Troublée par ce qu'il lui racontait sur l'Art et qui confirmait ce qu'elle en avait appris avec le temps passé à Castelcerf, Shyrin baissa les yeux un moment sans savoir quoi dire. Finalement, elle reprit, d'une voix toujours aussi douce et mesurée.

- Ça me semble très sournois, ne put-elle s'empêcher de remarquer.

Elle comprenait mieux comment la guerre avait basculé en faveur des Duchés, des années plus tôt. Consciente toutefois qu'ele pouvait froisser son susceptible époux par ces propos, elle releva le regard vers le sien et lui sourit tendrement.

- Je sais que vous ne l'avez plus fait, vous me l'avez promis.

Et puis, elle s'en serait aperçue, selon toute vraisemblance. Elle ne lui dirait pas ce qu'elle pensait de cette barbarie Loinvoyant mais dans son cœur, l'équilibre entre Chalcèdes et les Duchés venait de se refaire de manière plus juste. Comme il s'inquiétait de son appétit, elle s'aperçut qu'elle s'était machinalement apprêtée à finir là son dîner. Elle se leva alors et vint déposer un baiser sur la tempe de Vainqueur avant de reprendre sa place pour finir le potage et ainsi le rassurer.

- Cette subtilité qui vous fait défaut, est-ce une chose innée ou acquise ?

Autrement dit, Aimée resterait-elle brutale comme son père ou son maniement de l'Art pourrait-il s'affiner avec l'âge et l'expérience.

Le potage terminé, Shyrin reposa son couvert et s'essuya avec sa serviette pendant que Vainqueur lui répondait. Elle sentit sa tension et s'abstint donc de répondre avant qu'il en ait terminé. À son sourire gourmand quand il mordit dans une brioche, elle comprit que la moitié du chemin vers la paix était fait grâce à la royale cuisine. Souriant également, avec douceur et indulgence, elle se leva à nouveau, délaissant son siège pour venir s'installer en travers des genoux de son mari sans lui laisser d'autre choix que celui de l'accueillir et passer un bras autour d'elle. Une main sur sa joue tandis qu'il avalait sa bouchée de brioche, elle plongea son regard dans le sien et son sourire s'élargit.

- Vous avez remporté la guerre et sauvé ma vie. Je vous la dois.

Elle posa un baiser léger et tendre sur ses lèvres avant de reprendre.

- Je me réjouis que notre fille ait hérité de votre magie, je suis certaine que nos fils l'ont également.

Caressant toujours sa joue, elle se fit plus sérieuse pour être sûre de bien se faire comprendre.

- Vous êtes un grand roi, Vainqueur. Je suis fière de vous et plus fière encore d'être votre épouse.

Shyrin laissa échapper un éclat de rire clair et joyeux. Elle aimait particulièrement cette facette plus légère et facétieuse de Vainqueur. Il était capable parfois de délaisser l'étiquette et son rang pour n'être que son mari et elle se plaisait à jouer le jeu pour profiter de ces instants hors du temps. Nouant les bras autour du cou, elle se pencha à nouveau pour un baiser rapide et rieur.

- Un instant j'ai cru que vous me préfériez ces brioches de la cuisine, me voilà rassurée.

Elle l'embrassa plus longuement cette fois puis se redressa en souriant pour lui susurrer une invitation malicieuse.

- À quoi bon rester dîner dans nos appartements si ce n'est pour goûter un dessert particulier ?

Riant aux éclats, Shyrin se tortillait comme pour tenter de se libérer des mains inquisitrices de son mari, comme s'ils étaient à nouveau de jeunes amants facétieux, comme si les années, le pouvoir et les enfants n'existaient pas pendant quelques instants.

- Vainqueur !

Son rire s'apaisa juste assez pour qu'elle saisisse le visage de son époux entre ses mains et pique quelques baisers tendres sur ses lèvres.

- Faites moi goûter, je ne suis pas sûre de l'aimer encore, provoqua-t-elle entre deux baisers.

- Je m'en souviens ! Je m'en souviens ! Cria Shyrin comme si elle protestait alors qu'en fait elle tendait les bras pour mieux attirer Vainqueur contre elle.

Quoi qu'il en pense ou quelle que soit la manière dont il voyait les choses, la Reine gardait un bon souvenir de leur mariage. Certes, après la chasse royale, Luve Fanel l'avait littéralement épinglée aux pavés de la ville et sans l'extraordinaire magie de son mari, elle aurait rendu son dernier souffle là-bas. Mais au bout du compte, elle avait épousé l'homme qu'elle aimait et ils s'étaient promis l'un à l'autre devant les Pierres Témoins. Rien ne pourrait changer ça. Et le jour de leur serment resterait l'un des plus heureux de sa vie avec ses plaisirs et ses défauts.