Les blessures nouvelles remplacent les fêlures passées [Printemps 12 - PV Vaillant]

Aussitôt arrivée chez le Duc et la Duchesse Vifesprit de Bauge à Gué-de-Négoce, Chiara avait envoyé Malice se renseigner en ville. Il ne lui avait fallu que quelques jours pour trouver la maison idéale. Petite mais très confortable, elle offrait une grande pièce de vie centrée sur la cheminée, puis deux chambres à l'étage et même un petit cabinet de toilette où l'on pouvait stocker de l'eau et la faire chauffer. Le jardin n'était pas grand mais bien entretenu et touffu, abritant la chaumière du bruit et des regards indiscrets.

Nerveuse, confuse, Chiara tourna longtemps dans sa chambre d'invité chez les Vifesprit avant de savoir ce qu'elle voulait faire et comment. Elle n'en voulait plus à Vaillant d'avoir gâché leur dernière nuit ensemble à Castelcerf, des mois auparavant. Elle avait même cessé d'espionner chez les Fructurive comme il le lui avait demandé, se contentant des voies habituelles pour obtenir informations et ragots. Elle était cependant nerveuse car incertaine de la manière dont elle serait reçue. Vaillant pouvait tout aussi bien se décréter heureux en mariage et choisir la fidélité à sa petite grue. C'est pourquoi elle avait laissé Vérité aux bons soins de Malice dans le château ducal pour cette première rencontre. Elle craignait que la discussion puisse devenir houleuse.

Quand elle avait fini par prendre sa décision et achevé de tout organiser, elle avait fait parvenir à Vaillant un courrier codé l'invitant officiellement à venir négocier avec un quelconque revendeur de la région pour les deux jours à venir. Une fois déchiffré, le message lui précisait où et quand retrouver la Duchesse pour aussi longtemps qu'il le désirerait puisqu'il était supposément hors de la ville pour une négociation commerciale d'importance. C'est ainsi qu'elle se trouvait à présent dans la demeure louée sous un faux nom, revêtue d'une robe beaucoup plus simple que son ordinaire et un repas attendant au chaud que son amant veuille bien la rejoindre et jouer avec elle à la vie de famille qu'ils n'auraient jamais ensemble.

Les mois avaient passé depuis ses adieux ratés avec Chiara. Vaillant se souvenait encore de la biture qu'il s'était mise ce soir là, suivie de près par celle de son mariage. Heureusement, son union ne devait pas être consommée ce premier soir, puisque la cérémonie s'était poursuivie sur la Cerf pour s'achever dans la famille d'Allégresse. Dans l'ensemble, son mariage s'était bien passé, joyeux et légèrement irritant comme l'était sa vie maritale avec la jeune femme. Rapidement, Vaillant avait retrouvé sa routine à Castelcerf, une routine augmentée par la présence de sa femme et c'était plaisant, il devait bien l'avouer. Allégresse portait bien son nom, elle était toujours enthousiaste, parfois à l'excès, mais ne demandait pas trop d'attention tant qu'elle avait ses lubies. Les premiers mois, Vaillant s'était fait câliner à outrance pour se consoler de l'absence de Chiara. Aussi, il n'avait pas été surpris, mais content, quand la jeune femme lui avait annoncé qu'elle portait son enfant. Tout se passait comme prévu. Bien sûr, tout n'était pas toujours rose. Bien que pétillante, Alli n'était pas Chiara ; et elle lui tapait souvent sur le système. Lui-même avait été particulièrement odieux à l'hiver, lorsqu'il s'était fait exclure des cours d'Art. Tout allait mieux, désormais.

Mais ça n'avait pas empêché Vaillant de mentir comme un arracheur de dents lorsqu'il avait reçu la lettre de Chiara l'informant de son voyage au Gué. Les amants ne s'étaient presque pas écrits depuis leur séparation : tout juste une lettre où Vaillant s'excusait et une autre où Chiara disait le pardonner ; bref, ils s'en tenaient à leur plan qui aujourd'hui se concrétisait. Vaillant avait dû tisser large la toile de ses mensonges : mentir au Clan, à Allégresse, à sa famille que le cadet surprit, car on ne lui connaissait pas le goût du commerce ; mais qu'il fasse donc ses affaires, cette histoire de tissu doré leur avait jadis pas mal rapporté ! Vaillant s'amusait beaucoup, il mentait désormais avec facilité et n'avait plus de scrupule à se servir de son Art pour caresser les esprits, à commencer par celui de sa jeune épousée. Il avait surtout hâte de revoir Chiara, une hâte teintée d'appréhension, comme toujours. Vaillant guetta sa lettre puis quitta précipitamment le domaine familial, après avoir soulevé son neveu dans ses bras.

Sur son cheval bai, le Baugien sifflotait. Il n'avait pas mis ses habits de voyage, car il n'y avait que quelques heures de route jusqu'à l'orée du Gué, jusqu'à la maison... était-ce bien là ?
- Malice ? appela Vaillant en traversant le jardin, les rênes de sa monture à la main.
Il les attacha au flan de la chaumière et entra. Chiara était au salon, faisant El sait quoi, dans une robe bouton d'or qui la rajeunissait, à moins que ce ne soit la simplicité de sa mise, ou la joie sur ses traits. Lui, avait vieilli plus qu'en quelque mois ; il Artisait trop, mais son sourire épanoui restait celui d'un gamin auquel on ne refusait rien. Tout naturellement, sa main trouva sa place au creux des reins de Chiara, et l'autre sur sa joue.
- C'est gentil, chez vous, murmura-t-il, un peu surpris de ce décor champêtre.
Tout était doré ici : Chiara, la lumière... la si belle lumière de Bauge... à moins que ce ne soit son coeur qui rayonnât. Vaillant resserra son étreinte sur la taille de sa belle et caressa sa joue, mais il n'osa pas l'embrasser. Il n'avait embrassé aucune autre depuis ses épousailles.
- Comment vas-tu ? bourdonna-t-il autour de ses lèvres, plus intéressé par leur courbe que par les mots qu'elles prononçaient.
Insensiblement, son esprit s'était rapproché du sien.

