Feuille volante [PV Chiara]

28 juin

Malice, ma douce,

J'espère que cette lettre te parviendra rapidement avec le prochain convoi. Je regrette de ne pas t'avoir écrit plus tôt, m'en tiendras-tu rigueur ? Le quotidien ici est dur, mais nous avançons ! Je bataille avec le Clan avec plus d'efficacité que comme un soldat. Je n'avais pas imaginé qu'ensemble, nous serions si puissants. Les Chalcédiens vont regretter les horreurs commises en Rippon et dans nos rangs !

Je t'annonce par cette lettre que je resterai au front plus longtemps. Il y a quelques jours, je suis enfin parvenu à contacter Acuité par l'Art. Comme tu le sais sans doute, elle était présente sous un faux nom parmi les archers, et s'est enfuie une fois démasquée. Beaucoup la croyaient morte, mais j'ai appris qu'elle est retenue captive par l'ennemi. Son état est critique et je ne peux rentrer à Castelorme avant que nous l'ayons retrouvée. Ma place est au sein du Clan pour achever au plus vite ce conflit sanglant !

Pour autant, je me languis de toi et des semaines que nous avons passées ensemble dans l’insouciance et la volupté. Je veux à nouveau parcourir les jardins de Castelorme jusqu'au coin secret où nous avions l'habitude de nous retrouver... Me conserve-tu toute ton affection ? Je sais qu'à l'arrière, la vie est plus dure avec la poursuite des hostilités, mais me réjouis de te savoir en sécurité.

Puisse cette lettre te parvenir sans être interceptée par ta maîtresse,
Je l'embrasse comme j'embrasserai bientôt ton visage et tes lèvres.

Vaillant

16 juillet

Vaillant, mon doux amour,

Je t'avoue que je n'espérais plus de tes nouvelles et ta lettre m'a causé un immense plaisir. Je me languis de toi chaque jour et surtout, je m'inquiète. Je sais quels dangers tu cours, même en restant à l'arrière avec le Clan. Je te supplie de prendre garde à toi, de te préserver et de me revenir bientôt.

La vie suit son cours ici, à Castelorme, comme tu l'imagines. Nous organisons les rassemblements de nourriture et de fournitures, nous organisons les convois et accueillons les blessés qui affluent en nombre bien plus important que nous le souhaitons. À chaque arrivée d'un rapatriement, je crains de te découvrir parmi ces visages pâles et ces corps faibles. Ma maîtresse elle-même est fébrile et tourne en rond tant il est évident que ce conflit est d'une ampleur bien plus grande que prévu. Le Duc ne la quitte pour ainsi dire jamais, comme s'il semblait inquiet de sa santé. Elle se porte bien, cependant, je peux en témoigner.

Chaque jour, je prie Eda avec ferveur qu'elle te garde de tout mal. Ta médaille ne me quitte jamais. Je ne peux te dire à quel point je suis impatiente de te voir revenir à Castelorme. Les moments partagés et notre amour si plein de ferveur me laissent espérer que nous vivrons d'autres jours de bonheur ensemble. Plus que jamais, je t'attends et t'espère ici. Plus que jamais, je te désire auprès de moi malgré les incertitudes de l'avenir. Et bien que je craigne pour ta vie, je suis aussi infiniment fière de te savoir si utile à notre cause et si courageux.

Puisse cette lettre te trouver en pleine force et en sécurité.
Puisse Eda te protéger et nous réunir bientôt.

Avec tout mon amour,
Malice

10 août

Malice, ma douce,

De tristes nouvelles m'amènent à t'écrire. Rien qui ne nous concerne bien sûr : je vais bien et ta dernière lettre me fut d'un réel réconfort. Mais j'ai récemment appris la mort d'Acuité, abattue alors qu'elle essayait de fuir l'ennemi. La nouvelle a dû vous parvenir depuis. Je me demande comment y réagissent Glace et le Royaume...

Ici, elle se traduit par une nouvelle flambée de haine contre les Chalcédiens. Mais je t'avoue que je ne sais plus quoi penser : leur jeune princesse, la fille du chef Cardia, s'est livrée comme otage pour mettre fin au conflit. Ne serait-ce pas le mieux à présent, après tant de sang versé ? A moins que la soif de te retrouver ne me pousse à formuler ces paroles indignes d'un soldat des Duchés...

