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 La quête de vif du pierrier [terminé]

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Atre Pierrefendue

Atre Pierrefendue

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MessageSujet: La quête de vif du pierrier [terminé]   La quête de vif du pierrier [terminé] I_icon_minitimeJeu 10 Déc - 20:34

La quête de vif du pierrier [terminé] 534b6d10


Ainsi commençait le début de son existence propre.

Il avait eu 18 ans quelques semaines auparavant ; la vie chez les Pierrefendue était moins faste qu’autrefois et la fête pour l’aînée de la famille s’en était ressentie… au lieu de belles et grasses pâtisseries et d’une tablée d’amis et de cousins pour les partager, les festivités s’étaient limitées à un bol de gruau agrémenté de fruits frais et les proches parents.
Cette après midi avait encore une saveur douce amère dans ses souvenirs car son père avait jugé bon de l’entretenir de son avenir a cette occasion et même si ce qui en était ressorti n’avait rien de surprenant, le vieux Marbre Pierrefendue avait tout fait pour que ce soit désagréable.
Âtre n’était plus un enfant aux yeux du monde, et qu’il passa ses journées à tailler des sculptures pour lui-même n’était pas plus acceptable que le fait qu’il coûte plus à nourrir que ce qu’il rapportait aux caisses familiales. Tout à chacun savait qu’en grandissant les jeunes gens devaient participer aux finances de la maisonnée et pas seulement peser dessus. Son père s’étonnait qu’il n’ai pas lui-même prit les devants pour se ménager un avenir autre que celui qui consistait simplement a hériter de l’entreprise de ces ancêtres. Non pas qu’il voulait le mettre à la porte, mais en temps normal, les fils d’artisan partaient souvent peaufiner leurs statuts de compagnon chez d’autres maîtres que leurs propres parents, pour étoffer leurs réputations disait il… à force d'exemples et d'images dégradantes son père avait ainsi tenu à lui faire comprendre qu’il fallait qu’il parte quelques temps, au moins jusqu’à ce qu’il soit en mesure de prétendre au statut de maître sculpteur ou pierrier et qu’il ne soit plus un poids sur sa bourse.

Ce délicieux moment s’était déroulé une éternité avant aujourd’hui lui semblait il, et pourtant, c’était bien maintenant qu’il prenait tout son sens… debout sur le palier de sa maison, avec sa mère qui lui tenait la main en sanglotant.

« Ne t’inquiètes pas maman. » En disant ces mots, il sentit sa gorge se nouer «  C’était prévu depuis longtemps, on l’avait juste mis de côté pour ne plus y penser… » ce n’était surement d’aucun réconfort pour la pauvre femme qui reniflait en s’accrochant à sa manche, pour lui non plus d’ailleurs « Je ne pars pas a la guerre, je m’en vais découvrir notre duché et trouver maître Chanv’ comme me l’a conseillé papa, tu te souviens ? Maître Chanv’, celui avec lequel on traite à Vasebaie pour le marbre, un grand sculpteur à ce qu’on dit, il devrait me prendre comme compagnon et m’apprendre quelques nouvelles finesses que lui seul connait. » Lui-même n’y croyait pas vraiment, mais il préférait jouer le jeu… Chanv’ était un vieillard bedonnant qui ne sculptait plus depuis des années, et la perspective de résider chez lui comme compagnon n’était guère reluisante pour sa réputation d’artiste « Ensuite j’irai surement à Corvecol pour en apprendre plus sur leurs pierres, il paraît qu’ils en ont de magnifiques.. »

Elle pleurait toujours. Sans jamais vraiment cesser de renifler, elle baissait les yeux vers ses pieds sans oser croiser le regard de ce fils qu’ils poussaient vers la sortie. Oh, bien sûr il reviendrait à Bourg de Castelcerf, mais plus sous la maison familiale, pas jusqu’à ce que son père ne meurt et qu’il n’hérite des murs. Non pas qu’il en voulait a qui que ce soit, c’était simplement ainsi ; sa vie d’enfant était terminée et ils ne pouvaient y avoir deux hommes adultes qui se disputaient l’autorité chez les Pierrefendue. Âtre n’avait jamais voulu plus de pouvoir qui n’en avait déjà, mais l’équilibre des forces était ainsi fait, son père, Marbre, vieillissait et la fortune familiale n’était plus aussi reluisante qu’autrefois ; cela ne pouvait déboucher que sur la situation présente, le fils aîné encouragé à prendre son indépendance et a revenir quand il serait capable de s’occuper de sa famille sans être un poids. Une solution censée, bien que cruelle en apparence.

Mais encore une fois, Âtre n’en voulait à personne.

Il avait depuis longtemps prévu ce voyage, mais pas pour les mêmes raisons… depuis deux ans qu’il avait rencontré Flèche et Velours, il ourdissait son « grand voyage », celui qui le mènerait à son animal de lien. Que le prétexte affiché pour ses proches soit ce soit disant voyage initiatique de tailleur de pierre n’était pas grave en soit, d’autant qu’il n’était pas prêt à reconnaître publiquement ses véritables motivations. Aussi affichait il ce masque triste, de circonstance pour des adieux, mais tâchait également de laisser paraître une note d’enthousiasme qui lui paraissait indispensable pour un jeune homme qui s’apprêtait a prendre son envol.
Les au-revoir durèrent des heures, on le força a vérifier son paquetage plusieurs fois, avait il prit assez de pain de voyage ? Et l’argent, en avait il assez ? Il faisait froid la nuit au printemps, avait il avec lui assez de lainage et une cape qui l’isolait de l’humidité ? Quand son père termina de lui souhaiter bon courage, Âtre ne put s’empêcher de ressentir un pincement… le vieil homme n’était plus le marchand intrépide de sa jeunesse, et même si il mettait son fils dehors, il semblait en éprouver une peine infinie. Son œil jadis brillant et vif était cerné du noirs des nuits de veille à faire les comptes, et ses mains puissantes qui taillaient le schiste et le basalte étaient désormais nouées par les rhumatismes… Avec l’argent épargné par l’absence de leur aîné, ils pouvaient s’offrir une vie plus douce, et puis il reviendrait capable et pleins de nouvelles relations qui viendraient grossir leurs carnets d’adresse, c’était pour eux une bonne solution.

S’ils avaient su…

Âtre était un bon garçon, obéissant même si il avait un caractère d’artiste inconséquent il n’avait jamais tenu tête à son père… mais il ne comptait pas aller à Vasebaie pour rejoindre maître Chanv’, il n’avait d’ailleurs jamais envoyé la lettre qui devait assurer le vieillard de sa visite et de son apprentissage. Aller s’enterrer dans la compagnie formée par leur partenaire commercial de longue date ne lui aurait rien apporté, en vérité son apprentissage était depuis longtemps terminé, et cette place n’avait rien de reluisant même pour un tailleur de pierre débutant. Non, il s’en allait rejoindre son ami du lignage Flèche et son compagnon Velours, pour en apprendre plus sur le Vif et trouver lui-même son âme sœur.

Âme sœur, ses joues rougirent a cette pensée.

« Il est temps que j’y aille, l’après midi est déjà bien avancée et j’aimerais atteindre une auberge pour ma première nuit de voyage. » sa mère sanglota de plus belle, malgré ses mouvement saccadés elle parvient à lui souffler « Je n’ai jamais voulu ça mon fils…»

                                                                                   

      ***


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Pelotte était son poney, il l’avait racheté à son père il y a 3 ans quand l’animal était devenu trop vieux pour la carrière. Dans sa jeunesse, il avait été une belle bête, musculeuse et puissante, son caractère égal avait fait de lui une merveilleuse bête de trait. Mais aux yeux de Marbre Pierrefendue, c’était tout ce qu’il était, « une bête ». Quand Pelotte avait commencer à vieillir, que les immenses blocs de marbre brut qu’il devait trainer derrière lui étaient devenus trop lourds, le patriarche avait voulu le vendre pour sa viande et Âtre l’avait racheté pour assurer ses vieux jours. Pour ce faire, il avait vendu la première sculpture qu'il avait réalisé à une voisine qu’il soupçonnait aujourd’hui d’avoir été plus émue par son histoire que par son œuvre… mais cela l’avait sauvé, et depuis, le vieux poney coulait des jours heureux auprès d’Âtre et lui servait occasionnellement de transport.

