La nouvelle les avait surpris et l'humiliation les avait brûlés. Bhaal avait fait appeler des esclaves dans sa chambre, et celles-ci avaient dû échouer à le divertir au vu de l'état de leur cadavre le lendemain - à moins que cela n'ait justement été le divertissement recherché.

Shyrin Cardia allait épouser le Roi des Duchés. Le mariage était prévu pour l'été, exactement un an après les fiançailles de la traîtresse avec Bhaal. Le Clan Fanel voyait s'évanouir ses rêves de pouvoir. Du moins par voie d'alliance, car plus que jamais le Guerrier de la Nation était contesté. On reprochait à Hobes Cardia d'avoir mal négocié les conditions de la paix voire de s'être assujetti à l'ennemi. Un père tremblant pour sa fille, quel chef de guerre était-ce là ? Mais personne n'avait encore osé le défier au combat.

Une fois sa colère passée, Bhaal s'était entretenu avec Luve des suites à donner. Ou plutôt il avait donné des ordres. Luve s'était inclinée parce que telle était sa place, et parce qu'elle brûlait aussi de se venger de l'ennemi et plus précisément de la putassière petite princesse. L'inactivité lui pesait depuis la fin de la guerre, unilatéralement déclarée. La guérilla plaisait à Luve, même si elle n'avait pas retrouvé cet élan meurtrier qu'elle avait dans la jungle, avant que la flèche ne lui traverse l'épaule. Ses muscles n'avaient pas recouvré toute leur mobilité et l'ordre d'Art était comme un insecte dans son esprit.

Depuis, elle avait maintes fois tué pour se prouver qu'elle en était encore capable. Oh oui. Elle en était encore capable et s'était fait une spécialité d'arracher des aveux aux rares prisonniers qu'ils attrapaient. Bhaal n'était pas doué pour ça, il se laissait entraîner par ses pulsions. Elle, gardait la tête froide. Les résultats obtenus étaient maigres : elle avait beau être douée pour les faire chanter, les captifs n'avaient rien à dire. C'étaient des oiseaux sans couleur. Elle ne prenait pas plaisir à leur briser les ailes, mais à briser leur volonté, si, elle sentait qu'alors, ils lui appartenaient. Même si on ne pourrait jamais pleinement faire confiance aux ennemis qu'ils étaient et aux esclaves qu'ils devenaient ensuite. On ne les mettait pas à la maison des maîtres, mais aux champs ou à l'industrie.

Cheval avait été mis aux forges, parce qu'avec sa jambe brisée, il n'était plus bon aux champs, mais qu'il aurait été dommage de gaspiller la belle carrure qu'il avait encore quelques mois auparavant, avant que la chaleur et les privations ne lui brûlent les chairs aussi bien que la joue.

Cheval, ainsi qu'elle avait nommé le prisonnier, était pour Luve un objet de curiosité. Son comportement était anormal, on ne lui avait signalé dès le début de sa captivité. Il semblait avoir un amour démesuré pour sa monture. Plus que de l'amour. Une sorte de connexion - et pas qu'avec son cheval, car il avait osé la toucher avant qu'elle le batte comme plâtre. Luve s'était sentie vulnérable, comme avec l'Art, était-ce de l'Art ? Elle avait fait des expériences pour en avoir le cœur net. Elle avait observé Cheval alors qu'on retirait les pointes du poitrail de l'animal. Elle l'avait observé quand on avait marqué sa croupe au fer rouge, et inversement elle avait observé l'animal quand on avait marqué son maître au bras, plutôt qu'au visage, parce qu'il était des Duchés. La douleur était réciproque. Ces deux-là communiquaient d'une manière qui était à la fois étrange et familière.

Une fois, elle l'avait menacé de tuer le cheval, et il avait rampé devant elle. Si elle avait su avant, ils n'auraient nul eu besoin du fouet pour lui faire avouer son nom, le nom de sa mère, de son père, de son frère, de sa sœur, de son fief ridicule. Pourtant, elle ne l'avait jamais interrogé sur la nature de ce lien magique. Elle ne voulait attendre nulle vérité intime de lui. C'était un esclave et un ennemi, un cafard sous sa botte. Pourtant elle garda le cheval. Le cheval qu'elle avait pris plaisir à plier sous sa volonté, et qui ne valait plus rien. Une dépense inutile de grain.

Désormais, Cheval faisait partie de leur plan. Il connaissait les Duchés, leur langue, leurs manières, et il n'était pas trop abîmé. Et surtout, les Fanel avaient une garantie de sa fidélité. C'est elle qui avait suggéré cette idée, et Bhaal n'y avait rien trouvé à redire.

Luve le fit amener, déshabiller, laver, rhabiller, gaver et coucher. Le lendemain, à l'aube, elle ouvrit d'un coup de pied la porte du réduit exigu où il avait son couchage - luxe de la maison des maîtres, en comparaison des baraquements où les esclaves dormaient tête bêche avec leur vermine.
- Debout. Va seller nos chevaux. Dépêche-toi.
Et elle tourna les talons, laissant l'esclave en compagnie du soldat qui l'escorta aux écuries.

Aux écuries, quatre coursiers l'attendaient. Un jeune homme - fin, bien portant, armé - sellait déjà l'un d'eux. Le soldat se contenta de regarder Cheval faire le reste du travail : harnacher les bêtes déjà pansées, porter les lourdes fontes. Des fontes de voyage.

Luve revint, les cheveux serrés et le visage fermé comme d'ordinaire. Sur ses habits de voyage, nulle trace des couleurs Fanel. Elle arracha la bride du cheval noir des mains de l'esclave et murmura :
- Nous partons dans ton pays et tu vas nous guider jusque là-bas. Au moindre faux pas, au moindre mot de trop, tu meurs - et ta bête meurt aussi. Si dans un mois je n'écris pas à mon frère que nous sommes arrivés à bon port, elle sera pâture pour nos chiens, compris ?
Question rhétorique. Depuis quand les esclaves avaient-ils voix au chapitre ?

- Tu as deux minutes pour faire tes adieux, dit-elle, et elle ne lui montra pas le box de Fol-Oeil, car bien que n'ayant jamais mis les pieds dans l'écurie, Cheval l'avait très certainement senti.

Pensif, Fidèle caressait machinalement son menton, là où aurait dû se trouver la barbe qui, jusqu’à peu, lui mangeait les joues. On la lui avait rasé après le bain : elle était pleine de poux et hirsute de toute façon. L’esclave s’était senti comme un étalon que l’on menait à vendre. Mais sans doute que dans son cas un cheval de bonne race possédait plus de valeur qu’un esclave boiteux et vieillissant. Il n’avait pu s’empêcher de contempler son reflet dans l’eau limpide de la cuvette : il ne s’était pas reconnu. Au moins la barbe lui avait empêché de remarquer l’étendue des dégâts et sa maigreur. Pâle, émacié et le regard grave, c’était un inconnu qu’il voyait. Enfin, toutes choses considérées, Fidèle avait tout de même apprécié cette toilette en règle. Il se sentait presque humain de nouveau.

