Quelques jours après l'exécution publique, les leçons d'Art avaient été rétablies. Comme d'habitude, Vaillant était arrivé le premier, car il s'y prenait toujours à l'avance pour monter les escaliers escarpés jusqu'à la tour d'Art. L'épreuve de la chair avant celle de l'esprit. Seul Ardent était arrivé - à croire qu'il dormait là, avec ses yeux constamment cernés - et il avait l'air tout content. Vaillant hésita à saisir cette opportunité pour se porter volontaire auprès du Maître d'Art pour une nouvelle expérience de guérison par l'Art. Mais alors Shane entra, à croire que les boiteux arrivaient les premiers ! La petite Chalcédienne avait l'air fraîche, à l'inverse de plusieurs autres Artiseurs. Leste, dans la force duquel Ardent avait puisé, semblait particulièrement épuisé ; à bout de souffle en haut des escaliers, il eut besoin de soutien pour rejoindre le centre de la pièce, aidé par Acuité.

Acuité Loinvoyant était là et par sa seule présence, créait l'événement. La petite Duchesse était visiblement la cause du contentement d'Ardent, qui leur fit tout un discours sur "le Clan enfin réuni". Laissez-moi rire. Le Maître d'Art aurait tôt fait de s'apercevoir qu'Acuité n'était qu'un mur de pierres grossièrement taillées. Déjà frustré par sa requête avortée, Vaillant sentit la jalousie le vriller. Il regardait Acuité et il voyait le mépris qu'elle lui avait témoigné, les menaces qu'elle avait proférées. Devant la Reine, la petite Duchesse s'en était prise non seulement à lui, mais aussi à Chiara. Chiara, la femme qu'il aimait et dont il partageait chaque nuit ou presque, comme si c'était la dernière. Vaillant ne pouvait tolérer cela, même si Acuité était l'héritière de Béarns, la petite-cousine du Roi, la Dame de compagnie de la Reine, la chouchoute du Maître d'Art et bientôt, une femme mariée respectable. Laissez-moi rire.

Quand Ardent eut fini de palabrer, il leur donna un premier exercice, plutôt classique. Par paire, ils devaient converser sans que leurs pensées soient interceptées par les deux autres Artiseurs qui s'y efforçaient. Mû par ses mauvaises intentions, Vaillant s'imposa au côté d'Acuité ; Shane et l'un de leurs camarades plus expérimenté cherchaient à les entendre. Mais il était loin le temps où Vaillant laissait sa jouissance lui échapper, ouvert aux quatre vents. Désormais, le Baugien ne laissait plus voir que ce qu'il voulait, et la force de sa magie s'était considérablement renforcée. Acuité pourrait-elle en dire autant après tous ces mois passés à barboter dans la neige et à torcher la merde de son bâtard ?

Braveterre, hein ? attaqua-t-il d'emblée, l'esprit aussi acéré que ses pensées. Je devrais sans doute te féliciter... si tu n'étais pas tombée si bas...
Toute la Cour faisait des gorges chaudes de ce mariage récemment annoncé. Mais franchement, il n'y avait pas de quoi s'esbaudir. Braveterre avait beau être titré et Conseiller du Roi, il restait le maître d'armes qui suait dans la poussière. L'union restait une mésalliance, un rafistolage ; ou pire, comme Vaillant le suspectait.
Ça explique bien des choses, en tout cas. C'était donc ça que tu cachais ?
Leurs deux camarades avaient beau les dévisager, ils ne les entendraient pas, sauf si Vaillant le voulait ; car lui aussi, pouvait menacer Acuité de dévoiler ses sales petits secrets.

Les leçons d'Art avaient repris trop tôt. Acuité n'était pas prête, peut-être ne le serait-elle jamais. Vainqueur avait insisté pour qu'elle reprenne sa place dans le Clan, mais de ce Clan, Acuité ne voulait pas. Dans l'Art, elle ne voulait plus s'enfoncer car elle savait que les moyens de retour étaient compliqués voire parfois inaccessible. La vérité c'était qu'à présent la magie l'effrayait. A présent, elle possédait un fils et bientôt un mari, qu'elle ne pouvait laisser derrière elle.
Digne cependant, elle avait gravi les marches qui marquaient son retour dans la tour d'Art et avait aidé Leste sur le palier.
Le garçon était épuisé, comme vidé de toute énergie. Elle s'inquiéta réellement pour lui et lui prit le bras pour l'amener au centre de la pièce, jusqu'à ce qu'il trouve une place pour s'installer.
Il la remercia et elle lui sourit, mais déjà Ardent prenait le relais dans un discours pompeux sur son retour parmi eux.
Elle n'avait rien demandé et aurait préféré ne pas être là.