Il était là ! Pétrifiée par l'émotion, Chiara resta sans bouger dans la pièce du bas alors que Vaillant approchait, entrait et venait jusqu'à elle. Soudain, elle fut dans ses bras et le souffle lui revint. Le rouge lui monta au front et les mots lui manquèrent. Le trop-plein d'émotion la laissait sans voix et pantelante.

- Chez nous, parvint-elle à bredouiller, confuse et peinant à exprimer ses pensées.

Lentement, elle leva les mains et les posa à plat sur le torse du jeune homme. Elle les fit remonter doucement jusqu'à saisir son visage en tremblant un peu, comme si elle craignait que ce ne soit un mirage. Leurs lèvres toutes proches se parlaient, les mots parvenaient à leurs oreilles mais elle n'entendait rien, uniquement préoccupée de sa chaleur, de sa douceur, de sa présence surtout.

- Tu es là, murmurait-elle comme une prière, un mantra destiné à se convaincre elle-même.

Hissée contre lui, elle luttait pour annuler la distance entre eux et pur ne pas le faire. Et puis d'un coup, le monde disparut et tout devint à la fois plus clair et complètement obscur. Leurs bouches s'étaient trouvées et s'exploraient à nouveau, se reconnaissaient et se disaient enfin tous les mots qui ne pouvaient être prononcés.

Chiara l'embrassa et, comme on se jette d'une falaise, Vaillant sombra tout entier dans ce baiser. Alors seulement il réalisa à quel point elle lui avait manqué. A son quotidien, il manquait toujours quelque chose d'essentiel. De son bras, le Baugien ceintura la taille de la Duchesse, et son autre main disparut dans ses cheveux. Il retrouvait l'odeur de Chiara, et sa langue le rendait fou.

- Bien sûr que je suis là, souffla-t-il pour desserrer l'étreinte, les laisser respirer.
En avait-elle douté ? Il lui avait donné des raisons de le faire : son comportement, son mariage... même s'il s'était excusé, et qu'il lui avait affirmé, que son mariage ne changerait rien. De fait, rien n'avait changé. Son corps répondait comme au premier jour. Son esprit ne s’embarrassait pas de culpabilité. Vaillant chercha le remord en lui, et ne trouva rien que cette envie de mettre Chiara sous lui, et c'était si naturel, c'était ainsi que les choses auraient dû être.

- Je prends ça pour un oui... sourit-il contre ses lèvres, puisqu'elle n'avait pas répondu à sa question.
Chiara était rayonnante, du moins entre ses bras, et elle avait trouvé l'énergie pour préparer tout ça. Etait-elle vraiment entrée dans les grâces de la Duchesse de Bauge ? Allaient-ils vraiment vivre ici ? Cette perspective l'angoissait et l'excitait à la fois.
- Si c'est aussi chez moi... tu me fais visiter ? demanda-t-il entre deux petits baisers.

L'air lui sembla soudain plus pur, les couleurs plus vives et les sensations plus fortes. Elle avait l'impression de sortir d'une longue hibernation, de se réveiller d'un sommeil cotonneux, plein de brouillard. Abandonnée dans les bras forts et tendres de son amant, elle comprit enfin à quel point elle vivait une demi-vie sans lui, à quel point elle s'était leurrée en croyant pouvoir reprendre le cours de sa vie d'avant. Il prenait tant de place qu'elle s'étonnait que leur fils ait trouvé encore de quoi se nourrir dans son coeur.

Souriant à son tour contre ses lèvres, elle se mit même à rire doucement et joyeusement, emportée par le bonheur violent de retrouver enfin son Vaillant. Car il serait toujours à elle, rien ne changerait ça, ni la distance, ni Raki, ni l'insipide Allégresse, ni les convenances, ni rien.

- Je vais bien, oui... Oui ! Maintenant que tu es là, je vais bien, rit-elle encore, trop heureuse pour s'inquiéter de la violence de ses émotions.

Les mains posées de chaque côté de son visage, elle le scruta longuement comme si elle pouvait se rassasier de sa vue, graver cette nouvelle image de lui dans son esprit. il paraissait plus fatigué et plus âgé que dans son souvenir mais elle songea qu'elle devait se tromper, oblitérant purement et simplement l'idée que peut-être son épouse le tenait éveillé la nuit.

- Viens, oui. Je te fais visiter notre maison, sourit-elle, heureuse de jouer la maîtresse de maison avec lui, de jouer à la gentille petite épouse alors qu'elle était la maîtresse insensée et passionnée.

Sur un autre baiser, elle prit sa main et lui fit faire le tour de la pièce du bas pour lui montrer les aménagements, les fauteuils confortables près de l'âtre, les quelques ustensiles et provisions, les repas déjà préparés dans des jattes hermétiques dans le cellier, la table où il la prendrait aussi, elle y pensait déjà, et puis le petit jardin en désordre qui lui semblait l'endroit le plus romantique du monde.

Enthousiasmée, elle l’entraîna rapidement à l'étage pour lui montrer les deux chambres : une grande et belle pour eux. Un feu modeste réchauffait déjà l'atmosphère et des draps propres et frais habillaient le grand lit moelleux. La petite chambre était meublée plus simplement mais également chaleureuse. Elle lui montra ensuite le cabinet de toilette où de l'eau était stockée ainsi qu'un baquet pour se baigner, des aiguières et tout le nécessaire.

Un peu essoufflée à force de tout décrire, de tout commenter, de tout vouloir lui montrer, elle s'arrêta sur le palier, les joues roses d'excitation, et se pendit à son cou pour un autre baiser rieur et passionné.

- Que veux-tu faire ou voir à présent ?

