À la demande de Vainqueur je devais donc m'infiltrer dans les rangs vifiers, essayer, sans me trahir, de découvrir leurs plans, et les contrecarrer. Sans me faire remarquer. Mais je devais m'infiltrer.

J'avais appris il y a peu qu'un certain Saule, apparemment vifier, s'était échappé des geôles de Sir Glace. J'avais donc envoyé des informateurs, et appris qu'il se cachait simplement dans la ville. Il était fatigué et avait été vu près du port. Je ne savais pas grand chose d'autre sinon qu'il était danseur.

Aujourd'hui j’étais descendu en ville, un panier de nourriture sur le bras et bien l'intention de le trouver. L'air était frais, le ciel clair et les pavés glissant. En approchant du port, je le vis assis sur un quai.

Préférant commencer notre relation sur de bonne bases (bien que je sache que je devrait forcement lui mentir), je m'approchait souriant, m'assis à côté de lui, posant le panier entre nous deux et je regardais la mer.

Malgré les exhortations de Cascade à le voir rester tranquillement en sécurité, Saule ne manquait pas une occasion de prendre l'air. Il ne supportait pas l'enfermement, vraiment pas. Et ce jour-là, le temps promettait de rester au beau fixe, malgré le froid de la saison. Alors, il avait laissé son épouse et sa fille à leur ouvrage, pour venir traîner son inutilité plus loin. Sur le port, en l'occurrence. Il avait cheminé lentement, avec précautions, toujours aidé de son solide bâton, les pans de sa cape toujours resserrés fermement sur lui, le capuchon toujours rabaissé sur son visage pâle.

Déjà las du chemin parcouru, et de l'attention qu'il avait dû mobiliser pour assurer chacun de ses pas sur le pavement humide du bord de mer, il avait accueilli avec soulagement la première possibilité venue de pouvoir s'asseoir. Ce n'étaient que quelques caisses, en attente de chargement ou de transfert vers l'intérieur des terres, et les embruns en avaient détrempé le bois, mais elle lui permettaient au moins de soulager ses jambes toujours affaiblies. Là, il ferma les yeux, et se laissa porter par les simples sensations qui lui parvenaient : exclamations du petit peuple des lieux, cris des oiseaux marins, souffle du vent qui amenait un goût salé à ses lèvres, froissement de tissus d'un passant…

Lequel passant s'approchait assurément de lui. Tiré de sa rêverie, il rouvrit brusquement les paupières, et dut se faire violence pour ne pas prendre la poudre d'escampette dans l'instant. Mais non, le bonhomme ne portait pas la livrée des gardes, et ne semblait être qu'un promeneur inoffensif. Saule resta donc immobile, légèrement tendu, en espérant que l'autre continue sa marche sans lui prêter attention. Raté… il fallait que l'homme choisisse de s'asseoir à ses côtés. Bon, il n'y avait pas grand chose pour poser son derrière dans les environs, il fallait avouer. Il aurait dû y penser et choisir un emplacement où lui seul pouvait se reposer.

Cependant, aucune menace ne semblait émaner de cette présence nouvelle, et l'ancien danseur prit sur lui pour saluer d'un signe de tête poli. Rien que le minimum. Puis il reporta le regard du côté opposé à celui qui semblait intéresser Discret, et tout en surveillant d'éventuels mouvements du coin de l'œil, parut s'absorber dans les activités qui faisaient fourmiller des grappes de silhouettes humaines autour des bateaux à quai. L'autre finirait bien par s'en aller.

Alors que je m'asseyais, Saule eu l'air vaguement effrayait, mais cela lui passa vite. Il détourna le regard, l’air peu enclin à la discutions, et resta le regard fixé sur les bateaux, espérant surement que je parte. Nous restâmes assis ainsi quelque temps, le vent salé me faisant claquer ma cape et asséchant mon visage. Le ciel était bleu, plus foncé que la mer, quoique quelques nuages fin se dessinaient à l'horizon. Il commençait à faire frisquet, assis sans rien faire, et le soleil bas réchauffait peu. Me rendant conte du comique de la situation, j’eus un grand sourire et me retournais vers lui :

"Bonjour"

"Il ne fait pas bien chaud ici, que diriez-vous d'aller manger quelque part? Je connais un coin à l'abri du vent, entre les rochers, superbement magnifique. Il fait faim en ces moments, et ce n'est point prudent de se balader sur les quais quand on malade et recherché.

J'éclatais de rire et me levais d'un bond en direction de la crique.

