Tu n'es pas celle que j'attends [Shyrin]

Nouvelle épreuve après la pendaison, Brun fut nommé Grand Conseiller du Roi le soir-même. Devant la Cour réunie autour du dîner, il prononça son serment et, plus par obligation que par goût, se fendit d'un petit discours qui reprenait en substance celui du Roi avant l'exécution, le charisme en moins. Notre Royaume a été attaqué, mais nous restons fermes et forts, les responsables seront sévèrement châtiés, je jure de tout faire pour œuvrer à cela ainsi qu'à la puissance et à la prospérité du Royaume aux côtés du Roi Vainqueur Loinvoyant, blablabla. A la demande du Roi, Brun ne parla pas de "l'ennemi chalcédien" comme il en avait très envie, et ne fut pas trop belliqueux, car il ne s'agissait pas de troubler la digestion de ces Messieurs Dames que la pendaison semblait avoir mis en appétit, ni d'insulter la Reine. Il prit grand soin de ne pas regarder Acuité et Glace, dont seul dépendait, en vérité, l'honnêteté de son serment. Car si le mariage n'avait pas lieu, il déserterait - Vainqueur le savait, n'est-ce pas ? Brun lui avait dit qu'il ne laisserait pas Acuité. El sait comment, il prendrait sa femme et son fils et ils disparaîtraient. Mais si le mariage était accordé, alors Brun serait le loyal Conseiller du Roi ; on ne trouverait pas plus zélé, et il ramènerait lui-même la tête de Bhaal sur sa table. Tout dépendait de la conversation qu'auraient le Duc et le Roi, le lendemain.

Après le banquet et après que tout le monde soit couché, Brun se glissa dans la chambre d'Acuité. Il l'informa de cette conversation cruciale entre son père et son cousin, mais elle ne réagit pas, restant plongée dans ses pensées. Peut-être pensait-elle à l'homme que la corde étranglait ? Brun aurait voulu partager cela avec elle, pour la soulager, mais c'était trop tard, il ne savait pas comment faire. Globalement, il n'arrivait pas à retrouver cette intimité qu'ils avaient eue lorsqu'ils étaient encore au Bourg. Etait-ce lié à leurs fiançailles ? A la souffrance de l'étranglement qui isolait Acuité ? A leur éloignement au profit de Vainqueur puis de sa famille, dont la présence à Castelcerf rendait toute visite difficile ? Toujours est-il qu'une fois les informations délivrées, la petite Duchesse lui demanda de la laisser seule, et Brun sortit sans se faire prier, vexé d'être ainsi congédié par celle qui - il l'espérait - allait devenir sa femme. Peut-être que, maintenant qu'il avait accepté de l'épouser, Acuité ne faisait plus aucun effort pour lui plaire, songea-t-il avec acidité ; mais rien n'était encore gagné.

Brun ne dormit quasiment pas de la nuit. Il ne cessait de penser à ce que Vainqueur allait faire, puis au matin, faisait, à ce que Vainqueur allait dire. Allait-il défendre sa cause avec fermeté, comme Brun l'avait défié de le faire, comme le Roi le lui avait promis ? L'après-midi, le Conseiller n'y tenait plus. Comment cela pouvait-il leur prendre autant de temps ? Ça n'était pas bon signe, non, ça ne l'était pas... Vainqueur aurait sans doute bientôt fini n'est-ce pas, il le fallait, alors Brun alla l'attendre directement dans ses appartements. Sans gêne dans ce salon qui lui était familier, Brun s'assit sur le canapé, se releva, se rassit, fit les cents pas, se rassit. Rongé par l'ennui, l'angoisse et l'insomnie, il finit par s'assoupir dans le canapé. Des coups timides à la porte le tirèrent du sommeil, et émergeant à peine, la tête embrumée et le corps affalé, il répondit par réflexe, comme s'il était chez lui :
- Entrez !

Mal à l'aise depuis la veille et malgré les efforts de ses amis, Shyrin avait passé la journée à tourner en rond dans ses appartements. La nuit avait été agitée. Bien qu'encore fatiguée, elle s'était éveillée à plusieurs reprises, encore troublée et ne trouvant pas sa place dans ce lit qui avait fini par lui être plus familier que celui du Roi où elle avait pourtant cru qu'elle dormirait plus souvent que chez elle. Jamais elle ne l'aurait cru possible, mais elle se languissait de son mari. Elle voulait à toute force retrouver l'intimité qui avait tout juste commencé à prendre naissance entre eux. Elle voulait entretenir cette petite flamme et la faire grandir bien sagement pour arriver à l'union qu'ils avaient désirée tous les deux.

