premier mois de l'an 11

Il faisait beau ce jour là. Frais mais beau. Je songeais que je ne serais jamais capable de m'adapter à la fraîcheur de ce pays tandis que je levais les yeux vers le ciel d'un bleu immaculé. Ce magnifique ciel dégagé me laissait perplexe. Je me demandais comment le temps pouvait être aussi clair alors même que nous étions en hiver, et qu'il faisait si froid.

Soudain, un choc. Je fus envoyé plusieurs pas plus loin et je me rattrapais avant de tomber. Et tandis que je me retournais, je constatais que je m'étais trouvé sur la route d'un homme dont la charrette à bras était plus que chargé. Il ne m'avait pas vu et ne chercha pas à s'excuser, continuant simplement son chemin comme si de rien était. Je décidais d'en faire autant. Même si j'avais beaucoup plus de temps que nécessaire pour la tâche que l'on m'avait confiée, mieux valait ne pas trop traîner, en particulier au milieu du passage. Réajustant mon épais manteau, je m'avançais plus avant dans les rues de la ville.

Le temps avait passé depuis ma première visite. Je n'avais pas franchement eut beaucoup d'occasion pour revenir mais je connaissais maintenant un peu mieux les lieux. Du moins, les endroits importants. Afin de me libérer de ma mission, je l'effectuais rapidement. Il me suffisait de transmettre un message à un maroquinier, une commande en fait. Cela fait, j'avais désormais du temps devant moi avant que l'on ait de nouveau besoin de mains au château, alors je pouvais flâner selon mon plaisir dans les rues animées de la ville.

Bien que je sois arrivé à Castelcerf depuis un moment maintenant, le temps libre était encore un luxe auquel je ne me faisais pas. Il n'y en avait pas beaucoup, pourrait-on dire, mais pour moi c'était nouveau. C'est surtout la façon dont je l'employais qui était nouvelle. Ici, personne ne me demandait de compte si je sortais du château. Et grâce à mon apparence singulière, on ne m'en posait pas plus lorsque je rentrais (j'ignore pourquoi, elle marque les esprits).

Alors que je me promenais, les mains profondément enfoncées dans mes poches pour les garder au chaud, mon regard volait entre les passants, dans les vitrines et mes oreilles écoutaient tout. C'était plus facile, maintenant que je comprenais la langue des Duchés.

Au détour d'une rue, des notes légères percèrent à travers les voix bruyantes de la rue. Quelqu'un jouait de la musique. Ce fut plus fort que moi : je suivis la piste de la mélodie. C'était un rythme enlevé et joyeux, de ceux qui prêtent à danser. Danser… je n'avais plus dansé depuis si longtemps… si l'on omettait cette fois, pour Shyrin, je n'avais plus dansé depuis que nous avions quitté Chalcèdes. Le musicien apparut. Il n'y avait que des enfants pour lui prêter attention, les autres ne faisaient que passer, lui adressant parfois un regard. L'homme était vêtu de haillons, sa peau était sale et il était maigre comme un clou. Une coupelle était posée à ses pieds tandis que ses doigts lestes faisaient courir l'archer sur les cordes de sa vielle. Et son pied battait la mesure.

Hypnotisé, je l'écoutais un instant puis fermais les yeux, me laissant prendre par le rythme de sa musique. Très vite, je me mis à battre le tempo en balançant ma tête à gauche et à droite, et puis, sans que je ne prenne pleinement conscience de ce que je faisais, la musique me gagna et je me mis à danser. Son air me donnait des ailes. Je retrouvais sans mal ma souplesse, même si je n'avais plus dansé depuis longtemps. Et même si les notes n'étaient pas communes à celles de Chalcèdes, elles étaient si plaisantes qu'elles m'inspiraient.

Je ne sais combien de temps je dansais ainsi, devant cet homme dans la rue. Il me sembla qu'il était content de ma présence et qu'il choisissait des morceaux faits pour la danse. J'entendais tinter les pièces lorsqu'elles tombaient, nombreuses, dans la coupelle posée au pied de mon musicien. Ce ne fut que lorsque je me senti fatigué que je me rendis compte que le temps avait passé. L'homme me remercia et je le remerciais. Maintenant, il me fallait retrouver le chemin du château. Mais je ne savais plus par où je devais m'en aller.

