Guidée jusqu'à la table par le Roi, Shyrin avait pris place sur le siège qui lui était destiné aux côtés de son geôlier. Assise le dos droit, le regard lointain, elle attendait simplement que passe ce moment et qu'on lui accorde le repos auquel elle aspirait. Il était pourtant écrit que la paix ne viendrait pas avant longtemps. L'ordre de Vainqueur, bien que murmuré, la fit tressaillir comme un rappel à l'ordre. Oui, elle devait partager le repas de ceux qui la retenaient prisonnière et compatir avec eux, se montrer telle qu'on l'attendait d'elle. Baissant les yeux sur son assiette, elle y distingua de vagues formes floues et sombres qui ne lui disaient absolument rien. Au fumet qui s'en échappait, elle en déduit qu'il y avait là de la volaille cuite ainsi qu'un mélange de légumes inconnus et de céréales mélangés en une sorte de brouet. L'odeur en était agréable heureusement, même si elle peinait à s'accoutumer aux mets découverts jusqu'ici avec l'armée des Duchés.

Prudent, elle avança lentement la main pour saisir un couvert et reconnut une cuillère dont elle se servit pour goûter l'accompagnement. Les saveurs lui en étaient inconnues pour la plupart, hormis les céréales et une sorte de carotte bien moins bonne que celles de Chalcèdes, mais l'ensemble était agréable au palais et elle put en manger plusieurs cuillerées poliment sans se forcer. Dans le brouhaha de la foule, elle n'entendait plus d'invectives haineuses à son encontre et le rouge avait quitté son front. Sans se détendre le moins du monde, elle pouvait cependant se faire oublier. Attentive au moindre de ses gestes pour ne pas risquer une maladresse, elle parvint à saisir sa coupe et but quelque gorgées du clairet qui était sans doute servi aux dames comme il faut dans cette contrée. Au moins ne risquait-elle pas de s'humilier par une ivresse malvenue et incontrôlable.

Les larmes avaient fini par sécher sur ses joues et, bien que blême et triste, elle affichait une certaine dignité comme il seyait à son rang. Quand elle reposa la coupe, elle hésita un long moment à ouvrir la bouche, intimidée par la silhouette massive et tendue de Vainqueur. Pourtant, elle finit par murmurer à son intention et sans tourner la tête, aussi discrètement que possible.

- Les parents d'Acuité sont-il présents ?

Effarée par sa hardiesse, elle serra les mains sur ses genoux et baissa les yeux, comme pour se préparer à essuyer une rebuffade de la part du Roi.

Shane se débrouillait comme un chef. Sa trogne d'enfant et son attitude pleine de candeur gagnait les cœurs à une vitesse prodigieuse. La femme, bien que toujours méfiante, baissait déjà sa garde face à ma petite compagne.

Quant à moi, je n'avais pas son talent. Pas même le temps d'entamer le contenu de mon assiette que ma voisine se précipita sur mon bras que je venais de cacher aux regards et elle le dénuda sans pudeur. D'abord étonné, je lui retirais vite mon bras que je couvrais à nouveau. Était-ce habituel de tripoter les inconnus, ici, dans les Duchés ? Ou bien cela ne concernait que cette étrangère étrange ? Pour ma part, je n'aimais pas qu'on me touche aussi familièrement sans être de ceux que je considère comme mes proches.

Mais nous n'étions pas là pour nous faire des ennemis, alors je tentais d'atténuer mon geste brusque avec un sourire. Un peu vague ceci dit. Mais j'enchaînais comme si de rien était pour défendre Shane.

- Shane est une esclave spéciale, elle a échappé au tatouage.

J'avais le sentiment que nous n'en étions pas à notre dernier affrontement. Il allait falloir faire preuve de patience pour nous intégrer. Quoi que Shane s'en sorte visiblement bien, avec une facilité qui me rendait jaloux.

