Je suis blanc. Blanc comme neige, bien que je ne sois pas aussi innocent que cela ne pourrait le laisser penser. Ma peau, à l’instar de mes cheveux filasses et de ma pilosité en général, est d’une blancheur immaculée, elle a aussi la particularité d’être toujours plus fraîche que celle d’un humain, ce qui me vaut des difficultés à résister au froid. Mes yeux, quant à eux, sont d’un gris transparent, comme deux billes de verre. Les gens ne manquent pas de s’étonner de ce physique si particulier, car j’appartiens à une race méconnue dans ce coin du monde : les Blancs. Difficile pour certains de ne pas me prendre pour un être surnaturel quand ils me connaissent depuis mon arrivée, car même si je suis là depuis près de quinze ans mon image dans le miroir n’a pas changé d’une ride. J’ai beau avoir 38 ans, je n’en parais pas beaucoup plus de la moitié. Ceci, ajouté à mon allure légèrement androgyne, me donne un charme indéniable. Mon corps de Blanc, fin et frêle, de taille et de corpulence légèrement inférieures à celles des humains, est gracieux et parfait pour la danse, il attire d’ailleurs volontiers l’œil de ces dames. Je l’avoue, je n’hésite pas à m’en servir quand le besoin s’en fait sentir. C’est que j’ai mon petit succès voyez-vous, lorsque je le veux bien.

A une époque, aux yeux des autres, je n’étais qu’un esclave. Laissez-moi vous dire que je ne me suis jamais considéré ainsi. C’est ainsi que l’on me traitait, mais je n’ai jamais fait que poursuivre mon chemin. Car j’atteindrai mon but quoi que vous en pensiez.

Avec les gens, je suis parfois agréable et charmeur, parfois indifférent ou encore froid et distant. Le silence me caractérise bien souvent. Je peux être amical, quand je le veux, généralement pour ceux qui servent mon but. Je suis le Prophète blanc de ce temps et à ce titre je n’ai pas de compte à rendre. Naturellement, je ne le cris pas sur tous les toits, même ma chère Shyrin, mon catalyseur, ne le sait pas encore. Un jour viendra peut-être où je me confierai à elle au sujet de son Destin qui consiste justement à le contrarier, mais pour l’heure je ne suis que son ami, je la guide, je l’instruis, je l’éduque et je suis une oreille attentive à ses peines et ses joies. Je la soutiens, également, autant que je le peux, dans les épreuves qu’elle traverse. Je sais que je lui en demande beaucoup mais elle est la seule qui puisse remplir le rôle que la vie lui a confié, et pour cela elle doit souffrir.

Si l’on savait ce que je recherche, on dirait de moi que je suis un manipulateur, un intrigant. D’aucun disent de moi que je suis très secret. Il est vrai que je parle peu de moi, je parviens toujours à éviter de répondre aux questions, parfois sans que mon interlocuteur ne s’en rende compte, à moins que ce ne soit par le biais d’une phrase qu’il ne comprendra pas avant longtemps. Je peux aussi user d’un humour parfois déplacé. La vérité, c’est que je suis prêt à tout pour obéir à mes visions et contrecarrer le Destin. Je n’ai pas d’émotion à moi. Je ne suis personne.

HRP:

Je n’ai pas de famille. Du moins n’en ai-je aux yeux de personne. Mes parents sont loin de moi et ils ne sont d’aucun intérêt dans l’histoire à venir. J’ai quitté ma demeure il y a bien longtemps pour rejoindre cette civilisation où m’attend mon rôle.

Shyrin est la personne la plus importante pour moi. Je l’aime bien, mais je m’interdis de concevoir une véritable affection pour elle, car elle est mon Catalyseur et les dieux seuls savent ce qu’il pourrait lui arriver à cause de cela. Ou ce que je pourrais être amené à lui faire faire. Ces derniers mois ont déjà été éprouvants pour elle et il m’a fallut une grande volonté pour continuer à me tenir à son côté sans interférer dans les évènements.

Shane, ma petite partenaire d’esclavage, qui a désormais gagné de l’importance. Timide et fragile, elle pourrait susciter chez moi un sentiment de compassion si je me l’autorisais. La pauvre se berce d’ailleurs de chimères à mon encontre. Son aide m’est cependant précieuse et sa présence auprès de Shyrin semble indispensable. Je compose donc avec elle.