Alors que je me demandais s'il valait mieux partir à gauche ou à droite, un homme m'interpella sans animosité pour me demander ce que je cherchais. Surpris, je me retournais pour voir qui s'adressait à moi ainsi. Au premier regard, je crus qu'il s'agissait d'un homme âgé. Il se déplaçait avec difficulté en s'appuyant sur un bâton. Mais lorsque mon regard croisa le sien, je me rendis compte qu'il ne l'était pas tant que cela. Pas du tout, même. Il s'agissait d'un jeune homme dont le corps le trahissait. Mais aussi d'un jeune homme qui s'intéressait à moi d'une autre manière qu'en me considérant comme un étranger, sans hostilité ou curiosité à cause de mon apparence. J'appréciais.

- Je suis perdu, avouais-je. Je suis pas venu beaucoup dans la ville, je connais pas chemin pour rentrer.

Parler la langue des Duchés m'était désormais familier. J'avais conscience qu'il me restait des progrès à faire mais je savais à présent me faire comprendre correctement, ce qui facilitait grandement ma vie.

- Vous pouvez m'aider ? demandais-je avec espoir. Je dois aller au château.

Si cet homme avait la bonté de m'indiquer le chemin pour retourner à Castelcerf, ce serait vraiment bien. D'autant qu'on devait m'attendre. Je m'étais trop laissé distraire. Maudit que j'étais !

A aucun moment je n'avais imaginé faire illusion. Mes phrases n'étaient pas correctes, je m'en doutais, et je préférais ne rien savoir de mon accent. Alors, lorsque l'homme me demanda si je venais de loin, je ne fus pas surpris d'avoir été démasqué. J'acquiesçais.

- Vous avez raison, je viens pas de Duchés.

Mais comme je lui demandais de m'aider, il tiqua. Je le vis se crisper. Avais-je dis quelque chose qu'il ne fallait pas ? Je fronçais les sourcils pour tenter de me souvenir… non, il me semblait bien que mes paroles étaient justes. Du moins j'espérais ne pas m'être trompé de mot et l'avoir froissé par une quelconque maladresse. Sinon je devrais me débrouiller seul pour rentrer, ce qui risquait de me prendre un peu trop de temps.

Le soulagement se fit sentir lorsque l'homme accepta. Il marchait lentement et je lui assurais que cela ne me dérangeait pas. C'est pas après pas que se construit le chemin, qu'importe la longueur du pas.
Au début, nous restions silencieux. Mon vocabulaire limité ne m'incitait guère à m'épancher. Quant à mon guide, il semblait devoir mobiliser ses forces pour marcher, aussi se montra-t-il lui aussi silencieux. Pourtant, au bout d'un moment, il fini par s'adresser à moi.

- Oui, je dansais à Chalcèdes. Esclave. Maintenant je suis libre de danser seul.

La danse. Je l'avais apprise tout petit, dans un pays qu'ici on ne connaissait même pas, qui ne figurait sur aucune carte. Loin dans le sud. Mais après des années à danser pour la famille Cardia, j'avais pris l'habitude des rythmes chalcédiens, qui m'étaient désormais plus familiers que ceux de ce pays que je n'avais plus revu depuis bien longtemps. Tout cela, je le gardais pour moi. L'étranger n'avait pas besoin de savoir plus que ce que j'étais aux yeux de tout le monde ici : un ancien esclave de la princesse, désormais serviteur au château. Ce qui ne m'empêcha pas de me montrer poli. J'avais besoin de nouveaux alliés dans ce pays, autant commencer dès maintenant à rechercher leur soutien.

- Vous aimez la danse ?

Un sourire sarcastique m'échappa brièvement alors que mon guide se montrait étonné que les chalcédiens aiment la danse. Je le dissimulais vite pour ne pas faire de tord à ma princesse. Nous avions déjà assez de préjugés à combattre pour ne pas les encourager, quand bien même il m'était facile d'imaginer pourquoi l'on imaginait mal un chalcédien danser. J'entrepris donc de le détromper et de lui montrer que malgré leur réputation les chalcédiens pouvaient faire preuve de goût.

- Ils ont leur art. La princesse Shyrin danse très bien. J'ai beaucoup dansé avec elle.

Je ne dis rien au sujet de ma liberté cependant. La plupart des serviteurs ne comprenaient pas pourquoi Shane et moi continuions à servir Shyrin de bon cœur alors que nous n'en avions plus l'obligation. En revanche, la voix éteinte de mon guide me fit tiquer. Cette façon qu'il avait de parler de la danse au passé, ajouté à sa démarche lente et branlante, me laissait penser qu'il avait été danseur avant qu'un accident ne vienne briser son corps et sa vie. J'en ressenti aussitôt de la peine. Que deviendrais-je moi si je ne pouvais plus danser ? Même si pour moi il ne s'agissait que d'une passion annexe qui passait après d'autre préoccupations. Je n'aurais su le dire.

