A l'abris derrière le large tronc, Acuité patientait calmement. Le bout de ses doigts commençaient à geler, mais elle ne pouvait souffler dessus pour les réchauffer. Son corps tout entier s'engourdissait au fur et à mesure que le temps passait, mais là encore, elle s'évertuait à demeurer immobile et invisible.
La pensée de devoir rester ainsi jusqu'à peut-être tard dans la nuit la fit grimacer, mais elle devait tenir bon. Elle n'avait pas bravé Chalcèdes et les Montagnes enceinte pour faillir à rester camouflée dans la neige. Elle valait mieux que cela.
Du bout de ses doigts tremblants, elle attrapa une nouvelle poignée de neige qu'elle fourra dans sa bouche en plissant les yeux sous l'effet du froid.
Alors que cette dernière fondait contre son palais et sa langue, elle frissonna longuement. Et puis, quelques temps après, elle aperçut une forme émerger sur le chemin. Un homme enveloppé dans les peaux, à la barbe et à la chevelure hirsute. Par El ce n'était pas son père comme elle s'en doutait fort bien.

Le plus silencieusement possible, elle se redressa lentement les jambes bien campées dans le sol. La flèche qu'elle tenait fermement dans sa main glissa pour se faire encocher. Ses mains tremblaient de froid et ses doigts étaient engourdis. Par Eda, il lui faudrait un miracle pour ne pas rater ce tir.
L'homme avançait péniblement compte tenu de la neige, mais semblait ne se douter de rien.
Elle retint son souffle tandis que la corde se tendait jusqu'à hauteur de sa joue. Puis, dans le silence de l'hiver, la flèche siffla dans les air.

Puis, dans le silence de l'hiver, la flèche siffla dans les airs...

1 Acuité rate son tir de loin.
2-3 Acuité rate son tir de peu.
4 Acuité touche Brun à l'épaule.
5 Acuité touche Brun à la cuisse.
6 Acuité touche Brun au front.

Le membre 'Brun Braveterre' a effectué l'action suivante : Le hasard en action

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'Hasard 6' : 5

Il était à trente pas du but. Mais une flèche vint couper sa course.

La douleur fut comme un éclair. Le déserteur tomba à genoux dans la neige. Une flèche traversait latéralement sa cuisse gauche et le sang apparaissait déjà sur les fourrures. Mais il n'avait pas le temps de constater les dégâts. Dans un râle, il se jeta à couvert du pin le plus proche et encocha une flèche.

Qui l'attaquait ainsi, en plein jour ? Il risqua un œil derrière l'écorce mais ne vit rien. L'autre devait être à couvert et il ne pouvait qu'estimer sa distance et sa direction.

- Je viens en paix ! cria-t-il, conscient du caractère dérisoire de cet appel.
Les Montagnards ne parlaient pas sa langue, si tant est que sa voix porte jusqu'à son agresseur...

Il aurait pu jeter ses armes pour prouver ses dires. Mais il n'était pas encore résolu à mourir.

Le froid l'avait fait rater sa cible. Elle visait le coeur et n'avait obtenu que la cuisse. Tremblante de tout son corps, elle soupira à nouveau adossée au tronc pour se mettre à couvert d'une éventuelle représailles. Si on avait envoyé un homme pour les éliminer Espoir et elle, il ne devait pas être novice en matière de combat.
Un fin filet de sueur coula le long de sa tempe, avant de se geler contre une mèche blonde échappée de sa natte. Elle osa un regard discret pour voir comment réagissait sa cible mais elle avait disparu. Les traces dans la neige l'informèrent qu'il s'était simplement placé à couvert.

L'angoisse lui ceignait le torse, elle l'avait manqué et à présent, il savait que quelqu'un cherchait à l'éliminer. Elle venait de perdre un avantage précieux.
En laissant reposer sa tête sur l'écorce, elle ferma les yeux. Que faire à présent ? Tirer à nouveau ?
Elle osa un nouveau regard pour se rendre compte que de là où elle se situait, elle ne pouvait l'atteindre à nouveau sans se mettre à découvert. C'est alors que l'homme parla, montrant patte blanche dans ses propos.
La voix lui sembla presque familière mais elle n'arrivait pas à savoir pourquoi cet étrange sentiment la traversait.