Leur relation n’avait jamais évolué jusqu’au lien inébranlable et profond de ceux du Lignage et de leurs compagnons, mais un amour sincère s’épanouissait entre eux depuis des années déjà.
Il était le seul qui l’accompagnait dans ce voyage, du moins pour l’instant. En dépit de ce qui était prévu, Âtre ne se rendait pas à Vasebaie pour son apprentissage, mais dans les alentours de Corvecol pour rejoindre Flèche et Velours dans leur cabane. Cette première étape de son périple pouvait durer autant que nécessaire, puis, si la rencontre tant espérée avec son animal de lien ne s’était pas encore produite alors, il partirait en remontant la Cerf et se laisserait porter. C’était une tâche qui, lui avait dit Flèche, pouvait nécessiter des années comme quelques heures, mais ses connaissances a ce sujet ne lui permettaient pas autre chose que de rêver. De manière générale, sa connaissance du Lignage était de l’ordre du fantasme ; heureusement, quelques années auparavant, il avait croisé ce vieil homme et son chat qui l’avait introduit a son art, mais les choses étaient restées très superficielles… les quelques heures passées en sa compagnie lui avait appris qu’il n’était pas seul à posséder cette sensibilité, et qu’il était bon de la garder secrète, mais les quelques informations qu’il avait alors obtenu l’avaient plus alléché que comblé : se lier trop tôt, c’était mauvais pour l’animal et pour l’humain, et l’animal de lien et lui étaient pour ainsi dire pré destinés à se rencontrer et qu’il ne fallait donc pas « forcer » la recherche de sa moitié.

C’était tout et rien à la fois en somme.

Cela faisait déjà une semaine que Pelotte et lui étaient partis « à l’aventure » et pour l’instant le temps de maintenait au beau fixe. Le printemps était frais, et sec, ses rations de voyage bien consistantes et quand ses jambes le faisaient souffrir d’avoir trop marché il pouvait s’asseoir quelques heures sur le dos du poney pour se soulager. C’était une belle vie, la seule chose qui lui manquait c’était la sculpture… bien sûr, sa mère et sa sœur apparaissaient parfois au détour de ses pensées lorsqu’il apercevait une belle fleur qu’il aurait voulu leur montrer où quand il voyait un nuage en forme de ceci, ou de cela… mais elles n’étaient déjà plus que des fantômes dans sa mémoire. Quant à son père, il ne pouvait s’empêcher de penser à lui a chaque pas qui l’éloignait un peu plus de Vasebaie ; comment réagirait il si il venait à apprendre son mensonge ? Et puis tout aussi vite qu’il en venait à penser aux conséquences de ses actes, il chassait les sombres images de Marbre Pierrefendue en train de le renier et de lui jeter le déshonneur de leur héritage bafoué. C’était les seuls nuages qui venaient obscurcir ses journées de vagabond, parfois il croisait un paysan et ses bêtes et s’exerçait à tendre son vif vers eux, souvent en vain, les animaux en troupeau comme les moutons, lui apparaissaient presque comme un seul individu tant leurs pensées étaient semblables et simples. Une fois, il vit une femme et sa vache et sentit un semblant de contact s’établir, mais occupée comme elle était à s’extasier d’avoir été traite quelques minutes auparavant, elle repoussa son intervention comme si elle chassait un mouche de sa queue.

Ce furent là ces seules tentatives, il ne voulait pas se presser dans n’importe quel lien… Flèche l’avait averti de l’avidité avec laquelle certains jeunes gens cherchaient leurs compagnons de vif et des mauvais choix qui en découlaient. Cela le terrifiait et tout à la fois le fascinait : comment pouvait on mal se lier ? Son « maître de vif » et lui n’avait jamais pu aborder la question en profondeur lors de leur unique rencontre, et les lettres qu’ils avaient échangé par la suite n’avait été que des entretiens superficiels où se cachaient de subtiles références a leur magie, aussi n’avait il pour l’instant que son imagination pour répondre à ses questions. Peut être le caractère emporté d’un prédateur pouvait il déteindre sur la personnalité calme de « son » humain et le transformer plus qu’il ne le voudrait ? Effaçant un peu, de fait, de son propre esprit au profit de celui de son animal de lien ? Peut être était ce cela que Flèche considérait comme « mal », lui en tout cas, cette perspective le terrifiait… un animal pouvait il lui faire renoncer à son amour de la sculpture pour celui de la chasse par exemple ? Aurait il seulement conscience de ce changement de personnalité ou bien glisserait il vers la bestialité, doucement, sans prendre ombrage de l’humanité qui l’abandonnait ? Non. C’était les croyances populaires qui disaient cela, que les vifiers devenaient leurs animaux, Flèche lui avait dit que Velours et lui étaient liés depuis 10 ans, et lui ne ressemblait pas plus à un chat que Velours à un humain… simplement, le vieil homme avait des manières étrangement gracieuses, presque féline, quand il se déplaçait et ses yeux luisaient parfois d’une lueur de curiosité typiquement « chat », du moins c’est ce dont il se souvenait lorsqu’il pensait à lui.
La route qu’il avait déjà parcouru constituait plus des trois quart du chemin jusqu’à Corvecol. Flèche lui avait dit vivre dans les petits bois autour du village et ils avaient convenu d’un point de rendez vous à l’orée de la forêt prêt d’un ruisseau qui la traversait de part en part. Selon ses descriptions dans les lettres qu’ils avaient échangé, sa petite maisonnée tenait du coin de paradis ; dans une petite clairière bordée d’arbres fruitiers, avec son chat, une petite cheminée… l’exacte représentation qu’on se faisait d’une chaumière de conte de fée. Une fois arrivé près du ruisseau, il pouvait établir un petit campement et attendre que Velours vienne le trouver, ou remonter le cours de l’eau pour s’avancer vers sa destination plus rapidement.

Mais il n’y était pas encore, pour l’instant il marchait, marchait et marchait encore jusqu’au point de chute de ses rêves de jeune homme.

                                                                               

          ***

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Être sur la route, ce n’était pas si drôle que ça finalement…
La veille il avait plu, beaucoup, et ils avaient dû s’arrêter et bivouaquer en urgence dans une chaumière abandonnée. La masure était en piteux état, à moitié effondrée sur elle-même elle n’offrait qu’un abris relatif aux affres de la météo : il fallait se faufiler sous le toit qui reposait désormais dans la pièce principale, retenu par un mur encore debout l’eau ruisselait sur sa surface jadis goudronnée et ne pénétrait pas en dessous. Ce fut tout un exercice de patience de faire pénétrer Pelotte dans cet espace exigu dans lequel il du courber l’échine pour tenir debout, mais à force d’exhaler des vagues de réconfort et de supplication Âtre avait réussi à attirer le poney sous la chaume et puis à le faire se coucher contre lui pour qu’ils puissent se tenir chaud. Ils étaient resté ainsi pendant des heures jusqu’à ce que l’averse passe.

Durant cette nuit inconfortable, ils s’endormit par à-coups et son sommeil fut troublé par les rêves erratiques de son étrange compagnon de chambrée : le poney, bien que vieux et trempé jusqu’aux os avaient des songes réconfortants, un en particulier atteint l’esprit de son maître, c’était un souvenir de l’après midi ou Âtre l’avait « racheté » à son père. Le poney se remémorait le soleil sur son dos pendant qu’il tirait péniblement un bloc de marbre, la sueur qui coulait dans les plaies que lui faisaient son harnais de trait et les insectes suceurs de sang qui le harcelait. Et soudainement, le bruit de ce que le jeune homme savait être une bourse qui tombait sur le sol mais qui aux oreilles de Pelotte sonnaient alors comme la liberté et la libération. Âtre se vit enlever l’harnachement en cuir qui enserrait son poitrail meurtri, perlé de sueur, et le poids qu’il tirait s’en était allée comme si il n’avait jamais existé. Ne restait plus qu’une profonde gratitude envers son nouveau maître.
Et le jeune homme s’était réveillé.

Il avait alors trouvé les grands yeux de Pelotte, iris mordorées aux reflets fauves, posés sur lui. Toute la reconnaissance que le vieux poney avait ressenti, la gène que lui causait le froid et l’humidité, la chaleur que dégageaient leurs corps, toutes ces sensations le traversait et le laissait pantois… comme asséché par ce trop plein d’émotion il restait là, tout contre la croupe tachetée de son comparse, sans savoir que faire. Et le monde se mit soudainement à chanter : il percevait la pulsation de vie chaque oiseau qui le survolait dans le ciel, l’unicité de la colonie d’insecte qui défilait lentement dans la boue à ses pieds, et même un chat… un chat ?

En trombe, le jeune homme se précipita « dehors » et devant leur abris de fortune se trouvait bien la silhouette émaciée de Velours. Il avait senti sa présence, comme il aurait entendu l’onde de choc que produit un galet en étant jeté dans l’eau, et presque aussitôt il l’avait reconnu. Malgré leur unique rencontre, le vieux félin avait laissé un souvenir impérissable en lui, sa fourrure aux odeurs de poussière et de forêt, ses oreilles dévorées par quelque animal ou bien le temps… et lorsque Velours était apparu soudainement a proximité, toutes les émotions que lui évoquaient le compagnon de vif de Flèche lui avaient soudainement chatouillé les sens. C’était comme sentir une odeur, imperceptible, chercher à la remonter jusqu’à sa source pour en trouver l’origine et y parvenir. C’était donc ça, le vif ? Cette perception de toutes les vies qui les entourait ? Connaître, presque intimement, chaque être qui l’entourait et pouvoir tendre son esprit et ses pensées vers lui pour communiquer. Ça paraissait si évident, la communication entre les êtres, qu’il soient humain ou animal, comme d’égal a égal.

