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| Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) | |
| Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Ven 7 Oct - 20:55 | |
| En ce beau matin frais, Mélisse sortit de sa boutique munie d'un panier d'osier. Chaudement vêtue de fourrures venues des Montagnes obtenues pour paiement de ses services, un repas frugale au fond du panier, elle se rendait dans la forêt. Elle avait besoin de quelques plantes dont certaines se trouvaient relativement bien en cette saison.
Le trajet était long, à pied. Heureusement pour elle, la sorcière trouva un marchand, à la sortie de Bourg de Castelcerf, qui fut assez gentil pour la prendre avec lui sur la route et la mener jusqu'à la forêt, à travers laquelle il lui fallait passer de toute façon. En chemin, ils discoururent. Comme elle lui expliquait pourquoi elle se rendait dans les bois, le brave homme se moqua de sa profession, sans méchanceté, mais devant le calme de Mélisse qui ne s'offusqua pas le moins du monde, il n'insista guère et changea vite de sujet.
Finalement, la jeune femme parvint à destination et le marchand la laissa sur le bord de la route avant de continuer son chemin. Mélisse, quant à elle, s'engouffra entre le arbres en suivant un petit sentier. Sa récolte fut bien pauvre, comme on pouvait s'y attendre en cette saison, mais Mélisse fini par trouver ce pour quoi elle avait fait le déplacement : un buisson de houx.
Penchée sur l'arbuste, elle cherchait les meilleures branches à couper quand un bruit de pas se fit entendre dans les sous bois. Mélisse se redressa aussitôt pour regarder autour d'elle. Rien ne sembla bouger. Se disant qu'elle avait du rêver, elle s'empara de sa serpe et reprit où elle en était. Mais alors qu'elle abattait la lame sur la branche, sa main dérapa et la serpe termina sa course dans la paume de celle qui tenait le houx. Sous le coup de la douleur, elle poussa un juron bien senti, qu'il aurait été inconvenant de faire entendre à de jeune oreilles. Fort heureusement, il n'y en avait pas autour, et quand même c'eut été le cas, le mot montagnard ne leur aurait rien dit.
Mélisse lâcha la serpe qui tomba au sol avec un bruit mat, et observa sa main. Le sang coulait, elle ne s'était vraiment pas ratée ! Attrapant son mouchoir, elle tâcha d'endiguer le flot. C'est alors qu'elle se rendit compte qu'elle n'était pas seule.
Il y avait là un homme. Un voyageur, à en juger par son accoutrement couvert de poussière, son bâton et la barbe qui lui mangeait les joues. Que faisait-il donc là ?
- Bonjour, salua Mélisse, à défaut de mieux. |
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| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Sam 22 Oct - 20:54 | |
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Il arrivait et bientôt, l'envie lancinante qui le poursuivait depuis quelques semaines allait se taire, il le savait. Ce qu'il ne savait pas c'était pourquoi ses pieds, son corps, son cœur souhaitaient à ce point qu'il se rende dans la Capitale des Cinq Duchés. Alors, rien que pour montrer la supériorité de la volonté sur l'impulsion, il se forçait parfois à attendre, à faire escale dans de petits villages qu'il aurait sinon traversés de son pas tranquille mais efficace. L'appel ne s'arrêtait jamais. C'était comme si l'on avait attaché une ficelle à son cœur et qu'on le traînait par la poitrine. Bientôt. Et alors qu'il s'approchait, son esprit libre se rebellait de plus en plus à l'idée d'être manipulé. Il quitta la route, ce qui lui valu un effort de volonté presque surhumain. Errant dans les bois, combattant une tendance inconsciente qui semblait le pousser à rejoindre la route, Iskjan, derrière son visage tranquille et sa marche silencieuse menait un combat sans merci.
Autour de lui, la nature semblait indifférente à ses tourments. En temps normal, le bruit du vent bruissant les feuilles et des branches craquant sous ses pieds l'aurait fait sourire. Il aurait volontairement accordé son pas à la musique naturelle du monde autour de lui, son bâton battant la mesure comme l'archet d'un ménestrel faisait battre les cœurs de ceux qui l'écoutaient. Cette fois, tout à sa bataille, le chant du bois passait loin au dessus de sa tête et la faune et la flore l'entourant ne réussissait pas à distraire ses pensées.