- Vous êtes danseur, avant ? demandais-je doucement en espérant ne pas lui faire mal.

La réputation des chalcédiens dans ce pays était désastreuse. Mais pouvait-on attendre autre chose de son ennemi de toujours ? Probablement pas. Quelle image peut-on se faire d'êtres que l'on combat si ce n'est le diaboliser et lui prêter des comportements barbares. Je ne pouvais pas blâmer cet homme qui n'avait jamais mis les pieds à Chalcèdes et ne connaissait ce peuple que par ce qu'on lui avait raconté. Et je ne pouvais pas lui donner complètement tord non plus.

- Je danse pour elle et parfois avec. Les esclaves servent, lui expliquais-je, divertir c'est servir.

Quant à rentrer chez moi, il n'en était évidemment pas question. Mais cela il n'était pas nécessaire que mon guide le sache. Qu'en aurait-il compris de toute façon ? Probablement rien. Peu de gens sont aptes à comprendre qu'on puisse changer le cours du temps comme on dévie un fleuve. Mon guide allait donc devoir se contenter d'une réponse vague et faussée.

- Je n'ai plus de chez moi.

A ce qu'il semblait, cela dit, je n'étais pas le seul à éviter les questions gênantes. Il était bien silencieux tout à coup. Et moi qui avais espéré ne pas le blesser. Un élan de compassion me prit lorsqu'il se livra à moi. Officiellement, je dansais parce que c'était mon rôle, ici on pourrait parler de métier, mais si j'en étais privé il me resterais mon véritable rôle. Je ne pouvais donc pas comprendre pleinement l'ancien danseur, mais je devinais la peine que cela pouvait procurer. Je posais une main compatissante sur son épaule, brièvement pour ne pas le déstabiliser dans sa démarche claudicante.

- Je suis désolé.

Mais comme il avait l'air gêné de s'être confié à moi, je n'insistais pas. Il ne me connaissait pas, cela pouvait se comprendre. Je continuais alors le chemin en suivant ses traces en gardant le silence un temps. Puis, comme nous passions le bout de la rue, je le brisais à nouveau.

- Merci de m'aider en tous cas. Je n'aurais probablement pas réussi à rentrer avant longtemps si vous n'étiez pas venu à mon secours.

Je souris, spontanément amusé par la réplique de mon guide. Rien d'étonnant à trouver les habitudes des autres étranges. Pour moi qui venais de loin, ma vision des choses était un eu différente. Je savais que chaque peuple avait ses habitudes, et même parfois selon les régions -ou les familles même, chez les chalcédiens. Que certains rite m'interpellent au début ne m'étonnait pas, ce qui était plutôt contradictoire, je vous l'accorde.

- On s'habitue aux usages, lui répondis-je, le froid aussi.

Même si je détestais cela. Je n'étais pas comme les humains avec leur corps chaud, mon corps à moi était plus frais que le leur, et par conséquent conservait beaucoup moins bien la chaleur par ces temps de neige. Il me faudrait sans doute l'hiver entier pour m'acclimater à ce pays où il neige l'hiver. La neige… voilà qui n'était rien de plus qu'une légende pour moi, avant que je n'arrive dans ce pays !

Je fus cependant sorti de mes divagations par la question de l'homme des Duchés. Peut-être aurait-il pu me vexer si j'avais accordé la moindre importance à ce statut. Le fait est que je ne m'était jamais considéré comme un esclave. Comment expliquer à un étranger que non seulement cela ne m'avait pas dérangé mais qu'en plus de cela je m'y étais moi-même contraint ? Il m'aurait cru fou. Et peut-être l'étais-je ? Alors, comme à mon habitude, je répondis par l'une de mes pirouettes.

- Pourquoi il faut que je suis malheureux ? Ceux qui servent sont malheureux ici ? Vous avez travail pour payer à manger. C'est différent ?

J'accompagnais cela d'un sourire taquin, de ceux que les gens trouvent dérangeants car, placé ainsi dans une conversation sur un sujet moral qui leur semble sans équivoque, je soutiens l'inverse de ce qui devrait-être. Et les gens n'aiment pas être bousculés dans leurs certitudes.