Vaillant suivit Chiara, une main tranquille posée au creux de ses reins. Il ne l'écoutait pas vraiment, mais il la regardait, et il se réjouissait du plaisir manifeste qu'elle avait à lui présenter les lieux. Sa joie simple et ses paroles généreuses lui faisaient penser à Allégresse, mais pas la manière dont elle se mouvait, dont elle le touchait. Le Baugien avait rarement vu Chiara comme cela, si insouciante. Sans doute cette maison était-elle ce refuge qu'elle s'était construit, ce petit paradis. Une maison à la fois trop modeste et trop grande pour deux.

Vaillant n'eut rien fait qui puisse nuire à cette humeur. Sur le palier, il embrassa Chiara, et répondit :
- Allons au jardin.
Il prit sa main, descendit les escaliers et sortit. L'Artiseur voulait se repaître du soleil de Bauge, de la beauté de Chiara au soleil, dont il avait rarement pu profiter. S'aimer au grand jour, sous les premières fleurs du printemps.

Après avoir détaché son cheval pour le laisser brouter, Vaillant reprit la main de Chiara pour l'aider galamment à s'installer. Moins galamment, il la coucha sur l'herbe et glissa la main dans son décolleté, hissé sur un coude à côté d'elle. La robe simple que la Duchesse portait serait facile à enlever.
- Ici, il n'y a personne pour nous regarder... nous pouvons faire tout ce que nous voulons... susurra-t-il à ses lèvres, comme jouissant déjà du plaisir qu'ils allaient prendre.

Chiara le savait déjà et c'est pour ça qu'elle avait choisi cette chaumière isolée. Vaillant avait pensé qu'ils se retrouveraient à la Cour du Gué, ce qui aurait été plus excitant et plus malcommode. Ici, ils pourraient s'aimer au grand jour et dans toutes les pièces, à moins que la deuxième chambre ne fut pour Vérité ? Chiara l'avait-elle emmené ? Ou Malice, pour veiller à leurs commodités ?
- Es-tu seule ? murmura-t-il sans savoir quelle réponse il espérait, agaçant le sein nourricier.

Suivant son amant dans le ravissant jardin qui les abritait des regards indiscrets et leur offrait un cadre si romantique, Chiara se laissa guider et allonger dans l'herbe. Jouer à la gentille fiancée, à la petite paysanne qui retrouve son mari parti depuis longtemps, avait quelque chose d'excitant. Non qu'ils aient vraiment besoin de jouer des rôles pour s'aimer, mais c'était différent, nouveau et plus apaisé aussi que leurs dernières rencontres à Castelcerf.

Penchée sur elle, il lui offrit ses lèvres sans toutefois les toucher pendant qu'une main venait glisser sous son corsage si simple. Inspirant profondément, elle sentit son souffle s'accélérer aussitôt et son téton durcir sous ses doigts. Comme lui, elle avait évidemment pensé à tout ce qu'ils pourraient faire là et partout dans cette maison. Son sourire s'élargit et elle leva légèrement la tête pour lui voler un baiser tendre et langoureux.

- Tout ce que nous voulons, confirma-t-elle malicieusement.

Passant un bras autour de son cou, elle se pressa un peu plus contre lui pendant que sa main libre glissait entre eux en une lente caresse jusqu'à son entrejambes. Sous sa main taquine, elle sentit qu'il la désirait déjà et en fut flattée autant qu'heureuse. Car elle le désirait comme une folle, surtout après des mois de séparation.

- Oui, répondit-elle alors, ne sachant s'il en serait satisfait ou non.

Voulait-il voir son fils ? Voulait-il autre chose ?

- Je te voulais pour moi seule d'abord, ajouta-t-elle avec un nouveau baiser doux et un peu plus fiévreux.

Sa main le caressait doucement, sans se presser, et son dos s'était cambré pour mieux s'offrir à ses caresses. Il n'avait qu'à dénouer le corsage s'il en voulait plus, relever ses jupes simplement et la prendre s'il désirait ne pas perdre de temps. Sinon, ils profiteraient lentement et longuement de leurs retrouvailles. Ils le feraient de toute façon.

- Alors, m'aimes-tu toujours en paysanne ? Le taquina-t-elle avant de parcourir sa mâchoire et son cou de légers baisers.

Vaillant rit à l'aveu de Chiara. On aurait dit une petite fille gourmande qui ne voulait pas partager ses sucreries, bien qu'étant données les caresses que la Duchesse lui faisait, la comparaison était plutôt déplacée. Vaillant ignorait s'il voulait voir Vérité, mais certainement pas maintenant qu'il avait "pour lui seul" la poitrine de sa mère.

- Je t'aime en tout ce qu'il te plaira d'être, sourit Vaillant en laissant Chiara cajoler son menton et son intimité.
Il voyait bien que cela lui plaisir de jouer les maîtresses de maison. Tant qu'elle était sa maîtresse, elle pouvait être ce qu'il lui plaisait. Le Baugien se plierait volontiers à ses fantaisies, tant que cela ne le concernait pas, lui. Il plongea son visage dans son cou, inspira le parfum de ses cheveux puis chuchota à son oreille :
- Mais tu sens trop bon, tu es encore trop bien mise pour une paysanne. Laisse-moi arranger ça.

Sa main quitta son sein tendu pour ébouriffer ses cheveux. Puis il arracha une poignée d'herbe et sema les brins sur son visage. Éclats roux et verts dans la lumière de Bauge. Chiara rit et se débattit et cela l'excita plus qu'il ne l'était déjà. En dépit du confort sexuel dont il jouissait désormais, Vaillant la voulut tout de suite. Basculant tout à fait sur Chiara, il cessa de l'importuner pour retrousser ses jupes à deux mains.

Riant aux éclats et secouant la tête d'un côté puis de l'autre, Chiara essaya de se débarrasser de l'herbe mais c'était peine perdue avec un Vaillant qui pesait sur elle. Son rire s'étrangla dans sa gorge alors qu'il basculait sur elle pour relever ses jupes. Sa mise était simple mais il avait néanmoins une certaine épaisseur de jupe et jupons à retrousser pour atteindre ce qu'il convoitait.