Un juron bien senti dans sa langue natale, par contre, y arriva très bien. Il s'arrêta, un peu surpris d'être là où il était sans bien savoir où cela pouvait bien se trouver. Attentif, enfin, au monde qui l'entourait il prit la direction qui lui semblait la plus logique en fonction de l'éclat de voix qu'il avait entendu. Soudain dociles, ses pieds suivirent et il sentit un poids disparaître de ses épaules. Pendant quelques minutes, il retrouvait sa paix intérieure. Aider une âme en peine passait toutes les priorités réelles ou capricieuses.
Une femme se tenait devant un buisson de houx, une longue chevelure de jais tombant à moitié sur son dos. Curieux. Les hommes et les femmes de son pays arboraient en général des teintes plus claires dans les blonds et les roux bien que les cheveux sombre – comme l'étaient les siens d'ailleurs – existent bien. Il s'arrêta tranquillement, laissant un sourire amusé illuminer un peu son visage grisé par la poussière du chemin, attendant qu'on le remarque et qu'on l'accueille. Elle se tenait la main. Peut-être s'était-elle blessée ? De dos, il était difficile d'être sûr. Et puis, finalement, elle se retourna pour lui adresser un salut hésitant auquel il répondit tranquillement, sa voix grave portant sans peine dans l'écrin de verdure qui les entourait.
« Bonjour, petite sœur. » Il avait laissé, pour une fois, son accent montagnard percer derrière ses mots quand bien-même il s'était exprimé dans la langue des duchés. « Vous êtes blessée ? »
Le mouchoir qu'il devinait noué autour de la main était bien un indice cependant, certaines personnes fières n'aimaient pas qu'on assume leur maladresse et Iskjan n'avait pas envie de laisser un mot malheureux ternir une nouvelle rencontre. Il leva le menton en direction de la main bandée, curieux.
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| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Mer 26 Oct - 22:23 | |
| L'homme ne semblait pas étonné de la trouver là, contrairement à la jeune femme qui s'était cru seule dans ces bois envahis par l'hiver. Sa réponse, quelque chose dans le choix des mots, évoqua tout de suite des accents familiers à Mélisse qui ne saisit pas tout de suite pourquoi. Un léger accent perçait pourtant dans la voix grave et douce du voyageur, mais la mélodie lui en échappa, car elle possédait le même accent, à peu de choses près.
Tenant sa main avec l'autre, pressant son mouchoir sur la plaie, elle eut un geste négligent devant le regard interrogateur de l'inconnu.
- Oui, je me suis coupée. Elle rit. Ce que je peux être maladroite parfois.
Elle souleva un peu le mouchoir pour voir la plaie. Bien, elle n'était pas si importante que le sang ne l'avait laissé penser. Bien entendu, cela faisait mal mais la blessure guérirait sans autre difficulté. D'ailleurs, le flot diminuait doucement. Il fallait seulement qu'elle continue à comprimer la plaie jusqu'à ce que le sang cesse de couler.
- Ce n'est rien, dit-elle à l'adresse de l'homme qui se tenait face à elle. Je guérirai.
Nouer le mouchoir autour de sa main pouvait être une bonne idée. Cela demandait cependant de la dextérité qu'elle ne possédait pas avec une seule main. Et comme elle s'y essayait, elle tourna son regard vers l'homme.
- Pourriez-vous m'aider ? |
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| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Sam 5 Nov - 12:44 | |
| Un sourire silencieux accompagna le petit rire de la jeune femme. La vie des routes était faite de ce genre de petits incidents. L'on s'y coupait, brûlait et blessait aussi bien qu'une tavernière préparant le festin d'une demi-douzaine de tenanciers alcoolisés et la maladresse n'était pas toujours responsable. Seuls ceux qui ne faisaient rien pouvaient se targuer de ne jamais sentir la froide sensation de la chair abîmée qui par une épine, qui par une lame, qui par un caillou pernicieusement placé sous un pied. Par chance, la coupure de l'inconnue semblait plus douloureuse que grave. Une plaie peu profonde, pas trop large et nette qui avait eu le malheur de croiser la route d'un petit vaisseau sanguin mais pas l'intelligence de sectionner un tendon. Elle allait avoir la paume raide quelques jours et la cicatrisation démangerait mais, pour autant que l'infection ne s'y mette pas, elle retrouverait rapidement toute sa mobilité et il était peu probable qu'elle se retrouve à terme avec une ligne supplémentaire. Il hocha la tête. Elle guérirait, en effet. Et, avec cette évidence revint l'envie lancinante de partir sur les routes retrouver le château qui tirait son être. Inconfortable, il piétina un peu, puisant dans sa patience et sa volonté pour continuer cette rencontre.
