Acuité regarda le coussin s'écraser au sol. Elle sursauta aux mot prononcés subitement par Vaillant. Ils trahissaient la colère mesuré et la frustration que le jeune homme ressentait et elle pria intérieurement pour qu'il ne s'en prenne pas à elle.
Comme pour se donner du courage,elle fit un nouveau pas pour s'éloigner de lui. Oui, elle pouvait le faire. Regagner sa chambre et se recoucher aux côtés de son époux, lui raconter peut-être ce qu'il s'était passé. Non, Brun s'en moquerait ou ne comprendrait pas.
Ce qui se passait via l'Art n'appartenait qu'à l'Art.

Ce qu'elle redoutait arriva pourtant et Vaillant lui reprocha d'être injuste. Il retourna sa colère contre elle et se plaignit encore, avant de se remettre à pleurer.
Interloquée, elle le regarda un moment en silence. Un long moment.

- Tu es insupportable...se surprit-elle à murmurer.

Si elle connaissait ses secrets, c'était uniquement parce qu'il lui avait laissé l'opportunité de les découvrir sans même avoir souhaité le faire. Vaillant s'était ouvert, il avait accordé à la magie de le fuir avec son secret le plus cher. De cela il ne pouvait rien lui reprocher. Seule sa personne était fautive, du moins son esprit.

- Amis...répéta-t-elle. Est-ce qu'un ami t'aurait humilié devant la Reine et devant tout le Clan d'Art ? Est-ce qu'un ami aurait insulté ton mariage ? Est-ce qu'un ami t'aurait menacé ?

Le silence reprit sa place à nouveau tandis qu'Acuité toisait Vaillant toujours allongé sur son sofa.

- Si tu cherches un ami je peux faire revenir Taebryn pour toi. Mais ne me demande plus jamais d'être ton amie. Pas après ce que tu m'as fait, pas après ce que tu m'as dit.

Ses mains serraient sur elle son peignoir et tremblante de colère et de peine, elle se dirigea vers la sortie.

Quand Vaillant rouvrit les yeux entre ses larmes, Acuité s'était éloignée. Elle lui assena des mots injustes et définitifs. Vaillant secoua la tête comme un enfant blond et obstiné. Ça n'était pas vrai ! Ça ne s'était pas du tout passé comme ça ! Acuité déformait la réalité, profitant que dans sa faiblesse d'esprit, il ne puisse pas répliquer. Il n'avait fait tout ça que pour se venger et surtout, pour se protéger. Qu'était-ce qu'une pique à côté de la menace que sur lui, Chiara et Vérité, Acuité avait fait planer ? Comment pouvait-elle comparer son orgueil écorné avec un tel danger ? Elle avait tout gâché.

S'il avait été à jeun, Vaillant aurait pu rétorquer qu'une amie ne vous faisait pas croire à sa mort quand vous aviez tout fait pour la sauver ; qu'une amie ne vous humiliait pas devant tout le gratin des Duchés ; qu'une amie surtout, ne menaçait pas de détruire votre vie et celle de votre famille. Mais le Baugien était trop soûl pour mettre de l'ordre dans ses idées, encore moins dans ses mots. Ne lui restait que la sensation diffuse de l'injustice et de la cruauté d'Acuité.
- C'est toi qui a commencé, protesta-t-il, les bras croisés sur son coussin fantôme et son cœur meurtri.
Une nouvelle fois, une dernière fois, la petite Duchesse lui refusait son amitié. Elle allait partir et le laisser tout seul avec son malheur. Retourner auprès de celui qui ne l'aimait pas. Lui faisait-elle des secrets, à lui aussi ? Lui raconterait-elle qu'on les avait surpris ?

- De toute façon, je sais déjà tout, renonça Vaillant en se couchant en chien de fusil.
Entre ce qu'il devinait et ce qu'Acuité, malgré tout, lui avait dit, il n'avait plus qu'à assembler les pièces. Vaillant le ferait le lendemain, à tête reposée. Et bientôt, il serait assez fort pour tout savoir par l'Art. Mais peut-être qu'il ne s'en donnerait pas la peine, puisque la petite Duchesse ne voulait pas de lui. Il serait bien trop occupé à se marier et à trouver un moyen pour que Chiara accepte de lui pardonner. La Duchesse l'avait marqué pour l'éternité, sur ce cœur qui battait au rythme désordonné de l'ivresse.

Acuité s'arrêta net aux paroles menaçantes de Vaillant. C'était impossible qu'il sache quoique ce soit. Il bluffait c'était évident. Pourtant, une part d'elle-même tressaillit.
Elle se retourna et le toisa.

- Il n'y a rien à savoir et je n'ai rien commencé du tout. C'est toi qui a laissé filtrer tes secrets à travers l'Art. Tu devrais t'estimer heureux que je fus alors la première à m'en rendre compte et que je sois venu te prévenir. Tout autre que moi n'aurait pas hésité à te faire chanter depuis des années en échange du silence. J'ai toujours gardé pour moi ce que je savais sans rien te réclamer en retour. N'est-ce pas suffisant ? Pour moi ça l'est.

Et sur ses mots, elle franchit l'espace qui la séparait de l'embrasure de la porte et quitta la pièce.
Elle ne douta pas une seule seconde que Vaillant aurait tout oublié dès le lendemain. Son état tout du moins laissait présager d'une amnésie. C'était bien fait pour lui.