Lorsqu'elle fermait les yeux, elle voyait encore l'homme se dandiner au bout de sa corde tendue, tel un pantin désarticulé. Elle ne voulait plus le voir, mais les cauchemars ne la laissaient pas en paix.
Pourtant, elle persistait à dormir seule, ne souhaitant pas révéler sa faiblesse à Brun.
L'ambiance entre eux était étrange, comme dénuée de profondeur, comme si la simple idée de creuser un peu entre eux pouvait avoir des conséquences catastrophiques.
Elle préférait ne pas le contrarier et lui en faisait tout autant. Ils s'y retrouvaient certainement dans cette atmosphère, mais il lui manquait et elle se sentait plus seule que jamais. Sa chaleur et ses bras auraient pu remédier à cela, mais elle s'était bornés à ne rien demander.

Perdue dans ses pensées, du discours de Ardent, elle n'avait rien écouté. Du regard des autres, elle s'était détournée sans peine, elle avait pourtant reconnu Shane et ignorait Vaillant.
Depuis l'épreuve du tir à l'arc il semblait lui vouer une haine peu commune. Ses paroles l'avaient peut-être blessé, mais elle ne justifiait pas son attitude détestable dans les jardins de la Reine.
Acuité ne souhaitait pas se battre pour les faveurs de Shyrin, elle ne souhaitait plus se battre du tout.

Pourtant le Baugien semblait ne pas l'entendre de la sorte. Il fit son possible pour jouer les binômes en sa compagnie et à peine fussent-ils plongés dans la magie, qu'il l'attaquait sans prévenir.
Elle ignora simplement ses derniers propos, comme s'ils étaient hors sujet. Et pour cause, elle n'avait pas à se défendre de ce qu'il jugeait, mais elle se devait de défendre l'honneur de son époux raillé juste avant.

- Il serait tant de grandir un peu Vaillant, le gourmanda-t-elle comme elle l'aurait fait pour son enfant, avec un soupir et un sourire bienveillant.
- Je n'ai rien choisi et me contente de ce que l'on me donne, reprit-elle comme si de rien était. N'en as-tu pas fait autant avec...comment s'appelle-t-elle déjà ? Allégresse ? C'est cela ? Allégresse quelque chose...Je ne me souviens que rarement du nom des roturiers...

Elle aurait pu hausser les épaules dans leur monde, mais préférait user du ton du badinage. Vaillant était un courtisan, connaissait-il autre chose ? Elle en doutait fortement.

Dans le monde physique, Vaillant aurait eu une moue dubitative. Acuité Loinvoyant, se contenter de ce qu'on lui donnait ? Il ne mordait pas. Elle pouvait servir à tous sa fausse modestie, mais pas à lui. D'ailleurs, le reste de ses "paroles" puaient la morgue et le mépris. La colère l'embrasa et l'ouvrit ; Shane s'engouffra et Vaillant la repoussa rudement.

Allégresse n'était pas une roturière ! Vaillant voulut s'en défendre mais se retint ; il ne voulait pas entrer dans son jeu. Par la vérité, plutôt que par le mensonge, Acuité le blessait. On n'avait pas choisi la rouquine pour lui, mais le Baugien l'avait choisie un peu par défaut, parce qu'elle était là, qu'elle était jolie, noble, disponible : parce qu'elle remplissait tous les critères. Aujourd'hui Vaillant ne regrettait pas son choix, mais il avait conscience des limites de celui-ci ; Allégresse ne serait jamais Chiara, peut-être qu'il ne l'aimerait jamais, peut-être qu'elle ne pourrait jamais le satisfaire et que comme persiflait Acuité, il devait "s'en contenter".

C'est facile de mépriser tout le monde quand on est une Duchesse, rétorqua Vaillant. On verra si la Duchesse fait toujours la fière après sa nuit de noce avec un soldat. Surtout celui-là. Sais-tu les rumeurs qui courent à son sujet ?
Vaillant ne s'abaissa pas à les nommer, mais intérieurement, il ricanait.