Dans le courant de l'après-midi, elle se décida donc à tenter de trouver vainqueur. Elle savait pertinemment ce qu'il avait fait du début de sa journée et espérait lui apporter un peu de réconfort après ces moments difficiles. Ce serait l'occasion de se rapprocher un peu de lui et de lui témoigner une fois encore son soutien et sa loyauté. En espérant que ça les mène sur d'autres voies pour la nuit à venir ou d'autres. À la porte des appartements de son mari, elle frappa par habitude et entre immédiatement. Elle en avait le droit. Elle avait à peine fait un pas en avant qu'une voix qui n'était pas celle de Vainqueur l'invita à entrer. Stupéfaite, elle découvrit alors Brun Braveterre affalé sur un sofa comme s'il était chez lui. Mortifiée, elle referma derrière elle et joignit les mains dans son giron. Il était inutile de faire machine arrière.

- Vous attendiez sa Majesté, je présume ? S'enquit-elle poliment.

Enfin attendre... Il squattait sans vergogne les appartements de son mari et se vautrait sur un sofa pour faire la sieste. Elle en était abasourdie par tant de grossièreté mais pas question de le lui laisser voir. Il prendrait cela pour de la jalousie envers ce qu'il partageait avec Vainqueur, pour de l'insécurité ou pire. Elle ne voulait pas prêter le flanc à des critiques. Surtout pas à lui qui la haïssait déjà.

Shyrin fut là trop vite. Shyrin ? Il n'était pas bien réveillé. La Reine. Qui le regardait. Brun se redressa sur le dossier du canapé et balaya de sa tunique des miettes imaginaires. Il n'avait pas mangé ici, pas même bu. Avait-il dormi longtemps ? Quelle heure était-il ?
Brun chercha l'horloge des yeux puis réalisa qu'il était grossier, sans doute, d'ignorer la présence de la Reine en ces lieux. C'était si bizarre de la voir là. Elle était chez Vainqueur. Pouvait-elle entrer chez le Roi comme il lui plaisait ? Que lui voulait-elle ?

- Oui, répondit-il simplement à sa question inutile.
Shyrin ne l'avait pas salué, alors il ne la salua pas. Brun replia ses doigts et toqua ses phalanges contre le bois de l'accoudoir. Une blague pour lui-même, à moins que Shyrin ne sache pourquoi il était là et surtout, pourquoi Vainqueur ne l'était pas. C'était probable, quand il y pensait. La Chalcédienne était l'épouse du Roi et l'amie d'Acuité. Si les choses étaient bien négociées, il allait devoir supporter ses intrusions dans sa vie privée pendant plusieurs années.

Mais là, Brun était trop sur les nerfs pour lui donner du "comment allez-vous ma Reine, oh comme vos joues sont roses comme des fesses de bébé, et ce bébé, il est en route ?". D'ailleurs ils n'étaient que tous les deux, alors pourquoi s'ennuyer ?
- Souhaitez-vous que je laisse un message pour vous à "sa Majesté" ? demanda-t-il.
Manière polie de lui signifier qu'auprès de Vainqueur, il se gardait la priorité ; et qu'elle pouvait se retirer.

Sachant ce que faisait Vainqueur et à quel point Acuité et Brun Braveterre devaient être tendus dans l'attente de nouvelles de sa part, Shyrin n'était pas surprise de trouver le Conseiller du Roi aussi nerveux. La grossièreté inégalée dont il fit preuve face à elle parvint néanmoins à la surprendre.

Non seulement il ne s'était pas levé, pas incliné, ne l'avait pas saluée comme il le devait, mais de plus il agissait en familier des lieux comme si c'était elle l'intruse dans les appartements de son propre mari. Fatiguée par sa convalescence, écoeurée par l'exécution à laquelle elle avait du assister, irritée de devoir courir après son époux, elle n'était cependant pas prête à arrondir les angles ce jour-là ou à laisser passer les caprices de Brun Braveterre. Quel que soit son rang auprès de Vainqueur, elle lui était supérieure et il faudrait qu'il s'y fasse.

Redressant les épaules et nouant les mains devant elle, elle pinça les lèvres un instant et mit de l'ordre dans son esprit pour rester calme et lucide malgré son irritation croissante. Elle en était malade de devoir elle-même remettre à sa place cet homme arrogant et haineux qui n'avait pas la plus petite once de respect pour elle. Il aurait du s'estimer heureux qu'elle n'ait pas encore dénoncé ses affronts répétés au Roi. Sa droiture et son respect d'elle-même l'empêchaient d'user de moyens aussi bas mais elle finirait par le faire si elle n'avait plus d'autre recours.

- Vous avez été élevé à la Cour, n'est-ce pas, Messire Braveterre ?

Neutre et calme, elle fixa sur lui un regard indéchiffrable.

- Vous n'ignorez donc pas l'étiquette à respecter en présence d'un monarque, je pense.

Il avait les cartes en mains : soit il se levait immédiatement et la saluait avec le respect qu'il lui devait, tout serait alors oublié. Soit il persistait dans son attitude de paysan borné et elle n'aurait d'autre choix que de prendre les mesures adaptées.

Encore mal réveillé, Brun regarda la Reine avec incrédulité. Un monarque ? C'est d'elle qu'elle parlait ? L'étiquette ? Elle voulait qu'il respecte l'étiquette, dans les appartements privés du Roi ?