Tu as reconnu le chat, c’est bien. Cette simple pensée lui fit l’effet d’un coup de trompette sonnant directement dans son crâne. Velours s’était pressé contre lui et se frottait désormais ostensiblement contre son mollet. Tu es à moi maintenant, un de mes humains, comme Flèche.

Il était d’une suffisance propre à la race, hautain, royal et affectueux tout a la fois. Sa fourrure était rêche et encore humide de la rosée du matin et de la pluie de la veille, et pourtant cela ne paraissait pas le déranger, les chats n’avaient ils pas peur de l’eau ?

Peur ? Velours n’a peur de rien. Un chat sauvage ne craint rien ni personne… dans la forêt l’eau est inévitable, il ne sert a rien de la craindre. Les chats n’aiment pas l’eau, mais ils n’ont pas peur.

C’était d’une logique implacable.
Même si il avait déjà eu l’occasion de communiquer avec le noble greffier quelques années auparavant, cet échange était le plus long qu’il ai jamais eu avec un animal et le plus net aussi. Les pensées de Velours étaient distinctes, claires comme s’il avait été en train de lui parler comme tout a chacun l’aurait fait. C’était formidable.

Suis moi, petit d’homme, je te mène a la tanière.

                                                                                     

***


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Le vieux matou l’avait mené jusqu’au point de chute de son voyage. L’indolent félin n’était plus tout jeune ; a force de le questionner  tre avait finit par déduire qu’il approchait la quinzaine d’années, âge vénérable si il en était pour tout chat de gouttière… mais malgré son poil dru et fatigué, il ne manifestait pas vraiment les signes de gêne de ceux de sa race aux crépuscules de leurs vies. Était-ce un effet du à son lien de vif avec son « maître » ? Ou bien peut être était-ce propre à lui, certains chats vivaient beaucoup plus vieux que leurs congénères sans raison apparente, en particulier les portes cochères comme Velours. Ces sangs mêlés recélaient parfois une vigueur étonnante et une longévité en conséquence.

Le petit bout de chemin qui le séparait encore de la maison de Flèche prit une bonne partie de la matinée. La pluie s’était arrêtée un peu avant l’aube et l’apparition providentielle de Velours, les petits sentiers de sous bois qu’ils empruntaient tenaient plus de la coulée de boue que de la piste de marche, mais le terrain était égal et enhardis par l’arrivée imminente le poney et le garçon avaient avancé de bon cœur.

La clairière était telle que l’avait décrite le vieux Vifier ; cachée derrière une grande bordée d’arbres résineux bien serrés manifestement plantés de la main de l’homme, un petit bâtiment jaillissait hors du sol. Tout était fait en larges rondins de bois, des murs au toit donc les flancs étaient recouverts d’une paille passée à la chau, c’était très bucolique. Aucun architecte n’avait du participer à la conception, vu la simplicité, mais elle respirait la solidité des habitations simple de paysan, il y avait même une fenêtre sur le versant qui donnait vers  tre, c’était plus que ce à quoi il s’attendait. De là où il se trouvait, le jeune homme ne comptait pas moins de deux pommiers, autant de pruniers et même un cerisier, un buisson touffu de mûres sauvages croissait librement autour de la cabane lui faisant comme une armure naturelle. Quelques chèvres paissaient paisiblement dans un petit enclos couvert non loin de là, elles avaient une mangeoire pleine de grains, ce fut donc là qu’il attacha Pelotte.
Le poney semblait éreinté, aussi prit-il tout son temps pour l’étriller. Ils avaient fait un long voyage depuis bourg de Castelcerf, du moins pour le vieil animal, et il était chargé des deux lourdes sacoches de bats d’ tre qui contenaient toutes ses possessions. Tout en faisant briller son poil, il se sentait reconnaissant du service que lui avait rendu son destrier, sans lui la route aurait été une torture… en détachant les boucles de cuir qui tenaient son chargement, il prit conscience du poids qu’il représentait, c’était toute sa vie qui était contenue dans ces sacs, plus quelques cadeaux pour son hôte. La symbolique était criante de vérité : il avait confié toute son existence au dos solide et calme qu’il était en train de bouchonner, et Pelotte l’avait bravement porté jusqu’à destination, sans jamais renâcler où se plaindre. C’était cela, la véritable abnégation, la véritable amitié, et a cet instant il réalisa que tout les « amis » qu’il avait à la ville n’en méritaient guère le nom. À cette pensée il sortit une poignée d’abricots séchés de ses fontes et les donna a son compagnon, il les méritait bien plus que lui.

«  Le mérite n’existe pas chez eux, mais c’est une noble notion pour un homme. » La voix chaude et roque de Flèche avait éclaté la bulle de ses rêveries « Bonjour Âtre, Velours vous a donc mené à bon port, j’en suis heureux. »

Ils échangèrent les civilités d’usage pendant qu’il terminait de libérer le poney ses mores et de sa couverture de bat. Le vieillard ne se formalisa pas qu’il fit passer le bien être de l’animal avant ses devoirs d’invité, sans doute était-ce aussi normal pour eux deux que Pelotte soit bien à l’aise avant que son « maître » ne puisse se considérer officiellement comme arrivé.
Quand il eu enfin fini, l’après midi était entamée, et son hôte était retourné dans sa demeure champêtre. Lorsqu’ tre pénétra enfin dans la pièce principale, il put apprécier l’odeur du cèdre dans lequel la maison était vraisemblablement construite et la température douillette. Un modeste petit feu brûlait dans la cheminée, plus pour la lumière que pour la chaleur, mais le corps détrempé du jeune garçon en absorbait le moindre rayonnements comme s’il avait s’agit d’un nectar divin. Flèche était assis dans un fauteuil fatigué juste devant les flammes, ses traits anguleux étaient sporadiquement illuminé par les flammes qui crépitaient. Ainsi, il ressemblait aux vieux mages des contes de son enfance, êtres millénaires aux innombrables sagesses.
Comme s’il avait perçu ses pensées, le vieil homme se redressa et prononça d’une voix empreinte de certitudes :

« Voici la maison où tu trouveras réponse à tes questions. » un frisson le parcouru le long de l’échine quand il répondit « Je ne saurais espérer meilleur accueil. » En un sens c’était vrai, c’était bien pour épancher sa curiosité qu’il était venu ici «  Je vous ai rapporté de petites choses de Bourg de Castelcerf, j’espère que cela vous plaira et vous sera utile. » il traina alors les sacoches prêt du feu et commença son inventaire : deux grosses tommes de vache grasses et affinées des mois durant et un pain au levain a la croûte épaisse et la mie dense. Une bouteille d’eau de vie d’abricot et une plus petite de vin de fraise accompagnaient un petit assortiment de fruits séchés et de noix confites au sucre. Il avait consacré presque toutes ses économies à rassembler ces présents, il avait imaginé que le vieil homme en serait ravi vu qu’il lui avait confié, des mois plus tôt, lors de l’une de leurs rares missives, habiter dans une forêt, mais a la vue des denrées ainsi étalées, il ne réagissait pas beaucoup « et voilà, j’espère ne pas avoir présumé de vos goûts. » c’était une manière d’aller a la pêche aux réactions, mais celle qui se produit le surprit « Merci beaucoup Âtre Pierrefendue, pour toutes ces douceurs et ce bon alcool, mais je n’attendais pas de paiement pour mon hospitalité. »  

L’avait-il vexé ? Cette débauche de nourriture fine était elle, aux yeux de Flèche, un moyen d’acheter son séjour et son enseignement ? Le sang semble quitter son visage, et malgré tout les joues lui cuisaient comme s’il avait brûlé au soleil. Tout partait pourtant d’une si belle intension…

Le fromage pour Velours.

Et tac ! Un coup de griffe sur la croûte et le chat s’appropria sa proie.

Le petit d’homme sait respecter un chat, c’est tout. Le vieux chat lui apprend à miauler et lui donne du fromage et des gâteries, parce que le chat est le chat, et que le chat sait tout.

Sur et certain du bien fondé de sa réflexion, le félin s’allongea de tout son long contre son butin et ronronna, satisfait. Tu aimes ? Je suis heureux d’avoir pu te contenter.