Je ne sais ce qu'il se passerait si cette lettre tombait aux mains de l'autorité ou même de ta maîtresse. Sa santé est-elle vraiment altérée, pour que le Duc ne la quitte plus ? N'est-ce pas justement d'un peu d'air pur dont elle a besoin ? Cela paraît fort indélicat de sa part. Jamais je ne me conduirai ainsi envers toi, bien que je rêve jour et nuit de te serrer contre moi. Mais à présent je dors tranquille, car je sais que tu m'attends, et qu'Eda veille sur ton sein.

Puissions-nous être bientôt réunis,
Baisers,

Vaillant

3à août

Vaillant, mon amour,

Je craignais que tu ne m'aies oubliée et suis bien aise de constater qu'il n'en est rien.

La nouvelle de la mort d'Acuité Loinvoyant est arrivée jusqu'à Castelorme, en effet, et nous a bien affligés. Je sais que tu espérais contribuer à son retour parmi nous et suis sincèrement peinée que tu n'en aies pas eu le temps.

Le Duc et la Duchesse ont naturellement exprimé leur peine et adressé leurs condoléances aux Loinvoyant mais ils semblent dans le même temps très préoccupés d'eux-mêmes. Madame la Duchesse a été souffrante et a du garder la chambre quelques jours mais elle semble tout à fait remise à présent. Monsieur le Duc ne la quitte plus et s'assure d'elle à chaque instant. Sans aucun doute a-t-elle besoin d'air à voir son teint, mais à sa place, je ne voudrais être nulle part ailleurs que dans tes bras. Elle se remet vite mais semble toujours attendre quelque chose lorsqu'elle guette à la fenêtre.

Nous prions chaque jour pour la fin de la guerre et moi peut-être plus encore que les autres car je sais qu'enfin tu me seras rendu. À tout instant, je sens Eda qui veille sur notre destinée grâce à ton présent qui e me quitte jamais.

Reviens-moi vite, mon amour,
il y a tant de choses que je voudrais te confier, tant de baisers que je voudrais te donner...

Je t'aime infiniment et reste pour toujours tienne.
Malice

Derniers jours de décembre

Malice,

J’espère que cette lettre te trouvera heureuse et en bonne santé. Je la confie à un sous-fifre de la suite du Roi pour qu’elle te parvienne en toute sécurité. Malgré mon désir de revoir Castelorme et son soleil, je ne suis pas du voyage ; pourquoi le serai-je, alors que j’en ignore même le but ? Et puis, je ne veux pas t’éprouver par ma présence. J’ai appris la naissance du fils de ta maîtresse ; ces derniers temps ont dû être épuisants pour elle comme pour toi. Je sais que tu auras su veiller sur elle. Même si cela ne me concerne pas, je me demande à quoi ressemble l’enfant.

De mon côté, je suis retourné à Castelcerf auprès avoir séjourné chez ma famille au Gué. Tu seras heureuse d’apprendre que mon frère Juste s’est fiancé et que l’Art m’est revenu. J’aimerais pouvoir te raconter mes dernières « aventures » : j’ai voyagé avec les pires pouilleux et je suis allé voir une sorcière des Haies. Crois-tu que je sois tombé sur la tête ? Elle m’a dit que je rencontrerai bientôt quelqu’un pour refaire ma vie. Je ne sais pas si j’en ai envie, mais aspire désormais à ces jours paisibles que tu dois connaître dans ton Duché ensoleillé.

Je ne pensai pas t’écrire un jour pareilles fadaises, et j’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur. J’aimerais que nous soyons amis, mais peut-être est-ce trop demander après la manière dont je t’ai quittée. J’en suis désolé. Puisses-tu garder avec la médaille que je crois t’avoir laissée un meilleur souvenir de moi.

Prends soin de toi,
Amitiés,

Vaillant

Janvier 11

Vaillant,

Je voudrais t'appeler encore mon amour, mais tu m'offres ton amitié et je ne veux pas nous replonger tous deux dans la peine que je sais que nous avons partagée. Je suis à la fois heureuse et déçue que tu ne sois pas venu. Déçue car mon coeur bat avec violence à chaque fois que mes souvenirs ma ramènent auprès de toi, mais heureuse car sans aurait-il été insoutenable de te voir sans pouvoir t'aimer. Oui, j'en suis certaine, je ne saurais le souffrir pour le moment. Mais tu as raison, sans doute suis-je affaiblie par la fatigue qui est la nôtre depuis la naissance de Vérité Lunabille.