Brun comprit que cela ennuyait Shyrin de le découvrir là, autant que l'inverse. Pourtant ils allaient bien devoir se partager l'attention du Roi. Dans ce partage, la Reine ne voulait pas d'égalité ; cette petite démonstration d'autorité visait sans doute à cela, à moins qu'elle veuille simplement l'humilier ? Brun lui avait déjà donné son allégeance, ses respects et ses regrets, cela ne la contentait-elle pas ? Il ne lui céderait pas un pouce de terrain supplémentaire. La Reine avait déjà les nuits du Roi, et cela suffisait à sa condition.

- En vérité, je viens de terres plus barbares, répondit-il avec un sourire. Mais bien sûr j'ai appris ce qu'il fallait savoir... ma Reine... dit-il en exécutant une révérence ampoulée, qui n'avait rien à envier à celles que servaient quotidiennement à la souveraine Vaillant Fructurive et autres courtisans.
Shyrin y avait-elle déjà pris goût ? Cet appétit là, elle ne l'avait sans doute jamais perdu. Brun se souvenait avec acuité de la princesse ennemie qui l'avait hautement méprisé du fond de sa captivité crasse, jadis en Chalcèdes.

Brun se rassit dans le fauteuil d'à côté, lui laissant la jouissance du canapé. L'étiquette aurait sans doute voulu qu'il attende la permission de la Reine pour ce faire, mais peut-être aurait-elle l'intelligence de ne pas trop en demander.
- Je devrais sans doute vous remercier de me rappeler au rôle qui est désormais le mien, dit le nouveau Conseiller.
Des révérences comme celles-ci, il allait lui falloir en faire plus souvent désormais, même s'il n'en avait pas envie.
- Mais ce n'est pas à plier l'échine que je veux aider le Roi.

Il regarda Shyrin avec intensité, songeant qu'il allait peut-être pouvoir, contre toute attente, mettre sa présence à profit.
- Parlez-moi de Bhaal Fanel, dit-il sans transition ou plutôt, fort à propos. Ma Reine.

Insolences et provocations se succédaient pourtant Shyrin choisit sciemment des les ignorer. il était inutile d'ajouter de l'huile sur le feu alors qu'il lui avait accordé ce qu'elle désirait. Ce qui en ressortait et qui était à présent clair à ses yeux, c'était qu'il la voyait comme une ennemie, une rivale, chacune de leur rencontre était une lutte qu'il espérait emporter. N'était-il donc jamais fatigué de combattre ? Elle si. Épuisée, même. Traversant la pièce, elle se posta devant la cheminée et y chauffa ses mains restées glacées et pâles. Au moins pouvait-elle ainsi tourner le dos à l'indésirable et éviter qu'il remarque à quel point elle était exténuée et peinée.

- Ne vous faites pas plus stupide que vous ne l'êtes, soupira-t-elle. Vous connaissez parfaitement les usages, nous le savons tous les deux.

Son accent ressortait davantage ce jour-là. Fatigue, énervement... La moindre contrariété et elle devait se rappeler de parler dans la langue des Duchés et non dans sa langue maternelle. Elle soupira encore, portant une main à son front, le tête baissée.

- Si vous croyez réellement qu'accorder aux gens le respect qui leur est du est une manière de plier l'échine alors c'est que l'un de nous deux n'a pas parfaitement compris le sens de ces usages. Et si vous croyez réellement que je suis assez naïve et idiote pour croire que je peux tenter de faire plier le Roi, alors c'est que votre opinion est encore pire que ce que je craignais.

De toute évidence, il ne croyait pas à ses serments, il n'accordait aucune valeur à sa parole, il la méprisait avec une intensité peu commune. Et quoi qu'elle dise ou fasse, quel que soit le temps passé dans les Duchés o la durée de sa loyauté, jamais son opinion ne changerait. Elle devait vraiment s'y faire. Elle devait prétendre que ça ne l'atteignait pas. Elle s'apprêtait à ajouter quelque chose au sujet de son serment envers le Roi et son mari mais il la prit alors au dépourvu avec sa question au sujet de Bhaal. Pâlissant, elle tourna le dos au feu pour lui faire face cette fois. Elle ne serait pas lâche. Quelle que soit la grossièreté dont il fait preuve envers elle.

- Que voulez-vous savoir ?

Fort heureusement, Brun était moins susceptible que la Reine qui exigeait un respect qu'elle ne lui témoignait pas. A présent elle l'insultait et supposait qu'il l'insultait. Brun n'était pas venu pour se battre ; il n'était pas venu pour elle et défendait seulement son droit d'être là et de passer le premier auprès du Roi, puisque les circonstances l'exigeaient.

Il était plutôt ironique de se faire chapitrer par une Chalcédienne sur les bonnes mœurs, mais soit. La Reine avait raison sur un point : montrer ses respects n'était pas plier l'échine, alors soit ; si Shyrin voulait du "ma Reine", il allait lui en donner, même en privé. Brun se demanda si elle exigeait la même lourdeur d'Acuité. Quelle corvée.

