Entrainée par la main de Vainqueur, Shyrin roula sur lui avec un petit cri de surprise. Elle fut plus stupéfaite encore de sentir contre son ventre la preuve éclatante de son désir pour elle, massive et terrifiante. Elle n'ignorait pas totalement que cette chose là devait entrer en elle pour que se produise le miracle qui ferait naître un héritier. Mais franchement, elle ne voyait pas bien comment ça pourrait être possible. Il balaya pourtant sa stupeur d'un nouveau baiser qui embrasa le creux de ses reins où se promenaient à présent deux grandes mains chaudes et caressantes.

Abandonnée sur lui, elle lui rendait ses baisers avec autant de maladresse que de ferveur, s'épanouissant à mesure qu'elle se sentait belle et désirable sous ses yeux et dans ses bras. Bien que si petite sur un corps si massif et bien qu'innocente, elle était certaine qu'il saurait comment lui apprendre ce qu'elle devait faire. Il lui semblait bien étrange pour le moment d'être ainsi allongée sur lui, les animaux ne procédant pas du tout de cette manière, mais loin d'elle l'idée de protester. Elle était très bien installée au chaud dans ses bras tendres. Les mains à plat sur son torse, elle le parcourt encore du bout des doigts et explora même timidement ses flancs tandis que ses lèvres s'offraient encore aux siennes.

Quelque chose se dénoua en Shyrin alors qu'elle sentait Vainqueur s'abandonner entre ses bras et gémir contre son cou. Un sentiment de bonheur intense et de pouvoir l'envahit soudain, la laissant aussi stupéfaite qu'heureuse.

Alors qu'il cessait ses mouvements frénétiques, elle sourit brusquement en réalisant que leur union était consommée et qu'il était désormais impossible de les séparer. Outre le fait que la sécurité était la bienvenue, elle était étrangement très satisfaite à l'idée de rester l'épouse de Vainqueur Loinvoyant jusqu'à la fin de ses jours.

Promenant lentement ses mains dans son dos, elle le laissa s'apaiser et retrouver son souffle à son rythme. Elle-même avait recouvré son calme assez rapidement. Souriant toujours, elle attendait docilement sans bouger.

Vainqueur la libéra finalement de son poids, causant une légère souffrance à son entrejambe si malmené. Elle n'en sourit pas moins en suivant des yeux son époux qui l'était enfin dans tous les sens du terme. Rien ne pourrait plus jamais les séparer, elle en était intimement convaincue. D'autant qu'un héritier viendrait bientôt bénir leur union, de cela aussi elle était certaine. Immobilisée par son injonction alors qu'elle se redressait, elle laissa échapper un gloussement à la fois étonné et ravi. Qu'il prenne ainsi soin d'elle - même si c'était pour le bien de son fils à venir - était plutôt plaisant. Elle se cala donc sagement contre les oreillers et remonta le drap sur sa poitrine.

- J'aimerais assez boire, oui, s'il vous plaît.

Bouger lui avait fait sentir sous elle une humidité à laquelle elle ne s'était pas attendue. S'était-elle oubliée ? Par Sâ, elle espérait bien que non car jamais elle ne se relèverait d'une telle humiliation. Aussitôt que le Roi eut le dos tourné pour les servir, elle jeta un œil sous le drap et découvrit, effarée, la petite flaque de sang mêlé de Sâ savait quoi. Mortifiée, elle se redressa un peu plus et plia les jambes pour ne plus être en contact avec ce rappel humiliant que, tout Roi et Reine qu'ils soient, ils avaient des corps on ne peut plus humains. Le rouge lui était monté au front mais elle ne savait absolument pas ce qu'elle était sensée faire d'elle-même ou des draps. Au moins Vainqueur aurait-il la preuve qu'elle était aussi intacte qu'elle l'avait annoncé. Mais en attendant, ça ne l'aidait pour le problème très concret de l'inconfort de cette couche souillée. La couche du Roi, qui plus est. Au retour de Vainqueur, elle osait à peine le regarder.