L'autre ne partait pas. Il allait bien finir par décoller, non ? Saule commençait à penser qu'il allait devoir se lever lui-même, lorsque son voisin se décida à s'adresser à lui. D'un air un peu trop ostensiblement joyeux pour que cela soit naturel, d'ailleurs. Prudent, l'ancien danseur resta de marbre. Il n'avait jamais été très expansif avec les inconnus, ce n'était donc pas bien compliqué. Et ce que l'homme avait certainement voulu comme la chute ne put que le conforter dans son opinion. Si l'autre voulait se moquer de lui, qu'il le fasse donc, mais Saule ne lui donnerait pas la satisfaction de savoir s'il avait fait mouche.
« Dans ce cas, pardonnez-moi de ne pas souhaiter vous suivre. Je n'ai aucune envie d'être vu en compagnie de quelqu'un qui a des ennuis avec les autorités. Mais si vous le souhaitez, je peux vous indiquer un bon soigneur, en ville. »
Plus lentement, il se leva également, mais ne bougea pas, ni dans le sens de Discret, ni dans aucun autre.

Saule se leva lentement, sans l'air de vouloir me suivre. Je me retournai, l'air étonné, et le regardai dubitatif :

"Moi? des ennuis avec les autorités? Elles ne me connaissent même pas... Non, c'est plutôt vous, si j'ai bien compris, qui devrait croupir au fond d'un cachot... Ou alors j'ai été mal renseigné... Bien sûr, d'un autre côté, si vous ne voulez pas venir, je ne vous obligerez pas, mais je vous assure que je vous expliquerais tous ce que je souhaite vous dire, même si je dois vous suivre au fond de l'océan. Alors autant le faire au chaud et à l'abri.

Un brusque coup de vent fit claquer ma cape, laissant voir mon épée et s'envoler le torchon qui recouvrait le panier.

"Merde! Bon, et bien maintenant, dépêchez-vous, ou ça va être froid.

Et je reparti vivement, sans un regard en arrière.

« Eh bien, c'est tant mieux pour vous. Mais vous devez avoir bien peu confiance en la Garde de Cerf, si vous vous imaginez qu'elle laisse courir les criminels… »
Quant à lui, c'était pour le moment ce type qui ne lui inspirait pas confiance. Pas question qu'il le suive dans quelque coin isolé que ce soit, ça, certainement pas. Et l'insistance de l'autre lui semblait suffisamment louche pour le pousser à l'exact opposé.
« Si ça peut vous rassurer, je n'avais pas l'intention d'aller prendre un petit bain de mer… mais pas non plus d'aller me faire détrousser dans une crique déserte. Pas que j'aie grand chose dont me délester, mais j'imagine que ça n'arrêtera personne. »

Au chaud et à l'abri ? A cela, il opina, l'air de reconnaître enfin un peu de bon sens dans ce qui lui était dit. Ce qui ne l'empêcha pas de se mettre en marche, non en direction des falaises, mais plutôt vers le bourg. Plus précisément, jusqu'à l'enseigne d'une taverne. Elles étaient nombreuses sur le port, et il entra dans la plus proche, de sa démarche toujours claudiquante. Évidemment, il savait bien qu'on n'aurait aucun mal à le rattraper si on le souhaitait, il voulait juste éviter de se trouver totalement seul avec ce bonhomme étrange. L'air de ne pas se préoccuper de son poursuivant, il s'assit et attendit qu'une serveuse vienne solliciter sa commande.

Et zut, il ne me suivait pas... Je fit demi-tour et m’engouffrait à sa poursuite dans une caverne. Elle était piteuse, et empestait un mélange rassis de mauvaise bière, de sueur et de sang.

"Bon... Plusieurs choses... De une, je pensais qu'en étant comédien itinérant, on connaîtrait plus de choses, mais bon... Ce symbole, en forme de cheval stylisé, discrètement gravé sur l'entrée, signifie qu'on est dans un repère de voleur... Et en plus, leur bière est dégueulasse. Je comprends que vous ne vouliez pas rester seul avec moi, murmurais-je,mais, s'il vous plait, allons dans une autre taverne... De plus, quand je vous disait entre les rochers, cela signifiait à l'intérieur du château. Ne croyez pas que ce n'est pas parce qu'elle ne vous cherche pas que la garde de Glace ne s'empressera pas de vous remettre derrière les barreaux si elle vous croise, et, croyez-moi, le château est le dernier endroit où elle pensera vous trouver. De plus, vous ne faites pas très honneur à mon repas, amoureusement préparé... Donc, dites-moi si vous préférez la mort, la taverne de qualité, ou le château, sans risque de la garde?

Sur ce je me levait en baillant, et m'étirais en tournant la tête vers la sortie.