« Avec votre permission. »
Il s'approcha encore - s'éloignant de la route lui rappela l'appel qui commençait vraiment à lui courir sur le haricot – et attrapa dans ses mains burinées le membre blessé de l'inconnue. Doucement, il la tourna un peu, observant la peau pâle, sentant sa douceur sous ses doigts. Ce n'étaient pas des mains de cuisinières. Elles n'étaient pas aux champs ni habituées à se battre. Cependant, elles n'avaient pas non plus la lisse texture des mains de nobles ou de ceux qui passent leur vie gantés. Commerçante peut-être. Il avait du mal à l'imaginer s'occuper d'enfants toute la journée, cependant l'hypothèse n'était pas à exclure. Il secoua un peu la tête, se réprimandant mentalement pour sa curiosité déplacée et fouilla dans sa sacoche pour en sortir sa gourde d'eau claire et un peu de ses propres charpies qu'il gardait justement pour des occasions comme celles-ci.
« Je ne suis pas guérisseur mais un ami qui l'est m'a appris un jour qu'il vaut toujours mieux faire un pansement avec un linge propre et après avoir nettoyé autour de la plaie. »
Il lâcha une seconde la patte blessée et versa généreusement son eau de boisson sur le tissu et sur ses bottes par la même occasion. Sans prêter attention à la perte, il rattrapa le membre et commença à tamponner pour mieux enlever le sang coagulé qui souillait les alentours de la plaie, veillant tout de même à ne pas rouvrir cette dernière par la même occasion. S'il la tenait fermement pour ne pas être gêné par des mouvements involontaires, il était sciemment assez lâche pour permettre à la propriétaire de la main de la retirer si elle le décidait. Certaines femmes des duchés étaient assez pusillanime quand il s'agissait de se laisser toucher par des inconnus.
« Au fait, on m'appelle Iskjan. Que faisais-tu dans les bois en plein hiver avec un instrument tranchant, petite sœur ? »
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| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Dim 6 Nov - 13:41 | |
| L'homme était beaucoup plus doux que ce que l'on pouvait croire au premier abord. Mélisse le regarda s'occuper de sa main avec les yeux appréciateurs de qui connaît un peu l'affaire. La sorcière avait reçu ce savoir de sa mère guérisseuse, entre autre choses, elle salua donc les gestes de l'inconnu à qui elle n'avait pas demandé tant.
- Vous avez tout à fait raison, et je remercie cet ami de vous l'avoir appris. J'aurais pu le faire une fois chez moi, mais j'apprécie votre aide.
Elle le laissa faire sans protester. Une grimace tordit sa bouche une fois ou deux, lorsqu'il pressa la plaie en la nettoyant, mais elle subit cela sans retirer sa main, consciente que c'était nécessaire. Heureusement, l'homme continua à converser, ce qui permit de détourner l'attention de Mélisse. Et lorsqu'il se présenta, Mélisse comprit ce qui lui avait rendu l'étranger si familier.
- Et toi donc, que fais-tu si loin des Montagnes ? lui demanda-t-elle dans sa langue natale dont elle n'avait rien oublié malgré les années passées.