Grognant tout bas, il se tournait et retournait sur sa paillasse dure. Pourtant cette chaleur bienvenue dans l’estomac qu’il n’avait plus sentie depuis des mois aurait dû l’aider à s’endormir sans heurt. Mais l’idée de prendre la route des Cinq-Duchés le lendemain lui faisait battre le coeur un peu trop vite. C’était une excitation et une idée douce-amère... Certes, il prendrait la route demain. Mais il restait attaché au domaine Fanel et ses maîtres sadiques plus efficacement qu’avec une chaîne autour du cou. Et la maîtresse. Il allait devoir vivre avec Luve Fanel à ses côtés pendant de longues, trop longues semaines. D’un autre côté il avait beau craindre et détester la petite brune autoritaire au visage balafré, il la préférait mille fois au frère aîné. A peine son Vif aux aguets sentait la présence du maître des lieux que Fidèle cherchait à s’éclipser, à se dissimuler dans un coin ou à se faire tout petit Pourtant Bhaal ne s’était pas tant intéressé à son cas. Mais ce qu’il avait pu sentir de lui à travers du Vif l’avait fait frémir. Ce plaisir malsain à voir la souffrance des autres, cette excitation presque sexuelle à torturer... Au moins la Molosse, comme il appelait la maîtresse dans sa tête, ne semblait faire que son « travail » quand elle faisait du mal. Ce qu’il sentait c’était frustration et colère quand elle punissait. De là à dire que le nobliau l’appréciait, il y avait un pas. Ou plutôt un gouffre.

Soupirant, il changea de nouveau de position sur sa couche, son esprit songeant de nouveau au Val. Une pensée agacée l’atteint soudain « Dors Chasseur, tu tournes et tournes comme un poulain en longe et tu m’empêche de me reposer ! » Fol-Oeil était frustré et tapait du sabot contre la porte de sa stalle au loin. Fidèle avait été soulagé que les Fanel ait conservé l’alezan. Mais il devait bien avouer qu’il n’aurait jamais cru que ça se retournerait un jour contre lui. Sur cette pensée il finit par sombrer dans un sommeil lourd.

La porte valsant dans la chambranle fut ce qui le réveilla en sursaut. La tête de la Molosse au saut du lit il aurait pu s’en passer également. Clignant des yeux il s’empressa d’enfiler la tunique et les bottes que lui avait donné hier la Fanel, évitant tout contact visuel. C’était plus sûr. Quand il osa les relever la jeune femme était déjà au moins vingt mètres en avant et ce fut un soldat qui lui ordonna sèchement  de se dépêcher. Boitillant aussi vite qu’il le pouvait, Fidèle prit la direction des écuries. Silencieux (il avait fini par apprendre que c’était plus sage), il s’attela à sa tâche, sellant les bêtes avec une expertise certaine, palpant également leurs jambes à la recherche d’une irrégularité, vérifiant sabots et fers. L’odeur de l’endroit, le contact des chevaux, l’apaisaient et ça se voyait à son visage détendu. Même sa démarche semblait plus fluide malgré le poids des lourdes fontes qu’il se voyait obligé de traîner. Celui qui n’était pas détendu était sans aucun doute Fol-Oeil à l’autre bout des écuries qui dansait presque sur place à sentir son compagnon si près de lui. « Contrôle-toi » souffla Fidèle, inquiet que l’alezan attire une attention malveillante.

Fol-Oeil était jeune. Même pas cinq ans. Il était fougueux et confiant en sa force. Ca avait d’ailleurs déteint sur Fidèle qui au début de sa captivité avait joué les fortes têtes face à Luve, et ce malgré le fouet, malgré les ongles arrachés et malgré les coups.
Ce n’était plus le cas maintenant et lorsque la chalcédienne fit son entrée il baissa sagement la tête, s'appliquant à ce que son Vif n’émette rien d’autre que soumission. Fidèle le savait, la Molosse aimait sentir sa soumission. Elle aimait le contrôle. Il lui jeta un rapide coup d’oeil lorsqu’elle lui prit les rênes des mains et frémit à son murmure menaçant.

-C’est compris... Maîtresse, s’empressa-t-il de répondre essayant de disssimuler l’éclat haineux qui avait fugitivement brillé dans son regard à la mention du sort de Fol-Oeil s’il trahissait. Hésitant, il finit par rajouter. Je sais que je ne m’appartiens plus.

Le savoir était une chose. Le dire à haute voix était une autre. L’amertume l’envahit comme une vague huileuse. Mais ce que rajouta Luve après lui fit relever la tête avec brusquerie. Dire au revoir ? Elle allait le laisser voir son compagnon ? Fidèle n’aurait jamais pensé que ce serait le cas. Et bien malgré lui, il se sentit reconnaissant. Reconnaissant bordel ! Par El, ce qu’il pouvait se détester pour ces accès de bon petit chien de compagnie qui devenaient de plus en plus fréquents ! Il s’inclina poliment en réponse et s’empressa de prendre la direction du box de son cheval, avant que la Fanel ne change d’avis.

Fol-Oeil hennissa à son approche, les oreilles dressées et l’oeil brillant. Objectivement, c’était un jeune étalon magnifique. Un mètre soixante-dix au garot, une longue crinière brillante, une musculature forte... L’un des meilleurs exemplaires à être jamais sorti du Val. Mais pour Fidèle il était plus que ça. Le cheval se calma, se tendant vers lui « Tu pars. Et tu me laisses ici.». La voix était accusatrice. « Tu sais que je n’ai pas le choix... » répondit l’humain. « Pourquoi ?» renacla Fol-Oeil dans son esprit « Monte sur mon dos et on fuira d’ici. Tu es devenu plus obéissant que n’importe quel cheval, je ne te reconnais plus Chasseur ! » L’alezan accompagne ce mouvement d’humeur avec un coup de l’antérieur contre la porte en bois qui le retenait. L’obligation était un concept dur à comprendre pour son esprit chevalin. Soupirant, Fidèle lui envoya une image mentale de la Molosse « Elle te fera du mal si je ne m’en vais pas. » « Mauvaise, mauvaise ! » s’exclamal’étalon, couchant les oreilles en arrière, se souvenant avec effroi de la fois où elle était montée sur son dos et de toutes les douleurs qu’elle avait infligé à son compagnon. Renâclant, il finit par admettre « Parfois il est plus sage d’obéir. » Et pourtant le nobliau pouvait sentir la déception de son compagnon à le voir si docile.  Fidèle soupira. Ce n’était pas les adieux qu’il aurait souhaité. Il caressa doucement l’encolure de Fol-Oeil et s’éloigna, semblant soudainement porter tout le poids du monde sur les épaules, les yeux preque brillants.

Quand il revint où il avait laissé sa propriétaire, tous étaient déjà en selle. Le brun s’empressa donc de les imiter grondant doucement à la douleur qui vrilla sa jambe gauche quand il la plia pour la mettre dans l’étrier. Ce fut avec une maladresse frustrante qu’il se hissa sur la monture baie qu’on lui avait donné. En temps normal il aurait laissé son Vif allait à son encontre, mais en vérité il n’était pas d’humeur.

Il se retournait fréquemment alors qu’ils s’éloignaient de ce qui avait été sa prison depuis la fin de la guerre. Il regardait ce domaine rempli de mauvais souvenirs devenir de plus en plus petit. Soupirant, il se retourna vers la Molosse. Il savait qu’il pourrait lui en coûter de lui adresser la parole sans qu’elle ne le lui ordonne, mais il devait savoir.

-Maîtresse ? Ce mot continuait à lui écorcher la bouche et bien malgré lui il le prononça avec une pointe d’emphase qui pourrait passer pour de l’impertinence. Comment comptez-vous passer la frontière ? Vu les conflits elle doit être bien gardée. Il se doutait qu’il allait sans doute devoir jouer un rôle là-dedans.

L'esclave boita fébrilement vers le box. Les deux autres hommes ne comprenaient pas. Pour les autres, Cheval était simplet ou pervers. Le laxisme de Luve était-il complaisance à leurs yeux ? Bah ! peu importe ce qu'ils pensaient. Elle ne faisait pas dans le sentiment. Elle voulait juste que Cheval prenne la pleine mesure, après des mois de séparation d'avec sa bête, de ce qu'il allait perdre s'il trahissait.

Elle avait pensé qu'il ferait durer ces adieux et leur joie suintante. Mais non : il revint au bout des deux minutes avec la queue basse et l’œil humide. Tant mieux. C'était plus qu'elle n'en pouvait supporter.

