Accompagné de la jeune chasseresse blonde, Aksel franchit le seuil de l'arbre-palais qu'il habitait. Aussitôt, une douce chaleur l'envahit et le fit frissonner comme il sentait ses membres engourdis par le froid se décongeler peu à peu. Quelques personnes allaient et venaient dans le large hall d'entrée, mais le palais semblait plutôt calme dans son ensemble. Le jeune noble adressait des sourires aux uns et aux autres mais les sourires qu'on lui rendait avait quelque chose de... compatissant, voire d'apitoyé. Le malade décida d'ignorer ce détail ; après tout, tout cela se jouait peut-être essentiellement dans sa tête. Il avait passé la nuit dehors, avec une inconnue, son oiseau et une jument des Montagnes. Ca prouvait bien qu'il en avait encore dans le ventre, non ?

Comme pour le contredire, une quinte de toux le prit à nouveau : sans doute le changement de température ? Et Aksel colora un peu plus son mouchoir de rouge. Il le remit sans le regarder dans sa poche et se dirigea vers les escaliers afin de rejoindre sa chambre.

-Pas trop dépaysée ? demanda-t-il d'un ton enjoué à Narjis qui portait son faucon sur l'épaule.

Ils n'avaient encore croisé personne parmis les proches d'Aksel, mais l'homme aux cheveux gris ne se faitsait pas trop d'illusions : les rumeurs vont vite dans un palais ! Il sourit en y songeant. Ca ne le dérangeait pas qu'on fomente des hypothèses et des suppositions à son sujet. Avec un peu de chance, les gens ne le considéreraient plus que comme le malade qu'il était !

Narjis marchait au même rythme que le frère de l'Oblat et à sa hauteur, le faucon sur son épaule gauche. Son visage était neutre mais ses yeux regardaient partout à la fois, du moins si c'était possible; les plafonds, les murs, les rideaux mais elle ne s'attardait pas beaucoup aux humains qu'ils croisaient. Peut-être était-ce par malaise ? Elle seule pourrait le dire.

Lorsqu'Aksel fut prit d'une quinte de toux, la jeune blonde lui jeta un coup d’œil mais sans plus. La pitié ne guérit pas les maux. Tout en continuant de marcher, elle répondit :

- Disons que c'est un monde auquel je ne suis pas du tout habituée.

Et elle remarqua son sourire et, fronçant légèrement les sourcils, demanda :

- C'est moi qui te fait sourire ?

Le faucon, quant à lui, penchait de temps à autre la tête. On pourrait presque dire qu'il se posait des questions.

Comme un animal sauvage, Narjis étaient tendue, sur ses gardes, dans ce milieu social qui lui était presque inconnu. Aksel surveillait ses réactions du coin de l'oeil, curieux d'apprendre ce que la chasseresse songeait de tout cela.

-Détends-toi, lui conseilla-t-il presque dans un murmure pour ne pas la gêner par rapport aux quelques personnes qu'ils croisaient.

Mais la jeune femme fronçait les sourcils, comme suspicieuse, et le toisait en attendant une réponse à son interrogation. Déjouant le piège qu'elle lui tendait et la sentant prête à se braquer, le frère de l'Oblat répondit sans se départir de son sourire, qui, au contraire, s'agrandit :
-Tu me fais souvent sourire depuis que nos chemins se sont croisés.

Son regard doré ne cilla pas, planté dans les yeux bleus de Narjis. Il se détourna et reprit le chemin qui les ménerait à sa chambre. Ils parvinrent tous deux sans rencontre délicate à la porte de chêne qu'Aksel ouvrit d'un geste machinal : la pièce était spacieuse et constituait un salon meublé de deux fauteuils confortables, d'un épais tapis en fourrure d'élan au sol, sur lequel trônait une petite table basse en bois brut. Une bibliothèque se dressait dans un coin de la pièce et une vingtaine de bouquins trainaient çà et là à travers la pièce. Hum, c'était un peu le bazar, sans parler des fleurs fanées sur la commode et de divers éléments de vaisselle sale qui n'avient rien à faire là. Par contre, l'âtre abritait un bon feu qui craquait déjà avec allégresse. Merci Ermenhild.

Aksel ne se défit pas immédiatement de son large manteau ; il attendait d'être parfaitement réchauffé avant ça, mais il invita d'un geste Narjis à s'installer et à prendre ses aises.
-Fais comme chez toi, déclara-t-il en s'affairant à remplir la bouilloire d'eau et à la suspendre au dessus du feu.

