Grande pour une femme, solidement constituée bien que mince, elle rayonne d'une vitalité aussi entraînante qu'épuisante à regarder. Rarement silencieuse, plus rarement encore immobile, elle a toujours une chose à faire, quelqu'un à voir, un combat à mener ou un bonheur à laisser exulter. Incapable de discipliner sa luxuriante crinière de flammes, elle a renoncé à tenter de l'agrémenter de peignes, résilles et autres rubans qui plaisent tant aux jeunes femmes de son âge. C'est à peine si elle consent à la tresser pour ses entraînements.
Ses yeux vifs et intelligents sont d'un bleu profond et tournent parfois à l'orage quand éclatent ses colères.

Toujours pressée, toujours ardente, elle parcourt le château et les terres d'un grand pas décidé et vif, chaussée de bottes de cuir souple auxquelles elle peine à renoncer quand il faut revêtir ses habits de Cour. Qui sait si elle ne continue pas à les porter en secret sous ses robes, d'ailleurs.

On pourrait la croire d'un caractère simple et toujours enjoué tant elle est si souvent souriante, riant aux éclats, courant et voletant à droite et à gauche. Mais en vérité, elle tient aussi de son père une face entêtée et farouchement déterminée à obtenir ce qu'elle veut.
Fillette adorée, choyée par ses deux parents, elle a acquis une confiance en elle inébranlable, semble-t-il, et son assurance en a rebuté plus d'un qui hésitait à lui adresser la parole.
Audacieuse et charismatique, elle ne rêve que de mener des hommes au combat, comme son père avant elle, ou encore de parcourir le monde à cheval, à pied et en bateau pour tout voir et tout apprendre. Assoiffée de connaissances, elle manque parfois de discipline mais jamais de détermination.

Éprise de justice et idéaliste, elle se passionne pour des causes aussi variées que nombreuses mais on pourrait lui reprocher de ne pas aller au fond des choses et d'abandonner quand un nouveau sujet lui fait de l'oeil. Passionnément romantique, elle s'enflamme pour les grands récits d'aventure et de chevalerie, convaincue que sa destinée ne peut qu'être flamboyante ou rien.
En contrepartie de cette flamboyance cependant, elle a des moments d'abattement complet où elle s'isole pendant des heures ou des jours, désespérée par une cause perdue, par l'insondable bêtise de certains ou les comportements d'autres qui lui restent incompréhensibles. Comme le remariage de son père dont les motivations lui restent aussi hermétiques que le goût pour le silence ou le calme. Elle cache soigneusement cette facette sombre, sauf à Espoir qui sait tout d'elle, mais elle se doute que Vainqueur n'est pas plus dupe que ne l'était sa mère.

Aimée ne doute pas d'être appréciée de tous, pourquoi en serait-il autrement ? Ainsi entretient-elle de bonnes relations avec tout le monde, sa famille en particulier. Vivant sa vie à toute vitesse, elle ne voit pas toujours les tensions ou les silences subtils. La délicatesse et la diplomatie lui échappent parfois, pour ne pas dire souvent et certains n'apprécient pas sa manière de foncer tête baissée ou de mettre les pieds dans le plat.

La mort de sa mère lui a porté un coup très rude qu'elle dissimule avec soin sous sa vivacité habituelle. Très proche de Shyrin, elle a appris avec elle la langue de Chalcèdes et profité de son Art pour tout connaître et tout partager avec elle sans savoir que parfois elle touchait de l'esprit des secrets qui ne lui appartenaient pas.
Ses relations avec son père qui avaient jusque là toujours été idylliques et presque aussi fusionnelles qu'avec sa mère, se trouvent distendues et faussées par ce remariage qu'elle considère comme une mascarade et une offense à la mémoire de la Reine.

Si ses frères ont toujours eu son amour, sa tendresse et sa confiance, elle sait qu'à présent qu'ils sont adultes et mettent les pieds dans les intrigues politiques de la Cour, les choses ne seront peut-être pas toujours aussi simples. Elle refuse cependant de se laisser miner ou de leur prêter d'autres intentions que celles qu'elle a toujours vues en eux : fraternité, loyauté et amitié.

