Mélisse leva les yeux des bouquets d'herbes qu'elle était en train de confectionner dans le sellier alors qu'elle entendait dans la boutique les cris d'un bébé manifestement mécontent. Comprenant qu'une cliente venait d'entrer en compagnie de son enfant, la sorcière laissa son ouvrage sur la petite table et rejoignit la salle. Tout en frottant machinalement ses mains sur sa jupe pour les débarrasser de la poussière et des morceaux de feuilles qui avaient pu s'y accrocher, elle observait avec curiosité la jeune femme qui se tenait au milieu de sa boutique avec son bébé vagissant dans les bras. Était-ce l'enfant qui avait obligé sa mère à venir la consulter ?

- Bonjour salua-t-elle poliment Que puis-je pour vous ?

Elle s'avança un peu dans la pièce. Comme à son habitude, elle évaluait sa cliente pour tenter de voir au-delà des apparences. La jeune femme avait l'air sombre, énervé, comme si elle était en colère. Cela aiguisait encore la curiosité de la sorcière qui attendait en silence dans ce raffut que la jeune femme lui explique la raison de sa venue.

La jeune mère ne semblait pas aimer son rejeton. De mauvaise humeur, l'inconnue aux yeux bridés prêtait en outre peu d'attention à son nourrisson en pleurs. Mélisse ne tarda pas à comprendre la raison de cette animosité. L'amulette qui pendait dans la main de la jeune femme aurait du empêcher la conception du petit être. Une amulette peu courante, soi dit en passant, qui laissait penser à la sorcière que sa cliente faisait partie de ces femmes qui usaient de leur corps pour gagner leur vie.

Mélisse s'approcha de la jeune femme et lui prit l'amulette des mains. L'objet était d'une facture correcte, mais elle ne venait certainement pas de sa boutique, elle-même n'aurait jamais assemblé les perles ainsi, sans parler de ce cylindre de bois qu'elle n'utilisait jamais. Néanmoins, elle reconnaissait là une amulette efficace, elle le sentait dans ses doigts, son pouvoir était réel et actif.

La sorcière reporta son regard sur la jeune femme devant elle, puis vers son enfant. Elle l'avait posé sur un des fauteuils de la boutique, sans aucun effet notable sur les cris du bébé. Mélisse n'avait pas d'enfant elle-même, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir un instinct protecteur envers ces petits êtres. Sans même demander la permission à sa mère, Mélisse alla prendre l'enfant. Une fois dans ses bras, elle le berça doucement et écarta un peu le linge de son visage. Les pleurs se firent moins importants.

Alors, comme le silence reprenait peu à peu ses droits, apaisant les nerfs de Mélisse vaguement mis à l'épreuve par le bruit des pleurs, la sorcière entreprit de répondre à sa cliente.

- Cette amulette fonctionne parfaitement. Je n'en reconnais pas la facture mais je sens son pouvoir. Ce petit n'est pas issu d'un dysfonctionnement de sa part.

Cela elle pouvait l'affirmer, même si elle tenait dans ses bras la preuve qu'il y avait eu un problème quelque part.

La réponse de la sorcière ne sembla pas combler sa cliente. Mélisse n'y pouvait rien, elle avait répondu sincèrement à la question. C'était ainsi et elle ne pouvait pas changer le cours des choses passées. Si l'enfant était là, alors c'est que l'amulette ne l'avait pas été durant sa conception. Mélisse, quant à elle, attendait une réaction de la part de la jeune femme. Elle ne voulait pas s'immiscer dans ses pensées.

Quand la question sortit finalement, Mélisse acquiesça. Si elle n'en avait pas été capable, alors elle n'aurait pas été digne de s'appeler sorcière. Demandait-on à un poisson s'il savait nager ?

- Bien sûr, répondit-elle. Je n'ai pas besoin de connaître la quantité de candidat potentiel pour vous décrire son père.

Elle tendit l'amulette à sa propriétaire pour la lui rendre et réajusta son paquet dans son bras. Bientôt, les pleurs reprirent, doucement d'abord. Mélisse reporta aussitôt son attention sur l'enfant, étonnée. Allons donc, que lui arrivait-il ? Elle lui caressa doucement le visage et les plaintes cessèrent aussitôt. Interloquée, Mélisse se pencha sur le visage de l'enfant et sentit ses doigts. Une légère odeur d'herbe y était restée accrochée.

- Je crois que votre enfant aime la sauge, conclut-elle à l'adresse de la mère.

Et dans l'esprit de la sorcière, un doute se fit, car les propriétés de la sauge étaient bien particulières.