Cet enfant est une bénédiction d'Eda. Il ressemble trait pour trait à son père avec ses cheveux dorés et son regard franc. Ses yeux sont restés bleus pour le moment mais semblent virer au gris, comme ceux de la Duchesse. Un bien bel enfant, assurément, et j'ai le bonheur de m'en occuper chaque jour. Je me plais parfois à penser que si nous avions conçu un enfant, il serait exactement tel que Vérité. Eda veille sur lui.

Les nouvelles que tu me donnes me posent mille questions et je te supplie de décrire plus longuement et plus en détails tes aventures la prochaine fois que tu auras le courage de m'écrire. Chaque mot de toi me rassure et me réjouit car, même si je suis déjà jalouse de celle qui aura un jour tes faveurs, je t'aime encore assez pour te souhaiter de trouver la paix et le bonheur auprès d'une noble et douce épouse. Une part de moi a la mesquinerie d'espérer que jamais tu ne pourras m'oublier, mais une plus grande part encore s'efforce de te souhaiter d'y parvenir au contraire, afin que ta vie soit pleinement heureuse.

Ma maîtresse te fait dire qu'elle n'a pas trouvé de parti convenable pour toi mais qu'elle est certaine, elle aussi, que ta part de bonheur te sera bientôt attribuée. Montre toi patient et ouvert. Peut-être la femme qui t'es destinée ne s'est-elle pas encore mise en route pour croiser ton chemin. Peut-être vient-elle de plus loin que nous ne saurions l'imaginer. L'avenir n'est jamais clair ni certain mais tu dois garder confiance. Peut-être l'Art t'aidera-t-il à trouver la Vérité.

Écris-moi encore, je t'en prie. il m'est aisé de glisser mes propres lettres parmi la nombreuse correspondance de la Duchesse.

Tu as toute mon amitié et bien davantage encore.
Prends soin de toi,

Malice.

Janvier 11

Mon amie,

Mes pensées sont confuses à l'heure où je t'écris. Ta lettre fut pour moi source de plaisir, de te savoir en bonne santé et comblée, mais aussi de questionnements cruels. Tes paroles sont bien mystérieuses. Quelle Vérité l'Art me permettrait-il de trouver ? Cette Vérité m'est à jamais interdite. La magie ne fait pas tout, tu le sais bien.

Excuse mes paroles brutales, mais j'ai reçu avec ta lettre d'étranges racontars. Le Roi semble contrarié et l'on murmure qu'il était venu demander la main de Sérénité Lunabille. Je sais que ta maîtresse n'a jamais été favorable à cette union, mais on dit qu'elle l'a promise à un Chalcédien ! Dis-moi je t'en prie qu'il n'en est rien. L'idée que le sang bleu de Rippon irrigue les terres ennemies m'est insupportable. Mais je suis certain que tout cela n'est que bruits de couloirs. Je sais que la Duchesse aime ses enfants et sait mieux que personne quels barbares sont ces Chalcédiens.

Tu te diras sans doute que tout cela n'est pas mon affaire. Sache que je ne défends pas mon Royaume comme le soldat aveugle que j'ai pu être. Je pense seulement à toi et à la famille dont tu prends soin. Même si je n'en fait pas partie, j'aimerais qu'elle vive heureuse loin de la guerre et du déshonneur.

Écris-moi vite, sans Malice,

Vaillant

Février 11

Mon tendre ami,

Pardonne mes paroles sibyllines qui t'ont plongé dans la confusion, ce n'était pas mon intention. Je pensais que peut-être tes rêves et tes voyages d'Art t'auraient permis de trouver la trace des liens et des esprits qui s'ouvrent à toi. Tu me demandes de quelle Vérité je parle, mais il n'y en a qu'un qui soit important, je pensais que tu l'aurais compris.

Quant au sujet qui te préoccupe tant, sache que la réalité n'est pas exactement telle qu'elle t'a été dépeinte par la rumeur. Tu connais bien ma maîtresse et son goût de la politique. Si elle cherche à ouvrir les esprits et les routes commerciales, il est certain qu'elle ne braderait jamais sa fille. La jeune Sérénité nous quittera bel et bien d'ici peu pour un voyage destiné à enrichir et former son jeune esprit, mais soit certain qu'elle en reviendra pour remplir le rôle qui est le sien auprès de ses parents et de sa patrie. Aucune demande n'a encore été faite, ni officiellement, ni officieusement. Sans doute sa Majesté aura-t-elle mal compris les intentions de la Duchesse. Je t'en prie cependant, garde bien tout cela pour toi. Il ne m'appartient pas de me mêler des affaires de ma maîtresse.