Brutalement remise à sa place après sa question, peut-être idiote, mais pour le moins discrète au contraire de la répartie qui lui avait été donnée, Shyrin sursauta comme si on l'avait giflée. Si elle avait été un moineau, elle se serait envolée sur le champ pour ne plus jamais reparaître devant ces gens qui ne parvenaient qu'à la rudoyer. Elle saisissait bien qu'elle ne pouvait attendre d'eux ni affection ni douceur, mais la plus élémentaire des courtoisies ou même le simple respect du fait qu'elle était un être humain avec des sentiments eut été agréable.

Il n'y avait rien à répondre aux paroles pleines de fiel du maître d'armes. Car c'était lui, elle avait reconnu sa voix. Non, elle ne pouvait décemment rien répondre à cela et de toute façon le peu de courage qu'elle avait eu pour ouvrir la bouche s'était envolé aussitôt qu'elle l'avait refermée. Les mains serrées sur ses genoux, elle baissa donc les yeux en essayant d'oublier le rouge de la honte qui lui était venu au front. Peut-être que si elle restait silencieuse et se faisait oublier ce moment douloureux passerait plus vite. Pouvait-elle devenir transparente ?

Dépourvue de tout enthousiasme, Mésange Loinvoyant s’était apprêtée pour la cérémonie. Depuis qu’elle avait perdu sa fille aînée, il y avait de cela des mois, la vie n’avait plus le même goût. Même l’enfant à qui elle avait donné le jour n’avait pu la ranimer tout à fait, pas plus que ses habituelles occupations de plein air avec lesquelles elle avait fini par renouer, l’été venu. Parfois, une mimique de son nourrisson, ou le pépiement joyeux d’un oiseau, lui rendait un peu de son entrain d’antan, mais elle replongeait vite dans l’état de torpeur qui la caractérisait à présent. Elle accomplissait ses devoirs, oui, son devoir de mère, son devoir d’épouse et son devoir de duchesse. Mais la Mésange passionnée, généreuse et insouciante d’autrefois avait disparu, laissant place à une créature effacée et emplie de tristesse, qui cherchait à tromper sa peine plutôt qu’à se distraire véritablement.

La Duchesse avait donc laissé faire ses servantes, les remerciant d’un geste ou d’un sourire contraint alors qu’elles s’affairaient pour l’aider. Elle choisit Brume, la plus diligente d’entre elles depuis que sa chère Cendre rencontrait des problèmes personnels, pour l’accompagner à la cérémonie, et laissa Dévouée à ses deux nourrices. Puis, à regret, elle quitta le refuge de ses appartements, rejoignant son époux qui l’attendait déjà, et parut à son bras pour rendre hommage au roi et aux troupes victorieuses.

Une part d’elle-même savait que l’enjeu était grand pour Glace, en ce jour de fête et de deuil combinés. Il avait eu tant de pouvoir durant la guerre, régent du trône le jour en l’absence de son cousin, conquérant du lit de sa femme la nuit en l’absence d’héritier mâle. A présent que Vainqueur était revenu, les choses allaient changer pour le duc de Béarns, et Mésange en subirait les retombées. Pourtant, elle ne se sentait nullement craintive alors qu’ils s’avançaient vers le bûcher afin d’écouter le discours du roi, simplement vide. Affichant son habituel air peiné, elle patienta le temps qu’il fallut puis suivit son époux et lança sa propre figurine dans le brasier, avant se se retirer vers la table réservée à la haute noblesse. Non loin se trouvaient déjà le roi, son maître d’armes et la fameuse princesse chalcédienne, à qui la duchesse avait accordé un regard dépourvu de curiosité avant de s’en détourner.

Aux côtés de sa femme, Glace avait entamé son repas et discutait politique avec son voisin le plus proche. Voyant que Brume avait déposé le même plat sous ses yeux, Mésange l’imita en silence. Déjà, elle songeait au soulagement qu’elle éprouverait en rejoignant la tranquillité de ses appartements et sa fille. Pourtant, presque malgré elle, elle restait attentive aux conversations qui se déroulaient autour d’elle, des conversations banales, des conversations amicales, des conversations hypocrites, qui l’arrachaient à ses préoccupations pour lui en faire adopter d’autres, l’espace d’un instant. Et puis elle releva brusquement la tête, se figeant dans une immobilité parfaite au milieu du brouhaha de l’estrade.

