Des pleurs, un mouvement contre sa paume, le bruit ouaté des couvertures, le grincement du plancher, des pleurs encore, des chuchotements, et puis le silence.
Le déserteur ouvrit les yeux, complètement déboussolé (où ? quand ?). Il mit plusieurs secondes à reconnaître la silhouette demi-nue d'Acuité, spectrale dans la lumière de la lune.

Par El il s'était endormi, et pas qu'à moitié !

Engourdi malgré la température raisonnable, sans doute à cause de sa cuisse et de sa position inconfortable, l'homme tenta de se remettre debout. Heureusement Acuité, lui tournant le dos, ne le vit pas passer par le stade quatre-patte avant de se redresser avec la vigueur d'Ermenhild.

- Je peux m'en occuper, je peux... commença-t-il d'une voix enrouée, pressé de se dédouaner.
Mais alors la jeune femme se retourna et il vit qu'elle l'allaitait. Il ne pouvait rien faire dans ce domaine.
- Ah... je... eh bien... bafouilla-t-il, sans que l'on sache si son hébétude était due à son réveil brutal ou à la proximité sensuelle de la vierge à l'enfant.

De ses couvertures, roulées par terre, dépassait à demi la lame froide du poignard.

A moi les dés !

Pair : Acuité remarque l'éclat de la lame grâce à la lune
Impair : Acuité ne remarque rien.

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'Hasard 6' : 5

Acuité se retourna, un demi-sourire flottant sur ses lèvres. Elle observa comme elle pouvait la gêne du déserteur, amusée. Pouvait-il vraiment s'en occuper ?
C'était assez déstabilisant qu'il le demande, comme s'il souhaitait prendre en charge ses responsabilités. Elle se promit intérieurement de pouvoir lui laisser le loisir de nourrir Espoir en récupérant ce qu'utilisait Haneke lorsqu'elle le gardait.

- Ce n'est pas grave, murmura-t-elle sincère avant de proposer, tu devrais profiter de la chaleur du lit pour t'y allonger, j'en ai encore pour un moment.

Suite à quoi, elle fit face à nouveau à la Lune, berçant toujours l'enfant tandis qu'il mangeait sans se soucier que non loin de là, une lame brillait dans la nuit.

Le déserteur se détourna à son tour. Il hésita quelques secondes puis ramassa son poignard et ses couvertures. Il ne pouvait pas s'allonger au chaud pour se rendormir. Il était sensé veiller.

- Je sors prendre l'air. Bonne nuit à vous deux, dit-il avec un sourire invisible dans l'obscurité, avant de quitter la chambre sans tarder.
Il ne voulait pas avoir à se justifier.

Il raviva le feu, but un verre d'eau et se saucissonna dans ses fourrures avant de sortir de la cabane. Le froid était vif, les étoiles légion. Il attendit que plus aucun son n'émerge de la maison. Alors il alla chercher son arc dans la réserve et s'assit sur les marches.

La nuit était déjà bien entamée. La durée de sa garde serait raisonnable. Pour tenir toute une nuit, il devrait dormir davantage pendant la journée. Tant pis pour tous ces moments qu'ils ne partagerait pas avec Kjeld et Alisel. Il était venu pour les protéger plus que pour les chérir.

Jusqu'ici il avait failli à sa tâche. Heureusement qu'il avait de l'avance sur l'homme que Vainqueur enverrait sans doute à la suite de son "entretien" avec Acuité. Le Roi allait-il essayer de le contacter ? Le déserteur tâta les contours de son esprit sans rien remarquer d'anormal. Il hésita à appeler Vainqueur, pour en avoir le cœur net. L'incertitude le rongeait pire que l'angoisse. Mais finalement il renonça. Il ne savait pas comment faire (il aurait pu finir comme Acuité !), et puis... mieux valait ne pas réveiller le loup qui dort.

De loup, il en entendit un hurler à la nuit avant que l'aube ne se lève. Il attendit l'aurore pour tituber jusqu'à la réserve. Les murs de bois protégeaient tout de même un peu du froid. Il s'affala sur la couchette de fortune, s'enroula dans les couvertures et sombra dans le sommeil.

Pour toute réponse, il lui annonça qu'il sortait prendre l'air. Le temps qu'elle se retourne, il avait déjà fermé la porte derrière lui.
Elle demeura un moment, fixant le vide devant la porte close. Lasse, elle soupira en reportant son attention sur le tableau enchanteur à l'extérieur. La lune qui envoyait ses rayons à travers les branches, ainsi que leurs reflets sur la neige immaculée.
Acuité songeait au comportement de Brun. Encore une fois elle ne comprenait pas ce qu'il désirait car après lui avoir demandé de dormir avec elle, il s'enfuyait. Elle trouvait cette réaction stupide et puérile, ils étaient tous deux adultes et pouvaient partager un lit sans que rien ne s'y produise...
Avait-elle dit quelque chose de mal ?
Elle tacha de se remémorer tout ce qu'il s'était passé depuis son arrivée mais en dehors de bien des incohérences et de la rancoeur, elle ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce qui persistait à les tenir éloigner l'un de l'autre.
Peut-être que ses espoirs s'étaient enfin envolé ? Peut-être que son amour pour lui s'était définitivement tari ? L'aimait-elle toujours ? ou bien Kex avait-il pris cette place si chère à son coeur ?
Elle n'en avait malheureusement pas la moindre idée.
Son coeur ne s'était-il pas emballé lorsqu'il l'avait pris dans ses bras ou simplement lorsqu'il l'avait regardé devant la cheminée ? Et que dire de sa proposition de mariage, de sa jalousie vis à vis de Kex ?
Qu'espérait-elle vraiment ?

Lorsque Espoir eut fini, elle le changea et le remit au lit. Il gazouilla encore quelques minutes et elle lui chanta cette vieille berceuse béarnoise qu'elle fredonnait depuis sa grossesse. Béarns lui manquait, son château, sa chambre et ses parents tout autant.

Un nouveau regard sur la porte de la chambre lui confirma que Brun ne reviendrait pas. Elle se recoucha alors et tenta de s'endormir mais le sommeil sembla la fuir un moment.
Lorsque le lendemain ses yeux s'ouvrirent dès l'aube, elle était épuisée mais se força à se lever. Espoir dormait à poings fermés alors elle décida de préparer le petit déjeuner. Elle poussa la porte lentement pour ne pas réveiller Brun et fut stupéfaite de voir qu'il n'était pas là.
Un instant, elle fut pris d'une légère panique puis se souvint qu'il avait déclaré vouloir dormir dans la réserve. Quel imbécile...
Il était hors de question qu'elle aille lui montrer son inquiétude. A la place, elle raviva le feu, plaça de l'eau à chauffer pour une toilette matinale et un bon petit déjeuner. Les effets de l'Art s'étaient tus, en dehors de légers vertiges par moment. Elle allait en profiter pour faire le tri dans sa tête.