Les nouvelles étaient parvenues au compte gouttes, mais leur intensité graduelle ne laissait rien présager de bon.
D'abord, des tensions croissantes avec Chalcède, murmures, rumeurs, esclandres. Puis, des incidents commerciaux, simples disputes entre marchands, prétendaient certains... jusqu’à ce que que des accrochages entre les gardes frontalières éclatent.
La situation diplomatique entre les Etats était passée d'une simple rivalité à un antagonisme farouche. Les braises couvaient, on n'attendait plus que le vent pour déclencher l'incendie qui ravagerait deux pays.

Et le messager était venu. Il décrivait les Chalcédiens, des brutes sauvages aux lames ensanglantées. Il détaillait le bourg de Rippon, dont ils n'avaient laissé que des cendres. Et il racontait le garçon qui avait échappé au massacre, surmonté la mort de sa famille, et entrepris une marche de plusieurs jours pour amener son témoignage jusqu’à Castelcerf.

L'incendie était parti. Même dans la ville de Glacis, où les tempéraments étaient durs et froids, la colère grondait.


Etant devenue apprentie auprès de l'herboriste de Castellonde, il me revenait de faire en sorte que les produits servant à la fois à cultiver et à préparer les herbes médicinales ne manquent pas. J'anticipais avec joie ces escapades dans la ville de Glacis, tellement plus grande et vivante que mon village natal.

Aujourd'hui, le printemps approchant, Aulne me donna une liste de fournitures plus spécifiques à aller chercher en ville et des pièces d'argent pour les payer.

La diversité de la liste m’emmena partout dans le bourg.
J'ignorais quel usage un herboriste pouvait avoir de cheveux de sirène séchés, d'un bouquet de prèles, ou de graines d'angélique ; peut être s'en servait il pour fabriquer ses engrais, me dis-je finalement, et, constatant que je n'en trouvais pas dans les boutiques habituelles, je descendis au bazar du port, ou il suffisait de posséder une couverture et quelque chose à vendre pour se déclarer marchand. Je mis assez vite la main sur l'algue et appris que c'était un ingrédient habituel de la soupe de poisson. Il me fallut plus longtemps pour les graines, car c'était un produit de l'intérieur, non de la mer, et il y avait moins d'étals pour ce genre d'articles.

Je les trouvai néanmoins, au milieu de paniers emplis de piquants de porc-épic, de perles d'ambre et de bois, de cônes d'avelinier et de tissu d'écorce martelée. Leur propriétaire était une vielle femme aux cheveux plus argentés que gris; elle avait le nez fort et droit et les pommettes osseuses.

Ayant fini mes courses, je me dirigeai vers le port, pour observer les fabriquantes de filets des quais aux doigts agiles, les bateaux rapides, à la proue en forme de dragon, et les marchandises étranges venues des limites du monde connu.

Mais la marchande aux cheveux argentés attira mon attention vers la grand-place : un crieur public, portant un message, et accompagné d'un cavalier royal, allait s'exprimer!

Le Roi Vainqueur, de la lignée des Loinvoyant, roi des Quatre Duchés, annonce le premier appel d'Art de son règne. Toutes les personnes qui ressentiront l'appel sont conviées au château de Castelcerf pour y recevoir une formation auprès de Maître Clément Ordajonc, maître d'art de Castelcerf.

Lune Verdissante, 9ème année du règne de Sire Vainqueur Loinvoyant

Loin des critiques acerbes du Duc Glace de Castellonde, dont l'irritabilité était amplifiée par la moindre évocation du sujet, le principal thème de conversation était l'appel d'Art.

En effet, les partisans du Duc arguent que avec plus de diplomatie, la guerre avec Chalcède aurait pu être évitée, ceux qui soutiennent le Roi Vainqueur arguent que le conflit était inévitable. Ils ajoutent qu'il sera même profitable aux Quatre Duchés, qui ne devraient pas rater cette possibilité de s'agrandir territorialement. De plus, ajoutent ils, les combats seront rapides, grâce aux nouveaux Artiseurs.

Les cours de Castellonde sont encore calmes. La capitale du Duché de Béarns s'éveille tout juste. La lumière du jour esquisse à peine de vagues reflets sur les forêts de pins entourant la cité, qui forment un mur végétal ondulant sous l'effet de la brise matinale. Un oiseau de proie se pose nonchalamment au sommet d'une tour du château. Un mouvement lui fait tourner brusquement la tête, une silhouette se déplace d'un bâtiment à un autre.

C'est Rune Ordajonc qui se hâte, car elle va être en retard pour sa journée d'apprentissage auprès du médecin du château. Son pas alerte résonne sur le pavé. Elle se presse aussi parce qu'il fait froid. Sa longue cape bordée de fourrure la protège à peine.

De l'Art, je sais qu'il permet de communiquer par la force de l'esprit vers des personnes ayant une certaine affinité avec cette magie, mais la puissance croissant avec l'utilisation, l'Artiseur peut acquérir d'autres capacités.
Des Artiseurs, je sais qu'ils peuvent faire gagner des batailles qui semblaient perdues d'avance, tel le Clan de Feux-Croisés, qui s'est sacrifié pour sa Reine.

Après la nomination de Maître Ordajonc au poste de Maître d'Art, une grande fierté en avait été tirée et les enfants de la famille reçoivent désormais un enseignement basique sur l'Art. La ballade du "Sacrifice de Feux-Croisés était d'ailleurs à apprendre, tant en raison de ses vertus morales (sacrifice pour le royaume) que pour sa glorification de l'Art.

Même si je savais que la magie de l'Art coulait dans les veines des Ordajonc et d'autres familles de Béarns, en raison de leurs liens avec la famille Loinvoyant, je trouvais l'attention portée sur ces familles un peu trop excessive. Cependant, si ce regain d'attention permettait a mes parents de conclure de meilleurs marchés, je ne devrais pas m'en formaliser autant.

Cette situation d'attente était étrange, et j'avais hâte que cet appel d'Art arrive, afin que les choses rentrent dans l'ordre.


En me rendant à l'infirmerie, je sentis comme un vague picotement sur mon front. Le contact devint plus fort, se mua en chaleur, en lumière. Un murmure devint un cri assourdissant. Cette perception se répandit en moi, m'engloutit comme une vague. Ce flot laissa dans son sillage une consigne, il me fallait aller à Castelcerf.