« Alors, l'beau brun, on s'pique un roupillon quand c'pas l'moment ? »
se moqua-t-elle sans s'écarter beaucoup, alors que le bonhomme revenait à lui.
« Ou c'est-y qu't'es trop émot… ééémoo… bah, comm' ces p'tites dames d'la cour, là, qu'ont b'soin d'leurs flacons d'sels à chaque instant… »
Elle rit sans retenue, laquelle avait fichu le camp depuis bien longtemps, et entreprit de se rapprocher de nouveau pour réitérer l'expérience.

« Oh douce Eda, mes sels, ma chère, mes sels, »
susurra-t-elle, le visage tout proche de celui du maître d'armes, en imitant de manière outrageusement exagérée, le ton des précieuses de la noblesse. Elle non plus, ne prêtait pas la moindre attention aux gardes tout autour : elle avait bien plus intéressant à portée de main. Main qui se promenait d'ailleurs en direction du point d'intérêt le plus notable.

Mais il semblait que l'animal affolé n'en ait pas terminé avec eux, et elle n'eut pas le temps d'avancer davantage dans ses invitations moins que peu subtiles, qu'une tête de mouton lancée à vive allure atterrit contre la région charnue de sa face arrière. Elle en fut si surprise, qu'elle se redressa à demi, et se retrouva à cheval sur l'ovidé qui terminait sa course sans but dans une décélération peu maîtrisée.

« Ah, c'est qu'y nous z'aime, ç'ui-là ! A dada, allez, hue cocotte ! »
brama-t-elle en retenant la bête par son pelage et en remuant comme une damnée, au grand désespoir de sa monture improvisée. Elle n'en oubliait cependant pas Brun, qu'elle tira d'un geste vers leur grotesque duo humano-ovin.
« A l'aventure ! Allez, viens don' avec moi, l'beau brun, on va d'couvrir des pays supers, c't'un mouton magique, ç'ui-là, ptêt même qu'y va pas tarder à s'tansformer en l'plus beau dragon qu'on ait pas imaginé ! »

Vaillant répondit d'instinct au baiser de Mélisse. Longtemps assoiffé, son corps y réagit vivement ; il ressentit presque une souffrance lorsqu'elle se détacha soudain de lui. Et son esprit, vivement aussi. Car, malgré l'ivresse, il était difficile de ne pas penser à la dernière femme qu'il avait embrassée. En le caressant, la sorcière avait pu sentir qu'il ne portrait pas son amulette sous ses vêtements. Jusqu'à présent, le vin avait suffi...

- Passable, plaisanta-t-il pour tromper son corps et son esprit.
- Même Maya fait mieux, ne put-il s'empêcher d'ajouter devant l'air outré de l'Artiseuse, qui détourna ostensiblement les yeux.

- Tout ça m'a mis en appétit. Tavernier ! A boire ! A manger ! gueula-t-il comme dans le pire des tripots.
Il attendit une demi-seconde, puis, bien sûr, comme rien ne venait, il resserra son bras contre la taille Mélisse et reprit d'un air entendu :
- Rien à faire. Il va falloir nous isoler dans les cuisines.

La moitié de ses neurones étant noyée dans le vin, et l'autre détruite par le choc - sans parler du fait que sa zone cervicale n'était plus irriguée en priorité -, Brun rit bêtement au mime de Lawena. Mes sels ! Elle les imitait plutôt bien, ces pimbêches au sang bleu. Au moins, avec les filles du peuple, pas besoin de se prendre la tête, et on rigolait bien. Il l'aurait bien embrassée encore, malgré son haleine avinée, et ne se souciait plus de ses caresses trop bien placée. L'ovidé avait embouti le reste de sa dignité.

Et ça n'était pas fini ! Sans trop comprendre comment, le maître d'armes se retrouva soudain à dos de frisé, monture grotesque affolée par les cris de la fausse Chalcédienne.
- A dada, allez, hue cocotte !
Ma foi il allait vite, l'animal ! Sentant la nausée l'envahir, Brun se cramponna aux hanches replète de Lawena. Il eut à peine le temps de pousser un cri inarticulé quand leur destrier se jeta dans le bûcher.