Narjis passa devant Aksel pour entrer dans la chambre. La pièce était plus grande qu'elle l'eut crû ce qui lui évita la sensation d'être enfermée.

Elle s'approcha du feu et retira lentement son manteau afin de permettre à l'oiseau de se déplace de la fourrure du vêtement à la peau protégée de cuir de la chasseresse. La jeune femme s'éloigna de la chaleur pour aller poser le manteau sur le pied du lit avant de retourner se réchauffer près du foyer. Puis elle se détourna du feu pour le regarder un instant avant de se déplacer un peu pour lui laisser la chance de placer la bouilloire au-dessus du feu. La chasseresse n'avait pas besoin d'être si près du feu, elle était habituée au durs froids de l'hiver et la température de la pièce lui suffisait amplement.

En se dirigeant vers la bibliothèque, l'épaule de la blonde frôla le frère de l'Oblat. Elle s'arrêta devant les livres, livres qui lui serait bien inutile puisqu'elle ne sait pas lire, ou très peu. En fait, elle sait reconnaître quelques mots et chiffres mais sans plus.

- Alors, c'est ici que tu passes la majorité de ton temps ?

Elle laissa glisser ses doigts sur les reliures des bouquins, observant les couleurs.

L'oiseau, quant à lui, restait sur son épaule, tranquille.

Du coin de l'oeil, Aksel suivait les mouvements et réactions de la jeune femme sauvage. Elle semblait plus à l'aise qu'il ne l'aurait cru et il en fut très heureux. Elle retira son manteau et dévoila un beau corps de femme puissant et athlétique. Contrairement à lui, Narjis respirait la vigueur et la bonne santé. Il était très étonnant de la voir évoluer dans un intérieur et plus particulièrement dans sa propre chambre !

Se dirigeant vers la bibliothèque dont les planches se creusaient au milieu, sous le poids du papier, Narjis lui frôla l'épaule. Il se détourna bien vite du feu, l'eau commençant à bouillir, et il vint se placer un peu en retrait de Narjis, suivant son regard qui détaillait les différents volumes de toutes couleurs et de formats très variés.

-A présent, c'est ici que je vis presque essentiellement, oui. Avant, je n'y venais que pour dormir.

Même le faucon semblait serein et demeurait silencieux sur l'épaule de la chasseresse.
-Si tu veux, je peux t'en prêter, proposa Aksel quand la blonde effleura de ses longs doigts les manuscrits. Il ne songea même pas à la possibilité que la jeune femme pouvait être illettrée... Alors que c'était plutôt logique. Son amour pour les livres n'avait fait que croître avec sa maladie. Ils lui permettaient de rêver, de se glisser dans la peau de n'importe qui et de vivre à nouveau de merveilleuses aventures en extérieur.

Il saisit par la reliure un volume de taille raisonnable à la couverture brune et aux lettres dorées.
-Celui-ci pourrait particulièrement te plaire...

Et il le glissa entre les mains de Narjis avant de se détourner pour préparer leurs infusions.

Elle regarda le livre qu'Aksel avait posé dans ses mains. Il était plus lourd qu'elle l'eut crû et haussa un sourcil, le soupesant. Il avait le poids d'un gros lapin. Ensuite elle l'ouvrit, coinça quelques pages entre son pouce et le côté de son index et laissa s'échapper les feuilles unes à unes. Elle se doutait bien qu'il n'y aurait pas d'images mais bon, elle voulait tout de même vérifié.

La chasseresse fini par replacer le livre dans la bibliothèque et se retourna vers Aksel, les joues rosées.

- Merci beaucoup mais... je ne sais trop pas ce que j'en ferais, je ne sais pas lire.

Elle lui fit un sourire timide et se rapprocha du feu. La montagnarde revient sur le sujet de la chambre.

- Pourquoi tu ne sors presque plus de ta chambre ? Tu n'as pas le droit de prendre l'air ?

Puis elle lui fit un petit espiègle, sachant très bien qu'il s'était "enfui" dans les Montagnes le temps d'une journée et d'une nuit.

Bien que la réponse de Narjis le laissa désemparé, Aksel eut la sagesse de ne rien montrer de sa surprise et il se contenta de cligner des yeux et de prendre une voix douce :
-Si le coeur t'en dit, n'hésite pas à passer me voir de temps en temps, je pourrais t'apprendre.

Il s'en voulait à présent d'avoir gêné son invitée dont les joues s'étaient immédiatement rosies. Mais comment pouvait-elle se passer des renseignements et des rêveries qu'on trouvait au coeur des pages ? Bien sûr, elle était une femme de la forêt et n'avait sans doute pas de temps à perdre avec ecla. Ce qu'elle savait, elle l'avait appris elle-même, par la pratique.