J’ai quitté mon pays natal il y a un peu plus de 15 années avec une mission dans mes maigres bagages. A ce moment là je n’avais que deux certitudes : je devais trouver mon Catalyseur et me servir de lui pour me rendre, armé, dans le Désert des Pluies. Ce que je devais faire pour y parvenir était plus flou. J’avais quelques pistes mais rien de précis. A ce stade, c’était normal.

Je suis remonté du sud pour gagner les Etats Chalcèdes. C’était là, dans ce pays, que se trouvait celle qui deviendrait mon Catalyseur. Je ne savais que peu de choses de ces chalcèdes, je les considérais comme un peuple barbare, avide de violence. Autant dire qu’avec mon apparence physique j’aurais eu du mal à me faire passer pour un guerrier chalcède, et je ne pouvais pas franchement prétendre monter en grade non plus pour approcher les chalcèdes discrètement. C’est là que mon talent pour la danse s’est avéré être une bénédiction. Sans me vanter, mon idée de me faire passer pour un esclave était une idée de génie. Il n’y a pas plus efficace pour passer inaperçu et entrer dans la vie des gens sans se faire remarquer que de devenir une ombre. On en vient même à oublier ma peau blanche.

J’ai choisi le clan le plus puissant, me disant que les chances de trouver mon Catalyseur augmenteraient à mesure que je m’approcherais du pouvoir, puis je me suis rendu chez un vendeur d’esclaves. Il a bien rit de moi, mais je me fichais de son avis tant que j’obtenais ce que je voulais : qu’il me vende au clan Cardia comme esclave danseur.

La ruse a fonctionné. Il m’a fait passer pour un rebu qu’il n’arrivait pas à vendre et à supplié qu’on m’achète pour la moitié de mon prix sur le marché. Cette opération devait s’avérer bénéfique pour tout le monde : le vendeur a gagné son argent sans effort, le clan Cardia a gagné un esclave exceptionnel pour une somme dérisoire, et moi j’ai enfin pu voir mon Catalyseur.

Il me fallut peu de temps pour trouver Shyrin. La petite fille n’avait pas deux ans et déjà elle savait contrarier le destin. Ce qu’elle demandait était exigence aussitôt comblée. Mais rien dans sa naissance n’aurait du lui accorder tout ce qu’elle demandait et sa prise sur son père était plus grande qu’elle n’aurait du l’être. Je lui prédisais un grand avenir de Catalyseur.

Quant à moi, je me montrais un esclave plus ou moins exemplaire. Désormais marqué au bras comme propriété du clan Cardia, je m'avérais être un parfait danseur, moins en ce qui concernait le reste. Il fallut que je me rende indispensable et fis de mon mieux pour approcher la petite fille autour de laquelle tournait mon univers. Je devenais son ami, un confident, un partenaire de danse, et en profitais pour l’instruire de quelques petites choses que les chalcèdes ne risquaient pas de lui apprendre. J’agissais subtilement pour qu’elle ne se rende pas compte de mon influence sur elle, ni quiconque.

Mes efforts furent récompensés lorsque Hobes m’offrit enfin à sa fille. J’avais désormais toutes les excuses pour passer mon temps avec elle.

Mais le Destin n’attendait qu’une occasion pour se manifester. La guerre éclata bientôt entre les Etats Chalcèdes et les Quatre-Duchés. C’est une sacrée épine qui se plantait dans mon pied. Je ne pouvais pas espérer mener des chalcèdes dans le Désert des Pluies avec une guerre à leur frontière. Et il n’y avait aucune chance que ça finisse vite. Sauf si Shyrin voulait bien y mettre son joli nez.

Je dois dire que cette petite dépassa mes espérances. Je n’ai pratiquement rien fait pour la pousser à se rendre aux Quatre-Duchés, mais je n’aurais pas mieux fait qu’elle. Je dois bien le dire : j’étais très fier d’elle. Il ne lui restait plus qu’à obtenir la paix, et enfin nous pourrions peut-être espérer nous rendre dans le Désert des Pluies. Ma mission commençait sérieusement à me titiller. Il était temps de l’accomplir.