Contre toute attente, Vaillant perdit pied. Il s'ouvrit un peu plus et Shane tenta une manoeuvre avant d'être violemment repoussée par le Baugien. Acuité lui en voulut pour cela. Le Clan devait être uni et Vaillant semblait faire son possible pour les séparer un peu plus.
La pauvre soeur de Shyrin ne méritait pas pareil traitement et la Duchesse n'eut subitement plus envie de jouer.
Elle était lasse de ces faux-semblants, lasse de cette attitude détestable propre au courtisant. Vaillant n'était jamais satisfait. Son genou, le clan, sa liaison avec Chiara Lunabille, le retour d'Acuité. Comme rien n'allait comme il le souhaitait dans sa vie, il préférait se venger sur les autres. Acuité par les mots, Shane par la violence de la magie qu'elle peinait à maîtriser.

A nouveau il l'attaqua, lui reprochant un mépris qu'elle n'avait pourtant eu que parce qu'il l'y poussait. Pour cela aussi, elle lui en voulait.
La grossièreté dont il fit mention blessa la jeune femme. Qu'il lui souhaite un mariage malheureux passe encore, qu'il souhaite qu'elle passe une mauvaise nuit de noce laissait à penser qu'il espérait que son époux la malmène ou la mène avec rudesse.
Aurait-il souhaité qu'il la viole peut-être ? Elle ne se laissa pourtant pas envahir par la colère, ni même par la peine. Ses murailles de l'Art devaient tenir et c'était là qu'elle plaçait toute sa concentration. Ses émotions surgiraient après.

- Je n'écoute plus les rumeurs depuis que j'en suis moi-même devenue une. Mais éclaire moi je t'en prie, distille ton venin si tu penses que cela te soulagera un peu. Je suis prête à l'entendre si cela peu t'apporter l'attention que tu me réclames. Tu dois te sentir bien seul pour en arriver là...

Réclamer l'attention d'Acuité Loinvoyant. Risible, ridicule et pitoyable. N'avait-il rien d'autre à faire que de lui chercher des noises ? Il semblait follement s'amuser tandis qu'elle n'éprouvait en l'instant qu'une vague pitié. Mais de cela aussi, elle le réaliserait lorsque son corps lui appartiendrait de nouveau.

Acuité avait vraiment un don pour le faire se sentir mal. Son indifférence, sa condescendance étaient une autre forme de violence. Elle rendait les coups sans sembler se battre. C'était sournois et c'était blessant. Pour la petite Duchesse, Vaillant n'était qu'un serpent qu'elle ne daignait pas écraser. Elle l'écoutait persiffler et cela ne la touchait pas, du moins, pas en surface. Vaillant fut tenté de plonger plus profond, mais à quoi bon ? Acuité n'en valait pas la peine. Contrairement à ce qu'elle disait, il n'était plus si seul ; il ne tenait plus tant à son amitié ni à venger son amitié ; une fois déjà, elle était morte pour lui.

Tu connais les rumeurs, dit Vaillant parce qu'il en était persuadé, et parce qu'il ne voulait plus jouer.
Il aurait pu blesser Acuité, il aurait pu décrire en mots voire en images le vice présumé de l'homme qui deviendrait son époux. Mais il n'était pas si sadique qu'elle le disait ; il ne lui souhaitait même pas de souffrir, au lit ou ailleurs. La petite Duchesse avait sans doute assez souffert. Vaillant voulait juste qu'elle sache qu'elle souffrirait, qu'il la ferait souffrir, qu'il la saignerait, si à nouveau elle osait l'exposer.

Je ne prends aucun plaisir à tout cela, mentit-il, un peu.
La joute l'amusait, pas le poids du secret. La rivalité l'amusait, pas l'entre-destruction.
Nous aurions pu être amis. Ravale tes menaces, et je te laisserai seule comme tu l'as toujours voulu. Nos secrets respectifs resteront inviolés. Menace-moi et je vous emporterai dans ma chute, toi et ton bâtard de soldat.

Evidemment qu'elle connaissait les rumeurs. Comme tout le monde dans le château et peut-être même dans tout Cerf. Elle se souvenait parfaitement la réaction de Brun lorsqu'elle lui en avait fait part. Par Eda, comme ne s'était-il rendu compte de rien ? Comment ce genre de rumeur détestable avait pu glisser sur lui sans qu'il n'y voit rien. Elle savait que tout était faux, il le lui avait hurlé et avait été blessé qu'elle y ait cru. Pourtant, même si elle croyait qu'il la désirait parfois, il ne passait jamais à l'acte comme si quelque chose le retenait. Mais quoi ?
Non, elle ne voulait pas tomber si bas et croire que peut-être...Non, Vaillant cherchait simplement à la déstabiliser. Brun et Vainqueur étaient amis, depuis toujours. Il ne s'agissait que de cela.