Mélisse garda le silence un moment. Elle observait sa cliente en caressant la joue du nourrisson. La jeune femme en face d'elle semblait cacher une blessure. Quelque chose qui l'avait bousculée et elle avait du mal à s'en relever. La sorcière tenait dans ses bras un enfant qu'elle savait ne pas être désiré, être fille mère, étrangère de surcroît, ne devait pas être chose facile. Et manifestement, elle n'avait pas d'argent. Qu'à cela ne tienne, Mélisse ne demandait pas d'argent à ceux qui n'en avait pas assez pour vivre (le plus gros de sa clientèle donc) et préférait troquer son savoir faire contre de la nourriture ou des ressources utiles. Et à la voir, sa cliente avait peut-être de quoi la combler.

- Vous êtes outrilienne n'est-ce pas ? Avez-vous emmené avec vous des poudres de maquillage de votre pays d'origine ?

La sorcière n'était pas coquette, non, ce qui l'intéressait résidait dans les ingrédients de certaines de ces poudres faites, pour certaines, à base de plante ou de pierre que l'on ne trouvait pas ou rarement en Cerf. Si sa cliente n'en possédait pas, elle serait déçue mais trouverait autre chose pour monnayer son savoir-faire.

- Asseyez-vous, conseilla-t-elle en désignant l'un des fauteuils. Je vais aller chercher ce dont j'ai besoin.

Prudente, elle remit l'enfant à sa mère avant de disparaître dans le sellier. C'est là qu'elle avait rangée sa précieuse vasque en verre. C'était du verre d'une pureté parfaite, sans bulle, sans aucune imperfection de quelque sorte que ce soit, cela coûtait beaucoup trop cher pour qu'elle puisse se permettre de laisser l'objet dans la boutique. Néanmoins, aussi cher que l'objet fut, la sorcière en avait besoin régulièrement. Mélisse prit délicatement dans ses mains la vasque en verre, attrapa un pot de teinture d'un bleu nuit profond et en profita pour prendre également l'un des bouquets de sauge qu'elle avait confectionnés avant l'arrivée de sa cliente. Elle les mit dans la vasque et retourna dans la boutique.

- Puis-je vous demander votre nom ? demanda-t-elle en posant le tout sur la table.

Pas de maquillage outrîlien alors. Tant pis, Mélisse et sa cliente trouveraient bien quelque chose sur laquelle se mettre d'accord. D'autant que ce sujet épineux semblait revêtir une grande importance pour la jeune femme. La sorcière le comprenait aisément, voilà pourquoi elle ne demandait que rarement d'être payée en or sonnant et trébuchant. La nourriture, des matières premières ou un service étaient monnaie bien plus courante dans cette boutique.

Sa visiteuse s'agitait dans son fauteuil, visiblement mal à l'aise. Elle répondit distraitement à la question de Mélisse sur son nom. Manifestement son matériel l'intriguait. Moins la sauge, cela dit, puisqu'elle comprit aussitôt pourquoi la sorcière s'en était munie. La petite Volonté serait plus calme ainsi, et la sorcière serait plus à son aise pour exercer son art.

- Ça se mange, confirma Mélisse à la dénommée Iris, ça se boit aussi, ou ça se respire. Délicieuse dans un ragoût, avec beaucoup de vertus médicinales en infusion, et son odeur et sa fumée ont également la capacité de faire fuir les mauvais esprits.

Voilà ce que craignait un peu Mélisse. Mais réflexion faite, elle imaginait mal un enfant de cet age avec un esprit ouvert au monde à ce point. L'odeur devait tout simplement l'apaiser, pour une raison ou une autre.

Mélisse se détourna de la table pour aller chercher un broc d'eau posé près de la cheminée. Elle en revint les mains pleines et posa le dernier ingrédient de sa divination sur la table. Alors la sorcière prit place elle aussi dans un fauteuil, le temps de trouver un terrain d'entente avec sa cliente.

- Si vous êtes venue me voir, vous savez peut-être que je me fais payer autrement que par de l'argent. La plupart de mes clients me rémunèrent avec de la nourriture ou par des objets qui me sont utiles. Peut-être avez-vous chez vous un pot de confiture ou de miel ? Je n'en ai plus.

Mélisse aimait le miel et celui-ci avait la fâcheuse tendance de disparaître beaucoup trop vite !

Mélisse sourit lorsqu'Iris confirma son offre d'échange, sincère. Un sourire de gourmande. Oui, c'était son vilain défaut, et elle l'assumait. Plus ou moins.