Tu ne me dis rien de ta vie à nouveau, je voudrais tant savoir si tu es heureux et si ta destinée prend une aussi belle tournure qu'elle le promettait. As-tu trouvé enfin une jeune fille qui retienne ton attention ? As-tu décidé de te mêler au nouveau clan d'Art ?

Je reste à jamais malgré la distance,

Ton amie.

Février 11

Chère Malice,

Excuse-moi d'avoir tardé à te répondre. Je ne sais quels mots t'adresser. Je m'inquiète pour toi. Je sais que tu as dû prendre à cœur les récents événements, la création du nouveau Duché. Quelles qu'en soient les raisons, j'espère que le Duc et son peuple sauront s'y résigner avec dignité. Ta sécurité et celle de ta famille seules m'importent. Laissons les grands et leurs batailles d'orgueil... Nos vies ne sont-elles pas plus précieuses ? Puisses-tu me rassurer bientôt !

Tu me demandes de mes nouvelles, bien qu'elles paraissent fort dérisoires en comparaison. J'ai ré-intégré le Clan d'Art depuis mon retour à Castelcerf. La magie et la santé me sont pleinement revenues désormais. De nouveaux Artiseurs ont répondu à l'Appel - parmi lesquels la jeune fille du Duc de Bauge. Ils insufflent un souffle nouveau dans nos rangs, ainsi que les méthodes du nouveau Maître Ardent. Mais une partie de moi regrette le vieil Ordajonc et mon insouciance d'antan. Dire que j'étais à leur place il y a deux ans ! Malgré tout si c'était à refaire, je ne changerai rien - sauf peut-être cette stupide Grande Mêlée. Sans elle j'aurais pu galoper avec toi en front de mer.

Mais je m'égare... que te dire d'autre ? L'hiver ralentit tout. Je n'ai pas trouvé de compagne, mais rien ne presse. Au printemps je retournerai en Bauge pour le mariage de mon frère aîné. La fête sera belle, sans doute. A ton avis quel cadeau pourrai-je faire aux jeunes mariés ? Une vie paisible et aisée les attend déjà au domaine.

Quand te reverrai-je ? Je me sens prêt à te revoir sans t'importuner. Mes yeux ni mon Art ne sont avec vous, et j'ignore tout de ta vie. Promets-moi prudence et préservation pour les tiens.

Bien à toi,

Vaillant

Fin février 11

Mon cher Vaillant,

Les temps sont troublés et nous connaissons des moments difficiles à Castelorme, comme tu l'imagines. Le Duc est résigné à prendre les choses avec dignité, il est toujours aussi loyal au Roi et a accueilli notre nouveau voisin avec toute la courtoisie requise. Je crains que les relations avec son épouse se soient refroidies, en revanche. Il lui reproche d'avoir provoqué l'hostilité de Sa Majesté et conduit le Duché là où il en est.

Sa Grâce a été furieuse, bien sûr. En tout cas, au début. Mais elle semble s'être apaisée depuis et consacre l'essentiel de son temps à son dernier-né. Le petit Vérité est un enfant charmant, j'aimerais que tu voies comme il grandit et forcit chaque jour. Il paraît véritablement bienheureux, sans doute d'être tant aimé et choyé. Tu pourras bientôt t'en rendre compte par toi-même, d'ailleurs, car nous serons de retour à Castelcerf dans le courant du printemps. J'espère te voir avant ton départ pour Bauge. Je suis impatiente de pouvoir à nouveau me promener avec toi. Je suis certaine que nous saurons désormais trouver le ton juste et éviter de raviver des passions qui doivent rester éteintes.

Quelle belle nouvelle tu m'apprends au sujet de ton frère. Je leur souhaite beaucoup de bonheur et de paix. Quant au cadeau que tu pourrais leur faire, que penses-tu de chiens ? Il me semble avoir compris que ton frère était féru d'activités au grand air. Si sa fiancée partage ses goûts, ils seront heureux d'avoir des compagnons pour les suivre à la chasse ou en promenade.

Je te laisse puisque nous nous retrouverons bientôt. Puisses-tu rester en bonne santé et trouver ce qui manque à ton bonheur.

Ta fidèle,

Malice.

