La citadelle était en vue et une appréhension gagna Taebryn. Une fois de retour à la forteresse il retrouverait son Duc et avec lui, la culpabilité de n'avoir pas sauvé sa fille.
Dans l'immédiat, il n'osa pas imaginer quelle sanction l'attendrait mais ce dont il était sûr, c'est qu'il devrait voir Iris avant.
Avant de partir, il l'avait demandé en mariage, mais de longs mois s'étaient écoulés, et il ignorait si elle avait reçu ses lettres, ni même comment elle réagirait à son visage émacié, à ses nouvelles cicatrices et à sa morosité.

Ayant rassemblé ses dernières pièces, il se dissocia de l'armée en passant dans le Bourg et prit la direction du Nid, dans l'espoir de simplement la voir.
Plus ses pas le menaient sur le chemin du bordel et plus son coeur se serrait à l'idée de découvrir qu'elle en avait épousé un autre, ou pire...qu'elle ne souhaitait plus le voir après cette absence.

Encore crotté du voyage, la mine sombre et le teint gris, il apparut devant la bâtisse hébergeant les filles de joie. Comme il s'y attendait, on ne le laissa pas entrer, sa mise était bien trop pauvre pour un tel établissement. Il contourna alors le bordel et attendit non loin de la porte de service, qu'Iris daigne bien sortir.

Le Nid était en effervescence. L'armée était de retour et l'on savait ce que cela signifiait. Même si les Oiseaux ne viendraient pas à la cérémonie, elles avaient bien des choses à préparer en prévision de la nuit, à commencer par elles-mêmes.

Dans la lumière déclinante de cette fin d'après-midi, Chris était occupée à raser le moindre poil de ses jambes. Elle portait un déshabillé chamarré qui avait "appartenu" à Iris, dont elle occupait désormais la chambre. Ses cheveux noirs, parfumés, tombaient en cascade sur ses épaules musclées.

Elle leva nonchalamment la tête quand elle entendit des cailloux à sa fenêtre. Avec la lenteur souple du chat, elle se leva et se pencha au balcon qui donnait sur la ruelle. Bien sûr, c'était un homme, un grand brun pouilleux.
- Qu'est-ce que tu veux ? lança-t-elle, peu amène.

Puis elle reconnut l'homme qui était venu une fois par la grande porte et mainte fois par la petite, pour emmener Iris. Il avait dans son souvenir un charme viril et ce goût piquant que donne la jalousie.
- Bouge pas, j'arrive, reprit-elle, et elle quitta la chambre sans prendre la peine de se couvrir.

En haut des quelques marches qui menaient à l'entrée de service, elle observa son visiteur. Il semblait fatigué, presque éteint, mais elle se savait comment rallumer un homme. Elle se pencha pour se mettre à sa hauteur, ses seins allant librement sous son vêtement.
- Qu'est-ce que tu veux ? répéta-t-elle, d'une voix autrement plus sucrée.

Lassé d'attendre en vain, il avait finit par tenter de contacter Iris en jetant des cailloux sur sa fenêtre, comme à l'époque où ils partaient ensuite se promener.
Cependant, ce ne fut pas Iris qui apparut à l'ouverture mais un autre oiseau du nid et pas n'importe lequel. Taebryn reconnu aisément la grande brune qui avait tenté de le charmer lorsqu'il était venu avec Vaillant.
Il se renfrogna légèrement face à son ton mais ne baissa pas le regard pour autant, jusqu'à ce qu'elle lui fit signe qu'elle le rejoignait.

Quelques minutes plus tard, la porte de service s'ouvrit sur la charmante jeune femme, habillée d'un vêtement appartenant à Iris, le Béarnois en était persuadé et immédiatement, son inquiétude gagna un niveau.
Il ne la vit donc pas venir tandis qu'elle se penchait sur lui et demandait d'une voix suave ce qu'il souhaitait. Sans difficulté, il remarqua le sous-entendu dans ses mots, mais comme pour leur première rencontre, son choix ne s'arrêtait pas pour elle.

C'est donc sans ciller qu'il annonça avec fermeté :

- Je suis venu voir Iris. Mais je suppose que puisque tu portes ses vêtements et que tu réponds à sa fenêtre, elle n'est plus là.

- Ça me va beaucoup mieux qu'à elle, tu ne trouves pas ? minauda Chris.
Mais l'autre ne se dérida pas.

Vexée par la froideur de l'homme et son insensibilité manifeste à ses charmes, la jeune femme resserra les pans du vêtement sur son corps.
- Quelle perspicacité, railla-t-elle. Iris ne travaille plus ici. Elle ne t'a pas dit ? Je croyais que vous étiez proches, tous les deux.