« Ne lui cède pas tout ses caprices, il peut vite devenir insupportable. » le gourmanda le vieillard d’un air faussement sérieux, et aussi soudainement qu’il avait prit ombrage, il sembla se réjouir de la situation «  Je sais que tu n’as pas voulu me vexer, mais cela fait si longtemps que je ne vis plus en société qu’il m’arrive de mal interpréter les intentions de ceux que je rencontre encore. » il fit une pause et reprit plus hésitant «  Merci Âtre, pour toute celle belle mangeaille, nous en ferons tout les trois bon usage j’en suis certain, et puis ça fait une éternité que je n’ai pas mangé d’autres fromage que celui que je tire de mes chèvres. »

en parlant il s’était levé avec ses nouveaux trésors et s’était dirigé vers le milieu de la pièce ou trônait une table comme il n’en avait jamais vu : une souche dont les racines était retournée vers le haut et donc les extrémités avaient été coupées et limées pour former un plateau complexe et égal sur lequel reposait une peau finement tannée et étirée, puis sans doute huilée pour arriver à cette finesse et cette transparence. A travers le cuir translucide on devinait les nœuds complexes formées par l’entrelacs du bois, c’était d’une ingéniosité rare et surtout magnifique. Le souffle court il susurra

«  Votre table est magnifique, l’arbre dont a été extraite cette souche devait être immense pour avoir une base aussi grande » le « meuble » si l’on pouvait l’appeler ainsi était aussi large qu’ Âtre était grand et pouvait largement accueillir huit personnes confortablement, une douzaine si on serrait. Mais la pièce était grande, et la morceau de bois créait un agréable contrepoint dans l’ambiance générale, elle donnait un lustre qu’aucun mot n’aurait pu d’écrire à la maisonnée de Flèche « C’était l’arbre le plus vivant que j’ai jamais connu, il devait en effet avoir des centaines d’années quand je l’ai découvert non loin d’ici. » Un arbre vivant ? Il retenait son souffle de peur de couper l’inspiration de son hôte, aussi se contenta t-il d'acquiescer d’un air avide «  Un châtaignier, j’entendais presque ses pensées, tout du moins je ressentais ses émotions. Il respirait, donnait la vie par ses bogues, et était heureux de contribuer à ce que nouveaux châtaigniers en pousse ou que de gros et gras sangliers prospèrent de ses fruits. Il était entier, et ne connaissait pas les ignominies de la vie humaine, je n’ai même pas la certitude qu’il ai jamais eu conscience de moi. Mais comment l’aurait il pu ? Les hommes et les arbres, si jamais je n’avais pas senti aussi sûrement sa présence, j’aurais pu ignorer pour toujours qu’ils étaient vivant au point de se satisfaire du vent qui secoue leur feuillage. » Les yeux de Flèche semblaient se perdre dans ses pensées, mais il continua « Un jour, il y a peut être 15 ans, il y a eu une grosse tempête hivernale et la pluie à du créer un glissement sous ses racines, en tout cas lorsque j’ai pu atteindre le bosquet où il vivait il y reposait, déraciné par les éléments. Je n’y sentais plus aucune vie. Alors j’ai découpé ce tronçon, au début j’ai essayé de le replanter ici par petit bout mais chaque bouture échouait ou avortait, j’ai même essayé de raviver la souche elle-même, mais rien n’y faisait. J’ai finis par en conclure que son temps était passé, et que malgré sa mort il subsistait en lui un semblant de volonté et que ce désir empêchaient toute forme de résurrection… alors je l’ai ramené ici, dans ma maison, et pendant bien longtemps je l’ai laissé ainsi, brut sans d’autre utilité que de me rappeler ce vieil ami. Mais lors de l’un de mes voyages vers Corvecol pour acheter ce que je ne peux produire, je suis tombé sur une tanneuse de l’eau itinérante qui avait cette peau étrange à vendredi. Elle assurait qu’il s’agissait de la membrane de je ne sais quel grand animal marin, mais surtout, elle l’avait si bien travaillée, tirée, huilée, qu’elle était presque aussi transparente que de la glace à peine troublée sur un lac. L’idée de cette table m’est venue immédiatement, ainsi je pouvais toujours voir les racines du châtaigner, sentir ses nœud sous mes mains, et je pourrais partager avec lui tous mes repas. »

Cette affirmation marquait la fin de son récit. Toutes les fibres d’Âtre avait vibré à l’unisson de l’histoire de la table à laquelle il était assis. Il apprit également, sur le ton de la discussion, que les tronçons sur lesquels ils étaient assis étaient également des bouts du châtaigniers que Flèche avait travaillé ces dernières années, ils étaient moins spectaculaire car issu de morceaux lisses, mais ils formaient un ensemble agréable. Cette épopée l’avait laissé affamé, et cela devait se voir car son nouvel ami débarrassa promptement ses trésors de fromages et sucreries pour attirer son attention sur la petit marmite qui mijotait sur le feu. Elle contenait un solide ragoût de lièvre, délicieusement assaisonné et accompagné de petites tubercules, une chaire simple et roborative qui lui parut meilleure que le plus fin des mets qu’il avait pu déguster. Il ne s’était aperçu de sa véritable faim que lorsque la première bouchée avait descendue dans sa gorge, c’était chaud, et cette sensation l’envahissait comme un bonheur ineffable. Durant son voyage il n’avait mangé que des biscuits secs et quelques lanières de viande et fruits séchés, il ne savait pas chasser et encore moins allumer un feu, même si il avait toujours sur lui une pierre a cette effet et un peu d’amadou pour enflammer le tout comme lui avait conseillé son père, il n’avait jamais rien eu à faire cuire et n’en avait donc rien fait.

Tu manges trop fort. C’était velours qui s’insinuait dans son esprit, contrairement à tous les animaux qu’il avait connu, y comprit Pelotte, il faisait ça avec facilité et Âtre éprouvait moins de difficulté à communiquer avec un être a l’intellect développé comme le chat . Comment ça trop fort ? Je ne fais pas un bruit.

Avec ton esprit, tu aimes ton écuelle trop fort, ça me donne faim.

En effet le greffier s’attaquait furieusement a son bout de fromage tout en lui lançant un regard mauvais en biais.

Je suis désolé, j’avais très faim et cela faisait longtemps que je n’avais pas mangé chaud. Mais je ferais plus attention, excuse moi Velours.

Mmh l’image de sa place devant le feu miroitait dans l’esprit du chat, il avait mal a une patte arrière a cause de la pluie, et la chaleur le délasserait surement  tu es bien élevé pour un deux pattes, Flèche a bien choisi son petit.

« Je vais te montrer ta paillasse. » comme lorsqu’il était arrivé plus tôt, l’ancien semblait répondre à une question qu’il n’avait pas encore osé poser «  Tu n’es pas venu pour rien mon garçon, tu sauras tout ce qu’il faut savoir pour être un bon membre du lignage, je m’y emploierai. »
                                                                         ***


Dernière édition par Atre Pierrefendue le Dim 13 Déc - 17:46, édité 1 fois
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La quête de vif du pierrier [terminé] Empty
MessageSujet: Re: La quête de vif du pierrier [terminé]   La quête de vif du pierrier [terminé] I_icon_minitimeDim 13 Déc - 17:45

Les jours, puis les semaines avaient passé sans qu’il ne s’en rende compte.
À dire vrai, ses journées étaient bien chargées et ne lui laissaient guère le loisir de rêvasser et de penser au temps qui passe. Ses matinées étaient occupées par ses leçons sur le Lignage avec Flèche, le vieillard lui racontait d’anciens contes aux morales pleines de sagesse ou lui chantaient des comptines enseignants les risques et les gloires de leur magie. Parfois ils passaient au travaux pratiques, tantôt avec Velours qui lui enseignait à partager leurs sensations, ou avec les animaux de la forêt dont il devait ressentir la présence dans les sous bois. L’après midi, lorsqu’il avait un moment à lui il s’attelait à un projet de sculpture avec les maigres outils qu’il avait amené dans ses fontes : un énorme rocher à l’entrée de la clairière commençait doucement à prendre les courbes d’un chat roulé en boule sous ses coups de burin, c’était loin d’être terminé, mais on pouvait déjà identifier clairement le félin sous la pierre.