Toute à son « aventure », Lawena continuait à gesticuler en malmenant le mouton pour le faire avancer, ce qui ne fit que le rendre encore plus paniqué. La bestiole serait certainement traumatisée à vie auprès cette soirée, si du moins elle en réchappait. La soudaine augmentation de température ne mit pas la puce à l'oreille de la teinturière, qui était déjà plus que réchauffée. Un peu plus, un peu moins…
La vision des flammes, par contre, réussit à lui tirer une réaction un tout petit peu logique, et elle tira sur les boucles laineuses de l'animal (le mouton, pas Brun ), lequel culbuta quasiment cul par-dessus tête dans une odeur de poil roussi, entraînant ses cavaliers du moment au sol. Cela ne ferait qu'une fois de plus où ils se retrouveraient ensemble par terre en position équivoque, mais la plus alcoolisée des deux n'en concevait vraiment aucune gêne, dans son état.

« C'est l'souff' du dragon ! Fuite, fuite ! V'là qu'y s'én… énér… qu'lest pas content ! A la planque ! »
Des dragons, elle ne savait pas grand chose, juste quelques histoires entendues par-ci par-là, et qui étaient déjà bien vagues elles-mêmes. Alors, savoir que ce qu'ils crachaient était de l'acide plutôt que du feu, c'était vraiment trop lui demander, surtout ce soir. Mais elle ne s'en préoccupait pas, et commença à ramper à terre de manière grotesque, sur les coudes et les genoux, en faisant signe à son compagnon d'aventure de la suivre sans faire de bruit. Et puis, bien vite, elle se laissa retomber au sol.
« 'a touuurne… »
gémit-elle, plus très à l'aise. Toutes ces émotions, ces cavalcades et cette approche d'un terrible danger, finissaient par lui donner la nausée. A moins qu'il n'y ait une autre cause ?

Aux douze coups de minuit, la fête bat son plein quand se passe un phénomène étrange. La température nocturne semble chuter de plusieurs degrés. A moins que l'alcool ne réchauffe plus les veines ? Le peuple se sent tout à coup moins grisé. L'ivresse demeure, mais sans ce petit goût épicé qui chatouillait les ventres... Il semble que les effets aphrodisiaques du vin se soient soudain dissipés.
Le personnel du château reprend ses esprits et commence à ranger. Les convives se découvrent dans des situations étonnantes. Madame la Comtesse a perdu sa jarretière en sus de sa pantoufle de verre. La folie survivra-t-elle à l'évaporation de la magie ? Il est temps d'aller sagement se coucher... ou pas.


[Dernière phase de jeu : le topic reste ouvert jusqu'au lundi 16 mai.]

Finalement, Mélisse n'était pas farouche du tout. Voilà qui faisait bien son affaire. Ils allaient bien s'amuser ! Vaillant se laissa guider par la sorcière à travers la foule, avec le sourire triomphateur d'un gamin auquel on vient d'offrir un nouveau jouet.

Ils n'étaient pas seuls venus s'isoler dans les couloirs. Quel manque de retenue, vraiment ! Le château s'était-il transformé en un bordel géant ? Tenant toujours la main de la brune, Vaillant prit les devants pour la guider dans les méandres du château. Jusqu'aux cuisines, comme promis.

Mais les cuisines non plus n'étaient pas tranquilles du tout. Elles grouillaient de cuisiniers. Logique pour un soir de banquet. Cela serait venu à l'esprit de n'importe qui sauf Vaillant, habitué à voir sa table garnie comme par enchantement. Il faisait la visite comme le maître de ces lieux, mais il n'était jamais venu ici.

Sans se laisser impressionner par les regards irrités des petites gens en tablier, pour lesquels ils n'avaient sans doute rien à faire ici, le Noble chipa une pomme et croqua à pleines dents dans le fruit défendu. La chance finit par leur sourire sous la forme d'un réduit. Sombre et odoriférant.

Entre une rangée de jambons, d'herbes sèches et une myriade de bocaux non identifiés (on se serait presque cru dans la boutique de la sorcière), ils firent leur petite affaire à grands renforts de gloussements. L'inconfort criant pimentait la situation. Ils essayèrent d'abord le mur, mais vu l'équilibre précaire de Vaillant, et la proximité troublante des jambons, finirent par terre.