Le marché conclut aux yeux de la sorcière, celle-ci se mit au travail. Elle versa l'eau dans la vasque jusqu'à ce que le liquide atteigne un niveau satisfaisant (environ à trois doigts du bord). Elle posa alors le pichet et poussa la vasque doucement vers sa cliente. Elle déplaça ensuite son siège pour se trouver assez proche de l'objet afin de voir la surface limpide, légèrement miroitante, de l'eau. La sorcière s'empara du pot d'encre bleu nuit et le posa près de la vasque. Alors, elle regarda sa cliente.

- Si vous êtes toujours partante, je vous propose de commencer.

Elle ouvrit le pot et le présenta à Iris, le tenant fermement pour qu'il ne tombe pas tandis qu'elle se servirait.

- J'ai besoin que vous trempiez votre main ainsi que celle de votre fille dans cette encre. Pas trop profond si vous voulez bien, cela gâcherait inutilement de l'encre et brouillerait la vision que je pourrait avoir de son père. Ensuite, plongez vos deux mains en même temps dans l'eau et retirez les, s'il vous plaît.

L'encre formerait alors des nuages dans l'eau claire et ces volutes allaient livrer les secrets que les deux mains avaient en commun. Il n'y aurait probablement pas que le père de la petite fille mais Mélisse connaissait son travail, elle n'extrairait de ce qu'elle verrait que l'essentiel. La demande du client, il fallait s'en tenir à cela pour continuer à exercer en paix.

D'abord, les deux encres ne se mélangèrent pas. Brièvement, Mélisse aperçu un peu de la vie de chacune (la tourmente pour l'une, la simplicité pour l'autre). Les plus grandes volutes semblaient vouloir fuir les plus petites. Puis les nuages se rencontrèrent et se mêlèrent l'un à l'autre. Et les images changèrent de sens.

L'encre bleue volait doucement entre deux eaux, laissant voir à la sorcière les origines de leur création. L'avantage d'utiliser cette méthode avec un nouveau né, c'était que sa vie n'était pas particulièrement longue. Cela réduisait grandement le champ des recherches pour Mélisse. Devant les yeux de la sorcières, des courbes se dessinèrent pour former un schéma tout en simplicité. Mélisse retint un sourire qui aurait pu être mal accueilli par sa cliente, car simplicité était bien le mot à utiliser. Si elle laissait de côté les événements survenus entre les deux âmes, Mélisse apercevait les personnes qui avaient de l'importance pour elles, pour leur vie.

Il y avait une jeune fille, étrangère. Mélisse l'ignora. Ce n'était pas elle qu'elle cherchait, à moins que la jeune fille ne cache des secrets anatomiques étranges. Non, la sorcière s'intéressait beaucoup plus à cette autre personne, un homme, un soldat ou un homme d'arme semblait-il. Et d'après les volutes de l'encre, c'était de lui qu'était née la petite Volonté.

« Je le vois » informa la jeune femme en relevant brièvement les yeux sur sa cliente avant de reporter son regard dans l'eau pour lire à haute voix « c'est un homme jeune, quoi que plus âgé que vous, un homme d'arme. Même s'il est de naissance modeste, il est proche des puissants, je dirais qu'il est particulièrement lié à l'un d'entre eux, comme un serment ou une dette. »

Mélisse voyait d'autres choses encore, comme une certaine prédisposition pour le mystère. Elle voyait une relation orageuse avec la jeune mère. Des sentiments confus. Cela, elle le garda pour elle, sa cliente n'était pas venue pour cela et n'aurait sans doute pas apprécié que la sorcière lui révèle l'étendu de ce qu'elle pouvait savoir par la lecture de cette encre. Alors elle releva les yeux de la vasque et s'intéressa de nouveau à sa cliente. Serait-elle satisfaite ou lui faudrait-il d'autres informations ?

« Cela vous permet-il de l'identifier ? » demanda-t-elle avec douceur.

La jeune femme n'avait pas l'air sure d'elle, elle semblait avoir peur. Les indications que Mélisse lui donna ne l'apaisaient pas, au contraire, elle semblait plus affolée encore. Était-ce parce qu'elle ne voyait pas de qui Mélisse parlait ou parce qu'elle voulait (ou ne voulait pas) entendre le nom d'un homme en particulier ? A en juger par ce que la sorcière lisait dans la vasque, Iris et le père de Volonté avaient une relation particulière, au-delà de ses activités de femme de joie. La jeune mère avait peut-être déjà des soupçons. Alors Mélisse essaya d'être aussi douce que possible et de choisir soigneusement les mots et les informations qu'elle laissait filtrer.