Bon dernier, Cheval enfourcha sa monture avec un grognement pathétique. Il était peut-être plus abîmé qu'elle ne l'avait pensé. Il faudrait bien qu'il suive ! Il se requinquerait en route, mais elle veillerait à ce qu'il ne se requinque pas trop, et ne tisse pas de nouvelles alliances. Elle fit signe aux deux autres de sortir et murmura entre ses dents :
- Tu restes loin des chevaux.
Façon de parler bien sûr, car ils allaient chevaucher des lieues. Elle était sûre qu'il comprendrait.

Bien que vigoureuses, les bêtes n'avaient pas le panache de son alezan. Pour Luve, elles n'étaient qu'un moyen de locomotion jusqu'à leur but. Elle enfonça ses talons dans le flanc du noiraud et rattrapa les autres, non sans avoir vérifié que Cheval suivait.

Bientôt le domaine Fanel - ses champs, ses baraquements, ses villas - s'effaçait derrière eux dans une aurore magnifique. Mais le cœur de Luve était un nuage noir. Bhaal n'avait même pas pris la peine de se lever pour la saluer, et le Chien était en vadrouille, ignorant de son départ. Elle lui aurait volontiers gratté l'échine une dernière fois. Contrairement à Cheval, Luve ne se retourna pas. Elle restait fermée sur elle-même, par crainte de ce que l'esclave pourrait percevoir. Si fermée qu'elle mit quelques secondes à réaliser que - audace improbable - il lui parlait.

Mettant cette latence à profit, le soldat s'esclaffa.
- Comme si les bouseux des Duchés nous avaient jamais empêchés de passer !
Ils eurent un sourire de connivence. La quarantaine solide, Mark avait depuis de longues années pillé la frontière des Duchés. Il avait violé plus d'épouses de Rippon que Cheval n'avait embrassé de jouvencelles. Il n'avait plus à faire ses preuves et connaissait la zone frontalière comme sa poche. Ils n'auraient pas besoin de Cheval avant d'avoir vraiment pénétré dans les terres des Duchés.

- Nous sommes chez nous ici, approuva Luve. Nous sommes chez nous partout où il nous plait d'aller. Souviens t'en et cesse de m'appeler maîtresse. Je m'appelle Alisel et je suis muette. Les méchants Chalcédiens m'ont coupé la langue et le visage, dit-elle.
Mark s'esclaffa à nouveau. Luve souriait. Il était difficile de savoir si elle était sérieuse ou si elle se moquait du soldaillon des Duchés.

Pour la suite:

Molosse. Il existait plus d’une raison pour laquelle Fidèle surnommait ainsi la capitaine des armées chalcédiennes. Et ça allait bien plus loin que l’évidence qu’elle était liée à un chien. Courte sur pattes, trapue, musclée, l’air au mieux renfrogné, au pire énervé, la Fanel avait tout de ces chiens utilisés dans des combats d’arènes. Et puis en plus, l’esclave était bien placé pour savoir que quand la jeune femme pensait tenir quelque chose, elle ne lâchait pas. Il fallait l’avouer, le Vifard avait été surpris que Luve Fanel lui laisse dire au revoir à son cheval. Peut-être bien que ce qu’il avait pris pour de la compassion était en réalité une nouvelle torture élaborée ? L’ordre qu’elle lui avait donné avant de sortir des écuries lui trottait dans la tête... Ne pas s’approcher des chevaux.

Croyait-elle qu’il pouvait asseoir sa volonté sur n’importe quel animal ? Ce n’était pas ainsi que le Vif fonctionnait, Fidèle pouvait au mieux sentir leurs émotions s’il faisait un effort et essayer de leur communiquer les siennes, mais il ne pouvait pas avoir le même ascendant que sur Fol-Oeil. Enfin, pas sans être brutal, comme l’avait été Luve avec son compagnon. Ca, plus le fait que le gros chien qu’il savait être son compagnon de Vif ne les accompagnait pas, laissait penser à Fidèle que sa propriétaire ignorait les caractéristiques de son don. D’ailleurs il ne serait pas surpris qu’au détour d’une route apparaisse le chien, les pattes en sang d’avoir couru. Un vifier et son compagnon n’était pas fait pour être séparés. Enfin, ça c’était l’idée que Fidèle en avait en tout cas. Nul doute qu’un authentique membre du Lignage serait horrifié de les voir si fusionnels.

Fidèle n’avait pas grand chose à faire à part chevaucher et se laisser aller à observer ses accompagnants. La Fanel semblait renfermée. Enfin, plus que d’habitude en tout cas. Il bloqua son envie de tendre son Vif vers elle. Si elle le sentait faire et le prenait pour une intrusion ça allait barder sec. C’était aussi pour ça que l’esclave avait senti le besoin de briser le silence, de prendre la température de sa maîtresse pour ainsi dire. Le silence de cette dernière la surprit et ce fut le commentaire moqueur du soldat qui lui répondit. Un commentaire qui l’indigna même s’il prit soin de le cacher.

-Je suis bien placé pour savoir qu’on s’est pas si mal démerdé l’année passée, s’esclaffa-t-il en faisant un clin d’oeil au soldat, sur le ton de la plaisanterie, espérant que cette effronterie ne lui vaudrait pas un vilain revers de fortune si on le trouvait soudain trop confiant.

La réponse de Luve lui enleva bien vite le sourire un peu forcé qui traversait son visage. Le nobliau fut certain à cet instant que la Fanel était absolument convaincue de ce qu’elle avançait avec tant de morgue. Et ça ne lui plaisait pas à l’esclave. Mais bon, ses états d’âmes tout le monde s’en foutait et il se contenta de répondre sans entrain :

-D’accord Alisel...

C’était un drôle de nom qu’elle avait choisi. Fidèle avait connu une Alisel une fois. Jolie, blonde, plantureuse et, il fallait bien le dire, plutôt facile. Tout le contraire de la Molosse en bref. Enfin, il allait prendre bien soin de le garder pour lui ça.

Le reste du chemin se passa dans une relative tranquillité bien que l’esclave dû souffrir les racontards des exploits de Mark contre les Duchés et même une chanson de guerre chalcédienne qui sonnait atrocement faux dans la gorge des deux soldats. Il ressentait le besoin de s’occuper les mains pour oublier ces piailleries et se saisit discrètement du rouleau de corde qui pendait à sa selle pour former machinalement une paire de collets de chasse. Fidèle avait toujours aimé la chasse, et même s’il existait meilleur archer que lui, il était un bon pisteur et tombait presque toujours juste quand il s’agissait de poser des pièges.

Les heures passaient et le soleil se faisait de plus en plus bas à l’horizon. Enfin, ce qu’ils pouvaient en voir enfoncés comme ils l’étaient dans la jungle chalcédienne. Finalement leur commandante ordonna qu’ils s’arrêtent pour la nuit. En toute objectivité, l’endroit était bien choisi. Une clairière en pente douce et Fidèle pouvait entendre une rivière assez proche. Il se dépêcha de déseller et décharger les chevaux, se doutant bien que tant qu’ils restaient en petit comité son rôle d’esclave n’allait pas réellement changer. Mais malgré tout, il fit quelque chose qu’il n’aurait jamais osé sur le domaine : prendre des initiatives. Sans rien demander à personne, avisant à peine le fameux Mark, il commença à récolter du bois pour le feu avant de partir à la rechercher de la rivière dans le but de récupérer de l’eau pour les chevaux. Sans aucun doute que ces soldats devaient réellement le croire simplet en voyant qu’il ne cherchait même pas à leur fausser compagnie.

