À presque six lunes de grossesse dont deux à souffrir de nausées et malaises divers, Shyrin expérimentait pour la premiere fois la frustration. Depuis que la venue de l’heritier avait été confirmée, Vainqueur ne la touchait plus bien que partageant son lit toutes les nuits. Au moins était-elle certaine de sa fidélité, songea-t-elle avec amertume en s’eveillant pour la troisième fois au milieu de la nuit. Son ventre considérablement arrondi la gênait et son mari lui ronflait dans l’oreille au lieu de la prendre dans ses bras. Ou plutôt, il la tenait bien, oui, mais n’avait plus pour elle aucun désir de toute évidence. Le constat était amer et la mettait en colère. Elle croyait sincèrement avoir bâti une relation plus intime et profonde avec son époux. Mais finalement, il ne la voulait que pour concevoir ses héritiers. En outre, il la tenait si bien contre lui qu’elle n’arrivait pas à s’en dépêtrer pour se retourner de l’autre côté.

- Par Sâ, allez-vous me lâcher ?! Grogna-t-elle dans sa langue maternelle.

De fort méchante humeur, elle était toute proche de forcer Vainqueur à la laisser aller, quitte à le frapper si nécessaire, quand tout lui sembla soudain vain et interminable. Éclatant en sanglots, elle cessa de lutter et se mit à tremper le torse du Roi. Elle étouffait avec sa chemise et il dormait avec des braies ! De plus, elle se sentait, grosse, laide et maladroite. Il n’y avait que Shane qui arrivait encore à la faire sentir bien quand elle prenait soin d’elle, mais elle ne pouvait pas sonner, coincée comme elle l’était contre Vainqueur. Cette pensée était si désespérante qu’elle pleura plus fort et se mit à supplier son mari de la lâcher, toujours dans sa langue maternelle, tout en espérant qu’il fasse l’inverse au contraire et s’occupe d’elle comme si elle était sa femme et non une sorte de relique sacrée.

Vainqueur s’éveilla et le monde bascula d’un coup. Il cessa de l’etouffer, oui, mais la quitta aussi pour allumer une chandelle. Entre temps les angoisses de le Reine étaient passées du désespoir complet à un calme relatif et ses larmes s’apaisaient. Quand il l’interrogea, elle avait déjà cessé de pleurer et était revenue à une saine colère. Son ton était pourtant encore plein de larmes et de craintes quand elle parvint à répondre, à demi assise et le drap serré contre elle.

- Vous me serriez si fort... Geignit-elle, éperdue.

Et pourtant son corps lui réclamait bien plus que cela. Des tas choses qu’elle ne savait nommer, encore moins expliquer.

- Ne partez pas... Le supplia-t-elle d’une voix misérable qui l’irrita elle-même.

Aussitôt Vainqueur assis sur le lit et lui ouvrant les bras, Shyrin s'y réfugia et se serra contre son torse avec un petit soupir. Malgré ses doutes et ses angoisses, il restait le seul à pouvoir la rassurer. Elle se rendait bien compte que son humeur avait quelque chose de trop changeant et d'irrationnel mais ne parvenait pas à se maîtriser.

- Je ne voulais pas vous inquiéter mais je me sens si... Si...

Si quoi, au juste ? C'était soudain fort difficile de mettre des mots sur ce qui la troublait tant. Il lui fallut quelques instants pour remettre de l'ordre dans ses pensées, aidée et apaisée par les caresses que lui prodiguait le Roi.

- Je ne veux pas être juste... Être seulement... La mère de nos enfants... Je veux... Je voudrais être aussi votre femme...

Par Sâ, c'était aussi confus que tout le reste, c'était très irritant. Ses larmes taries, elle se sentait à présent franchement agacée.

- Vous ne me touchez plus depuis que vous me savez enceinte, avoua-t-elle soudain sur un ton de reproche.

Elle n'osait pas encore le regarder mais reprenait peu à peu du poil de la bête et en perdait dans le même temps sa diplomatie et sa retenue.

