Alors que les montures se remettaient au pas, Shyrin sentit que l'atmosphère s'était un peu allégée. Grâce à elle ? Peut-être. ou peut-être pas. Elle ne savait plus très bien où elle en était avec tout ça. Que voulait-elle ? Pas de robes ou de denrées chalcédiennes comme il semblait le croire, c'était sûr. Pas de fanfreluches ni de sucreries. Elle secoua la tête et un sourire éclaira son visage rosi par le froid.

- Vous avez largement pourvu à mon confort, je vous assure.

Elle s'apprêtait à énoncer ce qu'elle désirait quand un minuscule museau roux pointa contre sa joue, à l'intérieur de sa capuche. Tressaillant avec une petite grimace, elle repoussa sous la fourrure Naolan qui lui avait tiré les cheveux, lui intimant en silence de rester tranquille.

- Ce que je voudrais... C'est ça.

D'un petit geste de la main, elle avait désigné ce qui les entourait : la nature, le grand air, les paysages inconnus et le plaisir de les parcourir avec quelqu'un qui les connaissait. Rougissant de son audace, elle baissa les yeux sans pourtant se départir de son sourire, léger mais bien présent.

- Ne vous méprenez pas, je ne souhaite pas parcourir le monde... J'ai seulement envie... Enfin si vous êtes d'accord... J'ai besoin... De me promener parfois... Avec vous, même, si vous voulez être certain que je ne m'enfuie pas...

Elle avait conscience de l'audace de sa requête mais était prête à se plier à toutes les exigences du Roi pourvu qu'il la laisse parfois profiter un peu de la nature, qu'il l'aide à découvrir le pays dans lequel elle passerait sa vie.

Le sourire de Shyrin disparut comme une volée de moineaux alors que Vainqueur lui rappelait sans pitié de quelle manière avaient commencé leurs relations. Il avait raison d'une certaine manière, mais ça n'en était pas moins un coup bas.

- Vous savez pour quelle raison je l'ai fait.

Elle s'était raidie et ses poings s'étaient resserrés sur ses rênes. Elle se força néanmoins à revenir à plus de naturel et soutint le regard du Roi qu'elle ne voyait pourtant pas.

- Et compte tenu de la manière dont vous avez violé mon esprit pour y dérober des informations, on peut sans doute dire que nous sommes quittes. Ma confiance en vous est aussi limitée que celle que vous avez en moi.

Il avait fallu qu'elle le dise, qu'elle ait le dernier mot, et elle s'en voulut aussitôt. Sa fierté bafouée n'avait pas sa place ici et elle aurait mieux fait de se taire au lieu de rétorquer avec arrogance à son geôlier qu'elle lui rendait ses sentiments fort mitigés. Détournant les yeux cette fois, elle fit un petit geste de la main comme pour balayer ce sujet épineux.

- Laissons cela, voulez-vous ? Je suis lasse de me disputer avec vous.

Elle aurait du relever sa remarque sur sa mine, s'en offusquer ou s'en trouver rougissante, mais à la vérité, elle n'avait même pas pris garde à ce commentaire bien personnel. Elle retint seulement qu'elle pourrait sortir avec un chaperon. Elle connaissait le sens de ce mot et avait conscience de ce que sa vertu pouvait souffrir du simple fait d'être sue en seule compagnie d'un homme en âge de s'intéresser à elle. Mais dans cette contrée, cette inquiétude lui semblait superflue. Elle n'y était qu'une prisonnière dont l'honneur et la vertu étaient piétinés par le premier pécore venu. Si seulement Acuité avait pu être là, avec elle.

- Peut-être y'a-t-il un valet aux écuries qui ne manquera pas trop à sa tâche pendant le temps que vous m'accorderez ? Suggéra-t-elle.

Ava et Shane avaient leurs propres tâches désormais et puis elle les voyait déjà beaucoup. Tout comme Constance qui ne perdait pas une occasion de se présenter à sa porte. Non, mieux valait encore être seule qu'avec l'un d'eux. Mais c'était impossible. Alors un quelconque garde, une femme de chambre, un valet, n'importe qui ne la haïssant pas assez pour l'agresser au premier virage. Vainqueur lui-même était bien trop accaparé par ses devoirs royaux mais, malgré leurs accrochages fréquents, il faisait un bon compagnon de promenade. Sa vertu ne s'en relèverait sans doute pas, mais qu'importe après tout.