Lentement, elle tira le couteau de chasse de sa ceinture et attendit patiemment dans la neige que l'homme bouge. Elle ne dirait pas un mot ni ne ferait un mouvement tant qu'elle ne saurait pas à qui elle avait à faire. Si elle ne dévoilait pas sa position, elle reprendrait l'avantage sur le blessé.

Le silence lui répondit.
- Je viens en paix ! répéta-t-il, criant le plus fort qu'il pouvait, puis il fut prit d'un étourdissement.

Il se défit de son sac et s'adossa à l'arbre. Le froid glacial contrastait avec la chaleur du sang qui s'écoulait le long de sa jambe. Il était faible, blessé et on voulait sa peau. Un certain désespoir l'envahit, talonné par la rage. Il ne pouvait pas échouer si près du but !

Tâchant de rester calme, il expira profondément dans un panache de vapeur et brisa les bords de la flèche. Renonçant à la tentation de s'accroupir pour soulager sa jambe, car il ignorait s'il serait capable de la déplier ensuite, il fouilla dans son sac à la recherche du nécessaire pour se faire un garrot. Il trouva mais n'osa pas. Il avait peur de s'évanouir. Pourtant il perdait trop de sang, trop et trop vite.

- Répondez ! Montrez-vous ! gueula-t-il.

Puis, après un nouveau silence :
- Est-ce que vous comprenez seulement ce que je dis, stupide barbare ?!
Et encore :
- Vainqueur, si c'est toi qui m'a envoyé ce putain d'assassin je te jure que je te ferai bouffer le cerf par les cornes !

Et, si elles lui donnaient du courage, ses harangues l'épuisaient un peu plus.

Face au silence, l'homme reprit la parole. Il répéta sa volonté de venir en paix mais Acuité n'en crut pas un mot. Il mentait forcément, personne ne pouvait venir en paix pour la reprendre ou pour l'assassiner.
Après tous les efforts réalisés, on avait fini par la retrouver. Shyrin avait-elle parlé ? Cette simple idée lui brisait le coeur et l'expression résignée de son visage se mua petit à petit en une déception non feinte.

Et puis l'homme continua, visiblement agacé. La douleur devait le mettre en colère et elle se félicita intérieurement d'avoir le dessus sur la situation. Ses paroles lui confirmèrent qu'il était Cerviens, au moins autant que son accent. Et cette voix...où l'avait-elle entendue ?
Il lui était impossible de se souvenir.
Elle fit bouger ses doigts engourdis par le froid avant de ranger son couteau puis observa à nouveau en direction du pin. Elle ne pouvait discerner correctement l'état de l'homme mais le sang nourrissait la neige là où il se trouvait.
Le nom de Vainqueur lui fit froncer les sourcils. Etait-il pourchassé ? La jeune femme ne comprenait plus rien, elle se croyait la cible de cet homme mais il semblait être lui même la cible du Roi.

Prudente, elle tira une nouvelle flèche de son carquois qu'elle encocha de ses doigts tremblant pas aussi rapidement qu'elle l'aurait souhaité pour le coup.
Elle commença alors à s'avancer prudemment, toujours sous le couvert d'un arbre jusqu'à n'être qu'à quelques mètres de l'homme qu'elle découvrit adossé et sévèrement blessé, comme elle le supposait. Il était désarmé et dans son état, ne pourrait pas se jeter sur elle pour un combat rapproché.

Le menaçant de sa flèche prête à partir, elle lui lança d'un ton aussi glacial que leur environnement :
- Pourquoi êtes vous là ?

Ce silence le rendait fou. Il avait marché des semaines et il aurait pu rester des semaines immobile derrière cet arbre, n'eurent été le froid, la faim et la flèche... Qui que soit son agresseur, "ami" des Duchés ou étranger, il avait l'avantage sur lui. Mais il ne pouvait rester là à attendre que l'autre se trahisse, alors qu'il se vidait de son sang.

Alors le déserteur renonça et plaça son sort entre les mains d'Eda. Il noua la corde autour de sa cuisse et serra du plus fort qu'il put. Le sang gicla puis son flot s’endigua. L'esprit de Brun flottait aux limites de sa conscience. Son corps reposait contre l'arbre.

Quand ses yeux virent à nouveau, il vit une grande étendue blanche et une petite silhouette floue. Son arc avait glissé à ses pieds ; il voulut saisir le poignard à sa ceinture pour se protéger mais réalisa qu'il était trop tard, qu'elle le tenait en joue. Alors il se contenta de la regarder tandis qu'elle s'approchait et que ses traits se précisaient. Il ne reconnut pas l'arc qu'elle tenait, à l'inverse de son visage.

