Robuste galopait bien et le temps était idéal pour une chasse. Rousseplume volait plus haut, découvrant au préalable le terrain.
Le vent était frais, et cela rappelait vaguement à Acuité son pays de Béarn.
Du coin de l'oeil, elle suivait les cercles de son crécerelle et dirigeait son cheval en conséquence.
Elle s'embusqua dans un bosquet large et continua sa route au pas, jusqu'à tomber sur le corps d'un homme, tourné face contre terre.
La scène lui parue familière, et un sourcil froncé, elle stoppa son cheval.
C'est alors qu'ils apparurent. Les brigands, ceux qu'elle avait déjà combattu et qui étaient morts. Pourtant, ceux-ci se portaient bien. Ils se déplaçait le sourire aux lèvres, l'oeil mauvais, comme s'ils calculaient un mauvais coup. Acuité savait bien ce qu'ils préparaient, elle l'avait vécu. Alors sans attendre qu'ils cognent dans le cadavre sans attendre qu'ils l'encerclent, elle demanda à Robuste de faire demi-tour, vite.

Mais le cheval semblait figé et ne bougeait pas. Comme dans sa réalité, elle assista impuissante à ces hommes qui s’approchaient dangereusement. Un des hommes lui agrippa la jambe et elle dégaina sa dague, rapide comme l'éclair pour mieux lui fendre la joue en deux. Il hurla et elle en profita pour détaler, un autre de ses gredins suspendus à la martingale de son cheval.

Il galopèrent longuement, et c'est seulement une fois dans la vallée que l'homme parvint à faire trébucher sa monture. Mais elle s'y attendait, ayant déjà vécu cela et roula sur le sol en se protégeant du mieux qu'elle le put.
L'homme se jeta sur elle, et la bataille commença.
Il arrachait ses vêtements, tout en l'insultant. Comme elle se débattait farouchement, il finit par lui asséner une gifle qui l’assomma à moitié.
Elle sentait son haleine fétide, ses doigts sales la toucher, alors qu'il l'immobilisait.
Comme ce jour là, elle attrapa une flèche de son carquois et aperçu son arc brisé. Encore. D'ici quelques temps Brun lui en offrirait un autre, elle le savait.
Le temps sembla s'arrêter le temps de ses pensées, et quand elle revint à elle, sa poitrine était dénudée.
Avec rage, elle planta la flèche dans le cou du brigand et le sang jaillit, chaud, rouge, salvateur, baignant tout le haut de son corps.
Tentant de regagner sa respiration, elle se releva toujours un peu sonnée. Son coeur battait fort, il savait déjà ce qui l'attendait. L'arrivée de Brun et vainqueur ne devrait plus tarder et en attendant..non, pas ça.

Les hommes l'avaient rattrapé, mais ils étaient moins nombreux que dans ses souvenirs, seulement trois. cela ne l'empêcha pas de se prendre un solide taquet qui l'envoya valser sur le sol, inerte.

Il était là, juste au dessus d'elle, si proche et accessible qu'elle n'en croyait pas ses yeux. Le contact sur sa joue était doux, sa voix était tendre et il la couvait du regard. Elle murmura son nom et se redressa face à lui, en proie à une incompréhension flagrante. Il lui sourit et se pencha pour l'embrasser. Leurs lèvres se touchèrent d'abord fébriles, hésitante, mais rapidement Acuité s'agrippa à lui en glissant sa main ensanglantée tenant toujours la flèche autours de son cou.

Soudain, Brun se figea. Elle rompit le baiser et chercha une réponse à ses interrogations dans son regard. Mais il ne bougeait plus et son regard se faisait de plus en plus lointain.

Avec incrédulité, Brun regarda la flèche qui sortait de sa poitrine. Elle n'était plus dans la main d'Acuité, loquet de leur baiser ; mais le traversait de part en part et pointait, carreau ensanglanté, au niveau du cœur.

- Vainqueur... gémit Brun avant de s'écrouler, inerte, sur Acuité.

Elle vit la flèche avec horreur et tandis qu'il s'écroulait sur elle, un son terrible s'éleva de sa gorge. Ce n'était pas à proprement parler un cri, ni un hurlement animal, mais plutôt la conséquence de l'incompréhension et de la douleur.

Alors qu'il gémissait le nom de Vainqueur, elle ne pouvait s'empêcher de  le secouer vivement en l'appelant et en lui suppliant de ne pas la laisser seule.
Les larmes coulaient à flots sur ses joues et ses épaules se convulsaient sous de terrifiants sanglots qu'elle ne pouvait tout simplement pas contenir.

Sa poitrine lui brûlait comme si on lui arrachait le coeur et la faisait suffoquer. Pourtant, elle ne lâcha pas le corps de Brun, pas encore, c'était trop tôt. Elle observa un instant la pâleur de son visage, le contours de ses lèvres qu'elle caressa du bout des siennes dans un dernier adieu avant que la douleur du gouffre béant en son coeur ne soit insupportablement vive.
Baissant les yeux sur sa propre personne, elle remarqua une main qui traversait sa poitrine de part en part et qui tenait, pressé entre ses doigts un amas de chair palpitant.

Avec un hurlement d'effroie elle se tourna, cherchant Vainqueur du regard mais lorsque son regard se posa sur lui, elle reconnut la main tenant son coeur encore battant.

-Désolée Acuité, mais je ne peux pas vous laisser faire ça. Au nom des Loinvoyants.

Son regard s'écarquilla alors qu'il avançait sur elle et ses bras restaient tétanisés, crispés sur le corp de Brun déjà froid.
Soudain, dans un élan de lucidité, elle déplaça la tête de Brun sur le sol et se leva pour faire face à sa famille. Sa dague de chasse de Béarns dans la main, elle fonça sur lui et le frappa en plein coeur. Ses lèvres ne faisait que murmurer des excuses, mais la douleur face à la perte de Brun la rendait folle.

Elle s'acharna sur le corps de Vainqueur, jusqu'à ce qui ne reste plus rien de reconnaissable en lui et quand elle parvint à reprendre son souffle et à y voir quelque chose à travers les larmes, elle abandonna le corps mutilé, là où il était pour se concentrer à nouveau sur Brun.

Inondée de larmes, elle s'allongea à ses côtés, le corps secoué de sanglots et lui prit sa main. Elle porta sa tête contre la sienne et leva de sa main libre sa dague.
Sans aucune hésitation, elle trancha sa propre gorge.