Il devenait soudain urgent de pouvoir s'unir à cet homme, de pouvoir se donner à lui et qu'ils se fassent réciproquement sentir combien ils étaient liés et combien ils s'étaient manqués. Le souffle court et les pommettes rosies par l'excitation, elle délaça elle-même le corselet qui formait le haut de sa robe sur une chemise blanche. Il n'aurait plus qu'à en baisser l'encolure. Et pendant ce temps, il avait remonté ses jupes et elle tenta de l'aider à dénouer ses chausses.

À cet instant, dans leur maison, leur jardin, avec leur union soudaine et fiévreuse, elle pouvait oublier le reste du monde. Ils n'étaient plus mariés, plus séparés. Ils s'étaient trouvés assez tôt ou avaient tout quitté pour être ensemble. À cet instant, ils étaient simplement ensemble comme n'importe quel couple d'amoureux. Ils avaient tous les droits : les gestes, les étreintes, les cris, les mots tendres. Tout leur était permis puisqu'ils étaient ensemble chez eux.

Vaillant n'avait pas besoin de fantasme, pas besoin de s'imaginer trousser une paysanne dans une botte de foin. C'était Chiara, son fantasme, peu importait la robe qu'elle portait. C'était-elle, la chimère qu'il poursuivait, et cette fois il n'allait pas la laisser s'échapper. Cette fois il allait en profiter jusqu'au bout. Sur Chiara, Vaillant était partout, entre ses jambes, sous sa chemise, dans sa bouche ; il n'avait pas assez de ses doigts pour la caresser, de sa queue pour la pénétrer, de sa langue pour l'embrasser. Son étreinte fut profonde et envahissante. Sans retenue, mais sans violence ; sans inquiétude, ni sans esprit. Avec Chiara, Vaillant pouvait laisser son corps parler. Il n'avait pas à s’embarrasser de scrupules et de précautions ; il savait qu'elle jouirait de tout ce qu'il lui donnerait. Mais Vaillant n'avait pas besoin de fantasme, son cœur était plus assoiffé que son corps. Il ne voulait pas une courtisane, comme la Duchesse le lui avait reproché jadis : il voulait la femme qu'il aimait ; il voulait la sentir, la voir, l'entendre. La sentir se cambrer sous lui, voir son visage, l'entendre gémir. Lui-même gémissait plus qu'il n'en avait conscience, et dans cette complétude, se perdait déjà.

Dé pair : Vaillant jouit.

Maître Vérichanteur Messages : 1042 Date d'inscription : 18/10/2010

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'Hasard 6' : 6

Étourdie par la violence de son désir jusqu'alors contenu, tout comme la souffrance de leur séparation, Chiara n'avait besoin d'aucun encouragement pour se donner corps et âme. Sans la moindre hésitation, elle s'offrit toute entière, accueillant son amant entre ses cuisses, caressant sa eau, pressant ses lèvres contre les siennes. Le souffle court et gémissant, elle ne tarda pas à se perdre dans un plaisir rendu plus brûlant et intense après une séparation si longue.

Leur étreinte profonde et intensément sensuelle s'acheva sur un puissant plaisir partagé qui lui coupa le souffle et la laissa pantelante autant que tremblante. Bras et jambes étroitement noués autour du corps frémissant de son amant, elle calma peu à peu sa respiration contre son cou sans cesser de le couvrir de baisers tendres et langoureux, tranquilles et apaisés. Un large sourire aux lèvres, elle se laissa finalement retomber dans l'herbe, sa lucidité lui revenant lentement.

- Comme je t'aime, murmura-t-elle, rêveuse et passionnée.

Entre les cuisses de Chiara, Vaillant revint à lui et se sentit un peu honteux. Etait-ce parce qu'il avait joui si vite, ou qu'il venait de tromper sa femme pour la première fois ? Ni l'une ni l'autre ne serait sans doute satisfaite. Chiara s'abandonna sur l'herbe et Vaillant se retira. Il se relaça mais retira sa tunique. Malgré la fraîcheur du printemps, il avait chaud et voulait encore tenir Chiara contre sa peau. A ses côtés, il s'allongea dans l'herbe et en guise de réponse, l'invita dans ses bras, contre ce cœur qu'elle avait meurtri mais qui avait cicatrisé, depuis. Il se rappela leurs ébats d'alors, et leur étreinte de retrouvailles lui parut bien sage en comparaison ; mais ils avaient encore du temps devant eux, n'est-ce pas ? Il n'avait pas encore questionné Chiara. Il n'en avait pas envie tout de suite. Il préférait leur insouciance d'Adam et Eve au jardin. Il préférait retirer les brins d'herbe des cheveux de son Eve, un à un, avec une patience surprenante, et lui chatouiller la narine avec, et rire alors qu'elle protestait.

Sur la brièveté de leur corps à corps, Chiara ne protesta pas. Mais Vaillant se sentit le besoin de se justifier, par amour ou par amour propre.
- Désolé que ce soit déjà fini, mais la paysanne était un peu trop jolie, sourit-il en caressant ses lèvres avec son brin d'herbe. Je soupçonne quelque usurpation. On a jamais vu fille de ferme pareille.
Le brin d'herbe suivit la ligne de sa mâchoire.
- Comme elle doit s'ennuyer, toute seule dans cette maison... Les nuits doivent être longues et froides.
La naissance de ses seins.
- A-t-elle seulement profité de la Cour du Gué ?

Chiara se cala contre le flanc de son amant qui l'invitait ainsi sur son coeur une fois de plus. La tête contre son épaule, elle laissa reposer une main légère et caressante sur la cicatrice qui formait son initiale et qui n'était plus qu'un mince filet rouge. Elle se demanda un instant comment il avait expliqué ça à son insipide épouse mais repoussa aussitôt cette question. Allégresse n'avait pas sa place entre eux, ni avec eux, aujourd'hui moins que tout autre jour. Qu'elle reste donc chez ses beaux-parents et leur laisse le peu de paix et d'amour qu'ils parvenaient à voler au temps et à leurs obligations respectives.