Alors un rire nerveux le traversa, résonnant dans la grande forêt. Elle ne le reconnaissait même pas.

L'homme était plus grand qu'elle, même aussi mal en point. Elle remarqua le ragot qu'il s'était fabriqué mais revint rapidement à lui alors qu'il s'était mis à rire. Se moquait-il d'elle ? venait-elle de tomber dans un piège quelconque ?

Toujours sur ses gardes, méfiante, elle osa un regard à droite puis à gauche mais rien de vint. En dehors de leurs respirations tremblotantes, il n'y avait pas âme qui vive. Et il riait toujours, pauvre fou qu'il était certainement.
Cette réaction la fit sombrer dans une colère sombre déjà alimentée par la peur et l'angoisse.

- Je vous ai posé une question, ordonna-t-elle d'une voix plus forte et toujours aussi menaçante.

La flèche tremblait entre ses doigts, elle ne sentait déjà plus si elle tenait correctement la penne. Le tir pouvait partir à tout moment et il riait, face à sa mort probable.
La mine sévère, elle était sur le point de le relancer pour qu'il parle lorsqu'elle reconnut enfin les traits dissimulés sous la barbe. L'air lui manqua subitement alors et elle inspira bruyamment les yeux agrandis, comme si elle se trouvait nez à nez avec un fantôme.

Dans son esprit, nombre de questions se bousculaient déjà au sujet de cette situation et elle baissa légèrement sa garde, avant de finalement détendre la corde de son arc.
Sa bouche lui sembla sèche et le froid la rendait bien incapable de dire un mot de plus. Non, elle savait pertinemment que le froid n'avait rien à voir dans tout cela, pourtant, la sensation demeurait la même. Elle se sentait figée et toujours tremblante, elle se força à reculer d'un pas pour conserver une distance afin d'éviter de le rendre réel.
Cela ne pouvait être réel. Il ne pouvait pas être là.

Elle cligna des yeux une fois, puis deux, mais son image ne s'évanouit pas. Alors, du bout des lèvres elle bredouilla dans une incertitude absolue :

- Mais enfin...qu'est-ce que tu fais là ?

Acuité-les-yeux-noirs le somma de répondre, et il savait qu'elle aurait pu finir le travail, le clouer, là, sur place contre son arbre. Mais il n'arrivait pas à arrêter de rire.

Il fallut la douleur et l’essoufflement pour y parvenir. Pourtant l'air éberlué de la petite Duchesse valait son pesant d'or - et peut-être, à lui seul, le voyage ! Mieux valait rire de l'absence totale de joie, voire de la peur que ses traits affichaient. Au moins avait-elle baissé son arc.

- Je suis venu voir si tu étais bien vivante. Comme dans mon rêve, avoua-t-il, tout simplement.
Pour l'instant, il n'avait plus la force de se torturer l'esprit sur ce qu'il fallait dire ou ne pas dire. Il aspirait juste à rester vivant.

- Mais si tu veux bien... nous parlerons de tout ça au chaud dans ta maison, même si... je risque de tacher ton tapis...
Il eut un semblant de sourire. La situation ne se prêtait guère à la plaisanterie, mais il ne savait pas comment se comporter autrement celle qui l'avait rayé de sa vie - et presque de l'existence.

Il porta sa main à sa cuisse et dit :
- Il va falloir que tu m'aides...

Ainsi il venait voir si elle était vivante selon ses propres mots. Elle aurait pu en rire. Il avait traversé les Duchés et les Montagnes en hiver juste pour voir si elle était vivante ? Foutaises, elle n'en croyait pas un mot et son visage figé par la surprise reprit une expression froide.
Pourtant, il venait de faire mention du rêve. Elle ne s'en rappelait que trop bien. Le rêve d'Art où elle avait été appelé, où il l'avait retrouvé. Voilà des mois qu'elle se planquait de potentiels artiseurs pour rester cachée mais il l'avait contacté avec son art à l'état embryonnaire.

Est-ce que cela signifiait que Vainqueur savait ? Oui, il le lui avait probablement tout dit. Tout ? Elle avait l'impression qu'un bloc de glace venait de sombrer dans le creux de son estomac et la nausée la prit.
Par Eda et son père ? Était-il au courant ?
Tournée en son fort intérieur, elle ignorait ce qu'il lui racontait par la suite, mais lorsqu'elle reprit ses esprits, il lui demandait de l'aide. Combien de temps avait duré sa surdité ? Elle avait le sentiment que tout était réglé, or, tout ne l'était pas.

