Alors qu'il venait tout juste de se placer à leur hauteur, Aksel, interloqué par son comportement, suivit son ami maître des mots du regard. He bien, he bien, son petit doigt lui proposait bien une piste de réflexion. L'air suspicieux, le grand homme au visage émacié se tourna vers sa jumelle rayonnante d'autosatisfaction.

-Par le plus grand des hasards, ne serais-tu pas à l'origi...

Mais il n'eut guère le temps d'achever sa question quasiment rhétorique car Vagabond, son cher et fougueux Vagabond, pila net, l'oeil blanc d'effroi. Trop occupé à s'accrocher à la crinière noire, Aksel ne vit pas l'étrange silhouette à la forme humaine et ne comprit pas pourquoi leurs montures se mettaient dans un tel état. Avant qu'il ne puisse rétablir son équilibre, les rênes tendues, Aksel tomba au même moment que son cheval qui, cabré, bascula sur le flanc pour se relever immédiatement et fuir au grand galop.

La respiration coupée, Aksel avait la vision trouble et tout lui semblait plus clair que dans la réalité. Sa soeur et son ami l'entouraient, leurs visages trahissant une sincère inquiétude mais le jeune homme ne pu forcer ses paupières à demeurer ouvertes. Il fit le vide dans son esprit et se concentra afin de reprendre une respiration plus tranquille et profonde. Enfin, il rouvrit les yeux et se mit sur les coudes, grimaçant. Son dos était douloureux, mais pas autant que son ego ! Quelle pitié de se faire mettre bas ainsi. Quoique Vagabond avait été particulièrement effrayé cette fois.

Le regard doré du jeune homme redevint plus précis et Aksel dévisagea tour à tour Kaïran et Nielsen. Ils semblaient en forme si l'on oubliait leur mine tracassée. Et dire que même Nielsen était demeuré en selle, lui qui était si peu à l'aise avec la gent équine !
-Hum. Voilà un épisode que vous garderez pour vous si vous tenez à ce que je conserve un semblant de dignité, commenta Aksel avec un demi-sourire, vaguement sarcastique.
Son sourire disparut immédiatement et il se pencha sur le côté, les sourcils froncés et le teint encore plus blafard qu'auparavant. Du sang mêlé à de la salive fut projeté au sol. Aksel s'essuya le coin des lèvres avec sa manche, osant à peine croiser le regard de sa soeur et même de son ami.

Désireux de leur prouver qu'il n'allait pas si mal que cela, il se mit en position assise et regarda son étalon qui s'était enfin arrêté, à plusieurs centaines de mètres d'eux. Ses paupières papillonèrent.
-Mais... Vous savez pourquoi les chevaux ont été pris d'une telle panique ?
En plus de détourner l'attention de ses proches de son état, Aksel se demandait réellement ce qui avait bien pu affoler trois chevaux bien dressés.

Quant à Aksel, il n'avait rien remarqué des échanges discrets entre son poète désabusé d'ami et sa charmante et si chère soeur. Le malade était trop occupé à rassembler ses membres divers afin de se redresser le moins indignement possible. Ah ! Si Ermenhild venait à apprendre les évènements du jour, les trois comparses se feraient rosser psychologiquement à l'aide d'une bonne lecçon de morale bien pénible et infantilisante. Malgré tout, Aksel avait bien de la chance de l'avoir, cette vieille guérisseuse obstinée...

Une fois remis sur pied en dépit d'un dos raide et douloureux, le jumeau croisa à nouveau les regards de Nielsen et de Kaïran. Hum. Il se tractait encore quelque chose d'étrange entre ces deux-là et pour une fois, le rôle de l'intimidé allait à sa jumelle ! Tiens tiens. Amusé, Aksel leva les yeux au ciel, les bras croisés sur sa poitrine mais ne dit rien à ce propos.

En revanche, ce qu'ils racontaient tous les deux était plus qu'intriguant. Etonné, Aksel s'interrogea :
-Un humanoïde à écailles qui aurait effrayé nos montures... Et lui même est effrayé par nous. Ou désire que son existence demeure secrète...

Son regard alla à Vagabond qui marchait d'un air indécis vers son maître, à une centaine de mètres. L'étalon semblait appréhender la réacion de son cavalier, comme s'il avait fait une vilaine bêtise.
-Vagabond, viens mon beau, appela Aksel d'une voix douce après avoir sifflé. Se tournant à nouveau vers ses interlocuteurs humains :
-Je propose que nous poursuivions cette créature tant qu'elle n'est pas encore trop loin. C'est un incident peu banal quand même.

Décidément, quelle journée palpitante c'était ! Son cheval  était à présent à une dizaine de mètres et Aksel acheva lui-même les derniers mètres qui les séparaient tous deux.