Ses jupes rabattues sur ses cuisses, elle mêla ses jambes aux siennes et leva un visage marqué par l'adoration la plus pure et le plaisir pris dans leur étreinte vers le sien. La simplicité de ce moment et la spontanéité de leurs gestes comme de leurs rires lui faisait un bien qu'elle n'aurait pas imaginé. Elle se sentait infiniment plus jeune, plus légère, plus insouciante. Le reste du monde ne pouvait pas les atteindre ici et maintenant. Le laissant promener le brin d'herbe chatouilleur sur ses lèvres et dans son cou, elle sourit encore de ses taquineries.

- La file de ferme s'ennuie toujours quand son amoureux n'est pas là, le jour comme la nuit.

Redressée sur un coude et laissant bâiller l'encolure de sa chemise sans la moindre pudeur, elle parsema quelques baisers sur le torse de Vaillant et promena un instant sa langue sur son téton avant de relever la tête pour le regarder, un sourire radieux illuminant son visage.

- La Cour des Vifesprit est certes agréable mais elle n'a pas les attraits d'un moment avec toi.

Un moment qu'il arrachait à sa nouvelle vie de famille. Les rôles lui semblaient inversés. A présent c'était elle qui était plus libre et lui qui avait des obligations plus sévères. Du moins ici, en Bauge, où elle pouvait lui appartenir pour de bon. Elle aurait voulu chasser pour toujours la jeune épouse de ses pensées mais la silhouette rousse l'obsédait et hantait son regard qu'elle détourna pour lui cacher sa jalousie. Se penchant à nouveau sur lui, elle posa les lèvres à la naissance de sa gorge et y parcourut de sa langue une artère palpitante pour repousser encore les questions qu'elle ne voulait pas aborder tout de suite.

Alangui dans l'herbe, Vaillant laissa Chiara cajoler son corps et son amour propre. C'était un plaisir pour les sens et l'ego, même s'il n'était pas dupe. Chiara n'était pas une paysanne et la Duchesse, l'épouse et la mère qu'elle était, ne pouvaient pas tant s'ennuyer de lui. Chiara léchait son cou et son orgueil, qui ne demandait qu'à jouir ; qu'à céder, n'eut été cet orgueil, précisément.
- Vile flatteuse, sourit Vaillant en roulant sur elle.
Il pesa sur son corps et lui donna un baiser mordant.

- Je me demande ce que je peux avoir de plus que la Duchesse Vifargent... oh... peut-être ça... mima-t-il en pressant ses hanches contre les siennes.
Avant que le désir ne les reprenne, Vaillant roula à nouveau, laissant Chiara reprendre sur lui ses marques de propriétaire. Il souriait, heureux de sa blague de mauvais goût, heureux de voir Chiara le surplomber avec ses seins et ses cheveux qui s'échappaient, heureux d'être là. Heureux comme un chat, ou un paon, ou un animal curieux.
- L'as-tu séduite ? Raconte-moi, dit-il, un peu plus sérieux, si sa main sous ses jupes gardait quelque malice.

Les bras autour du cou de Vaillant qui aviat roulé sur elle, Chiara éclata d'un rire léger et moqueur juste après avoir donné un baiser bref mais fiévreux à son amant. Tout semblait si facile ce jour-là ! Comme s'il avait suffi de circonstances favorables pour que leur amour s'épanouisse et qu'ils trouvent les mots pour se parler. La colère les avait quittés.

Revenue dans l'autre sens, à demi allongée sur lui, elle riait toujours mais plus doucement. Elle le laissait taquiner sa peau en remontant sous ses jupes et profitait de l'aubaine pour promener à nouveau ses lèvres sur son torse et vers son cou. Le nom écorché de la famille ducale ne la dérangeait pas. Rien ne l'atteignait vraiment dans cette parenthèse.

- La cour est très gaie mais la Duchesse est également très pieuse. J'ai écrit au Duc pour proposer une alliance commerciale entre nos Duchés. Et plutôt que de déléguer la tâche à un sous-fifre, j'ai proposé de venir moi-même afin de nouer des liens entre nos familles.

De plus, les Vifesprit avaient une fille encore très jeune mais qui ferait une bonne épouse pour Songe d'ici une dizaine d'années. Avec son deuxième enfant ainsi placé, elle serait mieux à même de gérer le Duché avec Raki et surtout de mettre en avant leur dernier né. Vérité hériterait de Rippon, elle se l'était juré.

- Figure-toi que nous nous entendons à merveille, la Duchesse et moi. Elle adore Vérité, rêve de me souffler Malice et nous échangeons mille futilités de femmes à l'heure du thé.

Sa main s'attardait sur le ventre du jeune homme, hésitant à descendre plus bas. Ce n'était pas l'envie de lui ou de le caresser qui lui faisait défaut mais elle répugnait à modifier l'atmosphère de ce moment si agréable. Or, Vaillant était jeune, plein de sève et d'impatience. Si elle mettait la main sur son attribut viril, il ne mettrait pas longtemps à mettre fin à leur conversation pour une autre activité.

Une main soutenant sa tête, l'autre caressant les fesses de Chiara, Vaillant écoutait presque attentivement ce que la Duchesse lui disait. Il était sceptique à nouveau. Avait-elle accompli tout cela en l'espace de quelques mois ? Chiara était redoutable. Vaillant se sentit un peu jaloux de son succès, et de ce nouveau cercle d'amitié et de pouvoir auquel il n'appartenait pas. Il se sentit même jaloux de cette autre Duchesse, qui avait droit aux confidences de sa femme et aux sourires de son fils.