Acuité. Elle avait entendu le prénom d’Acuité tout juste à sa droite, sûrement sorti des lèvres de la princesse chalcédienne. La brusque rebuffade du maître d’armes confirma ses soupçons tout en réduisant au silence l’intéressée et, au bout d’un moment, comme étonnée elle-même de répondre au lieu de continuer son repas dans l’indifférence, Mésange s’adressa à elle à mi-voix :
– Nous sommes présents. Pourquoi cette question ?

De toute évidence, les gens de cette partie du monde avaient une ouïe surdéveloppée. Le Roi à qui elle avait chuchoté sa question paraissait le seul à ne pas être affecté par ce pouvoir spécial. Qu'importait puisqu'elle s'était mise elle-même dans le pétrin, elle s'en sortirait également.

Comme si elle pouvait voir la femme qui lui avait parlé et dont elle comprenait que c'était la mère d'Acuité, elle tourna la tête dans sa direction, gardant néanmoins les yeux baissés sur sa honte et dissimulant les larmes qui menaçaient d'en déborder.

- Nous étions amies, répondit-elle donc sur le même ton bas et hésitant. Je suis désolée qu'elle n'être pas là maintenant.

La nervosité lui faisait commettre des maladresses de langage mais au moins n'avait-elle pas menti si ce n'était pas omission.

Un bref instant, la colère flamboya dans le coeur de Shyrin qui venait de se faire renvoyer à sa chambre comme une gamine mal élevée. Mais dans le même temps, il lui offrait là une échappatoire unique. Si c'était humiliant, ça l'arrangeait néanmoins d'une certaine manière. Partagée entre la mortification et la satisfaction, elle repoussa sa chaise donc et se leva avec autant de grâce qu'elle en était capable. Il lui fallut quelques instants pour s'orienter puis elle trouva par où elle était venue et adressa une petite révérence à l'assemblée.

- Veuillez m'excuser, murmura-t-elle afin de ne pas partir comme une voleuse.

Elle n'en était pas à faire des politesses poussées mais pouvait néanmoins se comporter courtoisement. Concentrée pour ne pas se tromper ni trébucher, elle rejoignit le bord de l'estrade où quelques marches l'attendaient, gagna un couloir, puis un autre, s'arrêta pour réfléchir et fut soudain retrouvée par une servante dépêchée par Vainqueur, sans doute pour s'assurer qu'elle regagnait bien ses appartements et y restait bien sagement. Ce qu'elle fit sans discuter.

Alors même qu’elle s’adressait à la princesse étrangère, Mésange n’avait pas tourné la tête vers elle. Les yeux toujours braqués sur son potage, elle tentait simplement de refouler les pensées que le nom d’Acuité lui remettait encore et toujours en tête. Sa petite fille violée par les frères d’armes qu’elle croyait connaître, sa petite fille criblée de flèches par l’ennemi chalcédien. Mais non, une missive envoyée à Glace lui avait appris la vérité : son enfant, enlevée et torturée, avait trouvé la mort alors même qu’elle allait parvenir à s’échapper !

Luttant contre ses propres larmes, Mésange ne prêta qu’une attention distraite à la réponse de Shyrin. Elle n’avait aucun sens ! Comment sa fille aurait-elle pu devenir l’amie de la princesse de ses tortionnaires ? Comment aurait-elle pu ? Les larmes débordaient à présent, et, secouant doucement la tête comme pour nier la vérité sortie de la bouche de l’étrangère, elle porta un mouchoir à ses yeux aveuglés.

Tournant un instant la tête vers son époux, qui commençait à sentir le trouble dont elle était victime – et allait bientôt s’en offenser, sans nul doute –, la duchesse s’excusa brièvement, puis se leva de table et dirigea ses pas vers la sortie. Happée par la foule alors qu’elle quittait l’estrade, elle s’y laissa finalement dériver, fixant ses pieds alors qu’elle s’éloignait toujours plus de ses appartements et de son salut.