Mai 11

Chère Malice,

Je t'écris de Bauge où nous nous reposons après le mariage de Juste, mon frère aîné. Je regrette de n'avoir pu te voir avant mon départ. J'espère que tu te portes mieux et que tu te fais à la vie à Gardebaie. La proximité de la mer te plait-elle ? Ici l'air est plus lourd, sans la brise iodée de Castelcerf, mais je n'ai pas à me plaindre du soleil radieux qui annonce un été éclatant. La récolte sera belle - mais par El je ne peux plus parler de vin après ces jours de réjouissances !

Je préfère t'épargner le récit de la fête. Tu sais ce que ces célébrations ont tout à la fois de fastidieux, d'émouvant, de convenu et d'exubérant. Je ne sais si je regrette ou suis soulagé que cela soit enfin terminé. Les époux semblent aux anges - mon frère, en tout cas. Il me semble que nous n'avons jamais été aussi proches, et pourtant nos vies sont radicalement différentes. Mon cadeau fut un succès, merci pour ton idée ! Felix et Regula, fins limiers, ont déjà pris leurs aises au domaine et prouvé leur talent pour la chasse et la compagnie. Si la chaleur tombe, nous irons à nouveau chasser cet après-midi. Ici je ne suis pas du matin, cela me change des aubes d'Art à Castelcerf !

Je sens que je m'égare en détails insipides. Il y a tellement de choses dont j'aimerais te parler, mais je ne goûte guère les confidences de papier. Pourquoi n'as-tu pas l'Art ? cela serait commode, ou peut-être est-ce préférable qu'ainsi l'espace et le temps nous séparent, afin que nous poursuivions paisiblement le fil de nos vies familiales.

Bientôt je serai de retour à Castelcerf, sur les traces de ce mystérieux convoi des Montagnes qui, dit-on, est passé par le Gué il y a quelques jours. On ne parle que de ça ici, et du mariage royal. J'ai moi-même du mal à cesser d'y penser - il semble que ces derniers mois il ne soit que question de mariage, constamment. Mes pensées vont à la jeune princesse, et à toi, que je suis sûr de voir, enfin, à cette immanquable occasion. T'en réjouis-tu ?

Amitiés à tous,
Je t'envoie un morceau de soleil de Bauge, vif et généreux.

Vaillant

Fin Mai 11

Vaillant, mon ami,

J'aimerais te dire que tout va bien mais, comme tu l'imagines, déménager une vie entière d'un château à l'autre n'a pas été une partie de plaisir. La Duchesse en est particulièrement affectée, même si elle paraît rester de marbre glacé devant un affront aussi violent. Le Duc s'efforce de prendre les choses par le bon côté et de trouver des aspects positifs à Gardebaie mais je crains que ma maîtresse n'y voit que noirceur et vexation pour le moment. Elle regrette infiniment Castelorme, la douceur de son climat, et les merveilleux jardins qui l'entourent, surtout le petit belvédère.

L'air est doux ici aussi, cependant. La brise de la mer rafraîchit les dunes et les pentes douces du jardin de genêts qui longe la falaise. La demeure est assez confortable et sera bientôt un vrai foyer. Il faut simplement que notre Dame prenne ses marques et réorganise sa maisonnée comme elle l'entend. C'est une question de temps, tu sais combien elle est déterminée et volontaire.

Pour un enfant de l'hiver, Vérité se montre particulièrement robuste en revanche. Heureux de tout, il grandit et forcit chaque jour qu'Eda fait. Je suis impatiente que tu voies comme il est beau et vif. Il sourit souvent mais montre parfois aussi une mine grave et sérieuse comme s'il réfléchissait au sort de notre monde.

Je suis bien heureuse de savoir que ton cadeau a plu à ton frère et sa jeune épouse. Quels beaux jours de fête vous avez du connaître ! J'espère que nous aurons également bientôt des raisons de nous réjouir en famille ici, à Gardebaie. Les épousailles de sa Majesté et de la princesse Shyrin nous réuniront tous à Castelcerf, bien sûr, mais les circonstances ne seront pas aussi plaisantes avec tout ce protocole. Nous n'aurons sans doute que peu d'occasions de converser en privé, toi et moi.

Pourtant je me réjouis, oui. Je suis impatiente de te voir, de te conter enfin de vive voix les menus tracas quotidiens dont tu te fiches éperdument, de marcher à tes côtés et de te voir sourire. Je t'adresse en attendant par la pensée cette image apaisante d'une grande voile blanche traversant le bleu foncé de la mer au loin. Avec ce beau soleil, une légère brume brouille l'horizon mais la voile, elle est éclatante comme un phare en pleine nuit. Peut-être verra-tus un jour de tes propres yeux notre nouvel horizon.