Le rire de Vainqueur l'irrita fortement et pourtant, dès qu'il posa une large main contre l'arrondi de son ventre, elle sentit sa colère s'envoler. Et elle lui en voulut de posséder tant de pouvoir sur elle, de pouvoir profiter, même sans le vouloir, de sa vulnérabilité. Il y avait tant de choses qu'elle voulait lui dire, lui expliquer, mais peu parvenaient à s'exprimer clairement et à sortir de ses lèvres. Il la mettait en colère et cependant elle savait bien qu'il avait l'impression de lui dire des mots tendres. D'ordinaire, elle ne corrigeait pas ses maladresses et se laissait convaincre à demi mot, mais pas ce soir. Pas comme ça. Posant une main petite et légère sur la sienne, elle sentit soudain le coup donné par leur enfant et ne put se retenir de sourire et de frissonner en même temps. Un petit rire incrédule lui échappa tandis qu'elle laissait passer quelques instants pour la béatitude des jeunes parents en devenir. Puis la colère revint alors qu'il prononçait ses derniers mots. Elle se raidit et se détourna sans toutefois priver Vainqueur du contact avec leur enfant à naître.

- Et parce que je vous ai dit oui, lui rappela-t-elle, un peu pincée.

S'écartant du Roi, elle s'installa en tailleur au milieu du lit et enveloppa son ventre rond de ses deux mains. Après l'avoir ainsi caressé quelques instants, elle leva les yeux vers Vainqueur pour tenter de voir s'il la comprenait.

- M'aimez-vous seulement un peu ? Osa-t-elle souffler, anxieuse et pleine d'espoir à la fois. La sage-femme a dit que je pouvais vivre normalement...

Elle n'osait en dire plus du désir qui lui brûlait les reins. Si son propre mari qui partageait ses nuits ne pouvait déceler ça chez elle, alors qui le pourrait ? Elle se savait réservée - et enceinte qui plus est - mais son époux ne pouvait-il sentir que son corps lui réclamait des choses ?

Avide de ses mots et de ses gestes, Shyrin couvait Vainqueur d'un regard plein d'espoir et brillant. Mais cette fois là non plus il ne sut pas combler ses attentes. Depuis qu'elle s'était présentée devant lui, fort longtemps auparavant à la frontière chalcédienne pour se rendre et gagner la paix, il l'avait déçue et malmenée à de nombreuses reprises. Pourtant il lui sembla que ce soir là, la déception était plus vive, la peine plus grande. Baissant les yeux sur l'arrondi qu'elle enveloppait toujours de ses mains, elle sentit que les larmes pouvaient à nouveau jaillir à tout instant. Oscillant entre la peine et la confusion, elle tressaillit quand il éleva la voix et releva vivement la tête. Il l'avait fait basculer dans la colère en un clin d'oeil.

- Au rythme de mes envies ? Est-ce à dire que je ne fais rien ? Que je ne sers à rien à vos yeux ? Me prenez-vous pour une cruche sans cervelle ?!

Du moins elle ne servait visiblement à rien d'autre qu'à porter ses héritiers depuis qu'il lui avait fait la grâce ultime de lui accorder de porter sa couronne. Mais jamais il ne lui laisserait être autre chose qu'une jolie image de reine, aussi inutile que charmante. Furieuse de sa propre stupidité, elle se glissa maladroitement jusqu'au bord du lit et se laissa descendre doucement jusqu'au sol. Aussitôt elle se mit à arpenter le tapis, une main calée au creux des reins et l'autre sur son ventre. Un juron chalcédien lui avait échappé mais elle cherchait à présent les mots dans la langue des Duchés.

- Par Sâ, croyez-vous que les gens cessent toute activité quand un enfant s'annonce ? Je ne suis pas malade !

Un nouveau juron chalcédien s'éleva alors qu'elle soufflait un air rageur et faisait demi-tour sur le tapis.

- Si c'est le cas, je comprends mieux pourquoi il y a autant de putains dans votre pays !

Même si son origine étrangère ne s'entendait plus que dans son accent et non dans sa maîtrise de la langue, il y avait encore bien des mots qui lui manquaient, notamment les plus grossiers car personne n'apprendrait jamais rien de tel à la reine, évidemment. Encore plus enragée à cette idée, elle regretta pour la première fois d'avoir troqué une cage pour une autre. Mais à bien y réfléchir, elle n'avait fait que cela toute sa vie. Cette idée la rendit subitement très triste et elle sentit que les larmes roulaient sur ses joues. Pourtant sa colère était toujours vive. Et par Sâ, elle commençait à avoir faim !