- Le respect ne s'exige pas, ma Reine. Il se gagne, dit-il calmement dans le canapé, comme s'il participait à une conversation philosophique.
Et c'était le cas : philosophie politique. La Chalcédienne croyait-elle qu'un monarque n'avait aucune obligation envers ses sujets ? En un sens, il lui rendait service.
- Croyez-moi, ce respect, je ne demande qu'à vous le donner.
Contrairement à ce que la Reine pouvait penser, ses serments et ses regrets n'étaient pas mensongers. Vainqueur avait choisi Shyrin, en dépit du bon sens, mais c'était fait. Brun espérait qu'il s'était trompé à son sujet. Ça n'était pas en le regardant comme un crotteux indiscipliné qu'elle allait le lui prouver.

- Vous pouvez m'aider. Je veux tout savoir, tout ce qui peut nous servir contre lui. Qui il est, ce qu'il fait, avec qui, qui sont ces gens, comment et où il vit.
Comment le blesser. Aimait-il Shyrin, ou l'avait-il aimée ? Sans doute que oui, pour créer pour elle une attaque si personnelle.

- Que croyiez-vous donc ? Ironisa la Reine d'une voix lasse. Que vous pourriez me tutoyer et m'appeler par mon prénom en privé ? Vous abstenir de me saluer et rester assis ? Je suis toujours la Reine et nous ne sommes pas amis, ainsi que vous l'avez souligné vous-même à maintes reprises et avec plus ou moins de subtilité. Il est même heureux que Vainqueur n'ait pas encore remarqué en quel mépris vous me tenez.

Elle serra les mains à s'en faire blanchir les articulations puis se força à relâcher cette tension qui ne s'était même pas lue sur son visage déjà épuisé et pâle.

- J'ai prouvé mon respect et ma loyauté envers ceux à qui je les devais, ceux envers qui je m'étais rendue coupable de trahison. Même le peuple des Duchés a commencé à me pardonner d'être née du mauvais côté de la frontière. Si vous estimez devoir me faire payer des fautes qui n'étaient pas dirigées contre vous, à votre aise. Mais ne venez plus jamais me donner de leçon de respect chez moi. Je pense mériter au minimum la politesse due à n'importe qui.

Car elle était chez elle. Les appartements de Vainqueur étaient aussi les siens. Il faudrait bien qu'il s'y fasse. Elle était dure, coupante, froide, elle le savait et le regrettait. Mais l'épuisement ne lui permettait plus de se montrer souple et indulgente. Cet homme là ne lui pardonnerait jamais d'avoir épousé son ami qu'il voulait garder pour lui seul. Il ne lui pardonnerait jamais d'être l'amie de la femme qu'il prétendait aimer. Il ne lui pardonnerait jamais d'être qui elle était. Or, elle ne pouvait pas changer cela. Autant accepter dès à présent qu'une réconciliation ne serait pas possible. Ils s'éviteraient poliment pour le bien de Vainqueur et d'Acuité.

Pourtant, avant de se résigner, elle eut envie d'une dernière mesquinerie. Elle eut envie de lui dire que pour la juger comme il le faisait, il devait fort bien connaître les Chalcédiens et n'avait donc aucunement besoin de son opinion sur Bhaal Fanel. La bile lui monta dans la gorge et la nausée la saisit, la faisant paraître plus pâle encore et mal en point si possible. Elle n'esquissa pas un geste pour trahir ce malaise grandissant mais ravala sa fierté et sa peine pour balayer les rancœurs et lui donner ce qu'il voulait. Après tout, elle n'avait aucune autre utilité à ses yeux.

- Bhaal Fanel dirige un clan puissant et nombreux. Moins que celui de mon père, pour le moment et pour autant que je le sache, mais suffisant pour qu'il en tire orgueil et pouvoir. Mon père est encore Guerrier de la Nation à ce jour, mais bien des clans pourraient prêter allégeance à Bhaal Fanel s'il lui prenait l'envie de renier le traité de paix et de me faire payer ma trahison.

Cette simple évocation fit revenir la nausée plus violemment encore. Trahir son peuple, son clan et son père restait la plus grave blessure qu'elle se soit infligée à elle-même.

Que croyait-il ? Oui que croyait-il ? Pouvoir attendre chez Vainqueur "tranquille", la décision dont dépendait le reste de son existence, sans que la poupée chalcédienne du Roi vienne lui casser les noix ? N'était-ce pas un espoir raisonnable ? Non, c'était naïf de sa part ; les choses allaient changer pour lui et avaient déjà changé pour Vainqueur. Brun le réalisait en voyant Shyrin plantée devant lui à lui faire la leçon de politesse. Shyrin serait partout là où on l'autorisait à être. Jusqu'où le Roi l'autoriserait à être ? Allait-elle le dénoncer au Roi ? Quoi, parce qu'il ne s'était pas levé ?!