- Si j'en juge par ce que je vois ici, dit-elle précautionneusement, en désignant la vasque, je dirais que ce n'était pas un client ordinaire. Ou bien un habitué que vous avez revu plusieurs fois, peut-être en dehors de votre travail.

Elle fouilla dans sa poche pour attraper le chiffon qui lui servait à essuyer tout et n'importe quoi et le tendit à Iris pour qu'elle puisse essuyer l'encre.

- Cela vous aide-t-il ?

En y songeant, Mélisse était certaine que la jeune femme voyait, mais elle doutait. La sorcière se demanda alors comment faire pour obtenir de manière implacable l'identité de l'homme qui avait conçu Volonté.

L'attitude de sa cliente changea du tout au tout. Nerveuse, elle était désormais apaisée. Du moins, sa nervosité avait-elle disparu, remplacée par une sorte de… nostalgie. La réponse qu'elle était venue chercher ne lui apportait pas la réponse à toutes ses questions. Selon la sorcière, elle ouvrait plutôt la porte de nouvelles interrogations peut-être douloureuses. En songeant à ce qu'elle savait de la relation entre les parents de la petite Volonté, Mélisse se dit que la jeune femme aurait sans doute préféré s'entendre dire que ce n'était pas cet homme qui avait conçu l'enfant avec elle. Elle aurait été déçue mais cela lui aurait retiré les problèmes qui découlaient de cette révélation.

Ainsi allaient les pensées de la sorcière tandis qu'elle observait en silence sa cliente songeuse. Iris n'apparaissait plus que comme l'ombre d'elle-même. On l'aurait dit éteinte comme la flamme d'une bougie qu'on aurait soufflé. Mélisse n'aimait pas donner les mauvaises réponses aux questions que l'on venait lui poser, mais elle avait l'honnêteté pour principe. Même quand cela ne plaisait pas.

Iris fini par sortir de sa rêverie songeuse et la remercia d'une voix éteinte. Mélisse lui sourit, encourageante.

- De rien, souffla-t-elle dans un murmure.

La sorcière s'attendait à tout pour la suite. Un départ, des larmes, des confidences ou des questions… son métier était ainsi fait. Elle entrait dans l'intimité de ses clients. Mais en aucun cas elle ne s'attendait à la question qui suivit.

Déstabilisée, Mélisse se mit à rougir. La question était directe et personnelle. De celles qu'elle pouvait poser à ses clients mais dont elle n'aurait pas imaginé être victime. Pour cacher son trouble, elle se tourna vers la table et fit mine de remettre ses affaires en ordre. Prenant le pot d'encre, elle vérifia qu'il était correctement fermé, tout en sachant qu'il l'était bel et bien, puis, ne pouvant donner l'illusion plus longtemps, elle répondit sans regarder son interlocutrice.

- Non, il n'y a personne. Du moins, personne qui soit régulier.

Bien sûr, Mélisse n'était ni vierge ni chaste. Elle partageait parfois des moments d'intimité avec des hommes, elle les voyait quelques temps puis mettait fin à leur relation avant qu'un lien ne s'installe. La sorcière était trop indépendante pour vouloir d'un lien qui l'ancre à un quai. Et elle aimait profondément son métier, qu'elle n'aurait pu pratiquer si librement en étant mariée. Quant à songer à un enfant… il le faudrait sans doute un jour, afin que son don puisse se transmettre. Mais à quoi bon expliquer tout cela à la jeune femme ? Elle ne venait certainement pas pour entendre de telles paroles alors qu'elle-même éprouvait des difficultés dans sa vie sentimentale.

Une volonté nouvelle s'alluma dans les yeux d'Iris. La bougie soufflée se rallumait pour faire feu de plus belle. Une résolution, celle d'accepter le sort et de faire au mieux avec les cartes qui lui avaient été distribuées. Mélisse approuvait complètement cette attitude. On ne pouvait pas faire face à l'avenir si on en avait peur.

- En effet, cette enfant ne disparaîtra pas simplement parce que vous le désirez. C'est une autre vie mais beaucoup de femmes l'ont vécu avant vous, je ne vois pas pourquoi vous n'en seriez pas capable. Qu'un homme soit là ou non.

La sorcière lui délivra un sourire encourageant. Elle comprenait bien qu'Iris aurait préféré ne pas voir ce petit être investir son corps et sa vie, accepter l'enfant serait un grand pas dans sa nouvelle vie.

- Si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas à revenir, je suis capable de guérir la plupart des maladies infantiles.

Elle montra le sac d'Iris, dans lequel se trouvait l'amulette permettant à la jeune femme de ne pas procréer en sa présence.

