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Pas sure de comprendre tout ce qu'il se passait, mais mettant ça sur le dos du château et de l'effet qu'il avait sur le cerveau des gens, Flèche finit par se dire que c'était normal si elle ne comprenait rien. Ces personnes (et en particulier Heidi) étaient toutes folles!
Mieux valait faire profil bas et attendre que ça passe; Pour ce faire, rien de tel qu'une part de gâteau et une tasse de thé. Flèche était parée!

Mais quand même, ça lui faisait penser à quelque chose de vraiment important.
A Rune, dans un registre autrement plus sérieux:

- ça marche aussi avec les animaux? L'Art?

Oui, Flèche avait déjà entendu parler du vif, mais c'était une maladie, pas une magie. Autant dire qu'elle ne voulait pas avoir le vif et avec donc exclus cette possibilité depuis longtemps. Par contre, avoir l'Art, ce serait une autre histoire.

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Un moment, les pensées d'Orge avaient interrompu leur cours. On aurait pu voir un courant d'air passer dans son crâne à travers ses yeux : Bienséance - Stop - Tournoi - Stop - Grandes dames - Stop - Tournoi - Stop - Grandes dames - Stop - Vainqueur - Stop - Grandes dames...

Sur quoi, elle avala de travers, toussa en laissant tomber l'assiette qu'elle tenait sur ses genoux, et parti dans un fou rire absolument incontrôlable. Dans sa tête s'était formée l'image mentale du roi Vainqueur, assit dans la tribune royale dans une robe de baptiste colorée, maquillé pour l'occasion, tandis que des "Grandes Dames" se succéderaient sur la piste - en armure, poussière et sueur - sur des étalons nerveux, s'affrontant dans une joute pour le cœur de leur roi. C'était irrésistible. D'autant plus irrésistible, que si l'idée venait bien de Bienséance, la seule personne que l'on ne verrait pas à cette occasion serait son principal invité : le Roi.

Aussi oublia-t-elle la question de l'Art, qui l'avait pourtant intriguée ; était-ce le mélange de sang de sa mère montagnarde et de son père Castelcervois qui lui avait donné sa magie ? Pourquoi son frère en était-il alors dépourvu ? Orge avait ainsi rougit lorsque le vif avait été aussi mis sur la table : c'était une magie qu'elle désirait posséder, de la manière un peu honteuse de quelqu'un sachant ne pouvoir parler de sa maladie sous peine d'être mis à l'écart.


- D'où tiens-tu cette rumeur, Heidi ? Bienséance aurait-elle déjà ordonné des préparatifs ? Le Roi est-il au courant ? C'est... Absolument délicieux ! Que ferez-vous, toutes, si cela se confirme ?

Dans tous les cas, cela voudrait dire qu'il y aurait des réjouissances pendant plusieurs jours au moins ; Ce serait mémorable ! Des bardes viendraient de tout le royaume, ses moments de libre promettaient d'être joyeux.

D'une moue mécontente, Flèche signifia que la réponse de Rune ne lui convenait pas et, butée, elle se renfrogna sensiblement.
Le Vif, c'était le mal et puis c'est tout. Pas de demi-mesure possible pour la demoiselle.

Le temps d'aller s'asseoir par terre, en tailleur, et de laisser la conversation changer de sujet, Flèche garda un silence obstiné.
Il n'y a bien que le mot "tournoi" qui éveilla sa curiosité. Mais quand même, elle préférait se contenter d'écouter.
Quand vint le moment d'exhiber dentelles et fourrures, elle n'y tint plus:

- Y aura un buffet, vous pensez? Nous aussi on pourra venir?


Et par nous, bien sur, elle parlait du bon peuple.

A ce qu'on disait, un individu louche avait été repéré dans le château. S'il faisait quoi que ce soit de mal? Non. Louche ne voulait pas dire dangereux. Et c'est bien ce qu'il y avait de peu glorieux dans sa mission du jour.
Localiser et évacuer un individu louche... Autant dire qu'une mouche avait piqué une servante et que c'était à lui de s'assurer que ça ne se reproduirait plus!
Non mais vraiment... Comme s'il n'avait que ça à faire! Lui! Un garde de métier! Un professionnel!
Tout ronchonnant, Marmito parcourait les couloirs en lançant des regards noirs à qui voulait bien se porter volontaire pour les recevoir. Il devrait être entrain de prendre sa seconde collation à cette heure-ci. Ce qui expliquait sa mauvaise humeur. La seconde raison de sa mauvaise humeur, c'était qu'il ne savait absolument pas ce qu'il était entrain de chercher.