Shyrin pinça les lèvres, vexée que Vainqueur puisse remettre en question la manière dont les Chalcédiens éduquaient leurs enfants, la manière dont elle avait été élevée.

- Je vous assure que nous n'avons rien à vous envier de ce point de vue.

Même si elle avait souvent échappé - par malice ou par ennui - à ceux et celles supposés veiller sur son intégrité, sa vertu était aussi intacte que l'on pouvait l'espérer d'une princesse destinée à être vendue sur le marché du mariage arrangé. Cela dit, il n'était pas question de discuter de sa vertu avec le Roi.

Abandonnant rapidement son air pincé, elle réfléchit sérieusement à la question toutefois. Pour une fois qu'on lui laissait le choix de quelque chose, autant qu'elle en profite. Prudente, elle buta un peu sur les mots en répondant.

- Quelqu'un d'autre qu'Ava, Shane et Constance, s'il vous plaît. Qui était chargé de veiller sur Acuité ?

Bon, évidemment, il ou elle n'avait pas réellement réussi dans cette lourde tâche. Néanmoins, si cette personne avait convenu à Acuité, elle lui conviendrait aussi. Et si cette personne pouvait la renseigner sur l'étiquette effectivement, ce ne serait pas un mal. Toute à ses réflexions, elle n'avait pas relevé immédiatement la dernière phrase de Vainqueur. Quand elle atteignit sa conscience, elle tressaillit et pâlit de manière inquiétante.

- Mes apparitions publiques ? Bredouilla-t-elle, soudain perdue. Que voulez-vous dire ?

Un vent de panique la faisait soudain frissonner. Qu'avait-il imaginé encore ? Allait-il la punir publiquement d'être qui elle était ? La forcer à des excuses et autres séances humiliantes ?

La mine sombre, Shyrin refusa de s'étendre sur Acuité et ses choix personnels. L'homme chargé de veiller sur elle avait peut-être échoué à la fin mais il était resté longtemps auprès d'elle et lui avait été un compagnon agréable à n'en pas douter, sinon elle ne l'aurait pas supporté. De toute façon, ce n'était qu'une proposition et elle savait bien qu'au final, elle n'aurait pas le dernier mot sur ce sujet. Vainqueur lui imposerait les choix et les gens qu'il estimait justes sans se soucier de son avis. Non qu'elle le lui reprochât, il était le Roi après tout, et elle n'était qu'une étrangère peu au fait des mœurs de leur contrée. C'était juste qu'il était tellement... Rigide.

Alors qu'il précisait et détaillait son idée au sujet de ses futures apparitions publiques, elle se détourna, trop troublée par cette idée pour y réfléchir avec lucidité. C'était complètement saugrenu, s'insurgea-t-elle d'abord en fronçant les sourcils. Mais au fond d'elle, une voix s'élevait déjà pour soutenir le projet de vainqueur. Il était fin stratège et elle reconnaissait qu'il choisissait là une solution adéquate au problème qu'elle lui posait par sa simple présence dans son château. Pourtant... Ni Acuité ni elle n'avait prévu une telle chose. Elle avait aspiré à la paix pour elle-même mais comprenait à présent que la paix pour les deux contrées réclamait ce sacrifice de sa part. Terrifiée à l'idée de la montagne d'erreurs potentielles que représentaient des apparitions publiques, elle baissa la tête et serra les doigts sur ses rênes. Elle avait promis d'être docile, elle ne faillirait pas.

- Si c'est ce que vous désirez, je m'y plierai répondit-elle donc d'une voix blanche.

Il n'y avait aucun moyen pour elle d'échapper à cette parade grotesque et humiliante. Il allait l'exhiber comme un monstre de foire, comme une sauvage devenue civilisée grâce à sa générosité. Et à la première difficulté, elle chuterait, révélant à tout le monde quelle imposture elle était. Joli symbole que voilà, en vérité. Mais ce choix ne lui appartenait pas plus que les autres décisions régentant désormais sa vie. Une idée lui vint cependant et elle résolut d'abandonner son apitoiement sur elle-même pour se concentrer sur ce qu'elle pouvait effectivement faire.

- Il y a une chose que je voudrais vous demander, reprit-elle donc en relevant la tête avec plus de détermination. Mes esclaves peinent à s'intégrer à votre monde et à trouver leur place parmi les serviteurs de votre château. Pourriez-vous trouver quelqu'un qui les aide ? Qui leur enseigne ce qui se fait ou ne se fait pas afin qu'ils ne s'attirent pas les foudres des autres domestiques ?