Arrivé à la rivière qui se trouvait tout de même à dix minutes de marche de leur camp nouvellement dressé, Fidèle ne put s’empêcher de vouloir s’asperger le visage et le torse pour enlever la poussière des routes, désireux de conserver la merveilleuse sensation de propreté de la veille aussi longtemps qu’il le pourrait. Il perdit un peu la notion du temps et quand il revint comme une fleur au camp l’esclave avait bien dû passer une bonne demi-heure hors de la vue de ses occupants.

HRP:

Avec soulagement, Luve mit pied à terre et s'étira de toute sa "hauteur".

Cette première journée avait été difficile : interminable, ennuyeuse, avec Mark qui racontait ses faits d'armes. Tous les faits d'armes se ressemblaient et Luve n'en avait rien à foutre. Ça ne l'impressionnait pas. Même si elle était la plus petite et la plus silencieuse, elle se sentait capable de liquider les trois hommes. Mais ils étaient sensés être alliés - et à ses ordres - pour le temps du voyage. Chacun d'entre eux avait une fonction a remplir.

Mark était les muscles, Vanch était les jambes, Cheval était la langue et Luve le cerveau, pour faire simple. En vérité chacun faisait plus que compléter l'autre, vu qu'aucun - à part elle-même - ne saurait être indispensable. Mark connaissait bien la zone frontalière, Vanch parlait la langue des Duchés, Luve se battait aussi bien que Mark et Cheval... eh bien, Cheval devrait prêter sa part de cervelle, même si pour l'instant il restait l'esclave de service.

Luve lui tendit les rênes de son cheval et observa la clairière un long moment. Cheval était parti dans les bois et Luve se sentait à la fois inquiète et soulagée de son éloignement. Elle entrouvrit son esprit et rabroua le Chien. Oui, elle était partie ! Oui, encore ! Alors qu'il la laisse en paix ! Elle n'eut pas à le repousser, elle l'entendait à peine alors qu'il avait gratté dans sa tête toute la journée. Peut-être la distance ? Est-ce que Cheval la subissait lui aussi ? Son cœur resterait-il fidèle, même s'il ne pouvait plus sentir sa bête ?

Ils allumèrent le feu avec le bois que Cheval avait ramené. Ils s'assirent autour et commencèrent à piocher dans leurs fontes pour s'installer pour la nuit, et manger. Luve mâchonnait un bout de viande séché en broyant du noir. Cheval n'était toujours pas rentré.

Il revint avec de l'eau pour les chevaux. Luve le laissa déposa sa charge avant de s'approcher de lui nonchalamment. Le jour déclinant ne l'empêchait pas de voir que son torse, son visage et ses cheveux étaient mouillés. Elle cracha à ses pieds un morceau de cartilage qui lui résistait et aboya :
- Tu crois que t'es venu pour quoi, Cheval ? Pour te faire beau ?
Mark ricana, ce qui semblait être son mode d'expression principal, mais il ne rigola plus quand elle sortit sa dague et ordonna :
- A genoux.

A genoux, Cheval était plus petit qu'elle et c'était mieux comme ça. Elle joua quelques secondes avec la tentation de sa lame sur sa peau. Elle n'avait pas oublié ses paroles insolentes, dans la matinée. Il avait dit "on". Comment osait-il dire "on" alors qu'il appartenait aux Fanel ?

Finalement elle le saisit violemment par les cheveux qu'elle trancha d'un coup d'un seul au ras du crâne. Les fils bruns et gris retombèrent sur ses joues, coupe bâtarde de petit garçon.
- Voilà, t'es beau maintenant, grogna-t-elle avant de faire volte-face et de jeter dans le feu sa "queue de guerrier", comme disaient les soldats des Duchés.
Une odeur pestilentielle de chair brûlée s'éleva.
- Trouvez pas que ça sent le steak de cheval, les gars ?

Luve regarda Cheval et sourit. Qu'il n'oublie jamais où était sa place. Elle serait toujours là pour le lui rappeler.

Pour la suite:

Toute la situation restait assez confuse pour Fidèle. La Molosse lui avait expliqué le gros de la mission certes ; mais il savait que pour les Fanel il ne restait qu’un esclave, et surtout, il ignorait ce qu’il avait le droit de faire ou non. Parler ? Manger ? Rester hors de vue ? Porter une arme ? Il n’en avait aucune idée et se sentait sous la lame d’un couperet qui pourrait tomber au moment le plus inespéré.

Le nobliau avait profité de la marche pour poser ses collets, avec un peu de chance ils auraient de la viande fraîche avant de repartir le lendemain. Son petit tour dans les bois l’avait revigoré ; ça lui rappelait le bon vieux temps même si la végétation de la jungle chalcédienne restait très différente de celle présente en Bauge. Comme soufflaient les autres nobles tout bas, tout du moins avant que Dévoué ne montre sa disposition à l’Art, les Atrechêne n’étaient rien de plus que des trappeurs et paysans bien habillés. Lyre et Dévoué détestaient qu’on leur rapporte ce genre de commentaire, mais lui s’en amusait plus qu’autre chose. Après tout, c’était la vérité.

En revenant près du camp l’esclave se fit tout de suite le plus discret possible, réflexe bien acquis, et déposa sa lourde charge près des chevaux en profitant pour tâter leurs jambes. Une grosseur anormale, une légère coupure et l’un d’entre eux pourrait se retrouver avec un cheval boiteux. Et Luve le lui avait fait comprendre : ils avaient un mois pour arriver à bon port sinon Fol-Oeil mourerait. Il pensa un instant à tendre son esprit vers ce dernier mais n’eut de toute façon pas le temps, la voix grondante du Molosse lui arrachant un bond de lapin effrayé.

Le commentaire acerbe lui fit afficher une mine perplexe. Ce même air entre culpabilité et peur qu’ont les chiens qui sentent la colère de leur maître sans savoir ce qu’ils avaient fait de mal. Fidèle se doutait bien que ce n’était pas le fait qu’il revienne mouillé qui avait énervé la Fanel ; était-ce parce qu’il était parti sans demander la permission ? Cheval... Il n’aimait pas ce surnom mais avait pris l’habitude d’y répondre. Un tic nerveux déforma momentanément sa lèvre en sentant la colère qui émanait comme un brasier de la maîtresse. Ce devait être presque comique à voir d’un point de vue extérieur voir ce grand dadet essayer de se faire tout petit face à ce mini-tyran qui devait lui arriver au milieu du torse. Et pourtant, personne ne riait. Même les soldats restaient perplexes et dans l’expectative. De toute façon, cela faisait belle lurette que tout le monde avait littéralement oublié la taille de Luve Fanel.

Le chuintement de la dague hors de son fourreau amena une lueur un brin paniqué dans les yeux gris. Fidèle s’empressa d’obéir à l’ordre, effrayé de ce qu’elle allait lui faire, mais sachant parfaitement que la gravité de la punition dépendrait de sa docilité. A genoux, il attendait, le regard sur les bottes de la jeune femme et le coeur battant à tout rompre. Elle se saisit soudain de ses cheveux et il ferma les yeux pensant qu’elle allait sans doute ou le frapper au visage ou peut-être lui entailler la peau. Mais non.

Un peu hébété il regarda sa queue de cheval entre les mains de la Fanel, écoutant à peine la répartie moqueuse. C’était tout ? Il en fut soulagé. Il ne bougea pas quand elle jeta les mèches dans le feu, rougissant tout de même un peu aux commentaires moqueurs et au rire des deux soldats. Fidèle se sentait humillé mais au moins il n’allait pas dormir avec le dos en sang ce soir et c’était déjà pas mal.