Avec Espoir en revanche, elle ne pourrait pas avoir le moindre doute même si elle le voulait. Ils se connaissent depuis toujours, ont grandi ensemble autant que possible et sont même promis l'un à l'autre depuis leur majorité. Elle n'accorde pas de réalité tangible à cette promesse vague et lointaine car ce serait à ses yeux comme épouser l'un de ses frères. Espoir lui est même plus proche encore que Prospère et Chance. À lui, elle peut tout dire et tout confier, avec lui elle peut se laisser aller à ne pas être la princesse parfaite qui héritera de la couronne des Cinq-Duchés. Ils se complètent si bien : il la tempère et lui enseigne la patience, tandis qu'elle le force à sortir un peu de sa coquille, à rire et parfois se laisser aller hors de leurs leçons d'Art.

Avec son Maître de Vif, Givre Vifargent, elle est oscille entre facéties rieuses et mortelle sévérité face à l'apprentissage qui est le sien. Elle est impatiente de tout savoir et de trouver son âme sœur animale, certaine qu'elle comblera ainsi le vide qui se creuse en elle depuis un an.

C'est aussi pour combler ce manque qu'elle a entrepris depuis quelques années des expéditions secrètes et mystérieuses, notamment vers Bourg-de-Castelcerf. Avide de comprendre les gens et la vie hors de la Cour, elle s'attire parfois des ennuis mais s'en tire toujours. C'est ainsi qu'elle a fait la connaissance de Fortune, un jeune Vifier qui est devenu son ami et avec qui elle ose toutes les bêtises que lui interdisent ses responsabilités de princesse.

Il y a enfin au château une personne qu'elle apprécie tout particulièrement même s'il ne lui est pas donné de la voir souvent, c'est sa tante Shane. Auprès d'elle, elle peut épancher un peu sa peine, échanger sur Chalcèdes, travailler la langue et l'alphabet, s'occuper de son(sa) cousin(e), parler de sa mère et de leurs souvenirs. Elle y trouve un peu d'aâisement en dehors du temps.

Même si elle ne sait pas d'où elle tient son Vif, elle le sait en elle depuis toujours et respecte profondément ce qu'elle considère comme un don. Elle n'en a jamais vraiment eu honte mais en ignorant tout, elle n'a pas tout de suite compris et admis qu'elle en était porteuse. Elle voudrait forcer la tolérance des gens mais elle est assez lucide pour savoir que le monde ne fonctionne pas ainsi et qu'il faudra encore beaucoup de temps et de patience pour arriver à une véritable acceptation des Vifiers.

En tant que fille de sa mère, elle croit dur comme fer que la paix peut être maintenue avec les États Chalcèdes. En grande idéaliste, elle croit d'ailleurs que la paix universelle doit pouvoir exister. Mais elle a suffisamment les pieds sur terre pour savoir qu'il faudra un peu plus que des cadeaux et de la bonne volonté pour pacifier les frontières, notamment du côté des pirates.

Investie héritière par son père, elle prend son rôle à coeur et ne trahira pas la confiance qu'il a placée en elle. S'il avait d'abord choisi son frère Prospère, elle en aurait peut-être été étonnée mais aurait soutenu tout autant sa décision.

Non seulement cette parodie de mariage est grotesque mais de plus, il lui fait voir son père sous un jour nouveau et peu agréable. Trop nostalgique, triste et aveuglé par la beauté de Désirée, il croit pouvoir revivre des choses qui ont pourtant disparu avec sa mère. Car la nouvelle épouse du Roi - qui ne sera jamais une reine à ses yeux - n'est qu'une petite dinde ignorante, une jolie façade tout juste bonne à enflammer les sens d'un homme vieillissant et rongé par l'Art. Jamais elle ne pourra remplacer Shyrin, ni l'égaler, ni même lui arriver au ras de la cheville. D'ailleurs, si elle venait à se révéler assez ambitieuse pour se croire à sa place sur le trône de Shyrin, Aimée ne sera jamais loin pour lui remettre les pieds sur terre et lui montrer quelle est sa vraie place.