Le roi était enfin de retour, victorieux comme son nom le prévoyait, mais porteur de bien tristes nouvelles. En première ligne, le décès d’une large partie de son armée, bien sûr, mais également celui de beaucoup de ses Artiseurs, de la maîtresse d’écuries, Soudaine, de sa petite cousine Acuité, héritière du duché de Béarns…
L’annonce de la mort de la petite duchesse avait causé un grand trouble à ses parents, et son ancienne servante n’était pour une fois pas en reste. Elle avait toujours su qu’Acuité prenait d’énormes risques, à s’engager au sein de l’armée des Duchés, mais une part d’elle avait toujours espéré qu’elle puisse profiter de sa liberté sans y laisser la vie.
Les semaines avaient passé, depuis, et l’heure n’était désormais plus à se lamenter. Le roi était de retour, le peuple souhaitait festoyer tout autant que se recueillir, et Brume devait accompagner au banquet la duchesse Mésange, qui avait plus besoin d’elle que jamais depuis que le deuil l’avait frappé une deuxième fois.

Une fois sa maîtresse installée à table, la servante en profita pour laisser traîner ses yeux et ses oreilles, comme à l’accoutumée. L’apparition de la princesse chalcédienne avait provoqué plus de sifflets que d’acclamations au sein de la foule, et un grand silence sur l’estrade royale. Son intégration serait certainement des plus délicates, et Brume se demanda ce que sa reine, qui ne lui avait dit mot à ce sujet, pensait de l’affaire. Elle lui jeta un coup d’oeil à la dérobée puis, attirée par un éclat de voix, ramena son regard sur le maître d’armes du roi. Eux qui semblaient si proches à l’ordinaire formaient un étonnant duo ce soir : l’un présentant la jeune fille comme son invitée tandis que l’autre semblait détester sa simple existence. Lorsque Mésange se leva de table, cependant, l’assassin se trouva dans l’obligation de la suivre alors qu’elle dirigeait ses pas au hasard de la foule.

L'étrangère m'interrogea, au sujet de mon tatouage, peut-être. Je lui signifiais d'un mouvement de tête que je ne comprenais pas ce qu'elle me disait. En revanche je comprenais mieux les paroles de Lawena. Et ce qu'elle nous dis me mis en colère. Les humains ! Qu'est-ce que ces petits êtres pouvaient se montrer égoïstes et vainc ! Des fois, je me demande encore pourquoi je me suis autant échiné pour eux. Et puis je me souviens qu'il n'en va pas que de leur avenir à eux, dans cette histoire. C'est le monde dans son ensemble que je dois sauver, et puisque les humains en font partie, eux avec.

Il me fallut prendre sur moi pour ne pas envenimer la situation. Répliquer à la colère ce n'est qu'en engendrer une nouvelle, jusqu'à la haine parfois. Et nous n'étions pas là pour la guerre mais bien pour y mettre fin. C'est donc consciemment que je ne pris pas part au débat sur Shyrin et ses intentions, même si cela me démangeais de prendre la défense de mon Catalyseur et du magnifique pas qu'elle avait accompli en se rendant à l'ennemi pour obtenir la paix que ni Chalcèdes ni les Duchés n'étaient fichus d'obtenir par eux-mêmes.

C'est pour cette même raison que je répondis chaleureusement à la proposition de la dénommée Iris. Bien que ce tatouage ne me gênais en rien, je désirais m'intégrer dans ce nouveau monde. Vouloir me débarrasser d'un tatouage d'esclave leur semblerait plus naturel que de le conserver alors qu'on vous offre la possibilité de s'en débarrasser.

- Pouvez-vous lui dire que ça me ferait plaisir ?

Je hochais la tête en regardant la jeune femme pour lui signifier en même temps ma réponse.

Et pendant que nous parlions, les desserts arrivaient enfin. Lawena s'extasia devant les couleurs de son assiettée. Cette femme aimait décidément les couleurs. Pour ma part je n'en voyais guère l'intérêt, mais j'acquiesçais.

- Oui, c'est joli.

Ceci dit, pour ma part je préférais m'en prendre à un fruit étrange qui se présentait non loin parmi un panier de congénères tout aussi étranges. En regardant autour de moi, je m'assurais de la façon de la façon de la manger puis mordais dedans à pleine dent. Le jus coula légèrement sur mes doigts mais la pulpe dans ma bouche était délicieuse.