Désespérée d'elle-même, fatiguée de tant de confusion, de tant d'incompréhension avec Vainqueur et de tant de frustration, elle finit par se laisser tomber dans un fauteuil placé devant l'âtre où le feu se mourait. Elle avait froid aux pieds à présent, mais les joues en feu à cause de sa colère et de ses larmes. La tête lui tournait, elle ne savait plus si elle voulait dormir, manger, pleurer, crier sur son mari et le chasser ou au contraire se blottir dans ses bras.

La réaction de Vainqueur dépassa ses pires craintes et de loin. La déception la mordit vivement à nouveau. Incrédule, elle contempla la mine furieuse de son mari puis détourna les yeux, trop peinée pour continuer à le regarder. L'incompréhension entre eux atteignait des sommets qu'elle n'aurait jamais soupçonné. Pour la première fois depuis qu'il avait fait son étrange demande sous forme de commandement, elle se prit à regretter d'avoir accepté. Si elle avait pu se montrer rationnelle, elle aurait su qu'elle n'avait pas d'autre choix à ce moment-là et que, qui plus est, ce choix s'était révélé judicieux et plutôt heureux. Mais toute lucidité l'avait désertée, surtout avec le regard de dégoût que le Roi posait sur elle en la quittant.

Repliant ses jambes de son mieux malgré son ventre proéminent, elle s'enfonça dans le fauteuil en tournant le dos à Vainqueur qui voulait la quitter. Le coeur brisé par cet impossible dialogue entre eux, elle pleurait franchement à présent mais en silence, toute fureur l'ayant complètement désertée. Le visage caché contre le dossier, elle serra son poing contre sa bouche pour étouffer le bruit et laissa son époux la quitter sans chercher à le retenir. À quoi bon ? Ils ne s'entendaient pas. Les premiers temps passés, ils ne parvenaient pas à se parler ni à s'écouter. Qu'il regagne donc ses appartements et qu'il y reste jusqu'à la naissance de l'enfant. Aussitôt qu'elle lui aurait donné le fils qu'il voulait, elle devrait sans doute s'estimer heureuse qu'il la laisse seulement vivre à Castelcerf, pas trop loin de son enfant.

De toute façon, elle ne serait pas plus seule alors qu'elle l'était déjà aujourd'hui. Vainqueur ne la visitait que pour faire son devoir et veiller à ce qu'elle porte correctement son héritier. Acuité se montrait toujours aussi distante et méfiante même si elle s'était adoucie depuis l'annonce de sa grossesse. Brun la haïssait franchement. Vaillant était parti se marier chez lui. Ava avait disparu dans les méandres du château et y faisait sa vie de serviteur. Shane seule restait fidèle au poste. Mais suffirait-elle à combler l'immense vide qui l'habiterait après l'abandon de Vainqueur et la privation de leur enfant. Le désespoir la rendait paranoïaque et très créative dans le domaine de son petit martyr personnel mais à aucun moment elle ne songea qu'elle faisait peut-être fausse route. Au contraire, elle se laissa emporter par toutes ces sombres idées et sanglota de plus belle contre le brocard du fauteuil qui en fut rapidement trempé.

Soudain Shane fut là et il sembla à Shyrin que l'air était moins pesant. Dépliée alors qu'elle se refermait sur elle-même, elle ouvrit des yeux de noyée mais ne vit que la silhouette de sa soeur à travers le voile trouble de ses larmes. Comme autrefois. La colère l'avait abandonnée depuis longtemps et elle ne savait même plus vraiment pour quelle raison précise elle pleurait. les larmes ne paraissaient pas vouloir s'arrêter en revanche. Attirant sa soeur plus près, elle l'étreignit pour tenter d'apaiser ses sanglots contre son épaule.

- Oh Shane...

Le petit nom avait ravivé des souvenirs d'enfance et adouci sa peine, mais elle peinait à reprendre pied. Elle attendit que se calment un peu ses spasmes avant de tenter de s'expliquer misérablement.

- Je sais... Je sais que je suis irrationnelle... Je sais... Mais je me sens si mal... Si laide... Inutile...