Cet imbécile de Mark était en train de s’étouffer de rire depuis une bonne minute,exacerbant l’agacement de l’esclave. Cet imbécile était vraiment trop bon public. Même Vauch comtemplait son compagnon d’arme avec lassitude alors que ce dernier se tenait les côtes. N’y tenant plus Fidèle le repoussa tout doucement avec la plus grande discrétion possible. Et eut la satisfaction de le voir trébucher en arrière, tombant le cul dans une flaque de boue et déclanchant une hilarité cette fois-ci sincère chez Vanch. Malgré tous ses efforts, le brun ne put s’empêcher d’affiche le temps d’une demi-seconde un sourire mesquin. Jamais il ne pourrait se venger de Luve Fanel, il en avait bien conscience, mais les soldats, c’était une autre paire de manche.

Il resta tranquille de l’autre côté du feu de camp, mangeant sans grand appétit. Son estomac se remplissait avec un rien désormais. Puis les deux soldats allèrent se coucher, le laissant en tête à tête avec la Molosse. Quelle compagnie. Sans rien dire, il se leva et se mit à fouiller dans les fontes de sa monture, trouvant un petit couteau. Le visage neutre, il retourna près du feu et commença à couper plus de mèches de sa tignasse sombre. Reportant son regard sur la Fanel il déclara tout bas, tout de même inquiet de causer un nouvel accès de colère.

-Je ne veux pas vous défier maîtresse. C’est juste que votre geste m’a rappelé que de toute façon il me faut les couper. Mon frère faisait parti du clan d’Art du roi, et il est mort. Si je rentre aux Cinq-Duchés sans porter le deuil se serait extrêmement mal vu.

Il savait bien que la Molosse lui avait dit de l’appeler Alisel, mais vu ce qu’il s’était passé tantôt et le fait qu’ils étaient tous seuls, Fidèle pensait que c’était plus sage de se tenir au titre. Il termina, les laissant le plus court possible. Elle lui avait ordonné de se coucher là où elle pouvait le voir. Aussi prit-il l’ordre au pied de la lettre et s’installa-t-il à côté d’elle. Il n’avait aucune idée de combien de vêtements avait pris soin d’emmener la commandante aussi enleva-t-il sa tunique pour dormir. De toute façon, en Chalcède les nuits restaient tempérées et il s’était habitué dans le domaine. Quant à son dos labouré... Qu’est-ce qu’il s’en foutait de l’exhiber. De toute façon Luve était celle qui lui avait administré la plupart des boursuflures. L’esclave ne tarda pas à s’endormir, fatigué par cette journée à chevaucher.

Il ne tarda pas à grogner, le visage froncé, visiblement en proie à des rêves désagréables. Mais ça ne dura pas. Automatiquement, son esprit chercha Fol-Oeil, ne faisant qu’un avec la respiration paisible de l’étalon endormi qui l’accueillit avec chaleur dans son esprit. C’était un automatisme depuis la première fois que, inquiet des paniques nocturnes de son compagnon, s’était imposé dans son sommeil. Et pourtant, au bout d’à peine une demi-heure il se réveilla en sursaut ; à de nombreuses lieux de là un palefrenier avait claqué la porte des écuries, arrachant l’alezan et Fidèle au sommeil. Fidèle se réveilla tout confus et se redressa en position assise, se trouvant nez à nez avec la Fanel. Malgré lui il grogna. Décidément se réveiller avec ça en face de lui n’était pas bon pour son coeur. Il reporta son regard sur les flammes, et sans doute à moitié endormi, les yeux plus fermés qu’ouverts, murmura une question :

-Il ne vous manque pas ? Le chien ?

Incrédule, Luve regarda Mark se gausser jusqu'à tomber cul par dessus tête, et Vanch prendre le relais.
- Vos gueules, gronda-t-elle bas. Dois-je vous rappeler où on est et pourquoi ?
La fine équipe. S'il y avait âme qui vive dans cette jungle, elle n'ignorait plus qu'ils étaient là. C'est pas comme si l'avenir de Chalcèdes ne dépendait pas de leur expédition - même si ça, ils l'ignoraient encore.

Putains de gorilles stupides. Luve avait l'habitude de la compagnie des soldats, mais elle avait espéré que la modestie de leur groupe relèverait le niveau. A croire que Cheval était le plus civilisé des trois.

Après qu'elle ait cassé l'ambiance, tous finirent de manger et allèrent se coucher en silence. La nuit était tombée, le feu brûlait. Cheval égalisait ses cheveux avec ce petit couteau qu'elle n'aimait pas lui voir tenir, mais il fallait bien lui faire confiance. L'esclave débita des conneries qui la laissèrent perplexe. Qu'il se console donc comme il le pouvait de la perte de sa toison, dernier vestige de sa virilité. Comme s'il allait retrouver sa famille ! Comme si trois poils de moins pouvaient l'aider à faire son deuil ! Au moins il serait moins ridicule. Au départ Cheval n'était pas si désagréable à regarder, avant que le fouet et la faim ne creusent ses côtes.

Enfin il se coucha, l'original, en offrant sa peau nue aux morsures des moustiques, et le silence tomba. Vigilante, Luve écoutait le chant de la jungle, confortablement installée dans l'humus, ses doigts serrant et déserrant en rythme le bois blanc de son arc. Sa respiration s'était apaisée, elle était plus profonde que d'habitude, réparatrice.

Soudain une porte claqua. Luve sursauta en même temps que Cheval. S'était-elle assoupie ?

Encore à moitié endormi, l'esclave lui posa une question.
- Ça ne te regarde pas, le rembarra-t-elle.
Elle regarda Vanch et Mark. Ils dormaient profondément.
- Je ne lui suis pas soumise comme tu l'es à ta carne, ajouta-t-elle.
Finit-elle, car elle ne comptait pas s'étendre sur ce sujet indiscret. Mais elle avait d'autres choses à dire, profitant de son oisiveté et du sommeil des autres.

- Pose moins de questions et réfléchis davantage. Fidèle Atrechêne est mort, tu le sais ? Il est mort au combat. Cette vie est finie pour toi. Tu appartiens aux Fanel.
La peur était puissante, mais passée la frontière de Chalcèdes, la peur risquait de ne pas suffire. Alors il y avait l'espoir.
- Qui aime bien châtie bien. Si tu obéis, si tu es utile, alors tu pourras vivre sur nos terres avec ta bête. Mieux vaut être un homme libre en Chalcèdes qu'un homme mort, Cheval. Maintenant remets cette tunique et rendors-toi.

Que Luve le reconnaisse ou non, Fidèle était certain d’une chose : il existait une certaine connexion entre eux. Non seulement parce que cette femme au visage sombre l’avait brisé, et avait passé du temps et un certain talent pour y arriver, mais aussi à cause du Vif. En tout cas c’était ainsi qu’il voyait les choses. C’était terrible à dire, mais les Fanel étaient devenu tout son monde. Ils avaient droit de vie, de mort et de douleur sur sa petite personne. Aussi, bien malgré lui, Fidèle ne pouvait s’empêcher d’essayer de les comprendre, de les déchiffrer, non seulement parce qu’il valait mieux pour lui savoir ce qui leur faisait ou non plaisir mais aussi parce que, dans le fond, ils l’intriguaient.

Bhaal le pétrifiait, et il se demandait ce que ça avait signifié pour la soeur grandir avec ce pur sadique. Comment était-elle devenue aussi dure ? D’où tirait-elle ses cicatrices ? Comment avait-elle réussi à se hisser aussi haut dans la chaîne de commandement de l’armée chalcédienne ? Luve Fanel représentait une énigme. Et l’esclave avait beau la haïr plus que toute autre personne sur cette terre, il ne pouvait s’empêcher de s’intéresser à elle.