Depuis le début de cette nouvelle lune, on pouvait considérer l’été comme touchant à sa fin, les températures rafraîchissaient et les journées s’écourtaient sensiblement. L’inévitable arrivée de l’automne et de sa météo moins clémente avait décidé Flèche à lui demander son aide pour quelques travaux sur la propriété. Le Vifier avait beau vivre en solitaire depuis des années et s’en satisfaire pleinement, certains travaux nécessitaient d’être deux, ou d’avoir des muscles souples et épais. Aussi avaient ils consacrés les dernières chaudes journées de la saison à créer un abris proche de l’enclos à chèvre pour les bêtes et Pelotte, ou à repasser de la chaut sur le toit pour empêcher qu’il ne se mette à fuir pendant une grosse pluie. Le plus dur avait été de constituer une réserve de bois, même si il était habitué aux travaux physique, Âtre n’avait jamais joué les bûcherons, et fendre des troncs pendant une semaine l’avait décidé à ne jamais le devenir. Les cloques et les échardes que lui avait laissé le travail du bois ne firent que renforcer davantage son amour de la pierre. Mais il avait finalement réussi à réunir une quantité raisonnable de combustible pour l’hiver.
Velours participait grandement à leurs travaux et préparations. Le chat partait chasser tous les jours ou le temps le permettait et il revenait rarement bredouille. Souvent il tirait derrière lui de gros et gras volatiles sauvages comme des faisans ou des poules d’eau, plus rarement des écureuils ou encore, une fois, il les surprit en apparaissant à la porte de la chaumière en tenant à grand peine entre ses crocs une biche qui faisait le quadruple de son poids. Même si il s’agissait d’un petit spécimen, le garçon avait été particulièrement impressionné de la prise du vieux matou et avait tenu à entendre le récit de la traque de cette proie spectaculaire. Lui qui n’avait jamais chassé fut subjugué par l’ingéniosité de son ami félin, la manière avec laquelle il avait harcelé le cervidé en lui lardant les jarrets de ses griffes acérées, comment il s’était accroché à son ventre tendre et sans défense pour l’éviscérer lentement, sans pitié. Même si il avait un fond profondément pacifique, l’adolescent comprit la pureté du geste de Velours, il avait tué pour que tout les trois puisse manger, la biche avait perdu la vie pour qu’ils puissent garder la leur, grâce au chat et a ses griffes providentielles.

Ce jour là, Âtre commença à chasser avec le félin grisonnant.

Il était vieux, mais comme il l’avait soupçonné lors de leur deuxième rencontre, loin d’être au bout de sa vie. La vitalité s’exprimait dans ses mouvements, il était un beau représentant de la race, souple et fin, vif et silencieux comme le soir qui tombe. Lorsqu’il chassait, il ne faisait aucun bruit, chacun de ses pas semblait comme étouffé par la mort qu’il charriait avec lui : il était prédateur, impitoyable, inévitable. Leurs « entraînements », car c’était bien ça dont il s’agissait, se déroulaient exclusivement la nuit, Velours lui enseignait comment se mouvoir comme un chat et surprendre sa proie. Il dut se trouver une arme et opta pour la fronde, c’était simple à fabriquer et il pouvait sculpter ses cailloux de jet pour qu’ils correspondent à son idée, assez vite il développa une certaine habilité au tir, ce dont son comparse poilu le félicita. Malgré leurs différences, le lien qui ne les unissait pas, le matou et l’apprenti Vifier étaient devenus un bon tandem, et le produit de leur chasse s’améliorait chaque fois un peu plus.
Un soir ou ils revenaient chargés d’une espèce de cochon sauvage particulièrement gras, Flèche le ramena a la réalité.

« Tu essayes de dévoyer Velours. »

Il était en train de suspendre le cochon par les pattes arrières à un crochet suspendu au plafond, il avait été installé là pour sécher des herbes mais il espérait y accrocher la bête pour la saigner dans la grande bassine qu’il avait mise juste en dessous. L’accusation de son mentor, lancée comme une pierre de sa fronde, lui avait fait manquer son geste et le cadavre qu’il tenait s’écroula au sol dans un grand bruit de bois brisé.

« Et tu as cassé ma bassine.
_ Dévoyer Velours ? » sa voix était aussi tendue que le reste de son corps. Il ne voulait pas manquer de respect à son vieux maître, mais l’accusation lui semblait grave et il ne pouvait empêcher son cœur de tonner a ses oreilles.
« _ Oui, tu pars chasser avec lui toutes les nuits, tu lui racontes tes rêves et il te raconte les siens. Tu ne peux pas nous voler notre lien, mais tu peux lui faire regretter d’être lié à un vieillard qui ne peut plus partager ses furies nocturnes et sa vie de chat sauvage. En cela tu peux le détourner de moi, lui faire préférer ta compagnie à la mienne. » effectivement, c’était sérieux. Oui, il avait ressenti ce dont parlait Flèche, la joie du félin lorsqu’ils courraient ensemble vers la même proie, sa reconnaissance lorsqu’Âtre soignait une plaie à un endroit qu’il ne pouvait lécher, ou qu’il retirait les débris d’une bataille sanglante de son poil en lui caressant vigoureusement le dos.. mais était-ce de la trahison ? « _ Nous n’avons rien fait de tel. » bredouilla t-il, ébranlé par la tristesse qui pointait dans les yeux de son professeur.
« _ Nous ? Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ici, “ nous “ c’était Velours et moi. »

Soudainement, il remarqua que le chat n’était pas avec eux. Il était rarissime que le greffier ne se trouve pas dans leurs environs immédiats, cette absence signifiait il qu’il donnait son accord à cette discussion ? Considérait il lui aussi que leur lien prenait une mauvaise direction ? Après tout, il était le compagnon de vif de Flèche, il était normal qu’il ne partage pas ses pensées intimes avec quelqu’un d’autre.. Un jour, lors de l’une de ses leçons, son hôte lui avait apprit que les chats faisaient exception dans le monde du Lignage, ils étaient apparemment capable de communiquer avec tous ceux doués du don comme bon leur semblait, et il qu’il était donc plus facile de se lier avec l’un d’entre eux qu’avec n’importe quel autre animal. Ils avaient pour eux cet esprit hautain et dédaigneux qui, selon les réflexions de Flèche, était si proche de celui des humains, c’était peut être cela qui facilitait tant la communication.

« _ Je ne t’en veux pas Âtre, tu es bon garçon, et je suis persuadé que tu n’as pas adopté ce comportement volontairement… » sa voix se brisa un peu avant de se reprendre « Je ne t’ai pas mis en garde contre cet aspect du lignage, mais disons que ce que tu fais pourrais s’apparenter à une cours déplacée à une femme déjà marié avec son vieux bonhomme d’époux, et à laquelle tu ferais miroiter ta jeunesse. Tu as beau rester bien éduqué, très galant et dans les limites, ça reste tentant pour elle et ça ne peut que mettre en lumière ce que tu as et que cet époux n’a plu. »

La remarque le cueillit comme une pomme bien mûre. Sans s’en rendre compte, il s’était accroupi et tenait sa tête entre ses paumes rougies du sang du porc à ses pieds. Avait-il franchi une limite ? Ce dont l’accusait Flèche était terrible. Pourquoi Velours ne l’avait pas averti de la tournure que prenait leur relation ? Le chat avait il réellement des hésitations entre eux deux ? Ce devait être intenable.

« _ Je vois bien que tu te tourmente et que tu regrettes, je te le répète, je ne t’en veux pas. » avec un petit gémissement, le vieil homme s’était porté à sa hauteur. Un genoux sur le sol, il avait posé une main compatissante sur l’épaule de son élève perdu « Je voulais te parler de mon histoire avant d’arriver ici, ça me paraît être la bonne occasion. »

Son histoire ? Quel était le lien avec la situation ?

« Mais avant va saigner ce cochon dehors, je n’aime pas le boudin et puis ça se garde mal ici, c’est trop humide. Pas besoin de garder son sang. »

Sautant sur l’occasion, Âtre se saisit des pattes arrières de l’animal et se précipita à l’extérieur. Cette tâche simple lui donnait l’occasion de réfléchir… à la faveur d’une lune pleine, il put travailler efficacement, presque trop à son goût. Il débitait méthodiquement chaque quartier de viande, presque aussi bien que si il avait été boucher, Flèche lui avait montré comment faire avec ses prises précédentes. Flèche. Flèche qui l’avait instruit, accueilli chez lui, Flèche dont il avait terni le lien avec son ami. C’était dur à mettre en pensée, car il se sentait coupable d’avoir blessé son mentor, mais nullement de ce qu’il avait ressenti à chasser avec Velours, et de ça aussi il s’en voulait.

Son couteau était poisseux du sang coagulé qui avait dégouliné le long de son manche, mais il ne s’agitait plus depuis plusieurs minutes. Il avait terminé sa besogne et il devait rentrer, mais il ne le ferait pas tout de suite. Avec ses pauvres yeux humains, il tentait de voir Velours dans la nuit, en vain. Même s’il ressentait vaguement sa présence non loin, le chat demeurait obstinément invisible a ses sens… l’abandonnait il a son sort ? Il le méritait sans doute.

« _ Tu as terminé ? »
Le silence, encore une minute de silence.
« _ Oui, j’arrive. »
                                                             
***

Flèche était déjà installé dans son fauteuil prêt du feu, il avait entre ses mains la bouteille d’eau de vie que lui avait offert son élève à son arrivée chez lui. Depuis deux mois qu’ils vivaient ensemble, le Vifier n’avait jamais bu, pas même une goutte, qu’il se soit munit d’une pleine fiole pour cette discussion n’augurait rien de bon.