Heureusement, Narjis retrouva sa taquinerie et fit sourire le frère de l'Oblat.
-Disons que les leçons moralisatrices et culpabilisantes de ma guérisseuse sont plus persuasives qu'une véritable interdiction. Mais je suis ingrat en te disant cela. Elle veut m'aider et elle me connait assez pour me prendre par les sentiments. C'est une femme honorable. Qui a toujours l'art de me faire sentir comme un gamin irresponsable, finit-il par ajouter en riant.

Ce qu'il ne précisa pas, c'est que Narjis l'avait vu dans l'un de ses meilleurs moments... Il lui arrivait de rester plusieurs journées d'affilée coincé au lit sans avoir même la force de lire ni de manger, à cracher du sang et à divaguer.

Elle sourit aux derniers propos d'Aksel. Elle était une chasseresse, une femme sauvage et nomade et elle avait peine à comprendre comment une potion faite d'herbes pouvait avoir des pouvoirs guérisseurs plus importants que l'air pur des Montagnes. Elle ne jugea pas, ce n'était pas dans sa nature mais elle ne voyait pas la logique de la chose.

Pendant un moment, elle demeura pensive. Finalement, elle brisa ce silence.

- Tu sais, dès notre rencontre, je me suis rendue compte que tu n'étais pas au meilleur de ta forme et que, peut-être, il ne te reste plus beaucoup de temps sur cette terre. Alors j'ai quelque chose à te proposer.

Ses yeux bleus finirent par quitter le point invisible du feu pour se tourner vers le jeune homme.

- Mais avant je te révèle mon offre, je dois savoir quelque chose.

Elle plissa légèrement les yeux et pencha un peu la tête sur la gauche.

- Serais-tu prêt à te rebeller et à ne faire que ce qui te plaît malgré les remontrances que tous et chacun te feront ?

L'oiseau battit des ailes pour se dégourdir et sembla, lui aussi, attendre la réponse du frère de l'Oblat.

La franchise était typique des Montagnards, disait-on et pourtant Aksel avait bel et bien l'impression d'en redécouvrir la définition avec Narjis ! Pas de faux-semblants avec elle : il n'en avait plus pour longtemps. Il ne su que répondre et n'en eut d'ailleurs pas l'occasion car la jeune femme reprit aussitôt la parole : elle avait une proposition à lui faire.

Il fut tenté de plaisanter sur le sujet, mais se ravisa : il craignait de froisser Narjis qui semblait tout à coup éminemment sérieuse et le dévisageait, de même que son rapace !
-Et bien... Non, je ne suis pas prêt à blesser mes proches, je ne peux te mentir. Mais dis-moi ce que tu as derrière la tête, tu m'intrigues et peut-être pourrons-nous trouver un compromis.

Il se détourna un instant quand l'eau se mit à bouillir et à déborder de la bouilloire. Il traversa la pièce et s'empara d'un crochet en métal qui lui servit à reprendre l'objet en ébulition. Il versa alors l'eau chaude dans les deux chopes qui contenaient du miel et de la menthe, la tisane préférée d'Aksel.
Il revint vers la table en face de l'âtre, sur laquelle il déposa les tisanes fumantes et invita d'un signe de main courtois Narjis à prendre place près de lui.

-Fais attention, c'est brûlant.

La Montagnarde prit délicatement la tasse entre ses mains et se servit de la chaleur de la boisson pour réchauffer ses doigts. Pendant un moment, ses yeux bleus fixaient la tisane dont les parfums de miel et de menthe venaient lui chatouiller agréablement le nez.

Au bout d'un petite moment, elle leva les yeux vers le frère de l'Oblat.

- Alors voici mon offre ; tu m'enseigne la lecture et moi je te permet de voir la ponette le plus souvent possible. En bref, tu m'apprends à lire en dehors des murs de Jhaampe.

Elle baissa de nouveau les yeux vers la tisane et haussa les épaules.

- Mais bon, cela risque de déplaire à ta guérisseuse et tous ceux qui préfèrent te voir mourir à petit feu dans ton lit.

Narjis aurait put être un peu plus diplomate sur ce coup mais en même temps, elle était certaine que tout le monde était toujours trop diplomate avec Aksel, tentant de le protéger de tout. Et puis, s'il n'appréciait pas la façon dont elle lui parlait, il pouvait toujours la faire escorter en dehors de l'arbre-palais.

À ce moment, le faucon s'envola pour aller se poser sur le bord de l'une des fenêtres, observant l'horizon.