C’est pour cela que cette question lui avait échappé. Ca avait été une mauvaise idée, il le savait, et il s’attendait à la réponse de la Chalcédienne. Mais pas à ce qu’elle s’appesantisse sur le sujet. Prudemment Fidèle secoua la tête et expliqua :

-Ce n’est pas comme ça que fonctionne le Vif. Personne n’est soumis à l’autre. Je suis lui. Il est moi.

Le brun maigrichon allait en rajouter encore plus sur ce sujet qui lui tenait à coeur mais décida que ce n’avait déjà pas été très malin de donner autant d’indications sur la nature de sa relation avec le cheval. Il se mordit les lèvres alors que Luve se lançait dans un nouveau petit discours pour lui rappeler son statut de propriété Fanel. Il évita le regard de la maîtresse, inquiet de ce qu’elle pourrait bien y lire. Mais la suite le fit pourtant la fixer d’un air ébahi. Il balbutia :

-...Vous...Vous me donneriez une boucle ?

La question était posée avec circonspection et méfiance. Fidèle n’y croyait pas trop. Bhaal Fanel n’avait jamais, de mémoire d’homme, accepté d’affranchir un esclave. Et ces fameuses boucles d’oreille en métal noble et pierreries, l’esclave savait que des familles passaient plus de trois générations à se casser le dos pour pouvoir l’obtenir. Et encore, selon le maître du moment, on pouvait parfaitement leur nier et ils n’avaient aucun droit de protester. Se laissant aller à un élan de sincérité il déclara avec amertume :

-Votre frère est connu pour n’avoir jamais affranchi un esclave... Pourquoi mon cas serait-il différent ?

Fidèle voulait bien la croire quand elle disait que les Fanel le laisseraient vivre sur leur domaine avec Fol-Oeil à ses côtés.... Mais de là à lui faire croire que ce serait en tant qu’homme libre, qu’ils le pardonnent mais même une tête de bois d’Atrechêne n’était pas aussi stupide. Taciturne, il obéit à l’ordre et se rhabilla avant de se rallonger. Il tourna un peu mais finit par trouver le sommeil et la compagnie de son animal de lien. Et cette fois-ci ce furent les première lueurs de l’aube qui le réveillèrent. Le brun se secoua avant de s’étirer de tout son long, appréciant de ne pas se sentir endolori. La nourriture et le travail léger lui donnait déjà meilleur mine, éliminant sa pâleur et ses cernes.

Il se leva discrétement et enfila ses bottes, saluant d’un léger mouvement de tête Vanch qui montait la garde. Puis prit la direction du ruisseau en boitillant un peu, sa jambe raide d’avoir été immobile si longtemps. Ils avaient été chanceux, un lièvre de bonne taille et un écureuil s’étaient pris dans les collets qu’il avait installé la veille. Fredonnant tout bas une vieille chanson à boire des Cinq-Duchés, Fidèle revint au camp. Il avait appris à profiter des petits plaisir. Rapidement il vida et les deux bêtes et les mit à rôtir sous l’oeil gourmand des deux soldats. Bien entendu ils n’allaient pas se rabaisser à remercier un esclave, mais ils étaient clairement heureux de pouvoir manger quelque chose de chaud et frais cuisiné.

Le Vif. Est-ce ainsi qu'on appelait cette étrange connexion ? Ou Cheval s'était-il emmêlé dans son chalcédien ? Probable : ses paroles ne voulaient rien dire.

Luve délaissa la question pour observer l'espoir s'épanouir sur le visage de l'esclave. Mais la floraison ne dura pas longtemps. La dure réputation ne Bhaal le rattrapa.
- Parce qu'ensemble nous allons changer l'histoire des Duchés... souffla la Fanel alors que docile, Cheval se recouchait à ses pieds.

Le reste de sa garde fut pensive et sereine. Rien à signaler si ce n'est quelques bruits de prédateurs, lointains, dans la jungle nocturne.

Une fois ses heures écoulées, elle réveilla Vanch du bout du pied. Le messager se frotta les yeux et prit sa garde auprès du feu. Luve rangea son arc, se coucha en chien de fusil et s'endormit presque instantanément, bercée par les bruits familiers de la jungle et le souffle régulier de Cheval.

Elle rêva qu'elle était dans un jardin recouvert de cette couverture blanche qu'elle n'avait jamais vue. La neige tombait du ciel, chaude et cotonneuse. Le chien laissait des empreintes joueuses. Luve écrasait les fleurs sous ses bottes avec jouissance. Tout devint blanc et la lumière de l'aube perça ses paupières.

Luve croisa Cheval en allant au ruisseau. Accroupi à son collet, il ne la vit pas.

Quand elle revint de ses ablutions, deux proies tournaient sur la broche. Apparemment insensible à la chaleur, Luve attrapa la plus petite broche et mordit dans l'écureuil à demi cuit. Elle lança le lièvre à Mark et piétina le feu.
- Pas le temps. On mange en route.

Elle harnacha son noiraud et fut en selle la première. Elle leur donna rendez-vous au ruisseau où ils abreuvèrent les chevaux. Mark était grognon et Vanch encore ensommeillé. Cheval semblait comme neuf, ses traits découverts par sa chevelure sacrifiée.

- Avec moi. Yaaa ! jappa Luve en lançant son cheval au galop.
La morosité du départ avait fait place à l'excitation d'une nouvelle aventure. Bientôt Shyrin serait l'écureuil au bout de sa pique !

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L’odeur qui s’élevait des deux bestioles en train de rôtir faisait gronder l’estomac de Fidèle. Cela faisait presque un an quand il y pensait que le brun n’avait plus chassé. Et le moment le plus plaisant était bien celui d’avaler ce qu’il s’était donné du mal à tuer. Mais la Molosse rentra comme une tornade au camp et lui saisit les deux bestioles sous le nez, s’attirant un regard grincheux de l’esclave. Au vu de la rapidité avec laquelle la Fanel enfourcha sa monture tout le monde s’empressa de lui emboiter le pas en direction du ruisseau. Mark l’appela de par ce stupide surnom que lui avait affublé Luve et il se retourna. Le soldat lui tendait une patte du lièvre avec un air bourru sur le visage. Fidèle ne put s’empêcher d’afficher un air surpris avant de se saisir de la cuisse à demi-cuite et de la glisser dans ses fontes. Vanch et Mark se partagèrent le reste de la viande.

Ils finirent par arriver à la petite rivière et laissèrent leurs montures se désaltérer. Le départ en trombe de leur chef les laissa un peu en arrière, le temps de réagir et de lancer également leurs chevaux au galop. L’excitation ambiante était contagieuse et le groupe allait de plus en plus vite.  L’esclave décida de se coller à l’encolure de son cheval pour éviter les branches basses. Ce serait quand même con de se retrouver le cul par terre à cause de ça. Enfin, ça en aurait sans doute fait rire plus d’un.

Mark avait l’air peu confortable sur un cheval, et au vu de son visage crispé ce rythme véloce ne lui plaisait pas trop. Les chevaux, poussés par leur instinct de groupe semblaient vouloir faire la course. Fidèle laissa son jeune hongre se faire plaisir. C’était stupide au vu de la compagnie, mais cette folle chevauchée le faisait frémir d’excitation. Il ne s’était pas senti aussi « libre » depuis longtemps, le martèlement des sabots empêchant d’entendre quoi que ce soit d’autre. Au bout d’une quinzaine de minutes leurs montures finirent par demander grâce, à bout de souffle. Le grand brun en profita pour s’étirer, un sourire involontaire lui illuminant le visage. Regardant autour de lui il se rendit compte qu’ils avaient un problème et beugla en direction de la Fanel qui devait bien être dix mètres devant :

-On a perdu Mark ! Je vais le chercher !

Tout esclave qu’il était Fidèle n’espéra pas la réponse pour faire volte-face et partir au grand trot dans la direction opposée, espérant que le jeune soldat ne s’était pas ouvert le crâne sur une pierre. Mark était con et insupportable mais ce serait quand même une manière vraiment stupide de mourir pour un soldat...