Peut-être se trompait-elle mais un tel nom n'était assurément pas des Duchés, tout comme sa façon d'être. Il n'y avait qu'un Montagnard pour parler et se mouvoir comme il le faisait. |
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| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Ven 18 Nov - 18:43 | |
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Les mots avaient ce pouvoir de faire oublier la réalité, le temps, la douleur, le mal-être. Ils enveloppaient l'âme et la transportait loin du corps. Ceux qu'il utilisait là n'avaient rien de bien merveilleux, ce n'étaient que des paroles du quotidien, des sons tranquillement prononcés pour distraire tout en faisant connaissance. Et s'il n'y avait pas mis d'autres intentions que celles-ci, ils remplissaient très bien leur office. Pendant tout le temps du nettoyage, la jeune femme n'avait pas retiré sa main, pesté contre la fraîcheur du liquide dans le froid de l'hiver ni même hurlé de douleur, malgré les quelques grimaces qui lui avaient échappées. Toujours aussi tranquille, le conteur attrapa un autre bout de tissu propre et termina un pansement bien serré qui, tout rustique qu'il soit, faisait son office aussi correctement qu'un autre. Ce n'est qu'alors qu'il lâcha la patte blessée de sa compatriote et reprit dans sa langue natale, sa voix roulant comme les cailloux d'un torrent descendant du glacier.
« Tant qu'à faire quelque chose, autant le faire bien, petite sœur. Un pansement sur une plaie sale aurait été souillé et tout aurait été à refaire une fois chez toi. Là, tu peux oublier ton égratignure et te concentrer sur autre chose. »
Ses yeux grave s'illuminèrent alors d'un léger amusement tandis qu'un sourire impertinent rajeunissait soudain ses traits tirés de vagabond.
« Comme, par exemple, répondre à ma question au lieu de tenter maladroitement de noyer le poisson en me renvoyant la balle. »
Il termina de ranger ses affaires, piétinant un peu pour ôter l'eau perlant sur ses bottes et faire taire l'appel qui continuait à lui hurler de reprendre la route avant de soulager vaguement son impatience en posant sa main valide sur la tête de la jeune femme dans un geste affectueux, inconscient de sa familiarité peut-être incongrue. Cela ne dura que quelques morceaux de seconde et il reprit, toujours dans sa langue natale dont il retrouvait les sons avec plaisir.
« Je te propose un marché. Une histoire contre une histoire. Cela fera passer le temps jusqu'à ce que je te raccompagne chez toi. » Il leva la main pour arrêter toute tentative de discussion et reprit avant qu'elle puisse reprendre « Parce que je te raccompagne chez toi petite sœur, je ne t'ai pas fait un joli pansement pour que tu le gâches à t'évanouir seule en chemin parce que tu auras perdu trop de sang. Une fois que tu seras tranquillement entre quatre murs, je te le promets, je te laisse en paix. »
Ce n'était pas dit qu'elle accepte et l'on voyait bien dans sa posture qu'Iskjan attendait quand même une réponse, corporelle ou verbale avant de s'imposer réellement. Il était sincère cependant. La blessure n'était pas grave, elle guérirait mais il n'était pas guérisseur et il n'avait aucun autre moyen de s'assurer que rien de grave ne se cachait derrière la coupure en apparence bénigne. Il avait entendu parler de simples épines qui, en tournant mal, pouvaient priver un homme adulte de sa jambes... c'était même l'une de ses histoires préférées.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Dim 20 Nov - 22:49 | |
| Le pansement fut achevé proprement. Mélisse n'aurait certes pas fière allure avec ce bandage de fortune, mais il y avait bien longtemps qu'elle ne se souciait plus de ce que les gens pouvaient penser d'elle. Au moins la coupure ne saignait plus, elle était nettoyée et protégée. La guérisseuse Montagnarde qu'elle avait été n'aurait pas fait mieux. Surtout avec une seule main pour faire le pansement.
Elle récupéra donc une main bandée, qu'elle s'empressa de ranger au chaud dans sa manche pour éviter que le froid ne vienne déranger plus encore sa main abîmée.
- Merci, dit-elle en réponse aux paroles du Montagnard. C'est tout à fait juste, mais j'ignorais alors que tu serais en mesure de m'aider au-delà du plus simple.
Le sourire d'Iskjan était contagieux, surtout adressé à une femme telle que Mélisse, naturellement portée à sourire. Les lèvres de Mélisse imitèrent sans peine celles de son vis-à-vis, avant que la jeune femme ne se mette tout bonnement à rire, d'un rire bref, à sa remarque.
- Je ne cherchais pas à me défiler, mon ami, je suis tout simplement étonnée de trouver ici quelqu'un qui ait quitté les cimes blanches de mon pays natal. Je n'imaginais pas qu'un autre fou ait put suivre le même chemin, ou du moins ne pensais-je pas en rencontrer un, un jour.