La foule la portait Eda savait où et elle se laissait faire, dépourvue de volonté propre. En un sens, Mésange se sentait soulagée ; elle n’avait pas à faire de choix, pas même à penser, juste à se laisser aller. Ses larmes s’étaient taries mais elle n’avait pas essuyé ses joues. Elle ne broncha même pas quand le bas de la robe se déchira dans un craquement de velours.

Bousculée encore et encore, la duchesse releva les yeux pour contempler la horde d’anonymes qui l’entourait sans lui prêter la moindre attention. Un des visages lui était familier, pourtant, et elle tourna la tête pour ne plus le voir. Le maître d’armes n’avait rien à faire là, il appartenait à l’estrade et elle n’y était plus. Il lui remettait en mémoire tout ce qu’elle avait souhaité oublier, sa fille, la chalcédienne, et tous ses devoirs si pesants.

Lorsqu’enfin Brun Braveterre la rejoignit, Mésange, l’air contrit, ne put qu’acquiescer à ses mots. Elle comprenait, à présent, qu’elle ne pouvait échapper à sa vie de duchesse ainsi, aussi fort qu’elle le désire. Alors, une main au bras du maître d’armes et l’autre relevant ce qu’il pouvait être sauvé de sa robe, elle se laissa reconduire. En silence, tout d’abord, puis, alors que les marches du château approchaient :
— P-pensez-vous qu’elle soit mauvaise ? La chalcédienne, je veux dire…

Mésange n’y avait vraiment réfléchi, ses pensées embrouillées, rechignant à aborder ce sujet si sensible. Et pourtant elle devait savoir. Y avait-il une part de vrai dans ce que l’étrangère avait déclaré plus tôt ?

Au départ, Brume avait suivi la duchesse de près, marchant à sa suite sans comprendre où elle se dirigeait. Ne souhaitait-elle pas retourner auprès de sa fille, dans ses appartements ? Et puis ses pas étaient devenus plus erratiques, la foule s’était immiscée entre elles, et Brume n’avait plus suivi le mouvement que de loin, soucieuse de la destination de sa maîtresse. Mais, alors que la jeune femme plissait furieusement les yeux pour ne pas perdre son aînée de vue, elle repéra le maître d’armes qui semblait voler à son secours. Soulagée, elle renonça à jouer des coudes pour rejoindre Mésange.

A présent dépourvue de noble dame à servir, Brume se demandait encore si elle allait reprendre sa place sur l’estrade quand une voix familière l’interpella. Une voix qui, malgré tout le temps qui s’était écoulé, lui rappelait toujours des pommes d’amour, des confidences échangées sur une plage, un baiser volé.
Les joues rouges malgré elle, elle se tourna vers Ray, qui était semblable à lui-même. Ses bras débordaient de plateaux, ses lèvres bleues trahissaient sa gourmandise, et il était toujours aussi avenant.

― Ca fait longtemps, oui, finit-elle par répondre. Je sers la duchesse Mésange maintenant, ajouta-t-elle comme pour excuser son absence.
La vérité était ailleurs : affreusement gênée par ce qu’il s’était passé entre eux, et désireuse de s’épargner une nouvelle situation d’intimité, elle avait évité Ray et ses cuisines du mieux qu’elle avait pu. Ils ne s’étaient jamais recroisés.

Pourtant, quand le pâtissier se mit à lui parler de ses petits choux avec enthousiasme, Brume se prit presque à regretter ce choix. Maintenant qu’elle l’avait sous les yeux, elle ne pouvait pas se mentir : il lui avait manqué, lui aussi.
— Je prendrai le même que toi, sourit-elle en pointant du doigts ses lèvres maculées de bleuet.
Et puis, désignant à présent les plateaux dont il était chargé :
― Tu veux que j’en porte un ? On ira plus vite, à deux, et je n’ai rien de mieux à faire.
Etait-ce mal de souhaiter passer un moment avec lui, s’ils n’étaient pas que tous les deux ?