- Un saltimbanque en tenue orange et violette qui se targuait d'avoir le meilleur costume qui soit pour se promener ni vu ni connu dans le château. Douteux, vous trouvez pas?

Douteux, pour sur... Et pour sur il ne pouvait pas laisser un inconnu déambuler dans le château. Mais il n'empêchait qu'il serait beaucoup mieux occupé à déguster un bon cuissot de chevreuil bien fondant plutôt qu'à taper à toutes les portes du château!

Ah, mais tient, voila qu'il en arrivait à la porte de chez Heidi:

- Toc toc! Bonjour, sa seigneurie (dans le doute, il disait ça à tout le monde). Excusez-moi de vous déranger, mais nous recherchons un individu de cette taille à peu près et habillé de couleurs vives. Du orange et du violet. L'auriez-vous par hasard rencontré?

Tout à ses réjouissances, Flèche fut interrompue par des coups portés à la porte. Un buffet et des joutes continuait-elle de rêver quand les échos de la conversation lui parvinrent et semèrent la crainte sur son échine. On la cherchait! Comment était-ce possible? N'était-elle pas en sécurité maintenant qu'elle était installée chez son hôtesse?

Décidément, les règles du jeu qui avaient cours au château lui étaient incompréhensibles. Prête à tout, Flèche resta dans l'expectative dissimulée par Heidi.

Dire que Lawena n'entendait goutte aux discussions sur l'Art aurait été un doux euphémisme. La réaction d'Orge l'avait laissée sur l'impression que le sujet n'était pas de ceux qu'on abordait librement, et les explications patientes et doctes de Runes n'étaient pas non plus suffisantes lorsque, comme elle, on n'avait auparavant jamais soupçonné qu'il existait un Art autre que celui sans majuscule des peintres et des ménestrels. Tant pis, elle resterait donc dans son ignorance. Quant au Vif, ça, elle en avait bien eu des échos... mais dans des circonstances qui lui recommandaient de ne pas se vanter de penser le posséder, pas même après absorption de gâteau Heidien.

Parce qu'elle n'avait rien de mieux à faire, et que ça lui éviterait peut être de voir sa tenue re-teinte au thé, elle ramena ses jambes sous elle, ainsi que ses jupes, en une attitude pas très appropriée pour une réception au château de Castlecerf, mais tout à fait confortable - et puis, de toute façon, c'était de chez Heidi qu'il s'agissait, pas de l'antichambre de la reine Bienséance.

L'annonce de la rumeur pour laquelle leur hôtesse avait visiblement organisé la séance, la laissa loin de l'excitation des jeunes demoiselles. Ou alors était-ce le fameux gâteau qui lui faisait cet effet-là ? Elle se sentait curieusement flottante depuis un moment, comme si elle s'éloignait en esprit... Non, c'était juste des impressions stupides, et son solide sens pratique la ramena dans la conversation :

" ça va faire marcher les affaires, ça ! Tout cas c'est c'que 'faut espérer pour nouz'aut'. Toujours ça d'pris. "

Leur hôtesse, elle avait déjà tout prévu, et la teinturière pencha la tête en jaugeant la robe qu'elle leur présentait. Elle n'eut pas le temps d'exprimer son avis (tout ce jaune uni, il faudrait peut-être ajouter une ceinture azurée ? et quelques dentelles olive ?) que déjà, les estomacs reprenaient le centre de la conversation. Et puis une nouvelle arrivée interrompit de nouveau leurs féminines considérations...

Sans hésitation aucune sur le parti à prendre - quand on avait été esclave, sans doute optait-on toujours contre l'ordre établi et l'autorité reconnue - Lawena se retrouva à farfouiller dans l'armoire de Heidi. Y avait-il une chance de trouver là-dedans quelque chose qui pourrait donner le change, et camoufler sur Flèche les couleurs inculpées ? Après tout, une de ces immenses chemises pourrait bien passer pour une robe, une fois drapée sur l'adolescente... L'ex-esclave fit donc signe à la fausse acrobate d'approcher, en espérant qu'un déplacement de la masse de leur hôtesse n'allait pas tout de suite rouvrir le champ visuel du garde.