Côte à côte, les deux amis, car oui Aksel considérait dès à présent la jeune femme comme faisant partie intégrante de ce groupe, étaient plus proches qu'ils ne l'avaient jamais été jusque là. Narjis semblait savourer la chaleur émanant de sa tasse tandis que lui préférait la laisser tiédir une minute de plus sur la table de chêne devant eux.

La réponse de Narjis se fit un peu attendre et le malade se surprit à retenir son souffle laissé en suspens. Quel était donc le plan de la jeune femme ? Enfin, la douce voix se fit entendre et fit naître un large sourire sur les lèvres fines et pâles d'Aksel.
-Voilà une excellente idée et un excellent prétexte pour pouvoir prendre l'air sans inquiéter mes proches.

Ce n'était pas en apprenant à lire à une jeune femme un peu sauvage qu'il risquerait grand chose ! Bon, il avait déjà à l'esprit de faire une jolie balade à cheval en compagnie de Narjis histoire de réviser l'alphabet dans la joie et la bonne humeur avec un petit galop ou deux pour les distraire, mais...
-Sais-tu monter à cheval ? demanda-t-il tout à coup. C'est vrai qu'elle ne devait pas en avoir souvent l'occasion. Mais la jeune femme devrait faire une bonne compagne de randonnées équestres si tel était le cas.

Il se saisit de sa chope fumante, tout ragaillardi à la perpective d'un futur un peu plus gai et varié que les murs de sa chambre. Il porta le récipient à ses lèvres et but... en s'étranglant à moitié et en crachant un peu de sang au sol. Piteux, il se dit qu'ils ne devraient pas tarder à commencer l'apprentissage des lettres de Narjis.

Assise près du jeune homme, les coudes posés sur ses genoux et les mains entourant la tasse, Narjis esquissa un petit sourire.

- Une fois, mon père avait acheté un petit cheval. On s'en servait surtout pour transporter nos biens mais quand on s'arrêtait quelque jours, il me permettait de le monter, sans selle bien évidement.

Lorsque le frère de l'Oblat toussa et qu'elle vit une tache de sang sur le sol, la chasseresse le regarda :

- Je crois que je vais m'en sortir, surtout s'il n'y a pas de selle. Alors, quand veux-tu commencer les cours ?

Elle prit une gorgée du savoureux thé alors que le faucon s'envola par la fenêtre, ce qui détendit instantanément Narjis. Décidément, il tolérait moins bien les murs qui l'entourait et l'appel du ciel avait fait son oeuvre. Elle le retrouvera bien une fois à l'extérieur.

Attentif aux propos de la chasseresse, le jeune homme s'aperçut qu'il était heureux d'en apprendre davantage sur elle et sur son passé. Il se contenta donc d'acquiescer doucement, l'ecourageant à poursuivre, mais Narjis se tut bien vite.
-Le plus tôt possible, répondit-il en souriant. Il se rembrumit alors légèrement, se saisissant de sa tisane.

-Enfin, il me faudra au moins une journée ou deux de répit après notre petite aventure. Disons dans trois jours ? Ca me laissera le temps de songer à une méthode d'apprentissage, à quelques exercices peut-être,...

Tout à coup, ce projet l'excitait beaucoup : même malade il pouvait encore servir à quelque chose ! Il devrait réunir un peu de papier et des encres... Pourquoi pas des encres de couleurs, ça aiderait peut-être Narjis à retenir les lettres ? En tout cas, ça l'amuserait.

Ses yeux bleus fixèrent le frère de l'Oblat.

- Dans trois jours, ça me va. Je t'attendrai aux portes de Jhaampe et si, par hasard tu ne peux pas venir à moi alors j'irai à toi... Tant que ta fenêtre soit ouverte. Dans le deuxième cas, il est certain que la ponette ne me suivra pas. Quoique les animaux sont parfois surprenants.

Elle esquissa un petit sourire en coin. Il est certain qu'elle préférait être au grand air mais elle savait pertinemment que la santé du jeune homme était précaire, de plus en plus précaire.

Apprendre à lire ne peut pas lui nuire, bien au contraire ! Et pour Askel, le vent frais des montagnes lui fera le plus grand bien, elle en était certaine.

Puis la chasseresse remarqua que personne n'était venu s'enquérir de la présence du frère de l'Oblat. Elle fronça légèrement les sourcils.

- Pour quelqu'un qui est inquiète de ta santé, ta guérisseuse est plutôt absente.

Cette fois, elle rigola. Il y a de ces choses qu'elle ne comprendra jamais.