- Peut-être qu'il faudrait... Je pense... Changer... Changer le drap...

Elle ferma les yeux, abominablement gênée, et attendit le rire de son époux ou sa colère.

Pleine de gratitude envers son époux qui comprenait si bien son embarras, Shyrin se glissa hors du lit sans songer à se cacher. Elle enfila sagement le peignoir de Vainqueur et le serra étroitement autour d'elle avant de replier les manches sur ses bras. Il la guida ensuite jusqu'à un fauteuil où elle prit place bien docilement. Elle hésita quelques instants sur la contenance à adopter puis réalisa brusquement qu'il n'était plus temps de faire des manières ou de se prétendre dans un salon comme il faut. Elle ramena donc ses jambes sous elle pour garder ses pieds au chaud sous l'étoffe.

Elle s'efforçait de ne surtout pas réfléchir au fait qu'avant la fin de la nuit, le château tout entier saurait qu'elle avait saigné au soir de ses noces et que leur mariage était consommé. Le manque d'intimité n'aurait pas du tant l'embarrasser mais elle en avait un peu perdu l'habitude à force de vivre en recluse. Elle lissa les plis du peignoir sur ses genoux serrés avant de saisir la coupe de vin qu'il lui avait servie pour en boire une gorgée. Elle n'avait pas si soif, finalement, mais ça faisait quand même du bien.

À la question de Vainqueur, elle tourna vers lui un regard serein et heureux. Elle se sentait endolorie, évidemment, mais aussi contente de la manière dont ça s'était passé. La vie serait peut-être plus douce qu'elle ne l'avait cru au départ aux côtés de ce Roi qu'elle connaissait encore si mal. Un léger sourire revint sur ses lèvres alors qu'elle tendait une main vers lui pour qu'il la prenne.

- Je vais bien, répondit-elle aussi honnêtement que possible. Et vous ?

Elle baissa les yeux un instant, rosissant légèrement, puis contempla à nouveau la silhouette de celui qui était désormais sien pour toujours.

- Êtes-vous... Impatient ?

Vous aussi, sous-entendait-elle. Car elle espérait sincèrement et vivement que leur union avait porté ses fruits. Évidemment, il était impossible de le savoir et elle se doutait bien qu'il faudrait recommencer encore et encore jusqu'à s'être assurés qu'elle était enceinte, mais elle voulait croire qu'un Roi et une Reine ne pouvaient qu'être bénis des dieux.

Shyrin sourit plus largement devant l'aveu de Vainqueur. Elle n'eut pas le temps de répondre que déjà s'affairait une armée de domestiques. Les yeux baissés, le front rougissant, elle demeura immobile tout le temps que dura leur intervention. Sa main était retombée lentement et pendait à côté du fauteuil où elle était lovée. De sa main libre, elle saisit sa coupe et but une longue gorgée avant de soupirer d'aise. Ce n'est qu'une fois qu'ils se retrouvèrent seuls qu'elle reprit un peu contenance. Elle releva la tête et sourit gentiment à son époux.

- Je suis impatiente, moi aussi. Je voudrais vraiment... Enfin... J'espère...

Les mots lui manquèrent et elle se mordit la lèvre avant de détourner les yeux. Elle trempa les lèvres dans sa coupe pour faire passer ce moment embarrassant puis revint au Roi, à nouveau souriante et calme, comme elle devait l'être avec lui.

- Voulez-vous... que je parte ?

un peu hésitante, elle n'avait aucune idée de la conduite à tenir en pareilles circonstances. Personne ne lui avait jamais dit si les époux - et Rois ! - dormaient auprès de leurs femmes. S'ils les désiraient plusieurs fois dans la nuit, s'ils préféraient rejoindre leurs amis. devait-elle regagner sa chambre comme une domestique ? Voudrait-il dormir avec elle et la prendre encore quand il en aurait envie ? Pourquoi les choses ne pouvaient-elles donc pas être réglées simplement ? Au lieu de quoi elle en était réduite à poser des questions humiliantes à son mari.

