présent.

Pour autant, il ne la laissa pas quitter ses bras et demeura adossé contre sa tête de lit. Les yeux clos, le sommeil le gagnait. S'il en avait moins montré, la journée n'avait pas été plus calme pour lui. Émotions en tous genre, alcool, et épuisement de la veille composaient un mélange qui aurait bientôt raison de lui.

Les yeux clos, Shyrin esquissa un sourire en sentant les lèvres de Vainqueur effleurer le haut de son crâne. Dans ses bras, il lui semblait que tout était moins difficile, moins hostile. Il l'enjoignit alors à dormir et elle rouvrit les yeux, un peu étonnée. Voulait-il donc qu'elle reste dans son lit alors même qu'il n'envisageait pas de la prendre ? N'était-il pas désireux de profiter de son lit ? Un peu interloquée, elle serra sa main dans la sienne mais n'osa pas lever les yeux pour le regarder.

- Vous ne voulez pas..?

Dans sa langue comme dans celle des Duchés, il lui manquait les mots pour achever sa phrase. Cela dit, même si elle avait su comment finir sa question, elle n'en aurait pas moins été embarrassée. Le rouge avait envahi son front quand elle poursuivit en balbutiant.

- Je peux... Je peux vous laisser si vous ne voulez pas... Si vous voulez dormir...

Mortifiée, elle se tut soudain et se mordit la lèvre. Les gens étaient différents ici et la plupart du temps, elle ne savait pas vraiment ce qu'on attendait d'elle, se contentant de choisir l'option qui lui paraissait la plus adaptée.

A la réaction de Shyrin, Vainqueur rit doucement. La jeune femme prenait vraiment à coeur son devoir d'épouse. Malgré la fatigue qui l'envahissait, il aurait pu la prendre encore pour à son tour effectuer son devoir d'époux. Cependant, il pensait au lendemain et aux quelques heures qu'il faudrait passer à cheval.
A la douleur qu'elle avait ressenti la veille, il imaginait mal qu'elle puisse tenir en selle après un nouveau passage entre ses cuisses.
Il la préservait certes, mais il préservait également l'image du couple Royal. Si Shyrin grimaçait trop lors de la chasse à courre, elle ne ferait pas bonne impression. Bien que très impliquée dans son rôle, elle ne se rendait surement pas compte de l'expérience physique qui l'attendait le lendemain.
Il lui tapota le dos et répondit d'une voix ensommeillée:

- Non non, dormons (il baillât). Demain, vous me remercierez.

Les yeux clos, il fit l'effort d'attendre pour savoir si elle comptait regagner sa chambre ou non. Elle le pouvait, elle était libre d'aller et venir comme bon lui semblait. Le sommeil le rattrapait trop vite et bientôt il s'endormit en ronflant dans cette position inconfortable et pourtant agréable par le contact tiède de la petite chalcédienne contre lui.
Il avait hâte d'être à demain,hâte de partager cette chasse avec ses nobles et surtout son ami. Acuité ferait-elle mouche comme deux ans auparavant ? L'engueulerait-elle devant l'assemblée ?
Comment se comporteraient les deux futurs mariés ? Ils feraient semblant c'était évident et drôle à la fois. Ses interrogation se muèrent en songes étranges d'une chasse où tous s'amusaient jusqu'à ce qu'il découvre que le gibier était en fait son épousée.

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