C'était bien dommage pourtant de risquer de vexer ainsi un homme qui avait eu la gentillesse de me venir en aide. Et lorsque je vis l'accident arriver, j'aurais voulu lui venir en aide. Comme au ralenti, je vis les tonneaux dévaler la pente, se diriger droit sur nous, sur mon guide qui tournait le dos à la scène. Mais le temps que je fasse un geste pour l'avertir et tenter de l'aider, le premier tonneau était déjà sur lui. L'ancien danseur n'avait pas tout perdu de sa souplesse et de sa vivacité semblait-il, car bien que diminué, il parvint à éviter le tonneau sans aucune aide. Emporté par mon élan, je me jetais en dehors du trajet du projectile et le tonneau alla s'écraser un peu plus loin contre un mur. Bientôt suivi de son comparse. Qui que fut l'artisan de ces fûts, il connaissait son affaire. À mon grand étonnement, ils étaient encore entiers lorsque leur propriétaire légitime vint s'enquérir de leur état.

- Hey ! C'est que c'est de la qualité ! jubila le charretier.

Pour ma part, je m'inquiétais plutôt de l'état de mon compagnon.

- Vous va bien ?

Je sais que je ne parlais pas correctement, mais je dois dire que sur ce coup là mon sang n'avait fait qu'un tour. Mon cœur battait fort contre ma poitrine et il faut bien l'avouer, réfléchir était le dernier de mes soucis.

La peur passée, c'est la colère qui prit le pas chez mon camarade. Je regardais mon guide s'énerver contre l'homme responsable de l'accident, à cause de sa négligence, et lui faire la morale. L'autre sembla ne pas aimer. Il cria en retour mais nous étions déjà partis.

L'allure de mon guide semblait plus laborieuse encore qu'auparavant. Le pauvre avait payé son accès de souplesse, semblait-il. Je ne pouvait guère l'aider, cependant. Il m'était impossible de le porter, et quand bien même mes capacités physiques me l'auraient permis, il s'en serait sans doute offusqué. Je lui proposais donc plutôt d'écourter sa peine.

- Peut-être vous pouvez me dire comment rentrer, ce est plus simple pour vous, non ?

Je me souvenais que pour rallier le château, il me fallait monter. Une longue route pavée montait jusqu'aux murailles depuis le bourg. Le pauvre homme allait souffrir s'il m'accompagnait jusqu'au bout. Avec un peu de chance, d'ailleurs, une fois en haut de cette rue-ci, les murailles m’apparaîtraient et le chemin pour les rejoindre également. Je ne voulais pas être responsable de tant de douleur quand ce n'était pas nécessaire.

Le pauvre homme eut l'air soulagé de ma proposition. Sans doute aurait-il été jusqu'au bout si je ne lui avais pas suggéré qu'il n'était pas nécessaire qu'il gravisse ainsi la côte dans le seul but de m'aider. Et de fait, il était plus simple pour lui de rester en bas, car c'était sans doute en bas qu'il vivait. Castelcerf s'était perché bien trop haut pour les jambes affaiblies de mon guide.

J'écoutais attentivement ses recommandations. Je ne tenais pas à perdre plus de temps encore. J'étais déjà en retard, on allait sans doute m'attendre, et j'essuierais sans doute quelques remontrances. Les indications me laissèrent à penser que ma destination n'était plus très loin. Il ne serait pas compliqué de rallier le château.

- Merci beaucoup pour votre aide. Prenez soin de vous, ajoutais-je pour dernière recommandation.

Je me retournais pour m'en aller mais, après quelques pas, une pensée me vint. Je m'arrêtais aussitôt pour adresser une dernière remarque à mon guide.

- Je ne connais pas votre nom...

J'avais envie de savoir à qui je devais ce coup de main providentiel.

Tiens donc, l'homme n'était pas ami avec les autorités. Qu'est-ce qu'un danseur pouvait représenter comme menace pour les habitants du château ? Devais-je voir un lien entre ses difficultés alors qu'il était encore jeune, cette cape qui dissimulait la presque totalité de son visage et cette hostilité envers les gardes du château ? Je ne savais trop, mais je me promis de garder cette idée dans un coin de mon esprit.

Alors que j'ouvrais la bouche pour répondre à Saule, quelqu'un m'interpella par mon nom. Je me retournais aussitôt, reconnaissant cette voix familière. Shane descendait déjà la rue, bonant malant, malgré son pied. Naturellement, mon absence avait fini par se voir. On ne serait pas content de moi quand je rentrerais enfin. L'enthousiasme que mit Shane à nous rejoindre me fit un peu peur, je la vis tomber plusieurs fois, mais non, c'est à peine si elle trébucha. Et la jeune fille ne tarda pas à se trouver à notre hauteur.