Et puis brusquement, elle réalisa qu'il n'en savait sans doute pas plus qu'elle sur le sujet, n'ayant jamais été marié, lui non plus, et un peu de sérénité lui revint. Les prochaines nuit, peut-être qu'il viendrait dans son lit à elle. Oserait-elle se présenter à la porte de sa chambre ? Elle avait dans l'idée d-que ça ne se faisait pas vraiment mais après tout, ne pouvaient-ils pas inventer leurs propres règles ?

- Ou peut-être nous pouvons... Passer un moment ensemble...

Elle avait envie de le connaître. Elle devait passer sa vie avec cet homme et lui être loyale, n'était-ce pas important d'apprendre à le connaître ?

- Oui, admit-elle, son sourire s'épanouissant. Oui, beaucoup.

Quant à son moment préféré... Il lui fallut y réfléchir un moment avant de pouvoir répondre avec des mots cohérents.

- C'est étrange. Ce soir seulement j'ai l'impression que c'est réellement le présent. La journée est... Très flou.

Elle eut un sourire d'excuse et but encore une gorgée de vin.

- J'ai aimé votre combat à l'épée, c'était très impressionnant.

Elle n'osait pas dire qu'elle avait aimé revoir Acuité car tout s'était fini vite et bizarrement, lui laissant un goût amer dans la bouche. Le souvenir de la lettre lui revint et elle eut soudain hâte de pouvoir se la faire lire par Shane, d'avoir enfin des nouvelles de son amie. Elle jeta un coup d'oeil vers le chambre où sa robe gisait au sol, abandonnée, puis reposa les yeux sur Vainqueur.

- Et vous, quel était votre moment préféré ?

Shyrin baissa les yeux un instant et s'efforça d'empêcher son sourire de trembler. Elle avait parfaitement compris ce que lui avait dit Brun Braveterre, qu'il ne la reconnaissait pas comme Reine, qu'il ne voulait pas d'elle comme épouse de Vainqueur, qu'elle ferait mieux de retourner d'où elle était venue. Plutôt que de laisser voir à quel point elle avait été blessée de voir rejetée aussi brutalement son offre de paix, elle préféra prétendre que tout allait bien, comme sur le moment. À nouveau, elle tendit la main et cette fois parvint à saisir le sienne pour mêler ses doigts aux siens.

- Vous êtes heureux de retrouver votre ami, n'est-ce pas ?

Elle trempa ses lèvres dans sa coupe puis la reposa pour s'installer plus confortablement dans le fauteuil. Elle espérait tellement qu'il l'autorise enfin à voir Acuité mais elle n'oserait pas aborder le sujet avec lui, quelle que soit l'intimité qu'ils partageaient à présent. Plus tard, peut-être, quand ils se connaitraient mieux.

- Vous pensez qu'il va rester à présent ?

Un sourire compatissant aux lèvres, Shyrin serra doucement les doigts de Vainqueur. Les explications qui suivirent effacèrent pourtant son expression aimable et sereine. Les yeux baissés, elle réfléchit quelques instants aux implications de tout cela, à ce passé dont elle n'était pas directement responsable mais qui influait néanmoins sur sa vie, à ce qui s'était passé avec Acuité, à tout ce que Brun Braveterre lui avait dit et craché au visage depuis qu'ils s'étaient rencontrés. Elle pouvait comprendre bien des choses, notamment la haine de l'étranger et la peur qui résultat d'un passé douloureux. Mais à ses yeux ça ne justifiait nullement l'attitude insultante et irrespectueuse de l'ami de son mari. Chez elle, on l'aurait battu pour avoir osé la regarder de travers.

- Ceci explique cela, je suppose, admit-elle calmement et sans s'étendre davantage sur les insultes qu'elle avait reçues en guise de cadeau de noces du meilleur ami de son époux. Merci de partager vos souvenirs avec moi. Je suis désolée d'être la cause de votre éloignement.