- Je vois que tu n'es pas venue que pour moi, lâcha-t-il d'un air détaché, mais son sourire avait disparu.
Combien de temps était-elle restée à la Cour avait de l’appeler ?
- Me présenteras-tu à ta nouvelle amie ? demanda-t-il comme un défi.
Il avait joui cent fois du corps de Chiara ; jamais de ses recommandations.
- Je dois me faire une place dans le monde. Je ne serai pas toujours à Castelcerf, finit-il, désinvolte.

Vaillant avait beau avoir la faveur de la Reine, ça ne l'aidait pas, avec le Roi. Une fois sa formation d'Artiseur terminée, il y avait fort à parier que Vainqueur se ferait un plaisir de l'envoyer à l'autre bout du Royaume, loin de la vie civilisée, loin de Chiara.

Le sourire de Chiara s'effaça instantanément et une tension nouvelle prit naissance entre ses omoplates. Elle savait très bien qu'elle aurait du simplement le rassurer, passer outre sa jalousie, lui faire comprendre en douceur la vérité, mais elle était fatiguée de se justifier, surtout après avoir fait tant d'efforts dans le seul et unique but de pouvoir passer du temps avec lui.

Cessant ses caresses, elle se dégagea de son étreinte sans brusquerie mais avec fermeté. Elle roula de côté et s'assit sagement dans l'herbe où elle entreprit de remettre un peu d'ordre à sa tenue.

- Tu sais parfaitement que tout ce que j'ai fait et organisé avait pour unique objectif de te voir.

Peinée et agacée qu'il gâche ainsi le plaisir et la légèreté de leurs retrouvailles si heureuses jusque là, elle serra trop fort son corsage et se coupa le souffle un instant. Qu'importe !

- A Castelcerf, mon soutien te serait plus préjudiciable que bénéfique, vu mes relations avec Vaniteux Loinvoyant Ier du nom, poursuivit-elle, acide. Mais je m'assurerai que tu obtiennes ce que tu veux ici.

Puisqu'il semblait qu'elle doive se rendre utile en plus d'être sa maîtresse et de lui avoir donné un fils. Le constat était amer et lui donnait envie de pleurer sur sa propre naïveté. Elle s'était pourtant bien promis de ne plus refaire les mêmes erreurs.

- Comment va ta femme ? Attaqua-t-elle alors à son tour n nouant péniblement le lacet de sa robe. Est-elle déjà grosse ?

Elle ne posait ces questions que par masochisme et par rancœur, pour lui rappeler qu'elle n'était pas la seule à avoir une vie à laquelle elle devait échapper pour le retrouver, pour lui rappeler surtout qu'elle aussi avait toutes les raisons du monde d'être jalouse et mesquine.

Chiara prit la mouche, et se redressa avec un semblant de dignité. Quelques mots avaient suffi pour que la paysanne redevienne Duchesse. Vaillant l'aimait aussi, l'aimait d'abord comme cela, et contempla d'un air amusé ses furieuses tentatives pour se repoitrailler. Chiara lui promettait son aide, et le Baugien était satisfait, même s'il eut espéré un peu plus de curiosité, voire d'espoir que son avenir d'Artiseur le mène en Rippon, même s'ils savaient tous les deux que cela serait trop dangereux. Vaillant dût se contenter de sa jalousie, qui flattait aussi son ego, mais qui au fond, le peinait. Le Baugien n'en montra rien alors qu'à son tour il se rasseyait. Il ne pensait qu'à la peine qu'aurait peut-être Chiara quand il lui dirait la vérité. Devait-il mentir pour préserver leur soleil ?

Joueur, le jeune homme attira d'une main la Duchesse par la taille, et de l'autre, batailla avec ses doigts nerveux pour venir, dans son corsage, délacer son travail. Ses lèvres étaient à son cou et à son oreille, il répondit :
- Oui.
Chiara le savait-elle déjà, ou avait-elle respecté sa promesse de ne plus l'espionner ? La grossesse d'Allégresse était jeune, les époux ne l'avaient pas encore annoncée.
Vaillant soutenait le regard de Chiara, avec sincérité, mais non sans difficultés : il avait presque honte, c'était un comble ! honte devant sa maîtresse d'avoir engrossé sa légitime ! Pourtant il y avait droit, et c'était précisément la raison pour laquelle il s'était marié.

Vaillant ne laissa ni le corps ni les yeux de la Duchesse s'échapper.
- Pourtant je suis ici. Avec toi, souligna-t-il pour prouver à Chiara qu'elle restait la première, à défaut de la seule.
Il aurait pu lui dire qu'il avait pensé à elle pendant sa nuit de noces, mais ça n'était pas vrai, même si les pensées obscènes qu'ils avaient caressées jadis lui avaient gâché le banquet. Vaillant tira sur la mèche de cheveux de Chiara, et se retint de l'embrasser, fuite en avant que la Duchesse repousserait peut-être. Si elle le repoussait, il ne le tolérerait pas. Il passa ses doigts dans les lacets de son corsage, tirant son buste vers lui.
- S'il te plaît sois heureuse pour moi, murmura-t-il à ses lèvres sans trop oser y croire, entre supplique et commandement.

Attirée contre Vaillant, une deuxième main défaisant le travail de ses doigts fébriles et maladroits, Chiara se tortilla un instant pour lui échapper puis se figea instantanément devant la réponse à sa douloureuse question. Elle avait senti bien plus qu'entendu sa réponse et s'était aussitôt pétrifiée, saisie la souffrance qui étreignait violemment son coeur. Le souffle coupé, elle le contemplait en s'efforçant de rester calme, de ne pas afficher un air effaré ou choqué. Il la forçait à garder ses yeux dans les siens, son corps près du sien, son coeur battant contre le sien. il la forçait à accepter de vivre ce qu'elle lui avait fait vivre à lui aussi, ou une sorte d'équivalence tout aussi douloureuse.