Il fallait bien que d'autres aient parcouru les chemins sauvages, à peine connus, qui reliaient les Duchés aux Montagnes, car sinon Mélisse n'aurait jamais vu le jour. Mais pour la curiosité vorace de Mélisse, le marché d'Iskjan était plus qu'équitable. Il lui permettrait de savoir d'où venait cet homme et comment il avait fait pour venir dans les Duchés. Sans parler du pourquoi. Elle allait lui dire combien cela l'enthousiasmait quand il l'interrompit. Il pensait qu'elle refuserait, ce qui l'amusa. Oui, c'est vrai, dans les Duchés une telle proposition aurait pu choquer. Mais Mélisse était bien loin des considérations morales des Duchés. Sa réputation de sorcière était de toute façon faite, elle n'était plus à un détail près. Et comme Iskjan attendait une réponse de sa part, elle ne se fit pas prier pour la lui donner.
- Il n'y a pas de raison que je me vide de mon sang, mais je crois que ton aide vaut bien une boisson chaude. J'accepte volontiers ton escorte.
L'accord conclu, Mélisse se baissa pour ramasser sa serpe. La prochaine fois elle viendrait avec une meilleure lame. Cette fois-ci, le houx avait gagné le droit de continuer à pousser sans être dérangé, mais la sorcière n'avait pas dit son dernier mot. Fourrant sa serpe dans son panier qui ne contenait par conséquent que le déjeuner frugale qu'elle avait prévu. Elle revenait bredouille. Du moins, en apparence, mais elle avait une rencontre dans son escarcelle, et ce n'était pas rien aux yeux de Mélisse.
- J'habite dans Bourg-de-Castelcerf, j'espère que tu devais y passer.
Sans attendre, Mélisse se mit en marche. Il y avait un peu de route, s'y mettre tôt permettrait d'arriver à destination plus tôt. Et il pourrait bien lui répondre en marchant.
- De quel village viens-tu ? commença-t-elle alors l'interrogatoire, trop pressée de tout savoir. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Dim 18 Déc - 21:39 | |
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Amoureux des mots comme ils l'étaient, surtout lorsqu'ils étaient prononcés dans le dialecte si agréable à ses oreilles de sa langue natale, Iskjan ne pu que noter le terme d'ami qui avait été employé à son égard. Il inclina la tête en réponse a ce tout nouveau titre qui ne l'étonnait pas plus qu'il ne le dérangeait. La laissant ramasser ses affaires et continuer à discourir avec une simplicité qu'il n'avait plus vue depuis longtemps dans les rapports humains, le conteur fit sauter son bâton de son pied jusqu'à sa main, la partie d'écorce rendue lisse par les saison tombant simplement dans sa main. Des runes gravées dans le bois tendre rappelaient des morceaux de chemin, dissimulant la pièce d'or qui tintait parfois sur les pierres des chemins. Ils avancèrent tranquillement à deux dans une direction qui semblait convenir au lien qui lui tirait le cœur. Bourg de Castelcerf. Pourquoi pas. Un lieu, pour lui, en valait un autre, les rencontres étant tout ce qui faisait le miel des lieux.
« Je ne me souviens plus du nom de mon village. Je me souviens du bruit du vent qui pliait l'herbe, la faisant onduler comme autant de vagues verte, parfois assombrie de soleil, parfois voilée du blanc du gel. Je me souviens des nuages qui étaient bloqués par les pics. Des cris des pâtres dans les prés, du bruit du rouet, des femmes au lavoir qui battaient les tissus. Je me souviens des murets de pierre arrivant au genou, terrassant les pentes, des odeurs d'épice de l'hiver, des vins d'été, des fleurs de printemps et graines d'automne. Je me souviens des gens, de leurs voix que je pourrais décrire pendant des heures, roulant comme autant de pierres dérangées par les avalanches. De leurs visages, de leurs sourires, de la chaleur de leurs mains rendues calleuses par le travail de la terre. Mais le nom du village, vraiment, je ne m'en souviens pas. »
Sa voix avait sans effort épousé le rythme de leur marche, suivant le vent qui les entourait pour se perdre, grave et chaude dans les oreilles de son interlocutrice. Il n'y mettait pas de magie mais un art de se faire entendre, de transporter et de faire voyager. Et il n'avait pas encore commencé son histoire qui prenait forme dans son esprit.