Et elle l'était. Tout ce qu'elle avait souhaité faire, c'est aider Acuité et échapper elle-même à un mariage qui la terrifiait. Le souvenir de Bhaal s'invita dans ses pensées et elle le repoussa fermement. Il n'était pas le bienvenu dans sa nuit de noces.

- J'espère qu'il saura passer outre sa... Son... Inimitié envers moi. Qu'il reviendra vers vous.

Shyrin ne leva pas les yeux. Elle ne voulait pas mettre en doute l'avis de vainqueur au soir même de leur mariage mais elle ne pensait pas que Brun changerait un jour d'opinion à son sujet. Si même le fait de revoir Acuité et de s'expliquer avec elle n'avait pas apaisé un tant soit peu la haine féroce qu'il lui vouait, elle ne voyait pas en quoi le temps serait plus efficace. Au contraire, il cristalliserait sa mauvaise opinion et les enfermerait à tout jamais dans ces rôles prédéfinis déplaisants. Il fallait juste veiller à ce que Vainqueur n'apprenne pas l'étendue de son hostilité envers elle. Qu'il ne sache jamais à quel point il se montrait insultant et irrespectueux envers elle et donc envers son ami qui l'avait prise pour femme.

La main du Roi lâchant la sienne la ramena au présent. Elle leva les yeux pour contempler sa haute silhouette qui se dépliait devant elle, puis sourit et se leva à son tour à son invitation. Indécise, elle ne savait pas si elle devait regagner sa chambre seule, s'il la raccompagnerait, s'il souhaitait qu'elle reste. Peut-être voulait-il recommencer... Pour s'assurer qu'elle soit enceinte aussi vite que possible. Ou peut-être voulait-il simplement se reposer, avec ou sans elle. Comme il était étrange de se poser ces questions. À force, leur vie commune deviendrait sans doute plus simple, ils se connaitraient et se comprendraient mieux. Mais ce soir, tout était encore nouveau. Debout devant Vainqueur donc, elle se tint prête pour ce qu'il voulait, souriante et calme comme elle devait l'être.

Stupéfaite, Shyrin resta quelques instants sans bouger après qu'il l'ait embrassée sur le front et soit reparti dans sa chambre. Elle ne s'attendait certes pas à des déclarations poétiques ou des gestes tendres mais tout de même, il était si peu délicat que ça confinait parfois à la grossièreté. Elle s'en voulut aussitôt de cette pensée peu charitable et se força à admettre en elle-même qu'il ne savait pas plus qu'elle ce qu'ils étaient sensés faire. Elle ne voulait certainement pas le déranger en s'imposant mais il avait souligné lui-même le fait qu'elle était libre de choisir où elle voulait dormir. Or, elle se sentait mal à l'aise à l'idée de découvrir ce soir sa nouvelle chambre après si peu de temps en compagnie de son époux. N'aurait-elle pas l'air de lui avoir déplu ?

Satisfaite de sa décision donc, plus sûre d'elle à présent qu'elle était Reine, épouse à part entière, et future mère des héritiers sans aucun doute, elle rejoignit elle aussi la chambre et se défit du peignoir de Vainqueur qu'elle abandonna au bout du lit à leurs pieds. Approchant d'une tablette où étaient disposées une cuvette et une aiguière, elle fit une brève toilette avant de revenir au lit. Il n'était plus temps de se montrer pudique ou de faire des manières. il l'avait vue, il l'avait touchée, et le ferait encore certainement tous les soirs jusqu'à s'être assuré qu'elle portait son enfant. Elle se glissa sous les draps frais et sentant bon le propre, s'installa confortablement en essayant de ne pas gêner son époux, mais à sa disposition au cas où il voudrait la prendre encore dans la nuit ou au matin.

- Bonne nuit, Majesté, chuchota-t-elle avec un léger sourire, la tête tournée vers lui.