Vaillant cherchait à la blesser et elle ne le crut pas lorsqu'il lui avoua ne prendre aucun plaisir à tout cela.

- Non, répondit-elle simplement pour commencer sans vraiment savoir vers où se diriger.
Non nous n'aurions pas pu être amis. Je l'ai longtemps cru pourtant, mais je sais que cela aurait été impossible parce que tu ignores ce qu'est l'amitié. Tu ne cherches qu'a imposer, te placer au mieux, quitte à évincer ceux qui te gênent comme tu as tenté de le faire dans les Jardins de la Reine. Tu m'as attaqué le premier en présence de la Reine et maintenant je devrais ravaler mes menaces ? Assume tes actes et leurs conséquences, on n'humilie ni n'insulte une personne sans risquer des représailles. Saches que tu ne me fais pas peur, tu ne m'as jamais fait peur Vaillant Fructurive.

Intérieurement, elle sentait les émotions bouillonner, la colère refluer comme les vagues sur la rive. Sa concentration s'en trouvait contrariée, elle arrivait au bout de ses limites, le manque de pratique n'aidant pas. Elle fit son possible pour se maîtriser, mais Leste en profita pour s’engouffrer dans la faille qui se forma. Contrairement à Vaillant qui avait rejeté Shane, Acuité accueillit le troisième membre avec chaleur en le félicitant.

- Bravo Leste

Acuité refusa de signer le pacte de non-agression qu Vaillant lui proposait. A l'entendre, tout était de la faute du Baugien, parce qu'il l'avait "attaquée". Mais ses piques n'étaient rien à côté de ce dont elle l'avait menacée. La petite Duchesse avait-elle conscience qu'avec le secret qu'elle avait volé, elle pouvait anéantir la vie de Vaillant et l'honneur des Lunabille ? Vaillant ne savait pas s'il devait l'espérer.

Ainsi, il ne pouvait pas compter sur son silence. Peut-être que s'il ne cherchait plus Acuité, elle le laisserait en paix. Ou peut-être pas. Une fois de plus, il avait échoué à lui imposer sa volonté. La fille de Glace n'avait pas peur de lui, pourtant elle le devrait. Vaillant pouvait lui rendre la vie impossible puisqu'ils allaient se côtoyer intimement désormais ; il pouvait l'attaquer, pour de vrai, sentant son Art plus fragile. Il ignorait encore quelle était la meilleure marche à suivre. L'ignorer ou l'intimider. Devait-il s'en ouvrir à Chiara ? La Duchesse lui en voudrait tant ; le savoir d'Acuité l'humiliait et la mettait en danger.

Très bien. Souviens-toi que je t'aurais tendu la main, lâcha-t-il.
Une main aux ongles durs, mais une main. Vaillant coupa brutalement le lien d'Art qui les reliait et, revenant à son corps avec facilité, s'éloigna de quelques pas. Au passage il serra l'épaule de Leste, avec lequel il n'entretenait pourtant aucun lien d'amitié.
- Bravo Leste, répéta-t-il aux oreilles de tous. Tu es à demi-mort d'épuisement et pourtant, tu as percé les murailles légendaires d'Acuité Loinvoyant.

Il eut un sourire méchant et s'éloigna vers un autre groupe. C'était fini pour aujourd'hui. Il devait réfléchir à cette guerre qu'il devait mener. Dans sa tête, tournaient les propos d'Acuité sur l'amitié. Quoiqu'elle en dise, un jour ils avaient été amis, jusqu'à ce qu'elle se tue à ses sens. Que croyait-elle ? Que les Artiseurs allaient l'accueillir à bras ouverts, alors qu'elle les avait tous repoussés ? Lui, il aurait été prêt à la pardonner jusqu'à ce qu'une ultime fois, la petite Duchesse l'humilie avec cette victoire au rabais. Acuité ne servait que ses propres intérêts, elle aussi. A la Cour, c'était ainsi que les choses fonctionnaient. Elle devrait bien s'y faire si elle devait être la Dame de compagnie de la Reine.

Allait-elle chercher à détruire leur amitié ? Car la Reine et lui, étaient amis, n'est-ce pas ? Certes cette amitié n'était pas si pure, tachée d'intérêt et d'une certaine forme de désir, jouissance de l'ego plutôt que de la chair. Pouvait-il y avoir une réelle amitié avec le sexe opposé ? Vaillant songea à Mélisse, puis à son frère avec lequel il partageait une amitié authentique. Puis il laissa tout cela et concentra son esprit sur sa tâche.