Brun songea avec mesquinerie que ces derniers jours, Vainqueur avait préféré comploter avec lui jusque tard dans la nuit, ici même, comme ils en avaient l'habitude, plutôt que de s'acquitter de son devoir conjugal auprès de sa si fragile Reine. Shyrin n'avait pas le poil de la bête. Elle réclamait courageusement des courbettes, et ces courbettes, Brun s'en était acquitté. Mais face à toutes leurs années d'amitié, elle ne pouvait pas gagner. Alors certes, la Reine aurait son respect de façade, si c'est ce qu'elle voulait. Brun pouvait bien lui concéder cela. Au fond, ça n'était pas grand chose, ça n'était que la "politesse de n'importe qui".

Pour le reste... il attendrait. Contrairement à ce qu'elle disait, la Chalcédienne n'avait rien prouvé, si ce n'est de la mansuétude envers Acuité (dont Brun lui était reconnaissant) et une tenue correcte en public. Elle partait avec le handicap de ses origines, c'était certain, et avec le poids des fautes dont il ne l'avait qu'à demi pardonnée ; mais plus que ces fautes, c'étaient les tares qu'elles révélaient que Brun lui reprochait. La dissimulation, les faux-semblant et la morgue. Il n'avait nulle intention de l'accabler, mais il ne la laisserait pas s'en servir contre le Roi. N'était-elle pas déjà parvenue à ses fins, en se hissant jusque là ?

- Considérez-le comme dit, ma Reine, dit Brun, accusant réception, sans rien livrer de ces réflexions.
Il se promettait la méfiance comme une vertu, mais il ne tirerait pas les armes le premier, peut-être juste le bouclier. Shyrin n'aurait plus rien de visible à lui reprocher. D'un geste poli, il l'invita à prendre place dans le canapé, même si elle se considérait sans doute Reine en ces lieux ; alors pourquoi rester plantée là ? Craignait-elle de perdre son autorité en s'asseyant à son niveau ? Elle devait se ménager, d'autant que ces odieux préliminaires passés, ils avaient moult à se dire - du moins il l'espérait, et force fut de constater que la Reine fit preuve de bonne volonté.

Brun réfléchit un moment. Il était agréable de ne plus songer à Glace et à Acuité. Complexe et dangereuse, la situation exigeait toute sa concentration. Chalcèdes n'était pas une nation unifiée. Le jeu des Clans leur échappait. La paix avait sans doute fait de nombreux insatisfaits. Les Chalcédiens étaient un peuple guerrier. Combien de temps la force d'un seul pouvait-il les contenir ? La sournoiserie d'un autre pouvait-elle les réunir ? Bhaal n'était pas juste cet homme à l'orgueil blessé ; plus que la vengeance, qui d'ailleurs avait échoué, il cherchait à déstabiliser pour régner. Le sang des Cardia le renforçait.

Shyrin n'était qu'un pion sur l'échiquier. Le pion avait-il une opinion ? Le Conseiller n'eut aucun scrupule à la lui demander. Aucun mépris, dont elle l'accusait. Il ne fallait pas sous-estimer la Reine, cela, il l'avait compris depuis longtemps déjà, depuis qu'elle l'avait dupé.
- Que conseillez-vous ? Que pensez-vous que votre père va faire ?
Hobes allait-il chercher lui-même la tête de Bhaal Fanel ?

Lasse de disputer un pouvoir et des droits qu'elle peinait à se reconnaître elle-même, Shyrin accepta le statu quo proposé par le Conseiller du Roi. C'était la voie la plus sage à ce jour puisqu'ils ne parviendraient pas à s'entendre ni à se comprendre. Choquée qu'il lui propose de s'asseoir dans le salon de Vainqueur où lui-même aurait du rester debout en sa présence, elle choisit cependant de ne pas relever cette grossièreté supplémentaire. il n'était plus temps de s'agripper à ces petites blessures d'orgueil. Le temps aplanirait peut-être ces questions un jour.

Choisissant le fauteuil le plus proche du feu, elle s'y assit très droite et joignit ses mains sur ses genoux bien sagement pour écouter la suite. Que voulait-il encore d'elle ? N'avaient-ils donc pas assez pris et piétiné dans ses souvenirs et sa fierté ? Dans les réserves de nourriture de Chalcèdes ? A trop humilier les perdants, on s'exposait à des représailles. C'était exactement le sens du geste de Bhaal Fanel. Il se fichait bien d'elle mais il ne supportait pas qu'elle ait fui leur mariage pour se rendre à l'ennemi et pire, en épouser un. Cette faute-là non pus ne serait jamais pardonnée par le peuple qui l'avait vue naître. Cela ne ferait qu'ajouter à l'immense culpabilité qui pesait déjà sur elle.

- Mon père a la faiblesse de tenir à moi mais je suis loin et j'ai trahi. S'il doit me renier pour garder le pouvoir, il le fera sans hésiter. Je ne pense pas qu'il souhaite s'engager dans un nouveau conflit, cependant. Il a beaucoup perdu dans le dernier.

