Hobes Cardia avait beau ne pas l’avoir provoquée, il devait avouer que cette guerre lui plaisait bien. Le sang des siens aspirait au combat, plus que n’importe quel peuple de sa connaissance, et le roi Vainqueur leur avait donné une occasion plus que légitime de le faire couler en abondance. Batailles rangée, embuscades programmées, achat d’esclaves en masse… le Guerrier de la Nation n’avait cure des méthodes employées, tant qu’elles leur garantissaient la victoire et maintenaient les clans occupés.
Car c’était là le deuxième avantage de la guerre contre les Duchés… En l’absence de conflit ouvert avec les pays voisins, les différentes familles chalcédiennes ne pouvaient s’empêcher de guerroyer les unes contre les autres, ce qui allait à l’encontre de tous les plans de Hobes pour les rassembler en une seule armée surpuissante.

Oui, décidément, la guerre arrangeait Hobes Cardia. Il revenait tout juste du front, où il avait une fois de plus constaté l’efficacité des méthodes mises en place par son peuple, et tout particulièrement par l’un des plus puissants clans du pays, les Fanel. Leur milice tirait un avantage certain de leur connaissance du terrain, et les soldats des Duchés, démoralisés, avaient bien du mal à avancer.

Mais, pour autant qu’il aimât la guerre et ses conséquences plus que positives, le Guerrier de la Nation devait bien avouer qu’il se réjouissait de rentrer en son domaine le soir venu. Le calme de son domaine était toujours d’un réconfort bienvenu, mais sa véritable motivation restait la présence de sa fille, Shyrin, qui avait autant besoin de lui que lui d’elle. Ainsi, le sourire aux lèvres à la pensée de son rayon de soleil quotidien, Hobes franchit le portail qui menait jusqu’à sa demeure.

Pourtant, une fois ses affaires en ordre, confortablement installé dans son salon de réception, ce ne fut pas sa petite princesse que vit débarquer Hobes, mais le canard boiteux qui lui tenait lieu de sœur et d’esclave. Si cela ne tenait qu’à lui, il y aurait longtemps que le maître de maison l’aurait relégué aux cuisines ou à tout autre tâche où elle serait devenue invisible mais… inexplicablement, Shyrin s’en était entichée et la baladait partout avec elle.

Hobes posa donc un regard exaspéré sur Shane, qui apportait pourtant de bonnes nouvelles. Sa fille n’était pas loin, occupée à faire patienter nul autre que Bhaal Fanel. Avec un sourire entendu, le Guerrier de la Nation ordonna à l’esclave de les faire entrer dès qu’ils auraient terminé leur promenade. Bhaal était justement l’homme auquel il souhaitait parler… et de Shyrin, entre autres. Si les deux jeunes gens s’entendaient, il n’y aurait plus alors qu’à négocier les termes plus concrets d’une alliance durable entre leurs deux clans.

Une bonne heure – et non quelques minutes comme il l’aurait espéré – plus tard, on frappait à la porte du salon. D’un geste, Hobes commanda à un esclave d’ouvrir la porte, révélant ainsi Bhaal, Shyrin et, sur leurs talons, l’inévitable Shane. Un large sourire aux lèvres, il repoussa les livres de comptes qu’il examinait jusque là et gratifia son visiteur d’un signe de tête amical. Quelques pas vers sa fille plus tard, il lui baisait le front, puis reculait et désignait d’un grand geste les fauteuils moelleux qui entouraient une grande table :
– Bhaal Fanel, en voilà un plaisir. Prenez place, des rafraîchissements vous nous être apportés.

D’un claquement de doigt, il indiqua à Shane de déguerpir en cuisines ; moins il la voyait… Puis il joignit le geste à la parole et s’assit lui-même sur l’un des sièges en question. Les mains posées bien à plat sur la table, il attendit alors que son visiteur annonce le sujet de sa visite.

À l'idée de voir son père, Shyrin avait retrouvé son sourire. Il n'avait que trop de peu de temps à lui consacrer en ce moment à cause de cette maudite guerre et elle chérissait d'autant plus chaque instant où il l'admettait à ses côtés. Lorsque la porte s'ouvrit, elle avança donc sans la moindre hésitation et bien que se pliant au protocole devant leur invité, elle savoura le baiser tendre de son père.

Hobes pouvait être satisfait. Elle se doutait bien qu'il serait heureux d'une union entre leurs deux clans et même que l'idée lui était déjà venue. Peut-être même en avait-il déjà parlé plus ou moins directement avec Bhaal Fanel.

Docile et sage, belle et silencieuse comme on l'attendait d'elle, elle prit place dans le fauteuil placé à la droite de celui de son père et tendit une main jusqu'à la sienne pour glisser ses doigts entre les siens. Un sourire tranquille aux lèvres, elle ne dit rien. Il ne lui appartenait pas de se mêler de ce genre de conversation. Et Bhaal devait savoir qu'elle serait toujours loyale à son père, même si elle lui accordait sa main et sa vie.