Plus rien ne semblait avoir de sens ou de base solide. Elle ne savait même plus exactement ce qu'elle avait voulu dire, ce qu'elle reprochait à Vainqueur et au monde entier. Mais elle avait ressenti la frustration de ne pas obtenir ce qu'elle désirait et en gardait rancune à son mari. Quand elle avait voulu des réponses, il avait fui. Ne pouvait-il pas voir qu'elle était mal et ne trouvait pas le repos ? Était-ce si difficile de tenter de l'apaiser plutôt que de l'abandonner après des mots durs ? Pourquoi refusait-il de l'entendre ? De la considérer comme digne d'être écoutée ? Les pensées l'assaillaient à nouveau et tournaient dans sa tête, éveillant sa peine et son incompréhension. Sanglotant de plus belle, elle laissa passer la nouvelle vague puis, toujours agrippée à sa soeur, gémit encore plus misérablement.

- Aide-moi à me mettre au lit, S'il te plaît... Reste avec moi...

Relevée lentement, comme un gros animal encombrant, Shyrin s'accrochait à Shane, plaçant en elle plus de confiance et de respect qu'elle ne l'avait fait tout a long de leur enfance. Elle lui avait toujours été indispensable, ne serait-ce que parce qu'elle avait été ses yeux pendant des années. Mais même en y voyant correctement à présent, elle ne pouvait pas se passer d'elle et s'appuyait sur elle dans tous les aspects de sa vie. Quand elle mentionna leur mère, la Reine ne sanglotait déjà plus même si des larmes inondaient toujours ses yeux et son visage.

- Tu te souviens d'elle ?

L'idée de n'avoir jamais vu les traits de sa propre mère ou de son père vénéré l'emplissait d'une tristesse sans fond même si elle était infiniment reconnaissante et heureuse au même instant de pouvoir voir le visage de sa soeur, celui de son mari, et de voir bientôt celui de son enfant.

Elle n'était pas revenue à la langue des Duchés, éprouvant ce besoin irrationnel mais contre lequel elle ne pouvait lutter, de retrouver des choses rassurantes et apaisantes, comme les murmures échangés au lit avec sa soeur. Shane n'avait jamais rechigné à dormir avec elle pour chasser les cauchemars ou les peines de la princesse. une fois encore elle jouerait les gardiennes de ses nuits et serait l'élément indispensable de sa vie. Tressaillant au premier coup du bébé, elle posa sa main sur celle de sa soeur et la guida sur son ventre, là où elle savait qu'il était enroulé sur lui-même pour la nuit, même s'il ne dormait pas. L'enfant cessa aussitôt de s'agiter, fascinant sa mère et sa tante du même coup.

- Je sais pas, Shane, murmura-t-elle. Je crois qu'il me voit comme une enfant capricieuse. Il n'écoute pas quand je parle... Si je danse, il croira à une nouvelle lubie puérile.

Les larmes s'étaient taries cette fois et ses joues séchaient, seule restait la lassitude de ne pas parvenir à être celle qu'elle voulait.

- Ou plutôt, il ne m'entend pas. Il me trouve certainement assez jolie pour partager sa couche quand il faut pour avoir un héritier, utile parce que je porte cet héritier, mais pour le reste, je crois qu'il se fiche bien de ce qui se passe dans ma tête ou de mes sentiments...

Ses doigts étaient restés mêlés à ceux de la jeune fille sur son ventre t elle les serra un peu, geste inconscient destiné à se donner du courage.

- J'ai besoin de m'éloigner, je suis lasse de la Cour, des intrigues, de Bienséance qui me surveille à chaque instant et de mon mari qui me prend pour un vase... Je ne veux pas être un vase, Shane, je veux être la Reine et l'épouse de Vainqueur. Tu comprends ?

Shyrin sourit également dans la pénombre mais sans joie réelle. Shane avait certainement raison, ses humeurs n'aidaient absolument pas la bonne communication au sein de son couple. Mais Vainqueur ne faisait pas non plus d'effort dans ce domaine. Il était le Roi et s'attendait à ce que tout soit exactement tel qu'il le souhaitait, sinon, il oblitérait simplement ce qui ne cadrait pas avec son idée. Comme elle cette nuit. Mais il fallait arrêter de ressasser cette rancoeur, ça ne lui apportait rien de bon.