Ava lui avait bien expliqué : ils ne dépendaient plus d'elle, plus vraiment. Aussi devait-elle s'assurer, comme promis, qu'ils soient bien traités et aient une vie agréable. Elle ne pouvait plus vraiment prendre soin d'eux mais elle pouvait faire en sorte qu'ils n'aient pas besoin d'elle, sans doute. Hérésie chez son père mais après tout, elle était déjà traîtresse à son sang et à sa patrie.

Shyrin comprit instantanément qu'elle avait froissé Vainqueur et s'en voulut de ne pas savoir trouver les mots justes et les réponses adéquates. Un petit soupir agacé, un raidissement de la silhouette, un ton un peu plus sec, il ne comprenait manifestement pas qu'elle ne saute pas de joie ou qu'elle se préoccupe de ses esclaves. Désolée du mur qui se dressait ainsi entre eux, elle ne sut que dire pour l'apaiser ou le consoler et se contenta donc de le laisser mener leur promenade pour ne pas risquer de le fâcher davantage.

Au contraire de sa maîtresse silencieuse et effacée, Naolan avait profité de la confusion engendrée par la nouvelle allure adoptée par leurs montures pour se glisser hors de la capuche de fourrure. Perché sur l'encolure du cheval à présent, il découvrait son nouveau royaume avec plaisir.

Un flocon de neige s'échoua sur la joue rosie de la Princesse, laissant derrière lui une minuscule empreinte glacée mais doue comme un nuage cotonneux. Ouvrant de grands yeux, Shyrin se redressa et lâcha la crinière de Robuste pour porter sa main gantée à sa joue. La neige... On lui en avait parlé bien sûr, et elle l'avait "vue" de sa fenêtre, étendue blanche et givrée décrite par Shane et Ava. Mais c'était la première fois qu'elle la touchait. C'était étrange.

Instinctivement, elle serra les doigts autour des rênes de sa monture, la faisant repasser à un pas beaucoup plus confortable pour elle tandis qu'elle levait la tête comme pour espérer voir danser dans l'atmosphère les flocons glacés. Avec sa vue, c'était utopique, mais elle sentait les petits points humides caresser son visage et en conçut une joie inédite, primitive et totalement infantile, qui se refléta aussitôt sur ses traits jusque là tendus.

- Il tombe neige, murmura-t-elle, extatique, les mots lui échappant encore.

Un couinement de Naolan lui fit tendre spontanément la main vers lui et il grimpa à toute allure le long de sa manche jusqu'à son épaule.

- Oh... D'accord, murmura Shyrin. Merci...

Curieusement, elle ne se sentit pas honteuse de sa faute ni rabaissée par a correction de Vainqueur. Il avait dit cela avec une certaine gentillesse et beaucoup plus de douceur que ce dont il avait fait preuve jusque là avec elle.

Naolan l'observait avec autant de curiosité qu'il semblait en éprouver à son endroit. La Princesse baissa lentement la tête orientant son regard vers le Roi après avoir tenté de saisir le vol mystérieux des flocons glacés qui ne faisaient que brouiller un peu plus son univers.

- C'est Naolan, répondit-elle obligeamment et un sourire tendre étirant ses lèvres alors qu'elle tournait la tête vers le petit animal.

Reconnaissait-il son nom ? En tout cas, il saisit le doigt qu'elle avait tendu vers lui pour lui caresser la tête.

- C'est mon ami, ajouta-t-elle plus bas et libérant son doigt pour taquiner l'écureuil qui se mit à couiner joyeusement.

Shyrin leva de grands yeux curieux et innocents vers le visage de Vainqueur qui la surplombait une fois encore. Un peu plus pâle à l'idée d'avoir encore commis une faute, elle se mordit la lèvre d'un air coupable sans savoir pourtant si elle avait en elle cette abomination qu'ils semblaient tous craindre.

- Vaillant a dit à nous que c'est sévèrement puni d'avoir cette magie... Bestiale.

Elle semblait dévisager le Roi et si elle avait pu discerner ses traits avec exactitude, c'est ce qu'elle aurait fait. Au lieu de ça, elle mémorisait inconsciemment chaque particularité de sa silhouette et de ce qu'elle voyait de son visage. Depuis toujours, elle fonctionnait ainsi. Et parfois certains y voyaient autre chose que ce qu'elle y mettait réellement. Mais il y avait tout lieu de penser que Vainqueur n'y verrait rien de plus qu'une saine curiosité.