A travers l'Art, Acuité perçut la reconnaissance diffuse et fragile de Leste. Elle l'avait félicité plutôt que de se renfrogner à l'idée que sa magie ne lui obéissait plus. Depuis plus d'une année, elle avait gardé ses murailles dressées à tel point que les abaisser ne serait-ce qu'un peu n'était pas chose aisée. Cela lui demandait énormément de concentration et d’énergie.
Laisser une faille pas plus grande qu'une entaille pour percevoir les autres, éviter le gouffre qui risquait de dévoiler à tous, ses plus grands secrets.
A Vaillant surtout, elle ne souhaitait rien laisser, pas même les miettes de sa vie passée. Avec sa rancœur, de miettes il construirait une route qui l'arrangerait.

Après de nouvelles menaces sous moindres mots, il rompit le lien de manière brutale. Acuité en fut déboussolée un instant. Son Art vacilla, comme si l'on venait de souffler dessus et manqua de l'emporter, un peu plus loin. Bouleversée, elle mit un temps certain à rentrer en elle. Le chemin lui sembla long, sans fin alors que dans le monde qui l'entourait, seulement quelques secondes venaient de s'égrainer.
Pourtant, lorsque ses yeux s'ouvrirent au dessus de ses yeux pâles, l'image qui lui apparut ne fut pas tout à fait nette.
Ses sens captèrent les dernières paroles que Vaillant avait prononcé tout haut, de nouvelles paroles pour mieux l'humilier.

Tous la regardaient, certains stupéfaits par les paroles du Baugien, qui une fois son venin déversé, était parti vaquer à de nouvelles tâches.
Elle lui en voulut instantanément et dès lors, sut que jamais elle ne pourrait lui pardonner. Son coeur tonnait furieusement dans sa poitrine, en proie à un mélange d'émotions qu'il valait mieux ne pas nommer. Ses doigts se crispèrent sur les accoudoirs, en même temps que sa machoire. Sa gorge, nouée, était bien incapable de prononcer un traitre mot. Elle n'avait rien à dire au Clan, rien à dire pour se défendre, car c'était la vérité. Leste avait pu l'atteindre, par le biais de l'Art, il l'avait interpellé.

Le seul regard qu'elle osa fut pour Shane, pour s'assurer que la jeune femme ne soit pas trop perturbée par la violence que Vaillant avait eu pour elle, mais Shane semblait à nouveau occupée.
Elle se leva sans un mot, le coeur aux bord des lèvres. Sa tête lui tournait et elle prit le temps de maintenir son équilibre avant d'effectuer un pas.
Grelottante par le contre-coup de la magie, pâle comme la face de l'astre lunaire, elle avança jusqu'à la porte qu'elle ouvrit à la volée, malgré l'appel d'Ardent.

Lorsqu'elle dévala les escaliers qui lui permettait de quitter la Tour, elle tenta de laisser cette expérience derrière elle, mais la magie cruelle, lui rappelait trop bien tout ce que son corps devait à présent payer pour son utilisation. La migraine, la nausée et l'immense déprime qui accompagnait, comme à l'époque, les sessions.
Une larme roula sur sa joue, puis une autre et encore une. Bientôt, les sanglots secouèrent ses épaules chétives et les yeux brouillés de larmes, elle se contenta de descendre encore chacun des marches, sans se soucier de l'éventuelle chute qu'elle risquait.

Elle se précipita dans sa chambre, referma derrière elle et acheva sa course stoppée par le rebord de sa fenêtre. Le vent et l'air frais chargé d'embruns lui firent du bien, s'intégrant parfaitement au gout salé de ses larmes. Dans sa tête, les paroles de Vaillant résonnaient encore et encore. Ses insultes, ses menaces, à l'encontre de son époux et de son enfant.
Blessée, son caractère combatif ne mit pourtant pas longtemps à prendre le dessus. Elle ne pouvait pas se laisser abuser, ni même se laisser ennuyer de la sorte.
Elle se donnerait quelques jours, puiserait la force nécessaire et ferait face. Mais pas aujourd'hui, aujourd'hui elle souhaitait simplement se laisser aller, ici à l'abri des regards. Pleurer sur sa blessure et se jurer intérieurement, que même si le Clan le lui demandait, jamais elle n’accepterait de le soigner.
Que son genou reste aussi tordu que ses pensées, que sa blessure demeure à la hauteur de sa méchanceté. C'était tout ce qu'il méritait.