- Non, lâcha-t-elle avec dureté. Je veux savoir ce que tu fais là. La vraie raison.

Elle se devait de préciser. Savait-il pour Espoir ? Et comme pour porter plus de poids à ses paroles, elle encocha à nouveau la flèche qu'elle tenait toujours dans ses mains et le tint à nouveau en joue.

Le déserteur dévisagea la jeune femme avec incrédulité. Il n'avait plus du tout envie de rire.

- C'est la vraie raison, protesta-t-il. M'assurer que tu étais vivante. Tu crois peut-être que ça n'a aucune importance pour moi ? Sais-tu ce que cela m'a fait de croire que tu étais morte par ma faute ?!

Quittant son arbre, il se releva et boita vers elle, ignorant son arme pointée sur lui pour ne regarder que ses yeux froids. Dans sa moufle, il saisit la pointe de sa flèche et l'appuya sur son cœur.

- Eh bien va-y, tire ! Ça ne me fera pas plus mal. Et cette fois ne rate pas ton coup.

Elle avait froid, peur mais elle était déterminée. Il ne lui avait pas tout dit elle en restait persuadée. Pourtant, à son tour, ses traits se durcirent sous la barbe. Comprenait-il enfin les conséquences de sa présence ? Il l'invectiva presque d'avoir laisser planer la nouvelle de sa mort mais elle comprit rapidement, grâce à ses paroles que seule sa culpabilité le rongeait.
Elle avait pourtant tout fait pour qu'il ne se sente pas coupable. Son départ pour la Guerre, son départ sur le front, sa fuite en Chalcèdes jusqu'à la destruction d'un de leur poste étaient la conséquence de ses propres décisions. Elle avait été égoïste, mais elle l'assumait pleinement. Elle s'était battu pour son pays, pour ses terres et pour son Roi.

Sans lui laisser réellement le temps de répondre, il se détacha de son arbre support et s'avança vers elle pour saisir sa flèche dans son poing. Elle en fut si surprise qu'elle manqua de relâcher la corde. Pourtant, elle sentait que dans la tension qu'il portait dans ses doigts, il ne risquait pas grand chose, alors elle abandonna toute pression sur la corde et baissa son arc, le laissant avec sa flèche entre ses doigts crispés dans sa moufle.

- Ne sois pas stupide, soupira-t-elle comme si ses paroles ne lui faisaient rien. Est-ce que Vainqueur sait ? Mes parents ?

Il pouvait bien prétendre ce qu'il voulait au sujet de sa venue, la seule chose qui l'importait véritablement seraient les conséquences qui en découleraient. Qu'elle soit en vie était une chose, qu'elle possède un enfant une autre.

La pointe de la flèche était dans sa main, mais le goût du fer dans sa bouche - à moins que ce ne soit le sang. Il ne voulait plus la regarder, et baissa les yeux sur la flèche parfaitement équilibrée. Il eut envie de la briser mais la laissa simplement tomber sur le sol, dans la neige, sans un bruit.

Ses paroles à elle résonnaient dans le silence. Il l'avait toujours sue égoïste, mais il avait cru qu'elle avait du cœur, et se sentait déçu par celle qu'il était venue retrouver. Mais il n'était pas venu pour son mérite, ni par amour ni même par amitié ; seulement par devoir. En cela il mentait et elle avait raison, malgré ses insultes et son manque d'attentions.

Mais il n'était pas temps de parler d'Espoir, de Vainqueur ou de Glace maintenant. Il avait le corps gelé, le ventre vide et une baguette de bois entre les muscles, quand bien même il était le seul à s'en soucier.

- Très bien, lâcha-t-il d'une voix neutre en faisant demi-tour vers son arbre.
Avec un grognement, il ramassa son sac, l'endossa et commença à marcher vers la maison. Trente pas, toujours. Mais il n'allait pas vite, et des gouttes de sang marquaient son sillage.
- Puisque tu me refuses l'hospitalité, je vais devoir la prendre, dit-il en s'éloignant. Sens-toi libre de me tirer dans le dos. Ça n'est pas comme si tu te souciait de mon état.