Aimée a eu très tôt conscience d'être le scellement de l'amour né entre ses parents au terme de relations difficiles, voire conflictuelles. C'est de là qu'elle tient son nom, choisi par sa mère alors même qu'elle n'était pas encore certaine de la solidité de son mariage avec Vainqueur. Parmi tous les secrets emmagasinés dans son esprit, c'en est un dont elle est pleinement consciente et qu'elle chérit tout particulièrement.

Adorée autant par son père que par sa mère, elle leur a rendu cet amour avec toute l'innocence et la confiance d'une enfant choyée. Elle a développé avec chacun d'eux des relations très proches et a appris d'eux tout ce qu'ils pouvaient lui enseigner.
Facétieuse et dégourdie, elle a développé très tôt une grande assurance qui lui a permis de ne jamais hésiter à tout essayer, tout demander, tout apprendre. Les chutes et les déconvenues ont été aussi nombreuses que les succès mais elle ne s'est pas découragée, portée par la confiance et l'amour de ses parents.

Très vive, elle avait du mal à rester en place, surtout pour apprendre la lecture, l'écriture et tout ce qui se trouves dans des parchemins hors d'âge et pleins de poussière. Sa mère, qui pourtant lui cédait beaucoup, n'a jamais transigé sur ces apprentissages. C'est au cours d'un usage de l'Art sur sa mère, involontaire et motivé par la colère, qu'elle a compris pourquoi, ressentant avec elle la honte de ne savoir ni lire ni écrire tant sa vue avait été mauvaise pratiquement toute sa vie. Ce secret humiliant et pourtant bien gardé, elle ne l'a jamais dévoilé à son père. Si Vainqueur s'est douté de la raison pour laquelle sa femme déléguait toujours l'écriture de ses missives ou la lecture de son courrier à sa soeur, il n'en a jamais soufflé mot. Dès lors, Aimée n'a plus tant renâclé pour apprendre mais elle n'y a jamais pris de réel plaisir.

Élevée sans complexes ni limites par ses deux parents, une armée de gouvernantes et de serviteurs à sa botte, adulée par la Cour toute entière, elle s'est très vite intéressée aux activités d'ordinaire plus masculines que sont l'équitation, la chasse, le maniement des armes et la stratégie militaire. Immédiatement à l'aise dans ce rôle, miniature farouchement déterminée de son père, elle n'a jamais faibli devant la difficulté ou renoncé à un entraînement. De même que pour l'Art quand elle a été en âge de le comprendre. Sur ce terrain au moins, elle a retrouvé son meilleur ami, Espoir qui se montrait bien trop sérieux quand elle pourfendait des chimères avec son épée de bois.

C'est l'Art encore qui lui a donné tant de connaissances sur sa mère et sur le mariage de ses parents. C'est peut-être de là qu'elle tire ses certitudes sur l'amour et sa confiance en elle. Quand elle compris que sa mère ne savait pas se protéger car non douée d'Art, elle a d'abord tenté des incursions plus ou moins volontaires sans savoir la peine et la douleur qu'elle infligeait à Shyrin. Sitôt qu'elle en a eu conscience, elle s'est juré de protéger la Reine tel son preux chevalier, oubliant un peu vite que c'était là le rôle de son père. C'est néanmoins vers lui qu'elle s'est tournée pour lui faire part de ses préoccupations à ce sujet.
Car dès l'enfance, elle a été aussi proche de Vainqueur que de Shyrin et s'est également toujours confiée à eux deux, bien que sur des terrains souvent différents.
Consciente de leur fierté, elle s'est appliquée à rester celle qu'ils aimaient, elle-même, sans jamais chercher à devenir une autre.

À l'adolescence, elle a grandi au point de dépasser sa mère et une partie de la Cour. Pas plus incommodée que cela, elle a conservé son port altier et sa fougue. Toujours aussi peu intéressée par la lecture ou les travaux d'aiguilles, elle s'est donnée toute entière dans la voie des armes et dans l'Art, soutenue toujours par ses parents dans ses choix.