Cinq cent mètres en arrière, et il ne voyait toujours aucun signe du chalcédien. Où est-ce que cet imbécil avait-il bien pu tomber. Respirant profondément Fidèle se concentra, essayant d’utiliser son Vif pour repérer le soldat. C’était difficile. La jungle grouillait de vie et se concentrer sur ce qu’il voulait trouver était incroyablement dur. Il finit par le sentir huit cent mètres à l’Est. Mark n’était pas seul, il y avait cinq autres personnes avec lui. Et plutôt hostiles au vu de la méfiance qu’ils émanaient. Des bandits ? Des soldats des Duchés ?
Fidèle hésitait sur la marche à suivre. Devait-il s’approcher pour en apprendre plus ou retourner prévenir la Molosse ? Deux autres étincelles de Vif derrière lui mirent fin à ses interrogations. Visiblement Luve et Vanch l’avaient suivi. Il espérait que ce n'était pas pour le reprendre de son impertinence parce que c'était vraiment pas le moment.

HRP:

La bonne humeur de Luve s'éclipsa vite. Mark était à la traîne et Cheval ne se lassait pas de trouver des prétextes pour gambader seul dans les bois. Cette petite chevauchée ne lui avait-elle pas suffi ?

Luve et Vanch lui emboitèrent le pas. Rebrousser chemin ne lui plaisait pas, et Luve devait bien reconnaître que cette course spontanée avait sans doute été une mauvaise idée.

La louve et le messager rejoignirent Cheval. Toujours pas de traces de Mark. Huit cent mètres à l'Est, dit l'esclave. Cinq ennemis avec lui.

Comment savait-il tout ça ? Luve le regarda d'un air soupçonneux, mais finalement ils firent route dans la direction indiquée. Cheval les guidait, Cheval les fit arrêter quand ils furent proches du but. Alors ils mirent pied à terre et s'approchèrent à pas de loup.

Le hasard:

Ils étaient bien cinq. Ils n'arboraient ni uniformes ni livrées. Des maraudeurs. Des éclats de voix chalcédiens leur parvenaient. Luve ressentit leur méfiance teintée d'hostilité. Mark était couché, de dos, les mains liées, près du feu éteint de leur campement misérable. Les autres ne prêtaient plus attention à lui. Ils se préparaient à lever le camp. L'aurore perçait à peine.

Tapie derrière la végétation, Luve échangea un regard muet avec Vanch et tendit son épée courte à Cheval. Elle avait son arc blanc et pouvait en abattre deux avant qu'ils chargent. S'il était nécessaire d'attaquer.
- Il vit ? demanda-t-elle à l'esclave.

Si Cheval avait pu les sentir à huit cent mètres, alors Cheval sentirait sans doute si le cœur de Mark battait encore.

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'Hasard 6' : 3

Luve l’écouta expliquer la situation. C’était déjà plus que ce qu’il aurait espéré en temps normal... Fidèle pouvait lire le doute dans le regard des deux Chalcédiens. C’est vrai que l’information qu’il leur procurait était très complète pour quelqu’un qui les avait quitté à peine quinze minutes plus tôt. Mais peu importait, bien vite ils eurent l’occasion de le voir de leurs propres yeux.

L’esclave n’était pas en reste, observant les vêtements dépenaillés et les pièces d’armures hétéroclites que portaient les hommes. Des bandits sans aucun doute, peut-être même des déserteurs ou d’anciens soldats qui ne savaient plus quoi faire avec la fin des hostilités. Dans tous les cas le brun sentait son coeur s’emballer dans sa poitrine. La peur se faisait sentir. Fidèle ne s’était jamais considéré comme quelqu’un de couard jusqu’à son passage dans le domaine Fanel. Bien entendu les combats l’avaient toujours inquiété, il faudrait être fou pour ne pas sentir ne serait-ce qu’une pointe de peur avant de se lancer contre des hommes décidés à tuer. Mais ce qu’il ressentait désormais n’avait plus rien de comparable. Comme un monstre qui lui grignotait les entrailles et lui donnait envie de se rouler en boule en attendant que ce soit fini.

La Molosse le sortit de sa léthargie. Machinalement il se saisit de l’épée courte qu’elle lui tendait, dissimulant du mieux qu’il pouvait les tremblements qui parcouraient ses doigts. La question de leur meneuse tombait sous le sens... Il ne servait à rien de se lancer contre les maraudeurs si Mark était déjà mort. Un mort se fichait de la vengeance. Et personne dans leur groupe ne tenait suffisamment à lui pour risquer sa peau en un geste stupide et sans valeur. Malheureusement son Vif se chargea de l’informer que leur compagnon de route n’était qu’inconscient. Ses yeux gris croisèrent le regard sombre de Luve, hésitant. Il pouvait toujours mentir.... Personne ne s’en rendrait compte... Sauf si Mark survivait par miracle et les retrouvait. Fidèle finit par ouvrir la bouche, soufflant tout bas :

-Juste inconscient...

Même comme ça, il l’aurait bien laissé là ce stupide Chalcédien. Rapidement Fidèle ne put s’empêcher d’examiner la manière la plus sûre de sauver Mark sans risquer sa peau. Leur groupe ne pouvait pas charger comme ça, ils étaient en sous nombre et même si Luve réussissait à leur faciliter les choses avec son arc, il n’était plus sûr de valoir grand chose au un contre un...

Hésitant de nouveau il murmura :

-Nous pourrions nous séparer pour attaquer tous d’un côté différent... Avec un peu de chance, si on fait pas mal de bruits ils pourraient croire que nous sommes plus nombreux qu’eux et fuir...

Et même s'ils ne fuyaient pas ce serait toujours plus facile s'ils étaient séparés que se défendant en bloc. Ce n’était certes pas la place d'un esclave, avoir des idées de ce genre, en tant que commandante des armées chalcédiennes la Molosse était plus que bien placée pour élaborer sa propre stratégie. Surtout que l’idée de Fidèle impliquait quelque chose qui ne devait pas plaire du tout à la Fanel : lui accorder une confiance aveugle pendant un combat. Qui pouvait prouver à Luve qu’il ne fuirait pas au pire moment ?

Luve avait envie de frapper Cheval comme elle avait envie de tuer ces moins-que-rien qui retardaient son expédition. Non mais il croyait quoi le soldaillon des Duchés ?! Qu'il allait lui apprendre à se battre ? Il était d'autant moins crédible qu'il suintait la peur. Elle la sentait, même pas besoin de "Vif" pour ça. Elle l'avait souvent vue chez ses soldats. Si la peur pouvait en amener certains à se dépasser, elle en tétanisait d'autre. C'est ce qui était en train de se passer.

Cheval avait besoin d'être secoué. Elle l'aurait giflé très volontiers, mais ne voulait pas attirer l'attention. Sa main caleuse attrapa le cou de l'homme, écrasant la trachée, bloquant la respiration. Se hissant sur la pointe des bottes, elle approcha du sien son visage couturé et gronda :
- Reprends toi Cheval. Tu as survécu aux Fanel alors c'est pas ces péquenauds qui auront ta peau. J'ai d'autres projets pour toi. Si t'as pas les couilles alors souviens-toi pour quoi tu te bats.

Elle le relâcha, lui laissa quelques secondes pour reprendre haleine, puis expliqua leur plan d'attaque à ses deux soldats. Il fallait faire vite, pour autant ils n'allaient pas charger comme des imbéciles. Cheval irait là, Vanch irait là, et elle resterait ici, triangulant leurs proies. Ils attendraient qu'elle tire ses premières flèches et fonceraient. Ils auraient pour eux l'effet de surprise et l'incertitude du nombre, car les gaillards n'avaient pas l'air de se douter que Mark était accompagné.