« Une histoire contre une histoire petite sœur. Je te raconte une histoire et tu me racontes la tienne. D'où tu viens, où tu vas, ce que tu fais, comment. Ou autre chose si tu as des idées. Je prends les questions mais uniquement une fois l'histoire finie. Si tu le désires, je commence, attend. »
Il prit une profonde inspiration, creusant ses méninges pour lancer un conte qu'il jugeait d'autant plus approprié qu'il le composait au fur et à mesure.
« Il avait le nom des cailloux quand ils étaient portés par les torrents. Pas encore poli, bien sûr, il avait quand même perdu un peu de ses aspérités depuis qu'on l'avait détaché de son rocher, plus haut dans les glaciers couvert de cette neige ancestrale à la fois toujours jeune et aussi vieille que le temps. Il avait rebondit, effleurant l'air, retrouvant l'eau, ballotté au gré des courants, tantôt à droite, tantôt à gauche, une face frottant sur le lit de gravier, l'autre parfois caressée par les écailles d'un poisson. Il n'avait rien vu du paysage autour, indifférent à l'apparition des arbres dans des altitudes plus clémentes. Les ablutions des cerfs, les sifflements des marmottes, les ombres géantes des aigles n'avaient pas d'importance pour le caillou qu'il était. Rien n'en avait que sa chute interminable et langoureuse vers une mer dont il ne verrait jamais les vagues. Et il courait ainsi, aveugle vers un destin inconnu, profitant sans retenu de ce qu'il n'avait pas de choix à avoir, pas de conscience à trouver. Jusqu'au choc.
Ce n'était rien qu'un rocher qui se trouvait là. Un rocher qui avait produit tout un tas de cailloux comme lui. Un rocher au milieu du torrent qu'il rencontra à pleine vitesse, crevant l'onde comme on vide un abcès pour se perdre au milieu d'un chemin de poussière et d'épines et de mousse. Un chemin immobile, qui ne le poussait pas, qui ne lui donnait aucune forme, un chemin sans rien.
Il attendit. Que pouvait-il faire d'autre ? Il n'était qu'un caillou de torrent sans torrent, pas encore assez poli pour être galet, pas assez coupant pour être une arrête, rien qu'un caillou au milieu d'un chemin qui ne bougeait pas, entouré d'un air qui ne le poussait pas, immobile dans une pente qui n'était rien pour lui. La poussière, elle, semblait portée par le vent vers des destinations mystérieuses, tantôt hautes, tantôt basses, tantôt baignées de lumière. Il attendit parce qu'il n'avait pas le choix. Il attendit longtemps. Assez pour voir les sabots des cervidés prudents quand ils s'avançaient à découvert. Assez pour surprendre l'ombre des aigles à travers les branches des arbres. Assez pour savoir l'automne et le printemps, et l'été et l'hiver et ces neiges qui tombent et qui fondent sans connaître le temps. Il attendit et il attendit et il attendit l'eau qui ne vint pas, ou pas assez, tombant du ciel au lieu de le pousser hors du temps. Il attendit assez, il attendit tellement, qu'à peine s'il remarqua la main du garçon qui le prit et le fourra dans sa poche. Il ne voyait plus les sabots des cervidés, il ne sentait plus le vent qui n'était pas assez fort pour le pousser. Il n'y avait pas les caresses des poissons et le raclement du fond du lit mais le mouvement avait reprit et le caillou, à nouveau, était traîné par l'appel invisible d'un océan qu'il ne verrait jamais.
Le garçon prenait soin de lui. C'était un joli caillou. Il l'emportait dans des endroits, le frottait contre des rochers pour le rendre bien lisse. Il y avait des mots derrières les gestes. Les cailloux se fichent des mots qui ne sont pas leurs noms et aucun ne rappelait celui de ceux qui étaient emportés par les torrents. Petit à petit, il sentit sa matière se réduire un peu ici, et là, jusqu'à ce qu'il devienne un beau galet poli, lisse, forgé par l'eau, par la poussière, et par la main d'un enfant. Il retrouva la poche sans émotion particulière. Son éveil le poussait à attendre encore. Ce qu'il fit.