Il tira encore sur son corsage, refermant inexorablement le piège sur elle, et elle sentit qu'elle perdait pied. Incapable de rien lui refuser, incapable de lui résister en quoi que ce soit, elle ravala sa peine et ses blessures, la conscience aiguë de son âge qui s'était éveillée, le douleur de savoir que leur fils se croirait toujours celui de Raki. Elle refoula tout et sourit bravement en refermant ses bras autour de son cou pour lui donner un baiser qu'elle espérait salvateur. Celui qu'il s'était refusé à prendre, celui qui scellait leur accord. Légèrement haletante, elle se détacha de ses lèvres pour appuyer son front contre le sien. Son sourire tremblait un peu mais elle ne faillirait pas. La dernière chose qu'elle voulait était de lui faire de la peine.

- Je suis heureuse pour toi, articula-t-elle d'une voix très basse. Je t'aime. Je veux ton bonheur. Même s'il est avec une autre. Et tu mérites d'avoir une belle et grande famille.

Légitime, cela allait sans dire. C'était douloureux mais chaque mot était plus assuré que le précédent. Elle voulait se montrer brave pour lui, qu'il soit fière de sa fière duchesse, qu'il l'aime encore avec la même légèreté et la même profondeur, qu'il la prenne encore. Par Eda, la pensée d'avoir un enfant pour surpasser sa rivale l'avait traversée et elle était hideuse mais elle ne pouvait pas s'empêcher de désirer être la première dans le coeur de Vaillant.

Vaillant accueillit avec bonheur les lèvres et l'acceptation de Chiara. Même si ses mots n'étaient pas sincères, l'intention, elle, l'était, et la Duchesse montrait une grande force en les prononçant. Vaillant ignorait s'il serait capable de se comporter pareillement. Depuis le début, il subissait l'époux et les enfants de Chiara, mais il s'efforçait de ne pas y penser. Les enfants ne le gênaient que parce qu'ils étaient le fruit de coucheries dont l'imagination le blessait. Raki et Chiara s'aimaient, la Duchesse avait été claire avec lui depuis le début, et au début, peu lui importait cette adultère ; mais avec le temps, il semblait à Vaillant que c'était le Duc l'adultère, et que lui était dans son bon droit. Epouser Allégresse l'avait aidé à comprendre la situation de Chiara, même s'il n'éprouvait pas pour son épouse le même attachement romantique que les époux Lunabille, plutôt une sorte de tendresse et d'affection qu'on éprouverait pour une jeune soeur un peu immature - la chair en plus, car le corps d'Allégresse ne lui déplaisait pas, bien que soit absente la tension sexuelle qui régnait avec Chiara. Chiara régnait sur son corps et son coeur, et Vaillant voulait la rassurer à ce sujet. Il lui avait promis que son mariage ne changerait rien, et cela se vérifiait. Il ne se sentait même pas coupable d'avoir renversée la Duchesse sur l'herbe, peut-être parce qu'avant même ses noces, il savait qu'il la retrouverait, il savait qu'à elle, il serait fidèle. Parce qu'il n'avait pas le choix ou plutôt, parce qu'il ne voulait pas renoncer à ces états extrêmes dans lesquels Chiara le mettait. N'était-ce pas cela que vivre ?

- Je suis ici, répéta-t-il, mon bonheur n'est nulle part ailleurs.
Pas avec une autre, pas avec une ribambelle de gosses. Deux ou trois lui suffiraient amplement, sans compter Vérité qui ne serait jamais sien. D'Allégresse, Vaillant attendait un autre fils, pour transmettre son nom, même s'il n'était pas héritier. De Chiara, il avait rêvé une petite fille rousse, mais elle n'était pas née, et c'était tant mieux sans doute. Le Baugien était revenu de cette lubie possessive ; peut-être le mariage le mûrissait-il ? Vaillant ne paraissait pas plus mature, la tête perdue dans ses fantasmagories, les doigts perdus dans le corsage de Chiara tandis qu'il murmurait :
- Il est ici et nous allons en profiter. Je vais te faire l'amour dans chacune des pièces de cette maison et nous allons boire du vin et nous allons paresser dans ce jardin. J'emmènerai ma paysanne dans les rues de Gué de Négoce, ma Duchesse m'emmènera à la Cour du Gué, nous ferons les moineaux et les paons, et nous irons voir la gloire et le sang aux Arènes de combat...
En moineaux ou en paons ? Chiara pourrait sans doute leur avoir d'excellentes places, mais ils seraient peut-être mieux avec les gueux, à crier et à s'embrasser. Assis dans l'herbe, Vaillant se délectait de toutes ces jouissances à venir, écartant les vraies questions : combien de temps auraient-ils ? Vérité les rejoindrait-il ? Son fils ne trouvait guère sa place dans ces plans, pourtant Vaillant avait de la curiosité à son sujet, voire de l'envie. Maintenant qu'il allait être père pour de vrai, il lui semblait qu'il pouvait l'aimer sans trop souffrir.

Le sourire de Chiara s'affermit, s'élargit, et s'adoucit également. Les doigts d'une main mêlés aux beaux cheveux dorés de son amant, elle l'embrassa encore, plus fiévreusement, plus langoureusement, marquant son plaisir et son accord pour tout ce qu'il proposait, pour tout ce qu'il voulait. ils allaient jouir de chaque instant qui leur était accordé ensemble, elle le lui jurait autant qu'il lui en faisait le serment.

Elle était pressée soudain, elle avait besoin de lui. Sa main libre glissa entre eux pour presser son sexe à travers l'étoffe de ses chausses. Voulait-elle sceller leur accord, leur réconciliation ? Voulait-elle faire un enfant rival de celui que portait sa femme légitime ? Voulait-elle seulement l'aimer encore comme elle savait le faire et comme elle savait qu'il comprenait ? À cet instant, elle aurait été bien incapable d'expliquer ses raisons mais elle était certaine de ne pas pouvoir se passer de lui. Jamais.

- Mon bonheur est avec toi, mon amour, souffla-t-elle entre deux baisers fébriles, gémissant déjà de le sentir durcir sous ses doigts. Avec toi et notre fils.