« Dépose les quartiers de viande prêt du foyer, la fumée les fera sécher et on les salera demain. » il s’exécuta, encore quelques onces de répit gagnées.. curieusement, le vieil homme s’était installé comme pour une de leur leçon, lui sur son rocking-chair d’osier grinçant, Âtre assis à ses pieds à boire ses paroles « là c’est très bien, assied toi maintenant. » l’adolescent obéit sans rien dire. A chaque seconde qui passait, le visage déjà marqué de son mentor semblait s’affaisser un peu plus, mais il ne disait rien. L’instant qui s’écoula sembla s’étirer sur une éternité, voir deux, puis le bruit d’un bouchon qui saute brisa le silence, suivit d’une longue gorgée, et d’une seconde. Laissé à bout de souffle par l’alcool, Flèche s’essuya les lèvres du revers de la manche, l’air encore plus piteux qu’avant d’avoir bu, mais malgré son expression proche du haut le cœur, il réussit à parler « _ Je ne condamne pas ton attitude, moi-même j’y ai succombé. C’est pour ça que je suis ici… parce que j’ai dévoyé Velours de son maître et qu’on m’a bannis pour ça. »

Ce fut précisément cet instant que choisit le chat pour apparaître. Comme sorti des ombres des coins de la pièce, il se matérialisa sur les genoux de son « maître » et se mit à ronronner. À son contact, Flèche sembla se détendre un peu, mais son attitude générale était désespérée. Il semblait a bout de nerf, comme terrassé par la misère et la tristesse d’une vie entière. Velours quant à lui, demeurait obstinément immobile sous ses caresses, et son esprit semblait totalement muet au jeune homme, comme si leur lien n’avait jamais existé.

« Je viens d’un village en Béarn qui n’existe probablement plus. » nouveau silence « Nous étions tous membre du Lignage… Lointains cousins, ou sans liens de sang, nous partagions tous le don et ses coutumes. Comme une communauté, nous nous suffisions. Là bas le vif n’est pas une tare, et quand bien même il en aurait été une, nous vivons suffisamment loin de tout pour ne pas nous en préoccuper. » une lampée d’eau de vie interminable vint couper une nouvelle fois son récit, le niveau du liquide avait déjà baissé d’un quart « J’avais une femme, Lisse, elle était si belle et si farouche, si indépendante, comme son animal de lien, un chat sauvage. » Un tremblement secoua ses vieux os et fit claquer les lattes d’osier entre elles. Même Âtre le ressentit, le désespoir noir et opaque qui le submergea à ce moment là, il avait le goût de la cendre et de la mort « Et un jour elle est morte, stupidement. Elle traversait le village pour aller acheter des navets, elle me l’avait dit avant de partir, et pour ça elle devait traverser un petit pont de planche… et elle est tombée. » Velours feula si fort que le jeune homme sursauta. La douleur était encore vive chez eux deux malgré les années qui semblaient avoir passé « du calme mon vieux… si la colère devait la ramener, elle serait la depuis longtemps… » sa main noueuse s’appliqua à caresser le dos de son compagnon comme pour se convaincre lui-même de ce qu’il disait « Elle ne savait pas nager, et même si le torrent n’était pas très profond, elle s’est noyée, c’est une morte abominable. Velours hurlait a la mort pendant ce temps là, ses cris m’ont attiré jusqu’au torrent, et nous l’avons remonté jusqu’à trouver Li… son corps. » un soupire résigné étira le mot beaucoup plus que nécessaire « Le chagrin m’a submergé, j’en ai voulu au monde entier. Velours et moi sommes devenus fous. Je n’avais plus d’animal de lien depuis plus de dix ans, ma femme était morte, et je ne pouvais diriger cette colère ignoble contre personne. C’était une prison noire, dont je n’aurais pas pu me sortir seul… la seule échappatoire que je voyais alors, c’était la mort, aussi pénible et douloureuse que possible pour coller avec celle de Lisse. »
« _ Vous n’étiez plus vous-même. Le chagrin vous terrassait.
_ Ça n’excuse pas ce que j’ai fais. » le ton était catégorique, Âtre regretta de l’avoir interrompu tant son regard était dur et froid, mais il soupçonnait que Flèche dirigeait surtout sa haine envers lui-même. Un geste sec du poignet, trop bien étudié pour ne pas avoir été répété mainte et mainte fois par le passé, fit descendre un autre quart d’eau de vie au fond de son gosier « Velours et moi nous avons choisi de nous supporter mutuellement, mais ce lien était faussé, chacun de nous recherchait Lisse dans l’autre, ses habitudes et ses souvenirs.
_ Mais, vous ne lui avez pas volé ! elle était morte ! » Il n’avait pu se retenir d’intervenir, c’était tellement injuste de penser ainsi, de s’infliger pareilles souffrances.
« _Jai bafoué son souvenir, j’ai piétiné sa mémoire en m’accaparant son âme sœur et en la faisant mienne, pour effacer ma douleur. Mais ce faisant, j’ai aussi déshonoré Velours en le choisissant pas pour lui-même mais pour ce qu’il était pour Lisse. Nous étions pas heureux, nous ne faisions que nous complaire dans notre malheur, sans rien faire d’autre que nous rappeler les jours heureux ou sa maîtresse, mon amour, était encore en vie. » il gratta les oreilles de son compagnon qui déplaça ses pattes avant afin de les croiser consciencieusement. Ainsi installé, bien en face d’Âtre, à la hauteur de ses yeux, il le regardait fixement pendant que Flèche parlait « Aujourd’hui notre lien est plus sain, nous nous aimons pour ce que nous sommes et plus ce qu’elle était, mais à l’époque c’était contre nature. Nous ne nous apportions rien. Et les gens du village ont fini par s’apercevoir de ce que nous avions fait et ils nous ont banni après m’avoir traité de monstre sans cœur.
_ Mais comment ? Comment cela pourrait-il être contre nature ? Vous aimiez votre femme, elle vous aimait, et elle aimait Velours, pourquoi est ce que vous ne pouviez pas l’aimer vous aussi ? » l’incompréhension perçait dans sa voix, aussi criante que les pleurs d’un enfant ou d’un chat outragé « _ Tu ne comprends pas Âtre. Le compagnon du Lignage d’un homme est son âme sœur primale, a bien des égards certains Vifier considèrent ce lien comme plus profond et plus pur sur celui du mariage entre humains. Mon statut de mari de Lisse ne me liait pas à l’âme de Velours, il était accordé à Lisse, comme la note d’un parfum qui se marie avec l’odeur d’une personne, mais pas avec une autre. En se liant à moi à la mort de Lisse, Velours a sacrifié tout une partie de son être, celle qui s’était fondue dans l’âme de sa compagne, et même si il te paraît heureux, il ne sera jamais plus jamais complet. »

Il ne chercha pas à contester. Sans doute ne comprenait il pas toutes les nuances de ce qu’impliquait cette passation de lien… après tout il n’avait jamais connu ni l’amour d’une femme, ni celui d’une bête. Alors était il capable d’avoir un avis digne de ce nom sur la question ? Oui, Velours lui paraissait aussi entier que n’importe quel chat, mais il ne l’avait jamais connu avant la mort de Lisse, alors comment juger ?

« Ce n’est pas pour t’accuser que je te raconte ça. » cette fois-ci, après avoir bu il passa la bouteille à son disciple qui se fit un plaisir d’avaler une gorgée. Le liquide brûlant laissa une agréable saveur de fruits confits dans sa gorge et le réchauffa un peu sans altérer ses sens. Flèche quant à lui semblait sérieusement touché, mais dès qu’il eu reprit la bouteille en main, il la vida d’un trait avant de se lever pour aller chercher la deuxième et dernière dont il disposait. Tout en faisant sauter le bouchon, il tisonna le feu dans la cheminée «_ Je vis seule depuis longtemps, peut être pour éviter de vivre ce genre de situation a nouveau. Mais je sais que tu ne cherchera plus a te lier à Velours maintenant que tu sais ce que ça signifie pour moi… même involontairement. Tu sais que je t’aimes beaucoup mon garçon ? C’est pour ça que je te raconte ça. Je veux que tu connaisses tous les risques… peut être que tu trouves ça mélodramatique, mais j’avais besoin que tu saches que le Lignage ce n’est pas que de l’amour. L’amour c’est aussi la haine, et le lien c’est aussi la solitude. »

Une bonne partie de la nuit fut consacrer à philosopher sur l’amour et la souffrance. Flèche s’enivra consciencieusement jusqu’à tomber inconscient là où il était assis, la main toujours posée sur le dos de Velours qui le gardait des maux de monde réel et semblait veiller sur son sommeil par la même. Avant que l’aube ne grisaille à travers la petite fenêtre de la chaumière, Âtre se décida à sortir, l’atmosphère était lourde des regrets d’une vie, et il avait besoin de s’éclaircir les idées.