Qu'il comprenne donc ce qu'il voudrait. De toute façon, ces mots n'étaient que son opinion personnelle et elle n'avait aucun poids ni en Chalcèdes ni dans les Duchés. La politique lui échappait et les subtilités guerrières plus encore. Elle n'avait été élevée que pour que son père dispose d'elle suivant ses intérêts. Tout ce qu'elle apprenait à présent, tous les efforts qu'elle fournissait pour comprendre les Duchés, la Cour de Castelcerf et les enjeux qui s'y révélaient n'avait d'autre objectif que de servir au mieux Vainqueur et leurs futurs enfants.

- Vous renier ? s'étonna Brun.
Shyrin était-elle la cible de tant d'hostilité ? Shyrin était la paix, mais la paix avait aussi profité aux Chalcédiens ; sans elle, ils les auraient massacrés. La percée de l'armée des Duchés sur le territoire chalcédien était considérable, et la jungle franchie, l'absence de forteresses leur promettait une avancée rapide et meurtrière. Certes, il y avait eu la crue d'Art, mais Brun ne voulait pas croire que seule la magie les avait portés ; c'était surtout le sang versé.

La lucidité de Shyrin le surprenait, et il eut presque pitié. Elle était l'ennemie des deux côtés, même si, elle l'avait dit, le peuple des Duchés commençait à l'accepter. Son père risquait de la renier, et cela lui fit penser à Acuité. Comme Acuité, Shyrin pourrait trouver réconfort auprès de son époux. Vainqueur avait l'air entiché d'elle, le Roi saurait la consoler, ou du moins il essaierait.

Mais Hobes ne devait pas la renier ! S'il la reniait, Shyrin n'avait plus aucune valeur, si ce n'est celle de son ventre, que toutes les femmes avaient. L'union royale serait un beau gâchis. Shyrin était gage de paix voire d'alliance entre les deux peuples ; si elle n'avait plus la faveur du Guerrier, elle n'était plus qu'une jeune fille inculte et isolée. Son père tenait à elle, ne l'avait-elle pas dit ? C'était à Hobes de mater la contestation dans son pays.
- Vous pensez que votre père ne fera rien pour punir Bhaal Fanel ? C'est une attaque envers votre Clan qu'un homme d'honneur ne saurait ignorer.

Plus qu'inquiet, Brun était révolté. La tête de Bhaal Fanel, il irait la chercher lui-même, s'il le fallait.

Shyrin serra les dents brièvement et ses mains se crispèrent avant de se détendre à nouveau, sagement nouées sur ses genoux.

- Vous semblez oublier que l'attaque a été organisée et perpétrée par Luve Fanel.

Un rictus ironique étira brièvement le coin de ses lèvres mais elle ne leva pas les yeux.

- Je ne suis pas experte en diplomatie mais je doute que deux dirigeants comme Vainqueur et mon père risquent un nouveau conflit meurtrier alors qu'il n'est pas possible de relier cet attentat directement et de façon certaine à Bhaal Fanel. Tout le monde sait que Luve ne faisait rien sans l'accord de son frère mais officiellement elle disposait d'assez de pouvoir pour agir de son propre chef et c'est ce que dira Bhaal.

Un sourire navré se dessina sur son visage qu'elle releva cette fois pour observer Brun Braveterre, le Conseiller du Roi. Serait-il assez intelligent et diplomate pour voir l'inanité de tout projet de revanche ? Pouvait-il voir au-delà du fait qu'Acuité avait failli être tuée ? Car il ne pouvait s'agir que de cela. Il n'avait que faire d'elle alors pourquoi aurait-il voulu la venger.

- Si cela peut apaiser votre soif de revanche, je pense que mon père s'arrangera pour que Bhaal paye cet affront d'une manière ou d'une autre.

Baissant les yeux sur ses mains, elle mordilla sa lèvre un instant et jeta un coup d'oeil vers la porte. Vainqueur ne viendrait-il donc pas ? Quand retrouverait-elle enfin son mari ? Serait-elle pour toujours l'étrangère, même ici ? Sa rencontre avec Brun Braveterre l'avait bouleversée bien plus qu'elle ne l'aurait cru. Évoquer l'attentat dans lequel Acuité et elle avaient failli laisser la vie également.

Brun s'efforça de ne pas s'offusquer des insultes qu'il percevait derrière les mots de Shyrin. Elle le traitait - encore - de stupide et d'assoiffé de vengeance, mais peu lui importait ce que la Chalcédienne pensait de lui ; c'était pour les Duchés qu'il agissait.

- Je ne suis pas le seul auquel il faut rappeler que vous êtes la Reine des Duchés, déclara-t-il. Qui touche la Reine doit mourir. Il n'y a pas que dans le sang des femmes que se pérennisent les lignées.
Il fallait, pour gouverner, la bonne dose de cruauté. Pas trop, sans quoi l'on poussait à l'émeute, comme Glace Loinvoyant avec ses Vifiers. Mais assez pour garantir un absolu respect. Shyrin le savait sans doute, dans sa patrie esclavagiste.