- Mais si vous ne voulez plus tomber enceinte, il vaudrait mieux que vous ne vous éloignez plus de votre amulette lorsque vous vous trouvez en compagnie d'un homme.

Quoi que Mélisse ait également de quoi faire partir l'embryon du ventre d'une femme, mieux valait pour la jeune femme qu'elle fasse attention dès le départ, car le traitement n'était pas sans douleur.

***

Iris se rendit aux arguments de Mélisse et accepta la révélation que la sorcière venait de lui faire sur l'identité du père de Volonté. La jeune mère se leva en s'en alla sur la promesse de revenir le lendemain payer son dû. Mélisse avait confiance, elle savait que la jeune femme reviendrait.

De nouveau seule, la sorcière nettoya avec miles précautions son matériel et le rangea précautionneusement à sa place avant de reprendre la tâche qu'elle avait débutée avant l'irruption de la cliente.

Le lendemain, Mélisse était plongée dans la contemplation rêveuse du fond de sa tasse de thé quand la porte de sa boutique s'ouvrit. La sorcière leva les yeux vers le client. Et il s'avéra qu'il s'agissait d'une cliente. Iris revenait avec les mains pleines de poisson.

Mélisse laissa sa tasse de côté et se leva pour aller accueillir la jeune femme. La pauvre semblait exténuée. Elle avait du avoir une courte nuit. La petite avait-elle pleuré une partie de la nuit ou bien Iris avait-elle eut d'autres occupations ? Si Mélisse se le demanda, elle ne laissa rien voir de cette interrogation sur son visage et se contenta simplement d'accueillir sa cliente avec le sourire.

- C'est parfait, la rassura-t-elle lorsqu'elle lui offrit les poissons.

Quatre poissons ! Voilà qui allait nourrir la sorcière pour plusieurs jours. Elle qui aimait cela, elle serait comblée ! C'était l'avantage de vivre dans une ville côtière. Il faut dire que la mer ne se voyait pas dans les Montagnes, bien qu'elle connaisse le poisson du lac à côté duquel elle vivait petite. Mélisse tendit les mains pour prendre les poissons.

- Inutile, je m'en chargerai.

La sorcière sentit que sa cliente avait quelque chose sur la conscience. Elle n'était pas tranquille. Dans sa façon de bouger, Iris ne semblait pas à l'aise. Mélisse invita alors gentiment la jeune femme à se joindre à elle.

- Est-ce que vous voulez une tasse de thé ? Il fait froid dehors, cela vous fera du bien. J'en ai justement encore un peu qui chauffe dans la cheminée.

Iris repoussa l'invitation en marmonnant quelque prétexte. Elle ne semblait pas convaincue, ce qui n'échappa guère à la sorcière. Et d'ailleurs, malgré son « au revoir » elle ne partit pas. Signe indubitable que la jeune femme n'avait pas fini ce qu'elle avait à faire dans la boutique. Mélisse ne la pressa pas, consciente qu'il fallait que cela sorte tout seul. Au lieu de cela, elle posa le poisson sur la table et s'essuya lentement les main sur son propre tablier.

Et les mots finirent par franchir la barrière des lèvres. Voilà une question à laquelle Mélisse ne pouvait guère répondre. Les sorcières haies avaient la réputation de posséder beaucoup de réponses. Le fait est qu'elles avaient en leur possession bien des capacités que la plupart des humains ne possèdent pas, en revanche, pour ce qui est de décider de l'avenir, elles ne pouvaient rien y faire. Et Mélisse avait de la peine pour cette jeune femme confrontée à des choix difficiles.

- Ce choix vous appartient. C'est à vous seule de décider. Si cela vous rend plus heureuse alors pourquoi me poser la question ? Mais si cela ne doit que vous compliquer la tâche, alors mieux vaut, peut-être, ne rien lui dire.

La sorcière savait que la relation entre les deux parents de cette petite fille surprise était houleuse. De là à savoir si l'annonce que cette enfant était issue de son sang calmerait la tempête, il y avait une marche que Mélisse n'était pas prête à franchir. Non seulement il lui serait difficile de le savoir, mais en plus de cela, elle se refusait à fouiller inutilement dans la vie de ses clients.

- Je ne connais que peu cet homme avec qui vous avez conçu Volonté, continua-t-elle doucement, aussi m'est-il compliqué de savoir. Je crois que c'est votre cœur qui doit parler, et que je n'ai dans cette affaire aucune voix au chapitre.

La sorcière se tut sur ces derniers mots. Elle regardait Iris se débattre avec ses pensées. Mélisse saurait-elle le fin mot de l'histoire un jour ? Peut-être...