                                                           
***

C’était une heure étrange, entre la nuit noire et les prémices de l’aurore, où toute la nature de découpait en figures et silhouettes d’un camaïeu de gris infini. Qui sait chasser et distinguer les mouvements imperceptibles trouvera plus facilement des proies a cet instant batard, à cheval entre le sommeil relatif des habitants du jour et la fin de l’emprise de ceux de la nuit.

Mais Âtre n’avait pas le cœur à prendre la vie.

L’histoire de Flèche l’avait ébranlé. Il avait bien comprit qu’il le mettait en garde avec les liens qu’il pouvait tisser avec le compagnon de vif d’un autre membre du lignage, mais toute cette souffrance… peut être aurait-il préféré ne rien savoir au sujet du passé de son compagnon. Maintenant il ignorait s’il pourrait à nouveau chasser avec Velours, ou rire au coin du feu avec son Mentor en évoquant une anecdote, il y avait eu tant de tristesse qui avait vibré entre eux cette nuit, réussiraient ils jamais à la dépasser ? Il l’espérait de tout son cœur, parce que Flèche ne méritait pas tant de solitude et parce qu’il ne voulait pas abandonner son apprentissage…
Un glapissement étouffé le tira de sa morne réflexion.

Le bruit était lointain, mais très distinct dans le silence lourd du creux du jour. Comme mu par un instinct primaire, le jeune homme se lança vers l’origine du bruit étouffé. Le terrain était accidenté, plein de vallons pierreux et de racines traîtresses, mais il progressait vite et bien. Exhalé par il ne savait quelle urgence, il lui paraissait voler au dessus du sol, mais à mesure qu’il se rapprochait de la source du gémissement, une douleur sourde le prit à une jambe et il fut comme envahit d’une rage innommable. Ces sensations allaient et venaient en lui comme les pulsations de son cœur pendant qu’il se projetait à travers les arbres, l’empêchant de penser proprement mais poussant toujours plus ses jambes vers l’avant. La brûlure à son mollet semblait lui cuir de plus en plus, et il était persuadé que du sang poisseux collait sa fourrure, il n’avait pas peur, mais il était secoué d’une colère muette qui lui donnait la force de de battre.

Et il le vit, là, en contrebas dans la ravine, une boule de poil ramassée sur elle-même, grognant et hurlant toute sa morgue et sa douleur. Plus haut, un ours ventripotent tentait de descendre la face escarpée au dessus de laquelle il reposait, sans doute pour achever ce qu’il avait déjà commencé… La scène était impressionnante, l’ours brun était gigantesque et sa gueule barbouillée du sang de sa victime, l’air embaumait l’odeur de la plaie, du musc des bêtes et de la tension qui régnait entre elles. L’animal en contrebas se déplia de tout son long et se mit en posture de combat, c’était un glouton de belle taille, et à bien des égards il ressemblait à son agresseur mais en miniature, cependant sa patte arrière semblait contenue sous son corps et dégoulinait d’un sang sombre sur la pierre. Ils avaient dû s’affronter pour une proie, ou se croiser sur le territoire de l’un ou l’autre, et l’ours avait prit l’avantage.
La haine, elle le soulevait de terre et tendait tous ses membres, les préparant à l’affrontement. Il était prêt, prêt à mourir dans ce combat contre cet adversaire valeureux, mais il se battrait de toutes ses forces et peut être emporterait il ce monstre avec lui. Alors que l’ours entamait la descente en glissant lourdement sur ses pattes avant, un grondement sourd naquit dans sa gorge et prit de l’ampleur jusqu’à atteindre le hurlement déchirant. Alors qu’Âtre hurlait avec lui, il réalisa que ces pensées n’étaient pas les siennes, mais submergé par la hargne du glouton, il s’élança au combat avec lui.
Armé de son couteau de ceinture, il semblait insignifiant comparé aux deux bêtes, mais ça ne le freina pas. Transcendé par le courage suicidaire d’un animal blessé et acculé, il bondit, lame en avant comme s’il avait s’agit de griffes. Il était dans le dos de l’ours, et sa chute lui permit d’asséner un coup lourd et pénétrant, le petit poignard pénétra dans l’échine jusqu’à la garde et lui offrir une prise hors d’atteinte de son adversaire. La montagne de muscles et poils poussa un cri terrifiant en agitant les pattes dans tous les sens, désorienté, sa souffrance suintait dans ses gestes autant que sa surprise. Ce fut cet instant que le glouton choisit pour attaquer, un éclair brun-gris apparût à la gorge du grand mammifère et se mit à la secouer rageusement. Un affreux craquement signala la fin du combat, les mâchoires puissantes avaient sectionné un connexion vitale, c’était terminé.

L’odeur du sang saturait l’atmosphère, Âtre en était lui-même couvert. La fureur qu’il avait ressenti s’était évanouie aussi vite qu’elle était venue, le laissant vide et perclus des douleurs de son exploit. Soudainement, il réalisa sa proximité avec le mustélidé qu’il savait capable d’égorger un ours, mais incapable de s’en émouvoir, il resta simplement à genoux prêt du cadavre fumant. C’était la première fois qu’il tuait un prédateur, et ça n’avait pas le même effet qu’une chasse, il ne mangerait pas cette viande, il n’avait pas prit la vie de l’ours pour survivre… et pourtant, c’était ainsi qu’il le ressentait, comme si sa vie avait été en jeu bien avant qu’il ne se lance dans la bataille. Petit a petit il comprenait que l’osmose instantanée qu’il avait vécu avec le glouton blessé l’avait transfiguré, comme Flèche lui avait expliqué lors de ses leçons. Il avait déjà expérimenté légèrement la chose avec Velours lors de leurs parties de chasse, mais jamais a cette intensité… L’abandon total qu’avait ressenti l’animal lorsqu’il s’était décidé à se battre ne lui semblait pas convenir au répertoire des émotions humaine, un courage aussi démesuré ne souffrait d’aucune comparaison.

Mange le miel est mort grâce à toi, tu as été mes crocs quand j’étais à terre, tu es brave. Les images que lui transmettait l’animal était pleine de chaleur et de réconfort, de satisfaction d’avoir triomphé. Les odeurs de la chair entamant doucement sa putréfaction revêtaient alors des allures de victoire et la perspective de quelques journées de plus a survivre. Mange le miel de rodera plus sur mon territoire, mais moi non plus.

Il ne bougeait pas beaucoup, transit de la douleur qui irradiait de sa patte arrière. Dans le règne animal, une telle blessure signait inévitablement la mort de son porteur. Immobilisé, il ne pouvait plus chasser, plus regagner sa tanière, et il allait mourir sur place, ou réussir à se traîner jusqu’à son trou pour y tomber lentement dans l’inconscience. C’était inévitable.

Je peux te soigner, laisse moi bander ta blessure, voir si l’os est cassé. On m’a apprit à guérir ce genre de plaie sur les animaux.
Guérir ? Le temps guérit, mais pour avoir du temps, il faut avoir de la viande, et pour avoir de la viande il faut avoir des pattes qui marchent. Non, je suis un mort avec le cœur qui bat encore, c’est ça la seule différence entre moi et Mangeait le miel.
L’ours n’avait pas d’humain aux mains habiles pour le recoudre. Tu m’as laissé être tes crocs, laisse moi être le temps qui guérit.


Leurs pensées fusaient entre eux, comme s’il avait s’agit d’une conversation à haute voix. Même si elle semblait désormais plus lointaine a ses sens engourdis, la douleur du glouton l’habitait toujours, cuisante comme une brûlure, mais il ne sentait pas de fracture. Avec mille précaution, le prédateur se mit sur le flanc, et étira un peu son membre meurtri. La plaie était vilaine, plusieurs coups de dents avaient attaqué le muscle sans le sectionner, et au fond d’une empreinte de canine il jura voir l’os de sa patte dont la surface lui sembla légèrement éraflée. C’était impressionnant, les poils de l’ours et du glouton se mêlaient dans la chaire et ralentiraient la guérison si ils n’étaient pas proprement nettoyés, les pendants de peaux battaient au quatre vents sans rien pour les tenir, mais rien n’était cassé, c’était une très grosse plaie, pas davantage. Le risque principal était qu’il se vide de son sang avant qu’il ne puisse le suturer.

Je peux te soigner si tu me fais confiance.
Confiance ?
Si tu veux bien me suivre jusqu’à ma tanière, je peux te rendre ta patte en refermant les morceaux et en les nettoyant.


La douleur commençait à déchirer la brume causée par le choc, le cœur battant transportait les tressaillements de son muscle meurtri jusqu’à atteindre une intensité insupportable.

D’accord. Mais je ne peux pas bouger où je vais répandre mon sang partout et mourir plus vite.