En attendant, je reste ta loyale amie,
Malice.

Fin mai 11

Ma chère Malice,

J'ai reçu ta lettre ce matin et te réponds de suite à la lueur de la bougie. Aujourd'hui est arrivée à Castelcerf la Délégation du Royaume des Montagnes. Je viens de subir un banquet interminable en leur honneur. Je me suis retrouvé coincé à la table des Artiseurs. Les nouveaux sont un peu pénibles - ils sont jeunes, je me fais vieux peut-être (une femme m'a dit il y a quelques semaines que je faisais "un demi siècle" ! Tu imagines ?).
Les Artiseurs ne sont pas très loquaces, à part Ardent qui a toujours milles merveilles à raconter, mais il siégeait plus loin. La compagnie d'intérêt était hors de portée, même les Montagnards, un comble quand on sait qu'ils vivent dans une société non-hiérarchisée, même si je me demande comment cela est possible. Il n'y a qu'à voir la princesse Shyrin : il m'est beaucoup plus difficile de lui parler depuis que ses épousailles ont été annoncées. Je ne suis pas assez bien né pour fréquenter une Reine ou une Duchesse.
Aussi je crains fort que tu aies raison : tes pas étant attachés à ceux de la Duchesse Lunabille, je n'aurai sans doute que peu d'occasion de te parler cet été. Quelle subtile torture de te voir si près et si loin à la fois ! Il tient déjà du miracle que tu aies en premier lieu posé les yeux sur moi, dans l'état où j'étais alors.

Il me semble que je ne fais que geindre. J'ai dû abuser du vin, mais je t'envoie quand même cette lettre. Au diable les convenances ! Ce sont elles qui brideront déjà notre honnête amitié.

Je suis heureux d'apprendre que la mer plait à tes yeux, et que Vérité est vigoureux. Un bel horizon et un petit soleil devraient suffire à notre bonheur. Mais nous voulons toujours plus, ainsi est faite la nature de l'homme je le crains...

Pour en revenir aux Montagnards, le but officiel de leur venue est assez noble. Ils veulent soigner l'un des leurs. Mais tes amies t'ont sans doute déjà renseignée à ce sujet... J'attends de voir la suite avec une certaine curiosité. Vainqueur en fera-t-il sa nouvelle marotte, après sa guerre et son mariage exotique ? Il ferait mieux de s'occuper des Vifards une bonne fois pour toute.

Je te parlerai dans une prochaine lettre de la jeune dame que j'ai rencontrée. Il ne me reste que quelques heures de sommeil.
Je t'embrasse,

Vaillant

Début juillet 11

Mon cher Vaillant,

Me pardonneras-tu d'avoir pris tant de temps pour te répondre ?
Je suis sincèrement désolée, je voudrais te donner mille excuses comme l'installation à Gardebaie ou les préparatifs du départ pour Castelcerf mais la vérité est qu'il m'a fallu un peu de temps pour pouvoir me réjouir sincèrement du fait que tu aies rencontré une jeune femme à ton goût.

Je sais que j'ai promis d'être ton amie et que les amis se réjouissent du bonheur de leurs semblables. Pardonne-moi cette faiblesse, je t'en prie. Je sais tout ce que tu as supporté de moi et je m'en veux de ne pas avoir autant de patience et d'abnégation.
Je t'en prie, cesse de te déprécier comme tu le fais. Au premier regard, j'ai su quel homme tu étais et je t'ai voulu malgré la distance et les dangers. Quelle folie !

Comme tu vois, j'ai laissé les convenances moi aussi. Eda sait qu'il n'y a que dans ces missives que nous pourrons le faire, autant en profiter encore un peu.

Parle moi encore de ces Montagnards et de cette jeune fille que tu as rencontrée. Est-elle comme il faut ? Est-elle jolie ? A-t-elle de l'esprit ? J'espère qu'elle est assez bien pour toi si elle à le bonheur de te plaire.

J'espère que tu me raconteras aussi comment tu es devenu ami avec la Princesse. S'et-elle faite ) la vie à la Cour ?Comme je la plains d'être si loin de chez elle et pourtant, une véritable chance s'offre à elle. J'ose espérer qu'elle saura la saisir. C'est ce que nous devons tous faire.

Nous partons très prochainement pour Castelcerf, nous pourrons nous y parler je l'espère. Sinon, je suis certaine que nous trouverons à nous échanger quelques lettres encore.

D'ici là, je reste ta fidèle amie,
M.

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