La suite, la fronde, le cuir, le vol, le choc, rien n'aurait pu l'y préparer. D'un coup d'un seul, caillou devint galet puis arme. Il subit les airs comme il avait subit le torrent, se retrouvant, poussière énorme, à aller en haut, puis en avant, puis en bas, roulant sur le sentier comme il avait roulé sous le courant, dévalant la pente, son chemin se formant au gré des obstacles qui le ralentissaient, certes, mais le guidaient aussi, un coup vers la droite, un coup vers la gauche. Et c'est ainsi qu'un jour, il traversa les frontières des hommes. Mais qu'est ce qu'un caillou connaît aux hommes, lui qui n'avait rencontré que les mains formatrices d'un petit garçon. Et c'est ainsi qu'un jour, il arriva au bas de la montagne, arrêté dans son élan, l'appel de la mer toujours au cœur avec cette question à la fois lancinante et pleine de promesse.... »
Il laissa une nouvelle fois ses mots se perdre dans le silence du chemin, emportés par la brise, s'éteignant sans se briser, laissant entre eux comme un cocon d'absence et de réalité qui reprenait, petit à petit, ses droits.
[HJ]Oh temps, minutes et secondes...où êtes vous passées ! Désolé pour ce mois d'absence, je ne sais juste pas où je l'ai mis. J'espère que mon premier conte d'Iskjan te plaira.[/HJ] |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Si loin des Montagnes... le mal du pays (Ikjan) Jeu 5 Jan - 7:53 | |
| Si Mélisse fut déçu qu'il ne sache pas dans quel village il était né, Iskjan lui fit oublier cette déception. Ses paroles fleuraient bon les Montagnes, la pierre et les forêts, les neiges éternelles et les verts pâturages. Les rares villages existants dans ce que les Duchés définissaient comme un royaume devaient sans doute se ressembler. Les Montagnards étant bien souvent des nomades, on vivait très simplement dans ces contrées hostiles et froides mais qui savent vous dérober le cœur. Depuis combien de temps Mélisse n'avait-elle pas vu les pâturages enneigés, les chemins bordés de murets et le lac de son enfance ? Plus de dix ans, c'était certain. Elle avait cessé de compter lorsqu'elle avait prit la décision de vivre sa vie à Bourg-de-Castlecerf. Y resterait-elle jusqu'à sa mort ? Peut-être. Ou peut-être pas. Même la sorcière ne pouvait le dire. Pourtant elle repensait à tout cela alors qu'Iskjan lui décrivait si poétiquement leur pays natale.
Cette façon de parler, si particulière, rappelait à Mélisse les soirées près du feu. Cette manière de jongler avec les mots, de les assembler pour créer un décor, une histoire. Iskjan était un conteur, à n'en pas douter. Un homme qui sillonnait les routes pour récolter et semer les histoires sur son passage. Pour apporter des nouvelles ou faire rêver. Prise par la magie du conteur, la sorcière se laissa envoûter avec plaisir et n'interrompit pas le récit, comme il l'avait demandé. Elle l'écouta raconter l'histoire de ce caillou appelé par l'océan qui devenait galet et projectile. Elle l'écouta simplement, sans plus réfléchir et comprit finalement de quoi il retournait.
Le silence s'installa après la fin du récit. Muette, Mélisse passait à rebours l'histoire du caillou dans son esprit, comprenant qu'il s'agissait de l'histoire d'Iskjan. Si la sorcière jouait de l'aura de mystère qui l'entourait aux yeux des cerviens, Iskjan n'avait rien à lui envier. Ses paroles devaient sans aucun doute embrouiller les esprits les plus éclairés, là où il passait.
- C'est une histoire intéressante, déclara-t-elle finalement.
Elle eut le sentiment de briser quelque chose par le simple son de sa voix. La mélodie du conteur disparaissait, effacée par la voix de la sorcière. Elle en fut déçu. La magie s'était envolée. Mais peut-être au profit de quelque chose d'aussi intéressant ?
- C'est donc ainsi que tu gagne ta vie en ce pays. Tu raconte. Tu chemine et tu dissémine dans le vent tes histoires.
Pas d'interrogation dans la voix. Il n'était pas besoin de précision, son récit avait parlé pour lui.
- Les histoires des Montagnes plaisent-elles dans les Duchés ? |
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