Ils n’étaient pas si loin de la maison de Flèche, une dizaine de minute de course, peut être le double de marche.

Je peux te porter, moi je ne suis pas blessé.
Ce soir tu auras été mes griffes, et tu me demande maintenant d’être mes pattes ? Dois-je aussi te donner mon cœur ?


Alors pour lui aussi l’évidence était aussi criante ?

Allons d’abord te rendre ta patte.
                                                                           
***

« Flèche ! Flèche ! » Il avait quasiment défoncé la porte en l’ouvrant du pied. Le battant qui avait claqué avec fracas tira le vieillard de son quasi coma alcoolisé. Ils s’étaient quittés quelques heures plus tôt, après leur discussion aux accents dramatiques, et maintenant le soleil perçait timidement les restes de la nuit « J’ai besoin d’aide, il est blessé, il faut le recoudre ! »

Le corps inanimé du glouton reposait sur son épaule, comme un vulgaire sac de pommes de terre. Le retour avait prit beaucoup plus de temps que prévu, ainsi chargé de son nouveau compagnon, Âtre avait connu toutes les difficultés du monde à traverser la forêt. La douleur projetée par le mustélidé l’handicapa lourdement pendant une grande partie du voyage, et elle avait soudainement cessé, il avait perdu conscience à cause de tout le sang qu’il avait perdu et même si cela facilitait la tâche du jeune homme, la perspective qu’il ne se réveil jamais le fit redoubler d’allure.
Flèche s’était levé en sursaut, et sans mot dire il avait guidé son élève et son étrange chargement jusqu’à son lit au matelas de plume. En levant l’animal, il sentit tout le liquide épais qui s’était écoulé sur son plastron, pouvait-on survivre à autant de vie qui s’enfuyait de sois même ?

« Va me chercher la trousse de soin sur la table, et ensuite va faire chauffer de l’eau. »

Pendant qu’il s’exécutait, son maître de vif travaillait lestement. Malgré l’horrible migraine qui devait marteler ses tempes, ses gestes étaient précis et pleins d’un savoir faire ancestral. À plusieurs occasion, Âtre s’était entraîné à soigner sur lui-même, ou a suturer et nettoyer une blessure créé par ses soins sur un cuissot de gibier, mais jamais sur une créature vivante. Flèche agissait avec l’aisance de l’expérience, il nettoyait la plaie en endiguant l’hémorragie, et bientôt, un cataplasme de plantes assainissantes comblait les lèvres de la blessure.
Le danger était passé, la respiration du glouton devint profonde et régulière et des rêves de combats victorieux commencèrent à fleurir dans son esprit. Il était sauvé, du moins pour l’instant.

« Qu’est-ce qui c’est passé ? »

Toujours à genoux devant la couche rougie des fluides du fauve des forêts qu’il avait ramené, Âtre se surprit à effleurer la patte de son nouveau compagnon. Le lien qui s’établit fut aussi immédiat qu’inébranlable, la fierté sauvage que ressentait ce dangereux prédateur à l’image du bipède qui l’avait sauvé transportait le jeune garçon dans un état proche de l’extase. Une ivresse induite par le sang et la mort que seul un mangeur de viande peut connaître, ils l’avaient partagé, et en étaient devenus instantanément frères.

« J’ai trouvé, j’ai enfin compris ce que vous vouliez dire. » sa voix était grave, solennelle. Il raconta son aventure dans les bois, le lien qui s’était établit à distance entre le glouton et lui et qui l’avait conduit jusqu’à son combat désespéré. Il insista sur la manière dont le courage féroce l’avait envahit, sur l’émotion brute qui l’avait submergé et conduit à se jeter à corps perdu dans une bataille contre un ours avec un couteau de ceinture comme seul arme. La manière dont il avait convaincu son nouvel ami de se laisser porter jusqu’ici pour qu’il le soigne. Il avait raconté son histoire d’une traite, exalté, mais l’excitation qui l’animait commençait à retomber « Je me sens au-delà de l’épuisement.
_ Vous vous êtes accordés trop fort et trop vite, tu ressens sa fatigue, celle d’un sommeil guérisseur mais aussi épuisant
»

Alors il ne rêvait pas, c’était bien arrivé. Il avait trouvé son compagnon de lien, et il l’avait sauvé. D’une certaine façon, cela ressemblait aux comptines que lui apprenait Flèche, ils avaient été attirés l’un à l’autre, pendant l’aube grisonnante, avaient combattu et tué ensemble…

« _ Je vous apprendrai à maîtriser ces échanges de sensation, à vous laisser de l’espace. » les mots commençaient déjà à se faire lointains. La tête pleine d’images viscères fumantes de ses proies, Âtre se laissait aller, à demi allongé sur le sol, le haut du corps pressé contre celui, paisiblement endormi, de « son » glouton « Dors maintenant, plus tard nous suturons la plaie, et il pourra vivre dehors si il ne tue pas les chèvres, et quand il sera remis vous pourrez partir. »

Il était déjà partie à la fin de sa phrase. Reposer ainsi, du sommeil du juste, après le combat, était la plus merveilleuse sensation du monde… peut être qu’avoir l’estomac plein du produit de sa chasse était encore meilleure.
Leurs pensées se mêlèrent, et s’abandonnèrent, complètes.

                                                                   
***

Flèche tint parole.
Dès le lendemain, il sutura la plaie avec des fils de soie. Le glouton était conscient à nouveau, bien qu’il eu craché, grogné et fait preuve d’une agressivité feinte à l’égard de son soigneur, il ne le mordit pas pendant l’opération. Après une nouvelle journée passée immobile, il put se mouvoir jusqu’à l’extérieur et entreprit de creuser laborieusement un terrier sous le rocher au chat. Ses puissants membres supérieurs suffirent à cette entreprises, et en quelques jours, le trou boueux prit des allures de tanière respectable.
Velours se tenait respectueusement en respect du duo que formait Âtre et son fauve, il apparaissait parfois à la porte, feulait, et se retirait dans les ombres protectrices. Depuis le soir fatidique, ils n’avaient jamais plus communiqué… cela attristait l’adolescent, mais il comprenait cette décision, et son lien tout neuf ne lui laissait que guère de temps pour se lamenter sur cette amitié perdue.

Malgré toutes les leçons qu’il reçut sur l’imprégnation de ses propres sentiments dans son compagnon, il parvenait difficilement à insuffler le calme chez le prédateur. Il réussissait mieux à diluer les instincts qu’il recevait de son poilu, même si à l’occasion il arrivait qu’ils partagent une frénésie sanguinaire en se repaissant d’images de chasses passées.
À l’orée de l’hiver, Flèche considéra son apprentissage comme terminée, et la blessure du glouton suffisamment guérie pour voyager. Âtre et lui n’avaient jamais vraiment dépassé la fameuse discussion sur le « vol » de compagnon de lien… et si leurs rapports restaient amicaux, ils se contenaient à ceux d’un précepteur et de son élève. Le vieil homme mit néanmoins particulièrement de soin à implanter l’idée que le jeune homme devait préserver son esprit, son jardin secret, les prédateurs étaient particulièrement passionnés, et se laisser happer par leurs modes de vie instinctifs était fréquent pour les jeunes vifiers…

Lorsqu’ils quittèrent le « domaine » de Flèche, le rocher au chat était tout juste terminé. Comme une ode à la courte amitié qu’il avait partagé avec Velours, une exacte réplique de son corps enroulé devant la cheminée trônait à l’entrée du terrain. Alors qu’il passait une dernière fois devant la sculpture à laquelle il avait donné et qu’il ne verrait sans doute plus jamais, il posa une main distraite sur l’oreille de pierre, dont les contours étaient identiques en tout point à l’original. Il ne regrettait pas son séjour ici, mais il était teinté d’une certaine noirceur, quelque part c’était inhérent au personnage de son Maître, il était noir de désespoir… Mais il l’avait instruit, patiemment, et son apprentissage était aussi précieux que l’amour qu’il chérissait désormais avec son compagnon. En baladant au hasard ses doigts dans la fourrure de pierre, il sentit la tête dure et rêche du glouton se frotter contre son genoux.

Nous serons vivants, rassasiés et en sécurité ensemble.

A force de le côtoyer il avait apprit que cet ensemble de fait et d’émotion était ce qui se rapprochait le plus du bonheur pour le mustélidé. Il prenait cela comme un grand honneur.
Allons chasser.

Oui, chassons, et rentrons chez nous.
Chez moi, c’est la forêt, et toi. Toi et moi, Croc et Griffes d’acier, Invincibles.


Croc. Ainsi c’était son nom… et Griffes d’acier, c’était comme ça qu’il le voyait. Un tandem intrépide. Gonflé par cette certitude, il prit la route vers Bourg de Castelcerf.
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La quête de vif du pierrier [terminé]

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