Les paroles et les idées de Shane avaient du sens. Comme toujours, elle pouvait compter sur sa soeur pour l'aider à rester sur a bonne voie, à se retrouver quand elle se perdait. Shane l'apaisait comme personne d'autre ne savait le faire. Son souffle s'était calmé, son coeur également, et elle pouvait à présent réfléchir un peu plus posément.

- Je crois que tu as raison, chuchota-t-elle à son tour. C'est à moi de prendre la place que je veux au lieu d'attendre qu'on me la donne. Acuité me l'a dit aussi, mais j'étais tellement préoccupée par la venue du bébé que je me suis oubliée...

Jusqu'à ce qu'elle explose comme un four sans aération. Au moins pouvait-elle le reconnaître à présent. Son sourire s'épanouit comme elle se lovait un peu plus étroitement dans les bras de Shane.

- Mais pas de fête pour le moment. Pas tant que je ressemble à un donjon. Je dois faire les choses dans l'ordre.

Elle réfléchissait plus calmement à présent et si elle n'avait plus le désir de fuir et de se cacher, elle avait en revanche un réel besoin de se retrouver et de comprendre quelle Reine et quelle femme elle voulait être.

- Acuité m'a parlé de Corvecol. C'est un domaine royal qui est suffisamment proche de Castelcerf pour que je puisse m'y rendre, même maintenant. De toute façon, je n'ai pas l'intention de demander la permission. J'ai besoin de me retirer quelques temps et je ne pourrai bientôt plus paraître, quoi qu'il en soit. Nous partirons dès demain, juste toi, moi, et la guérisseuse Patience. Ma garde nous escortera.

Elle marqua une pause, le projet prenant forme dans son esprit à mesure qu'elle l'énonçait.

- Et un précepteur. Nous engagerons quelqu'un pour m'apprendre à lire et écrire correctement. Quelqu'un de discret et efficace. Quand je rentrerai pour mettre au monde mon enfant, je veux savoir lire. Mon bébé n'aura pas une mère illettrée.

Plus calme à présent, apaisée par les bonnes décisions qu'elle entendait bien mettre en oeuvre dès le lendemain Shyrin ferma les yeux sans discuter. Un léger sourire aux lèvres, elle serra la main de sa soeur contre son ventre, heureuse de pouvoir partager cela avec elle, de retrouver un peu de cette complicité qui l'aidait à y voir plus clair et à retrouver confiance en elle-même. Sereine et vaincue par la violence des émotions de la nuit, elle s'endormit rapidement.

Au réveil, Shyrin n'avait aucunement changé d'avis. Au contraire, plus déterminée que jamais, elle était impatiente de pouvoir respirer loin de la Cour où elle étouffait et loin de son mari qui la prenait pour une idiote inutile. Ignorant purement et simplement le regard de Shane qu'elle sentait peu convaincue par son idée, elle lui fit préparer les bagages pendant qu'elle prenait son courage à deux mains pour prévenir Vainqueur de son intention.

Pas lui demander sa permission, ça non. Et surtout pas en privé. Là, c'était sans doute par lâcheté mais tant pis. Elle ne voulait surtout pas courir le risque qu'il lui interdise de partir. Or, en audience officielle, il n'oserait pas l'humilier, croyait-elle savoir. Et pour ne pas qu'il soit embarrassé lui non plus, elle le présenta comme étant sa propre idée à lui. Le projet délicat d'un mari soucieux du repos et du bien-être de son épouse qui serait bientôt confinée à ses appartements compte tenu de son tour de taille digne d'une barrique.

De retour à ses appartements, elle chargea une fois encore Shane de commander la voiture et de faire prévenir Patience. La guérisseuse s'était attachée à ses pas depuis qu'elle avait confirmé sa grossesse, aussi ne doutait-elle pas une seule seconde qu'elle la suivrait sans discuter. D'ailleurs l'invitation incluait mari et enfants si elle le désirait, Shyrin n'était pas regardante tant qu'elle avait la paix et un professeur pour la lecture.

En quelques heures, Castelcerf était bien loin derrière elle et elle se laissait bercer sur l'épais tas de coussins amoncelés dans la voiture pour ne pas trop la secouer. Somnolente, elle se laissa aller dans les bras de sa soeur avec l'impression de se détendre réellement pour la première fois depuis qu'elle se savait enceinte.