- Bhaal Fanel doit mourir. Luve est sa sœur et c'est une preuve suffisante, tout le monde le sait, martela-t-il, reprenant les mots de la Reine. Et ça n'a rien à voir avec ma "soif de revanche", même si j'espère que votre père sera aussi créatif avec Bhaal, que Bhaal l'a été avec Acuité.
Il eut un sourire mauvais.
- Mais ça n'est sans doute pas un sujet convenable à discourir avec vous, ma Reine.
Qu'elle le prenne pour un fou furieux, si cela lui plaisait. Brun ne pouvait guère lui en vouloir sachant qu'il avait été à deux doigts de la noyer dans cette foutue fontaine.

La Reine commençait à montrer des signes d'impatience, voire de nervosité. Brun aurait eu bien d'autres questions à lui poser ; mais il ne voulait pas la brusquer, de peur qu'auprès de Vainqueur, elle torde la vérité. Pour autant, il ne pouvait pas la soulager de sa compagnie, vider les lieux, lui céder la priorité. Shyrin pouvait au moins comprendre cela.

- Permettez que je reste. J'attends du Roi une nouvelle importante, s'expliqua-t-il.
Brun la regarda et se demanda si elle savait ce qui se jouait. Elle savait sans doute. Shyrin était la femme de Vainqueur, et l'amie d'Acuité, bien qu'il ne soit plus très sûr de ce dernier point. La Chalcédienne avait eu des mots durs à l'égard de sa femme, pourtant il lui semblait qu'avant cela, Shyrin avait été une alliée.

- Je vous remercie pour votre aide dans cette affaire, dit-il sobrement, restant vague volontairement - si bien qu'il fut difficile pour la Reine de savoir si Brun parlait des informations qu'elles lui avait livrées sur Bhaal Fanel, ou de la manière dont elle avait intercédé en faveur de son mariage avec Acuité.

Shyrin baissa les yeux en rougissant et admit qu'il avait raison sur ce point : elle avait tendance à oublier trop facilement qu'en tant que Reine des Duchés, les affronts qu'on lui faisait n'avaient pas la même valeur et ne touchaient pas que sa personne. Pour apprendre à gouverner, elle devrait aussi apprendre à croire en elle-même avec fermeté. Au fond, le fait qu'elle se sente encore souvent dans la peau de la prisonnière de guerre chalcédienne bien plus que dans celle d'épouse de Vainqueur et Reine des Duchés, n'était pas seulement du au regard des autres. Elle devait cesser au fond d'elle de se croire toujours la prise de guerre du Roi, sinon rien ne changerait.

En attendant, elle espérait tout de même avoir satisfait et aidé l'ami et conseiller de son mari. Elle avait répondu à ses demandes avec sincérité et modestie, ne lui cachant rien de l'état d'esprit de Chalcèdes, du moins autant qu'elle pouvait encore en juger de là où elle se trouvait, ni des moeurs des siens. Quant ce que Bhaal avait fait à Acuité, si Brun trouvait cela créatif c'est qu'il lui manquait une bonne dose d'imagination dans le domaine de la torture. Mais elle s'abstiendrait de lui faire part de cette opinion. Lui rappeler que le fouet était communément donné aux esclaves ne ferait que renforcer le mépris qu'il éprouvait déjà pour elle et pour son peuple. Par ailleurs, il avait mis une certaine hargne dans ses mots et un frisson involontaire lui remonta l'échine.

Il lui rappela soudain pourquoi elle était là avec autant de délicatesse qu'il était capable, c'est-à-dire bien peu, mais elle ne s'en offusqua pas. Elle pouvait aisément comprendre pourquoi il attendait Vainqueur et quelle était son impatience. Elle se leva donc, tout en acquiesçant d'un hochement de tête. Oui, en ces circonstances, elle pouvait souffrir qu'il la congédie des appartements de son propre mari.

- S'il vous plaît, dites-lui simplement que je souhaite le voir quand il aura le temps. Si vous voulez bien faire le messager entre nous, naturellement.

Il lui avait donné matière à réfléchir et ça se lisait sur son visage pensif et dans son regard un peu lointain. Lissant vaguement des plis imaginaires sur ses jupes, elle gagna la porte mais s'y arrêta cependant et se tourna vers Brun Braveterre pour le regarder bien en face, un peu anxieuse.

- Dites-moi une chose, s'il vous plaît, car je ne peux ni la comprendre par moi-même ni la demander à qui que ce soit d'autre.

Elle hésita, consciente de l'indélicatesse absolue de sa question mais poussée par la nécessité à comprendre enfin les choses. Vainqueur n'était pas parvenu à lui expliquer cela correctement et elle n'osait pas demander à Acuité.

- Pour Acuité... On dit... Il y a une rumeur qui dit qu'Espoir est le fruit d'un viol pendant la guerre.

Elle déglutit et son regard se fit fuyant. Elle avait honte sans savoir pourquoi. Et pourtant, elle n'ignorait pas que ces choses-là arrivaient pendant les guerres. Des deux côtés du conflit, d'ailleurs. Une armée restait une armée, quelle que soit son allégeance.