- Tu t'occupes de Mark, dit-elle à Cheval.
Vu son état de nerf, c'est de son épée qu'ils pourraient le plus se passer - si tant est qu'ils puissent se passer de quiconque, vue l'infériorité numérique. Mais Luve était confiante. Il n'y a pas si longtemps, sa milice avait massacré les soldats des Duchés à un contre trois dans cette jungle. Ils se planquaient et leur tombaient dessus, hurlant comme des diables, au moment où ils s'y attendaient le moins.

La Chalcédienne escalada Cheval pour atteindre les premières branches de l'arbre le plus proche. De là, elle avait une vue délicieuse sur leur terrain de jeu. Cachée derrière les feuilles, elle attendit que chacun soit à sa place. Alors elle encocha sa première flèche et tira sur le premier des cinq.

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Le hasard:

Luve avait envie de frapper Cheval comme elle avait envie de tuer ces moins-que-rien qui retardaient son expédition. Non mais il croyait quoi le soldaillon des Duchés ?! Qu'il allait lui apprendre à se battre ? Il était d'autant moins crédible qu'il suintait la peur. Elle la sentait, même pas besoin de "Vif" pour ça. Elle l'avait souvent vue chez ses soldats. Si la peur pouvait en amener certains à se dépasser, elle en tétanisait d'autre. C'est ce qui était en train de se passer.

Cheval avait besoin d'être secoué. Elle l'aurait giflé très volontiers, mais ne voulait pas attirer l'attention. Sa main caleuse attrapa le cou de l'homme, écrasant la trachée, bloquant la respiration. Se hissant sur la pointe des bottes, elle approcha du sien son visage couturé et gronda :
- Reprends toi Cheval. Tu as survécu aux Fanel alors c'est pas ces péquenauds qui auront ta peau. J'ai d'autres projets pour toi. Si t'as pas les couilles alors souviens-toi pour quoi tu te bats.

Elle le relâcha, lui laissa quelques secondes pour reprendre haleine, puis expliqua leur plan d'attaque à ses deux soldats. Il fallait faire vite, pour autant ils n'allaient pas charger comme des imbéciles. Cheval irait là, Vanch irait là, et elle resterait ici, triangulant leurs proies. Ils attendraient qu'elle tire ses premières flèches et fonceraient. Ils auraient pour eux l'effet de surprise et l'incertitude du nombre, car les gaillards n'avaient pas l'air de se douter que Mark était accompagné.

- Tu t'occupes de Mark, dit-elle à Cheval.
Vu son état de nerf, c'est de son épée qu'ils pourraient le plus se passer - si tant est qu'ils puissent se passer de quiconque, vue l'infériorité numérique. Mais Luve était confiante. Il n'y a pas si longtemps, sa milice avait massacré les soldats des Duchés à un contre trois dans cette jungle. Ils se planquaient et leur tombaient dessus, hurlant comme des diables, au moment où ils s'y attendaient le moins.

La Chalcédienne escalada Cheval pour atteindre les premières branches de l'arbre le plus proche. De là, elle avait une vue délicieuse sur leur terrain de jeu. Cachée derrière les feuilles, elle attendit que chacun soit à sa place. Alors elle encocha sa première flèche et tira sur le premier des cinq.

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'Hasard 6' : 2

L’esclave se doutait bien de l’insulte suprême que devait représenter son conseil pour la commandante des armées chalcédiennes.... Mais la panique qui lui faisait cogner le coeur à toute vitesse l’empêchait de penser clairement. C’était ces nerfs en pelote qui lui avaient fait ressentir le besoin de parler, d’analyser à haute voix la manière dont il pourrait sauver sa peau. Tous ses sens lui hurlaient de détaler comme un lapin en direction des chevaux et de ficher le camp dans n’importe quelle direction qui l’éloignerait des hommes armés. Et au vu des tics nerveux qui commençaient à l’agiter, il n’en était pas loin.

Ce fut la main de la Molosse sur sa gorge qui l’en empêcha. Ses yeux clairs affolés croisèrent le regard colérique de la Fanel, lui ramenant aussitôt les pieds sur terre. Les mots qu’elle prononça n’était qu’un bourdonnement sourd à ses oreilles. Mais Fidèle n’avait pas besoin de  grands discours, le geste de la petite brune lui avait rappelé la vérité. Le vrai danger, celui qui le tétanisait pour de vrai, il était obligé de chevaucher à ses côtés et d’obéir à ses ordres. Quelques secondes plongé dans les pupilles sombres de Luve Fanel avait suffi à lui rappeler qu’au final, la chose qu’il craignait le plus au monde, c’était elle. Et Bhaal. Mais Bhaal était loin derrière eux. Fidèle préférait avoir à affronter dix soldats plutôt que souffrir une nouvelle fois de la colère de ses maîtres.

On pouvait donc dire que la jeune femme avait réussi à le rammener à lui. Plus ou moins. La peur était toujours là, mais il se sentait un peu plus apte à la contrôler. Pour le moment en tout cas. Il tomba à genoux, reprenant une respiration pénible, faisant son possible pour s’empêcher de tousser. Ce n’était vraiment pas le moment d’attirer l’attention. Fidèle pu sentir le regard un brin dégouté de Vanch qui le fixait. L’esclave eut un sourire amer ; on ne pouvait pas décemment, après avoir pris grand soin qu’il soit docile comme un chiot, espérer qu’il soit encore apte à montrer les crocs...

Il écouta sans plus broncher le plan de leur chef. Ca pourrait marcher. Vanch commença donc à se faufiler agilement vers la droite. Fidèle en fit de même dans le sens opposé, prenant position derrière un buisson, tenant l’épée courte que Luve lui avait donné tellement fort que ses phalanges blanchissaient. Il pensa un instant à rester là, accroupi, et laisser les deux Chalcédiens se démerder pour récupérer le soldat. Mais l’idée de ce que lui ferait la Fanel si elle survivait le dissuada. Et bondit donc comme un diable hors de son trou en écoutant le sifflement de la première flèche de Luve.

Les bandits réagirent plus vite que ce que Fidèle auraient pensé, l’un d’eux s’empressant de courir en direction de Mark dans le but de l’achever. L’esclave jura dans sa langue natale avant de s’élancer aussi vite que sa jambe raide le lui permettait. Il était plus près de Mark, mais il n’était quand même pas sûr d’arriver en premier. Le maraudeur levait son bras au-dessus du corps inconscient au moment où Fidèle prenait un ultime élan pour le poignarder dans le dos...

Le hasard:

Luve:

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'Hasard 6' : 6

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'Hasard 6' : 5, 2, 5

Luve transperça sa proie avec un petit jappement de joie. Alors que Vanch et Cheval fonçaient, elle encocha une deuxième flèche. Mais avec l'alerte, la cible était bien plus mouvante et elle manqua son homme. Alors elle sauta de l'arbre et chargea à son tour. Elle était bien meilleure au combat.

Son premier réflexe, dans le tumulte ambiant, fut d'aller au cadavre pour récupérer une épée. Agenouillée auprès du corps, elle releva la tête et vit l'ennemi lever la main sur Mark avant que Cheval ne le transperce. L'épée de Cheval resta coincée dans son corps alors qu'un autre le chargeait. Luve lança sa dague. La lame s'enfonça dans la nuque de l'homme qui tomba, raide, sur l'esclave.

Pendant ce temps, Vanch avait abattu le quatrième. Le cinquième parvint à prendre la fuite en dispersant les chevaux. Le combat n'avait duré qu'une minute.

Luve ordonna à Vanch d'aller s'assurer de leur chevaux, attachés plus loin. Et trotta vers les deux autres pour s'enquérir de leur état.

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