Cruelle, elle pouvait l'être aussi.

Lorsqu'elle minauda dans les vêtements d'Iris arguant que ceux-ci lui allaient mieux, il eut envie de la plaquer sur le mur et de lui arracher son déshabillé. Mais pas pour partager avec elle une nuit d'ivresse, juste pour récupérer ce qu'il devait rendre à sa future femme. Il se souvenait parfaitement du tissu.
Il n'en revenait pas d'apprendre qu'Iris avait quitté le nid sans chercher à le mettre au courant.
Mais peut-être avait-elle essayé ? Elle ne savait pas écrire de mémoire et...par El, l'avait-il définitivement perdu ?

A sa raillerie il lui envoya un regard assassin avant de reprendre un air naturel et de lui lancer d'un ton étrangement calme.

- Nous sommes proches oui, mais je suis parti sur le front, défendre le pays afin que des catins comme toi n'aient pas à vendre leurs corps aux Chalcédiens.

Une façon peut-être de lui rappeler, que pendant que des hommes mourraient pour leurs frontières, elle se prélassait dans des affaires qui ne lui appartenaient pas.

A cette lueur dangereuse dans le regard de l'homme, Chris aurait dû rendre les armes. Mais elle avait pour habitude de rendre les coups.

- Du moment qu'il paie, un Chalcédien en vaut bien un autre. Peut-être même plus que toi, mon joli. Si tu étais aussi doué au lit qu'à la guerre, peut-être que ton Iris ne serait pas partie avec un autre.

Elle improvisait, mais il ne savait rien, pas vrai ?

La pique le frappa de plein fouet et il fut écœuré l'espace d'un instant de tant de cruauté. Son coeur était-il à ce point desséché pour qu'elle se comporte de la sorte ? Mais elle avait raison. Iris était parti, il ne la reverrait certainement jamais. Que lui restait-il à présent ? Sa protégée était morte, la guerre était finie et celle qu'il avait demandé en mariage avait préféré le délaisser comme un moins que rien pour un autre, certainement plus riche. Pas un mot pas un message, rien. Avait-il été suffisamment fou pour la croire amoureuse de lui et prête à abandonner sa vie de servitude ? Visiblement oui.

L'aigreur envahit son coeur et ses veines, et il porta un nouveau regard sur celle qu'il avait déjà repoussé une fois.
Peut-être était-ce une vengeance de sa part ? Etait-elle aussi mesquine ?
Il l'ignorait et ne souhaitait pas de toute façon le savoir. Le nids resterait un souvenir mais dans l'immédiat, il ne voulait plus rien avoir à faire ici.

Il s'avança vers elle d'un pas certain et sans hésiter une seule seconde, il déchira le déshabillé entre ses deux larges mains. Le vêtement craqua et ne pu résister à sa poigne, laissant la femme à moitié nue dans le froid de la rue.

- Tu ne mérites pas de porter ça, lui cracha-t-il au visage avant de se détourner.

Et sans un regard, il reprit le chemin en sens inverse. Une taverne lui ferait du bien. Une bagarre peut-être aussi, mais d'abord, il avait besoin de dépenser sa solde de soldat dans la boisson.

Chris trembla lorsque l'homme s'approcha d'elle, la saisit et déchira son vêtement. De peur et d'autre chose. Sans doute un peu des deux.
- Tu ne mérites pas de porter ça, cracha-t-il de manière bien moins séduisante, avant de tourner les talons dans la ruelle puante.

Un peu secouée, la prostituée mit quelques secondes avant de retrouver ses esprits, son répondant et de resserrer sur elle les lambeaux de son vêtement.
- Pas moins qu'elle ! Ton Iris, c'est qu'une putain, la preuve ! gueula-t-elle à sa silhouette qui s'éloignait - mais ne se retourna pas.

Elle se mordit les lèvres, dépitée de voir son plaisir s'achever avant même d'avoir commencé. L'homme n'était vraiment pas curieux. Il avait tout gobé sans la questionner. Elle n'avait même pas pu le cuisiner !

Attiré par ses cris, Sven vint aux nouvelles. Elle le repoussa à l'intérieur, où elle ne tarda à le suivre. Elle avait froid ainsi dépenaillée, et à vrai dire, elle était assez humiliée. Assez badiné ! Elle devait se préparer pour ce soir. Un longue nuit de travail l'attendait.

Elle se sentait plus frustrée que jamais.