La réponse ne se fit pas attendre. Faute de lui donner des explications il s'enferma dans un semblant de mutisme, distillé simplement par un comportement d'arriviste qui l'agaça profondément.
Il se plaignait de son hospitalité, pire, il lui reprochait son manque de considération quant à son état. Elle demeura complètement hébétée face à cette réaction et le regarda s'éloigner en claudiquant, hésitant entre l'envie de le dépasser pour lui fermer la porte au nez ou celle de le frapper pour lui remettre les idées en place.

Il refusait de lui répondre pour faire passer son bon confort avant toute chose. Elle le rattrapa en quelques enjambées et lui saisit sa manche à quelques pas de la porte pour le forcer à s'arrêter.

- Non mais pour qui te prends-tu ? gronda-t-elle. Tu débarques de nulle part et exige que je t'accueille sans répondre à mes questions ! A quoi t'attendais-tu par Eda ?! Qu'est-ce que tu veux vraiment ?!

Elle avait presque hurlé la dernière question tant elle était à fleur de peau désormais. Puis elle se plaça entre lui et l'entrée de la maison en plantant son regard sombre dans le sien.

- Je jure sur ma vie que tu ne franchira pas cette porte tant que je ne connaîtrais pas tes réelles intentions.

Et qu'il ne lui sorte pas les mêmes balivernes que précédemment. Il ne pouvait pas avoir traversé les Duchés et les Montagnes juste pour s'assurer qu'elle était en vie. Qu'avait-il dit à Vainqueur pour partir ainsi en exploration ? Le Roi devait forcément être au courant, alors qu'elle était sa vraie mission ?

Brun entendit les pas d'Acuité derrière lui, et il sentit sa main rude sur sa manche, et il reçut ses paroles saturées d'angoisse. Puis il la vit en travers de la porte, faisant rempart de son corps comme la sacrifiée qu'elle était depuis le début. Il comprit alors qu'elle avait tout à protéger derrière cette porte. Sa nouvelle vie. Son fils. Pas seulement la chaleur et le pain auxquels seuls il pensait, comme l'homme épuisé qu'il était.

Avant et après qu'elle l'eut reconnu, elle n'avait pas cessé de le voir comme un danger. Il en était blessé, mais ne pouvait pas lui en vouloir. Il lui avait déjà fait du mal, changeant radicalement le cours de son destin. Il l'avait mise en danger en donnant la vérité à Vainqueur. Aujourd'hui il s'était juré de faire l'impossible pour la protéger, à commencer par traverser ces montagnes - mais le laisserait-elle ? Elle lui avait tout donné, mais sa confiance, jamais.

Las, il posa son paquetage dans la neige et réfléchit aux paroles qu'il allait prononcer.
- Je jure sur ma vie que je ne vous veux aucun mal, à Espoir et toi, répondit-il avec le plus de sincérité, en écho à son serment.
- Je suis venu pour t'aider. Pour racheter ma faute.
Il baissa les yeux. Ces propos lui semblaient ridicules vu le peu de besoin et d'envie qu'elle semblait avoir de son aide, avec sa maison bien solide, ses fourrures bien chaudes, son arc et l'aide des Montagnards.

Dans d'autres circonstances, il l'aurait laissée la refuser et le renvoyer d'où il venait comme un chien galeux. Ça n'était sans doute que ce qu'il méritait. Mais il amenait le malheur sur ses traces, alors il devait rester pour la protéger. De l'autre homme, celui que Vainqueur avait déjà envoyé, ou qu'il enverrait quand il lirait dans sa tête qu'une deuxième fois, celui qui avait été son ami le trahissait. Car il ne ramènerait pas Acuité de force. C'était sa seule certitude. D'ailleurs, il en serait bien incapable.

- Laisse-moi entrer s'il te plait, acheva-t-il, à bout de ressources.

A la mention d'Espoir, elle se raidit. Il savait. Il savait ! Par Eda elle aurait pu défaillir sur place. Il lui proposait une aide, se pouvait-il qu'il n'en ait pas parlé à Vainqueur ? Impossible, il avait forcément du justifier cette absence prolongée. Alors pourquoi venir jusqu'ici pour l'aider ? Vainqueur devait vouloir négocier ou pire.
Savait-il que Espoir était le fils du Maître d'Armes ?
Tout ce manque d'information la rendait dingue, elle avait milles questions à lui poser. Pouvait-elle croire en lui ? Pouvait-elle lui faire confiance ?