Qu'importent Allégresse et Raki. Qu'importe le reste du monde. Vaillant seul éveillait ces choses en elle, cette passion inextinguible, cette brûlure impossible à calmer.

- Nous avons du temps pour nous, nous pouvons être ensemble, murmura-t-elle encore avec ferveur. Profitons-en...

Ses jupes retroussées, elle était à califourchon sur lui, sans la moindre pudeur. Qu'il la prenne donc ainsi puisqu'ils s'aimaient tant qu'ils ne pouvaient pas atteindre le lit. De toute façon, ils allaient recommencer des dizaines de fois et partout dans leur maison, juste comme il avait dit. Perdant la tête, elle voulait également se perdre dans le plaisir qu'ils prenaient ensemble. Plutôt que de faire à nouveau l'amour comme des amants pressés, toutefois, elle voulait prendre le temps cette fois. Elle se redressa pour défaire à nouveau son corsage, baisser sa chemise et libérer ses seins, puis se pencha sur Vaillant pour libérer son sexe et le caresser, de ses mains autant que de sa bouche avide.

Leur deuxième étreinte fut plus douce et mesurée que la première. N'en allait-il pas toujours ainsi entre eux, à chacune de leurs rencontres ? Pourtant, elle sentait parfois que les choses étaient un peu trop réfléchies, presque empruntées. Elle s'en voulut de cette pensée peu charitable et prit le temps après qu'ils aient partagé leur plaisir, de rester allongée sur lui. Les jambes repliées de chaque côté de ses hanches, elle le sentait s'apaiser, s'amollir, la quitter progressivement, mais elle ne bougeait pas, profitant de ces moments de calme après la tempête des sens. D'autant qu'une part inavouable d'elle espérait toujours qu'il lui donnerait à nouveau un enfant.

- Dis-moi si ça te convient : ce soir et cette nuit, nous restons ensemble, juste nous. Demain, Malice nous amènera notre fils et nous irons nous promener en ville. Il y a sûrement un marché et des divertissements que tu pourrais nous montrer ? Ensuite, tout ce que tu voudras...

L'oreille contre son coeur, elle en écoutait les battements avec bonheur. Il lui semblait que c'était la première fois qu'ils pouvaient réellement profiter du temps qui leur était imparti, la première fois qu'ils avaient une véritable relation et pas seulement une aventure sensuelle et enivrante. Ici, elle n'était pas seulement la duchesse que Vaillant était fier de culbuter. Du moins était-ce l'impression qu'elle avait quand il ne réclamait pas son appui politique. Promenant ses doigts près de son visage sur le torse de son amant, elle effleura la cicatrice qui formait son initiale et se demanda un instant comment avait réagi sa femme devant le petit croissant rosé. Que lui avait-il dit ? Blessure de guerre ou de tournoi, peut-être ?

Comble pour un Artiseur, Vaillant ne soupçonna pas les réserves de Chiara. A nouveau il prit son plaisir, du moment où il entra en elle pour la première fois à celui où il la contempla, au repos sur lui. C'était si agréable de la voir toute nue à la lumière du soleil. Les couleurs - rousses, vertes, or - étaient presque aussi violentes que l'orgasme, donnant à la scène un aspect irréel. Il y avait vraiment quelque chose d'irréel à la situation dans laquelle ils se trouvaient, comme un fantasme devenu réalité, le fantasme de cette famille qu'ils n'étaient pas et ne seraient jamais. Vaillant ne savait pas encore s'il voulait y adhérer. Les imaginer tous les trois, vivre ici, avait quelque chose d'un peu ridicule et de très séduisant à la fois. Le jeune homme était partagé, comme il l'était à propos de Vérité. Une part de lui voulait apprendre à connaître son fils ; l'autre voulait continuer à jouir sans entraves du corps de sa mère.

- A vos ordres, sourit-il, les yeux encore à demi-fermés.
Il laissait Chiara décider pour tout. C'était elle qui avait tout organisé. Il lui faisait confiance. Vaillant passa ses doigts dans ses cheveux tandis qu'elle caressait la cicatrice qu'elle lui avait laissée. Il lui avait demandé de le marquer, et aujourd'hui il regrettait ces démesures passées. Il regrettait la tristesse dans les yeux d'Allégresse lorsqu'il lui avait menti à ce sujet. Il regrettait ce second enfant qu'il avait voulu donner à la Duchesse. Réalisant que Chiara demeurait sur lui, Vaillant la fit doucement basculer sur le côté. Il ne pensait jamais à se retirer, et s'il avait été un peu moins oublieux, peut-être n'auraient-ils pas eu Vérité. Regrettait-il aussi Vérité ? Où seraient-ils aujourd'hui, sans l'enfant ? Chiara n'aurait pas eu besoin de le quitter, mais il était probable que le destin, ou le Duc, les aurait séparés.

- Qui lui diras-tu que je suis ? demanda Vaillant, devenu pensif.
Bien sûr, pas la vérité. Dès qu'il avait appris sa grossesse, le Baugien avait fait promettre à la Duchesse que l'enfant resterait dans l'ignorance de sa bâtardise. Qui serait-il, alors ? Un ami ? Un ami avec lequel Chiara vivrait plusieurs jours - il l'espérait ? Il y avait quelque chose de désespérant à songer que leur propre enfant pouvait devenir un témoin gênant. Que dirait Vérité une fois revenu à Gardebaie ? Parlait-il seulement ? Vaillant n'avait aucune idée de ce dont était capable un enfant de cet âge, il ignorait même la date de naissance exacte de Vérité - il n'avait jamais voulu se renseigner. Le Baugien était d'une ignorance crasse : il en prenait conscience et tout lui sembla soudain voué à la catastrophe. Et si tout ce fantasme était une très mauvaise idée ? Et s'il était incapable d'être époux, d'être père, ou même un ami de bonne compagnie ?

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