- Merci, murmura-t-elle finalement avec une esquisse de sourire.

Elle n'avait aucune idée de la raison pour laquelle le Roi se montrait aussi gentil avec elle mais ça lui plaisait. Elle en avait presque oublié la manière brutale dont il avait fouillé son esprit sans autorisation. Presque. Mais une part d'elle aurait toujours la crainte qu'il recommence. Baissant lentement les yeux, elle repoussa gentiment Naolann dans sa capuche.

- Je ferai comme vous dites, promit-elle sagement.

Elle restait convaincue que si elle se montrait douce et docile, si elle acceptait son sort sans renâcler, alors les choses se passeraient mieux pour elle et pour ses esclaves. La révolte ne pouvait mener qu'à la souffrance.

Si Shyrin trouva étonnant que le Roi avoue ne rien pouvoir faire face à un peuple qui lui réclamerait sa tête à elle, elle n'osa rien dire pour autant. Que savait-elle de la position d'un roi, après tout ? Et de celle de Vainqueur face au peuple des Quatre-Duchés ? Si la victoire avait certainement renforcé son image aux yeux de son peuple, elle ne savait absolument pas quelle perception avait les gens de lui sans cela.

- Je ferai en sorte qu'on ne voit pas Naolann, promit-elle encore avec douceur et une certaine résignation.

Elle ne saisissait pas bien les enjeux réels de cette mise en garde mais était décidée à respecter l'avis de Vainqueur. S'il prenait la peine de la lui formuler, c'est qu'elle avait de l'importance. Il avait intérêt à la garder en vie après tout, ne serait-ce que pour préserver ses possibilités de négociations avec son père.

La neige tombait plus dru à présent et commençait à lui geler le bout du nez et les doigts malgré ses gants fourrés. Elle n'avait pourtant pas envie de rentrer, pas vraiment. C'était la première fois qu'elle avait l'occasion de prendre vraiment l'air, de voir du pays même si ça restait une façon de parler en ce qui la concernait. Et puis le Roi, même s'il restait un impardonnable traître à sa parole et un violeur d'esprit, était plutôt de bonne compagnie ce jour-là.

- Pas encore, le pria-t-elle donc avec un nouveau sourire et tandis que son regard s'évadait vers le ciel troublé de flocons. C'est bon d'être dehors. S'il vous plaît.

Elle le retenait, elle s'en rendait compte, et il avait sans aucun doute mille choses plus essentielles à faire que de l'escorter ainsi. Pourtant, elle ne parvenait pas à en être désolée. Elle prenait réellement plaisir à cette promenade et en avait même presque oublié son peu d'assiette à cheval.

Shyrin n'eut pas le temps de se demander si elle forçait le Roi à rester là à lui servir de garde du corps au lieu de faire d'intéressantes et royales choses passionnantes. Les chevaux s'étaient mis au petit galop et elle se cramponna de son mieux à la crinière de Robuste pour ne pas être éjectée comme un vulgaire paquet de linge. Le souffle coupé, elle se mit à prier Sâ en silence que son calvaire prenne fin très bientôt sinon elle allait s'humilier comme jamais.

Le froid était plus vif et le vent coupant mais elle était si heureuse d'être dehors qu'elle était prête à se geler les doigts et les orteils pour ça. Personne ne lui avait jamais dit qu'on pouvait les perdre à force. Elle prenait plaisir à la promenade et aussi à imaginer le moment où elle se roulerait dans une fourrure devant un bon feu et boirait un thé brûlant. Enfin pour le moment il lui fallait déjà se sortir de ce mauvais pas équin.

Elle avait lâché les rênes et soudain Robuste pila devant une grosse touffe de végétation comme s'il n'avait jamais rien vu de meilleur. Si elle n'avait pas eu les doigts étroitement emmêlés à la crinière du cheval, elle serait passée par dessus son encolure sans l'ombre d'un doute. Se rasseyant avec un gros soupir, elle chercha des yeux Vainqueur sur son étalon géant. Il allait être furieux qu'elle soit aussi empotée... Allait-il vouloir la punir encore ? Comme si elle avait 3 ans et des tresses ?