- Pour eux deux, pour leur réputation et leur avenir, est-ce que cela vaut mieux que de dire qu'il a été conçu par un homme des Duchés, même hors mariage ?

Car elle s'inquiétait de la rumeur dont elle avait compris la force à la Cour. Si on pouvait lui prêter des moeurs étranges, des bizarreries personnelles et autres trahisons alors qu'elle se contentait d'être aussi sage et docile que possible, Sâ seul savait ce qu'on serait capable d'inventer pour nuire à Acuité et Espoir.

Brun acquiesça silencieusement. S'il ne serait certainement jamais le médiateur entre Vainqueur et Shyrin, comme elle l'avait souligné, il pouvait au moins passer un message pour la Reine comme d'emblée, il l'avait proposé. Brun se demanda s'il devait saluer son départ - une révérence, un mot, quelque chose - mais Shyrin ne semblait plus si guindée, plutôt perdue dans ses pensées. A quoi pensait-elle ? Pourquoi voulait-elle voir Vainqueur ? Ma foi, Brun avait bien assez à penser pour s’embarrasser des songes des autres, la Chalcédienne en particulier.

Toujours silencieux, Brun regarda la Reine s'effacer, s'arrêter, puis se retourner. Cette fois c'était elle qui l'interrogeait, et il en resta pantois.

Au début, il avait cru que Shyrin lui demandait si cette rumeur était vraie, mais c'était impossible : c'était Shyrin elle-même qui lui avait confirmé sa paternité. Brun portait encore la trace de cette humiliation, et il aurait voulu lui reprocher cette question - en était-ce seulement une, et pas un reproche déguisé ? Mais la Reine avait l'air si gêné qu'il ne pouvait lui prêter de mauvaises intentions. Peut-être cherchait-elle simplement à comprendre, elle dont les traditions étaient différentes. En Chalcèdes, on n'accordait pas tant d'importance à la pureté du sang, d'ailleurs une autre rumeur courait, celle que la Reine des Duchés était fille d'esclave.

Brun renonça à lui retourner l'indiscrétion.
- Oui, répondit-il sans détour. C'est terrible mais cela vaut mieux.
Mieux valait être un martyr qu'une putain. Mais ces mots terribles, il ne les prononça pas. Ils ne reflétaient pas sa pensée. A vrai dire, il comprenait la surprise de Shyrin, et il partageait, au fond, son indignation. La Reine se souciait-elle vraiment de la réputation et de l'avenir d'Espoir et d'Acuité ? Ou déplorait-elle que les Chalcédiens soient, à tord, incriminés ?

- Si le Roi... si les choses s'arrangent comme je l'attends, je pourrai adopter Espoir devant les pierres témoins. Ainsi il aura moins à souffrir de cette rumeur.
Mais bien sûr tous ne seraient pas muselés, les enfants en particulier. Espoir souffrirait sans doute d'être un bâtard. Qu'y pouvait-il ? Prenait-il la mauvaise décision en ne le reconnaissant pas ? Il n'en avait pas parlé avec Acuité. Sans doute voudrait-elle se sacrifier pour l'honneur de son fils, mais il en avait assez qu'elle se sacrifie.

Shyrin le faisait douter, elle faisait exprès certainement, sous ses airs innocents ! Est-ce qu'elle mettait en doute sa décision ? Est-ce qu'elle le mettait en doute ?!
- Ce mariage... tout ce que je fais, est dans l'intérêt d'Espoir et d'Acuité. Je ne revendique rien.
Ni terres, ni titres ; ni paternité.
- Vous pouvez au moins me faire confiance sur ce point.

- Je comprends, soupira doucement Shyrin en baissant la tête. Je crois, du moins.

Espoir aurait pour toujours à souffrir d'être le bâtard de l'ennemi mais peut-être ce sort pourrait-il être un peu adouci par l'adoption par son père, le parrainage des souverains et l'amitié que leurs enfants lui porteraient, elle n'en doutait pas. Elle déplorait que les choses soient ainsi, qu'il vaille mieux aux yeux du monde qu'il soit un enfant né de la violence plutôt que de l'amour, mais elle ne pouvait pas changer cela, elle en était parfaitement consciente.

- J'espère que nos enfants seront amis, poursuivit-elle doucement.

Quant à la manière dont ses propres enfants seraient vus, elle n'en savait encore rien. ils auraient le tort d'être nés d'elle, bien sûr, mais aussi l'immense avantage d'être les héritiers de Vainqueur. Renonçant à plonger plus profondément dans les méandres de la pensée du peuple des Duchés, elle eut un nouveau petit hochement de tête pensif avant de relever les yeux sur Brun Braveterre à ses dernières paroles. Elle resta un moment silencieuse, le considérant sans rien dire, comme si elle réfléchissait à la question, puis acquiesça à nouveau et sourit gentiment.

- Je vous crois, affirma-t-elle avec conviction.

Inclinant la tête pour le saluer, elle quitta finalement les lieux par l'antichambre et regagna à pas lents sa partie des appartements royaux.

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