Elle était âgée d'une douzaine d'années quand a commencé à entrevoir le lien qu'elle pouvait avoir avec certains animaux. L'air avait commencé à vibrer différemment et en se montrant attentive, elle avait surpris le regard appuyé d'un oiseau ou d'un chien mais jamais il ne lui était venu à l'esprit d'y voir plus qu'un effet de son imagination. Pourtant, quand elle a surpris les chuchotis de la Cour sur les Vifiers et compris dans quelle direction il lui fallait regarder, elle a revu certains souvenirs à l'aune de ces connaissances et réalisé qu'il y avait peut-être matière à questionnement. Loin d'en faire état, elle a d'abord cherché à comprendre et apprendre tout ce qu'elle pouvait sur le sujet, comme à son habitude. Ce n'est qu'une fois sûre de son fait qu'elle a fait part de la nouvelle, ou du moins de son sentiment d'avoir hérité du Vif sans savoir d'où il lui venait.
À cette occasion encore, elle a pu mesurer l'ampleur de l'amour inconditionnel de ses parents et de la tolérance infinie dont ils faisaient preuve à son endroit malgré les difficultés qu'elle était certaine de causer.

Au lieu de sa fâcher ou d'avoir honte, son père prit la question à bras-le-corps et lui trouva un Maître de Vif. Elle sent bien pourtant qu'il ne comprend pas vraiment de quoi il s'agit et que ce don creuse un écart entre ses frères et elle, mais elle ne peu pas renier qui elle est.

Désignée héritière de la couronne paternelle, douée d'Art et de Vif, demi-chalcédienne par sa mère, elle aurait pu trouver son fardeau lourd à porter mais n'a pourtant pas courbé l'échine. Digne fille de son père, mais aussi de sa mère, elle est convaincue de pouvoir tout mener de front et qu'elle sera celle qui réconciliera tout le monde. Elle n'a pas conscience qu'être aussi belle et douée ne lui attire pas que de l'admiration ou des amitiés. Quand le monde devient trop dur ou trop laid, elle s'enferme, ressasse, remâche et digère jusqu'à être capable d'y faire à nouveau face, c'est sa manière de procéder.

Peu intéressée par les subtilités politiques et diplomatiques ou même par la Cour, elle n'a commencé à y dépasser le simple cadre de son apprentissage d'héritière que depuis quelques années. La mort de sa mère l'a pourtant brutalement stoppée dans cet élan, l'amputant violemment d'une part d'elle-même et d'une immense dose d'amour sur laquelle elle ne savait même pas compter. Dévastée par la douleur, folle de chagrin et incapable de le cacher, elle a vécu comme une offense mortelle et personnelle tous ce qui pouvait adoucir la peine des uns et toutes les manifestations de deuil des autres trop tièdes à son goût.
Elle a encore moins compris comment son père avait pu lever les yeux sur une fille aussi sotte et pécore que Désirée Lunabille. La dinde est certes jolie mais elle n'a rien de sa mère et ne pourra jamais se montrer à la hauteur de cette tâche. Ce mariage a terni l'image de son père à ses yeux et l'a éloignée de lui alors même qu'elle vivait la perte de sa mère plus intensément et cruellement encore que tout ce qui lui était arrivé au cours de sa jeune vie et qu'elle aurait pu se rapprocher de Vainqueur pour qu'ils se soutiennent mutuellement.
Elle peine à tolérer ce qu'elle prend pour une faiblesse d'homme âgé et craignant la solitude, d'autant qu'elle craint l'ambition démesurée et l'absence de moralité des Lunabille en qui elle n'a aucune confiance.

Pour autant, elle reste profondément loyale à son père. Ce n'est pas parce qu'elle montre son désaccord pour ce remariage qu'elle n'a plus confiance en lui. Il a toujours été et reste à ses yeux un héros doublé d'un père aimant. Elle ne peut pas lui pardonner pour le moment mais lui reste dévouée et fidèle.
En attendant de comprendre - si elle le peut - elle passe de plus en plus de temps avec Espoir, Givre Vifargent et Fortune.