Chiara rassura Vaillant, avant de le dédouaner tout à fait. Il l'avait habituée à ce genre de lâchetés. Vaillant se sentait craintif face à un tout petit enfant. Plus que son fils encore si jeune, il avait peur de décevoir Chiara. S'attendait-elle à ce qu'il se comporte comme un père ? Il n'avait aucune idée de comment faire. Vaillant masqua ses doutes derrière un sourire confiant.

- Non, faisons comme tu as dit, dit-il en l'embrassant.
Il la serra dans ses bras pour ne pas qu'elle ait froid. Ils restèrent dans le jardin aussi longtemps que le soleil le leur permit. Vaillant alla chercher du vin et ils parlèrent de tout et de rien, évitant les sujets qui fâchaient : Raki, Allégresse et Vainqueur. Le Baugien vanta en long, en large et en travers son Duché et sa capitale, jouissant à l'avance de la lui faire visiter. Il jouit de l'idée lui faire visiter son domaine familial, même s'il n'aurait jamais osé s'y présenter avec la Duchesse à son bras, et qu'il aurait eut honte de ces murs sans prétention. Il lui parla de sa famille, Chiara montrant de la curiosité, vu qu'elle ne les espionnait plus ; Vaillant ne voyait pas comment cela pouvait l'intéresser, mais lui parla volontiers de ses frères et de son neveu nouveau-né. Et quand la conversation risqua de glisser vers cet autre nouveau-né Fructurive que l'avenir promettait, il déclara qu'il faisait frisquet et qu'il était temps de rentrer. Vaillant aida Chiara à se rhabiller et tira un peu fort sur les lacets de son corset. Cela lui donna envie de la prendre à nouveau et il se dit que ces jours à venir s'annonçaient délicieusement épuisants.

Après un dîner sommaire, les amants allèrent au lit sagement. Vaillant était heureux, son ivresse dissipait l'angoisse du lendemain, ne laissant que la hâte. Hâte de parader dans les rues du Gué avec sa Duchesse à son bras ; hâte d'acclamer son champion dans les arènes de combat ; hâte de se réveiller dans les bras de Chiara, sans avoir à se presser, et de caresser, peut-être, la tête blonde de son fils.

Réglé sur ses leçons d'Art matinales, Vaillant se réveilla à l'aube. Le réveil fut doux, après un petit moment de flottement où le Baugien se demanda où il était. La réponse lui vint rapidement à la vue du corps de Chiara, couchée sur le ventre à côté de lui, une main échouée sur son coeur marqué. Il l'observa, attendri : le visage à peine visible sous la cascade de ses cheveux, la ligne de sa colonne vertébrale jusqu'à ses fesses. Son corps à lui se réveillait et il avait envie d'uriner. Son esprit se réveillait et il avait faim de magie. Vaillant se leva et ouvrit doucement les battants de la fenêtre, pour renouveler l'air de la nuit. Déjà nu, il contraint son vît et pissa langoureusement par la fenêtre ; voilà au moins un avantage qu'avait la vie de campagne ! Quand le chants des oiseaux succéda au bruit de son jet, le Baugien retourna se coucher. Il voulait paresser au lit avec Chiara, et plus si affinités. Il laissa son esprit errer. Hormis sa Duchesse, il n'y avait pas âme qui vive dans la maison, alors il s'élargit. Dans les chaumières avoisinantes, les esprits étaient inconscients ou sans intérêt. Il poursuivit jusqu'au Gué. Il trouva l'esprit de Malice qui émergeait du sommeil et compulsait déjà toutes les tâches de la journée, essentiellement dédiée à Vérité. Il chercha Vérité et le trouva avec un déconcertante facilité, alors qu'il ne l'avait jamais touché ; peut-être parce que l'enfant était tout près ? Vaillant resta en retrait ; de toute façon, son fils dormait. Lentement, il revint à sa mère, qui dormait elle aussi. Il s'approcha d'elle, tapi à la lisière de sa conscience, et observa son rêve.