En pleine action, il sembla à Vaillant avoir froid, tout à coup. Eda que ce local était sombre. Et le sol dur lui abîmait les genoux. Cela ne devait guère être confortable pour Mélisse. Mélisse ?! Il était entre les cuisses de la sorcière des Haies. Par El ! Vu d'ici, elle était tout à fait charmante, et il sentit l'excitation lui revenir, mais tout de même. Il la connaissait à peine, non que cela le gêne d'habitude, mais c'était une sorcière et ils étaient par terre dans un réduit de cuisine. Pourquoi n'étaient-ils pas allés dans sa chambre ? Pourquoi n'étaient-ils pas restés au banquet ?

Gêné par ces scrupules et ces interrogations, Vaillant mit un terme rapide à leurs ébats. Après ces mois d'abstinence, il se demandait même comment il avait fait pour tenir jusque là. Eda merci, le local était sombre et lui permit de se rhabiller dans un semblant de dignité. Ils ne gloussaient plus, et il ne savait pas quoi dire, alors toujours assis par terre, il tendit la main vers l'étagère la plus proche et saisit ce qui ressemblait le plus à une bouteille de vin.

- A la nôtre, gargouilla-t-il avant de s'envoyer une grande rasade de vinaigre.

Brun ne sentit pas la température chuter. Pour cause, il venait d'échapper à l'embrasement. A nouveau cul par terre, il porta ses mains à son visage. Pas de cloques, pas de brûlures, juste une absence de sourcils. Il n'eut pas le temps de se questionner plus avant sur son état qu'il se retrouva à ramper aux côtés de Lawena, sans trop savoir pourquoi.

Oui, d'ailleurs : pourquoi ? Cette question le bloquait tout à coup. Il s'arrêta. Regarda autour de lui. Tout était encore un peu flou, mais moins brillant. La fête, moins joyeuse. La fille, moins jolie. Surtout dans son état. Était-elle en train de faire un malaise ?

Toujours allongé par terre, Brun tendit la main vers elle et lui secoua doucement l'épaule.
- Ça va ? gargouilla-t-il.
Inquiet, mais se tenant malgré tout légèrement en retrait. Que la Chalcédienne n'aille pas lui vomir dessus ! Il était bien assez misérable ainsi couvert de poussière.

La vague de froid saisit Lawena comme les autres, alors qu'elle rampait au sol en s'efforçant d'entraîner Brun à sa suite. Après les couches de vêtements qu'elle avait abandonnées car elles lui donnaient trop chaud, cet air glacial la fit frissonner, ce qui n'arrangea pas son état. Elle grogna quelque chose à l'adresse de son compagnon, mais il était difficile de discerner s'il s'agissait d'une affirmation ou d'une négation. Et elle s'éloigna encore un peu pour rendre une partie de ce qu'elle avait ingurgité. Elle ne se sentait plus aussi légère qu'avant, et le bonhomme ne lui semblait plus aussi intéressant. Pourquoi avait-elle soudain jeté son dévolu sur lui, d'ailleurs ?

En mettant de la distance avec l'omelette de docker qu'elle venait d'offrir à la terre battue de la cour, elle revint tout de même, d'un pas mal assuré, dans les environs du maître d'armes. Elle l'observait du coin de l'œil, sans trop comprendre. Le banc le plus proche lui offrit un siège bienvenu, et elle s'appuya  largement des coudes sur la table attenante.
" C'tait une bell' fête… "
lança-t-elle sans vraiment de conviction à l'adresse de l'homme, avant de poser la tête sur ses bras et de ne plus remuer. Un peu plus tard, on put entendre des ronflements sonores émaner de cette silhouette colorée, avachie sur les planches de bois.

Après la neige et le rougeoiement des braises, une nuit d'encre tombe sur le château de Castelcerf. Les vivres et les tonneaux de vin sont à sec. La fête se défait doucement. Chacun rentre chez soi, rêveur ou titubant. Les couples éphémère se séparent. Une chose est sûre : cette nuit étrange restera dans les mémoires... à moins qu'elle n'ait été qu'un rêve ?



[Fin du topic. Merci à tous d'avoir participé ! ]