Secouée et terrifiée par ce temps agressif qu'elle découvrait pour la première fois, Shyrin se cramponna de plus belle à la crinière de sa monture et laissa Vainqueur les guider vers le château. Curieusement, elle lui faisait suffisamment confiance pour les mener à l'abri d'une manière ou d'une autre. Après tout, il l'avait bien traitée jusque là, hormis sa violente intrusion dans son esprit, il s'était assuré qu'elle ne manque de rien et l'avait laissée assez libre de ses mouvements. Du moins jusqu'à son confinement punitif. Mais même cela n'avait pas duré si longtemps puisqu'il lui avait proposé cette curieuse promenade. Elle n'en saisissait pas réellement l'objectif mais savait que le Roi s'attendait à quelque chose en échange. Il s'intéressait à elle pour ce qu'elle était : une source d'information sur Chalcèdes et ses clans.

Au moins avaient-ils eu une chance d'échanger réellement et sans témoins sur des points importants. Il était clair qu'ils ne s'accordaient mutuellement qu'une confiance toute relative, mais ils avaient eu la chance de se montrer honnête l'un envers l'autre et si l'avenir qu'il lui avait proposé la terrifiait, elle aurait au moins le temps de s'y préparer. Il ne lui restait qu'à s'arranger pour aller à sa fameuse salle des cartes en son absence et en la seule compagnie de Shane ou d'Ava, ainsi il ne découvrirait pas son secret et elle tiendrait parole. Elle lui ferait également remettre une lettre pour son père et attendrait en priant qu'il lui réponde et lui accorde son pardon.

Le chemin se mit à monter brutalement et elle comprit qu'ils approchaient de l'entrée en haut de la bute. Elle s'agrippa plus fort, ferma les yeux et s'efforça de se faire aussi légère que possible - ce qui ne devait pas être bien difficile vu le peu qu'elle mangeait depuis qu'elle vivait à Castelcerf. Le vent diminua et la neige cessa de la malmener soudain. Elle saisit alors qu'ils avaient pénétré la cour du château. Le temps était toujours aussi épouvantable mais les hauts murs de pierre des remparts les en protégeaient un peu. Pétrifiée par le froid, elle se trouvait incapable de bouger et ce n'est que quand Vainqueur approcha qu'elle réussit à tourner la tête pour poser sur lui un regard flou et perdu.

Malgré ses gants, Shyrin avait les doigts gelés et figés, emmêlés dans la crinière de Robuste. Ce n'est que lorsque Vainqueur la saisit par la taille pour le faire glisser au bas de sa monture que ses doigts se dénouèrent miraculeusement. Encore secouée par la frayeur et le froid, elle ne put que poser sur le Roi un regard hébété et se laisser guider par ses mots et ses gestes. Il l'enveloppa et le ton de sa voix rassurante l'apaisa alors qu'il l'emmenait à l'intérieur.

Incapable de parler ou réagir, elle suivit le mouvement docilement jusqu'à ce qu'ils se retrouvent à ses appartements. Le petit salon était vide mais un feu brûlait dans la cheminée et il régnait une atmosphère chaleureuse dans la pièce. Cela dit, après le blizzard du dehors, n'importe quelle grange battue par les vents eut paru accueillante. Il lui fallu encore quelques instants pour se reprendre et commencer à réfléchir par elle-même. Alors seulement, elle leva de grands yeux effarés vers Vainqueur et ses lèvres se mirent à trembler.

- Merci, murmura-t-elle dans un souffle.

Plus que le froid coupant, c'est la terreur de cette météo changeante et dangereuse qui l'avait bouleversée. Seule, elle n'aurait pas su regagner le château. Comment les habitants des Duchés pouvaient-ils vivre dans une contrée aussi hostile et menaçante ? Comment pourrait-elle s'habituer un jour à un tel froid et à de tels dangers ? Toute prête à se lamenter intérieurement pendant des heures, elle fut interrompue par Naolann qui bondit hors de sa capuche et fila se réfugier dans sa chambre, probablement dans le coin de son lit où il avait ses habitudes. Lui aussi avait besoin de se réchauffer. Soulagée qu'il paraisse aller bien, elle soupira et se décida à se défaire de ses vêtements trempés par la neige. Une fois ses gants posés sur la table devant le feu, elle s'attaque au noeud de sa capuche de fourrure mais les cordons étaient raidis par le gel et ses doigts encore gourds bien inutiles.