- Shane, fis-je pour l'accueillir, entre interrogation et inquiétude.

Que faisait-elle là ? Et comment avait-elle fait pour me trouver ? Lorsqu'elle se planta entre lui et Saule, je compris vite qu'elle se trompait à propos de la situation. Je posais une main apaisante sur son épaule pour la détromper, mais elle sembla s'en rendre compte toute seule. Je lui expliquais néanmoins ce que je devais à l'homme qui se trouvait face à elle, parlant dans la langue des Duchés, par égard pour notre vis à vis.

- Je suis me perdu en ville, il me a aidé pour trouver le chemin.

J'inclinais la tête pour acquiescer à sa demande concernant mon nom.

- Oui.

Je ne me souciais guère de la prononciation de mon nom. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait plus d'importance, déjà écorchée par les chalcédiens, les cerviens avaient opté pour une autre encore. Qu'importait le nom qu'on me donnait, de toute façon. Mais sa question quant à notre lien de parenté m'amusa. Je comprenais son hésitation, Shane et moi n'avions pas grand-chose en commun. A vrai dire, je ne ressemblais à personne (fierté et malédiction à la fois).

- Non, pas de famille. Shane est une amie, ancienne esclave aussi.

Hé oui, Shyrin n'était pas un monstre. Ses deux esclaves, même une fois libres, avaient décidé de demeurer avec elle plutôt que de partir. Qu'on se le dise. Le souvenir de la conversation que nous menions peu avant allait sans doute revenir dans l'esprit de mon guide, et je m'en amusais.

- Alors je suis content de cette danse pour vous. Payé votre travail.

Le pauvre homme avait tout de même pris la peine de m'accompagner malgré ses difficultés. Si ma danse lui avait plu, malgré la nostalgie que cela lui avait coûté, alors cela me faisait plaisir. Je lui souris puis ajoutais à l'adresse de Shane :

- Je ne pense pas que... utile.

Ce n'était pas tout à fait le mot que je cherchais, mais je ne trouvais pas la traduction exacte qui me permette de dire que ce n'était pas intéressant de revenir en arrière alors que nous venions précisément de faire le chemin inverse de celui qu'elle suggérait. Saule s'était donné la peine de faire un détour pour m'aider.

- Il a raison, on devrait rentrer, dis-je à Shane, en chalcédien cette fois pour aller plus vite, nous devrions rentrer, j'imagine que je suis en retard.

Je ne savais encore trop ce qui m'attendais mais étant donné notre traitement je ne m'attendais pas à des félicitations pour mon absence. Puis je relevais les yeux vers l'homme qui avait pris la peine (c'est le cas de le dire) de me mener jusque là.

- Encore merci. J'espère que vous va mieux aller.

Shane tirait sur ma manche, semblant étonnée que j'ai pu danser en public, dans la rue. C'est vrai que je n'avais plus dansé depuis notre capture, sauf une fois pour entrainer Shyrin avec moi. Ce n'était pas un manque d'envie, il me semblait seulement que le château n'était pas prêt à me voir danser. Je souriais, amusé devant son étonnement.

- Oui, je dan… as… ai dansé dans la rue.

La conjugaison des verbes dans la langue des Duchés était encore compliquée pour moi, mais cela viendrait. Je finirais bien par y arriver, après tout il m'avait bien fallu apprendre la langue de Chalcèdes à une époque, même si j'avais alors quinze ans de moins, mais je ne croyais pas mon esprit moins capable.

Aussi agréable que fut la compagnie de Saule, il fallait bien qu'ils rentrent. Il y avait des choses à faire au château. Je saluais mon guide de la main tandis qu'il s'éloignait.

- Au revoir, j'espère.

Car il me serait agréable de recroiser la route de cet homme qui m'avait gentiment montré le chemin. Un ancien danseur, en froid avec les autorités du château, voilà qui avait de quoi m'intéresser. Après quoi, je rattrapais Shane qui avait pris un peu d'avance. La pauvre petite devait peiner, elle aussi, dans cette montée rendue plus difficile par son pied. Sans aucune remarque, je m'adaptais simplement à son rythme.

- Shyrin est fâchée de mon retard ? demandais-je alors, supposant que c'était là la raison pour laquelle Shane était venue à ma rencontre.