Dans le rêve de Chiara, Vaillant fut surpris de se trouver lui-même. Il ne partageait pas les sensations de la Duchesse, l'Art ne permettait pas cela ; mais elles étaient aisées à deviner. Son esprit embué de sommeil était serein, confiant, amoureux à satiété. Il n'y avait nulle soif à étancher dans cette étreinte là, peut-être parce que celles de la veille avaient suffi ? ou que ça n'était qu'un rêve ? Le désir sans le manque. C'était un joli rêve, et eux-mêmes étaient jolis dans ce rêve - elle, jeune comme l'était son esprit ; lui, plus lumineux, plus fort, plus tendre. Meilleur amant sans doute, car Vaillant n'était pas toujours aussi patient, il pensait souvent à lui d'abord, voire exclusivement, du moins avant de rencontrer Chiara. Avec elle, il avait découvert le plaisir du plaisir de l'autre, pas seulement par orgueil viril, mais de manière désintéressée, par amour, tout simplement.

Par amour, Vaillant laissa Chiara dormir et se réveiller naturellement. Il avait été tenté de redoubler les gestes de son rêve, mais il craignait de la réveiller, et resta observateur silencieux - pas caché, pas intrusif non plus, juste indiscret. Avec Chiara, il ne s'était servi de l'Art qu'une fois, quand ils n'arrivaient plus à communiquer. Avant leur première étreinte à Castelorme. C'était en quelque sorte sa première déclaration. Aujourd'hui, après les excès de la guerre et dans la continuité zélée de son apprentissage, le Baugien faisait un usage plus systématique de la magie, parfois sans même y penser. Il ignorait comment Chiara y réagirait. Sa présence passive dans son esprit n'avait pas l'air de la déranger, à voir le sourire qu'elle arborait, à moins qu'elle n'en eut pas conscience, étourdie par son rêve charnel.

Vaillant resta en elle tandis qu'elle se blottissait, palpitante, contre lui. Soucieux d'être cet amant dont elle rêvait, il caressa son visage jusqu'à ce que son sourire disparaisse sous l'effet du relâchement. Puis il caressa sa gorge et ses seins, longuement, jusqu'à ce qu'elle se presse contre lui. Alors il souleva l'une de ses cuisses endormies et la prit, langoureusement d'abord, comme dans le rêve qui l'avait laissée si moelleuse, puis plus vivement, vif de sa sève matinale qui bientôt lui échappa.
Bonjour, murmura-t-il dans son esprit, ce qui lui évita d'ajouter les mots doux qu'elle pouvait sentir ; puis il se retira d'elle, corps et âme, la laissant se laver tandis qu'il partait en quête du petit déjeuner.

L'absence de domestiques dans cette maison était à la fois agréable et malcommode. Vaillant ignorait où se rangeaient les choses et il n'avait pas très envie de chercher. Il ouvrit plusieurs bocaux dans le cellier mais ne trouva que du salé, alors il s'attabla et mangea avec appétit du pain et du pâté tandis qu'au jardin perçaient les premiers rayons de l'aurore. Le Baugien se sentait repu et près à entamer cette nouvelle journée ; seul son esprit le démangeait. Il sourit à Chiara lorsqu'elle descendit les escaliers, toute fraîche toute pimpante, et observa comment elle était habillée. Il s'habillerait de même car s'il savait qu'ils iraient au Gué, Vaillant ignorait s'ils iraient anonymement ou non - où ils iraient chercher Vérité, s'ils se présenteraient à la Cour, s'ils se saliraient aux bancs des arènes de combat, s'il y avait un combat aujourd'hui.

Il redescendit rasé et vêtu tandis que Chiara finissait son petit déjeuner - visiblement ses recherches à elle avaient été couronnées de succès. Vaillant mordit dans une pomme, caressa sa joue et lui demanda en mastiquant :
- Veux-tu que je fasse savoir à Malice que nous arrivons ?