Elle l'observa avec attention. De quelle faute parlait-il ? Il n'avait rien fait de mal. A moins que Vainqueur ne l'ait envoyé à une mort certaine en lui faisant traverser les Montagnes.
Non, elle devait cesser de s'inventer des raisons.

Sous sa barbe, il semblait avoir changé. Le temps commençait à le marquer, à moins qu'il ne s'agisse de la Guerre ou du froid.
Sa supplique la fit frissonner et elle comprit alors à quel point il était épuisé. Il devait la prendre pour une sans coeur mais elle ne faisait que protéger la vie de son fils.

Lentement, elle se détourna de lui et ouvrit la porte. Elle frappa ses bottes sur le sol pour en faire tomber la neige et entra en sachant pertinemment qu'il la suivrait et le bruit de la porte qui se refermait le lui confirma. Sans attendre, elle posa son arc debout à côté de l'âtre dans lequel elle ajouta une bûche. Elle remplit alors une petite marmite ainsi qu'une théière avec la réserve d'eau qu'elle avait placé à dégeler.
Une fois ces corvées effectuées, elle retira son épais manteau et le pendit non loin de la porte. Seulement là, elle s'activa à récupérer un nécessaire de soin, constitué d'un pot d'onguent cicatrisant, d'une aiguille et d'un fil et de quelques morceaux de tissu faisant office de compresse. Elle ne pouvait le mener chez le soigneur pour réparer les dégâts et allait devoir assumer son tir jusqu'au bout. Tir qu'elle ne regrettait en rien.

Après avoir posé tout le nécessaire sur la table, elle changea de pièce afin de trouver dans les affaire de Jordken un pantalon à lui prêter puisqu'elle allait découper celui qu'il portait et qui, vu l'état dans lequel il se trouvait, ne lui manquerait pas.

Et tandis qu'elle s'affairait, pas un mot ne sortit de sa bouche. Elle agissait simplement, comme la femme libre qu'elle était, n'ayant rien à expliquer ou même à justifier. Elle le soignerait et ensuite, il lui raconterait tout.

Reconnaissant, le déserteur suivit la jeune femme à l'intérieur, endossant son sac une dernière fois. Il voulut enlever ses bottes dans l'entrée lui aussi, mais ne parvint à retirer que la gauche, ne pouvant prendre appui sur sa jambe blessée. La pièce à vivre était rustique mais proprette, peu lumineuse, les ouvertures étant réduites pour ne pas laisser pénétrer le froid. Le feu brûlait, ravivé par Acuité. Il faisait bon.

Il n'y avait personne d'autre.

Le déserteur posa son sac à côté de l'arc, et en sortit une couverture qu'il étala par terre devant l'âtre, avant de s'installer dessus. Assis, les jambes allongées devant lui, il enleva sa botte droite, son manteau de fourrures et, plus libre de ses mouvements, inspecta celles de sa cuisse, poisseuses de sang. Il allait falloir découper tout ça pour accéder à la plaie. Acuité avait déjà rassemblé le nécessaire sur la table à côté de lui, avant de disparaître dans une autre pièce.

Elle réapparut sous son regard. Ils savaient ce qui les attendait.

Il aurait voulu enlever la flèche lui-même, mais finalement il laissa faire Acuité. Il réussit à ne pas crier, se disant que peut-être, Espoir dormait dans la pièce d'à côté, et ne voulant pas se rendre plus pitoyable à ses yeux. Mais à peine eut-elle finit de poser les bandages qu'il sombra dans un sommeil proche de l'inconscience, à même sa couverture. Le plancher était édredon de plumes après les nuits inquiètes de ces dernières semaines, à se défier des bêtes et du gel.

Quand il ouvrit les yeux, le soleil du jour d'après s'était déjà levé. Le feu brûlait toujours. Il n'y avait personne d'autre.

Il avait les yeux lourds et une faim de loup. Sur la table, des bandages propres, une miche de pain et un pot de miel. Il ouvrit la miche en deux, y versa le pot de miel et dévora tout. Il fit tomber les miettes sur la couverture et changea son pansement, lavant la plaie avec l'eau chaude de la bouilloire. Acuité avait fait du travail propre. Où était-elle ?

Il remarqua que ses armes avaient disparu. Il se leva péniblement et explora la pièce. Rien de ce qu'il s'y trouvait, outils de la vie quotidienne ou objets sculptés en bois, ne lui rappelait la jeune femme qu'il avait connue. Dans la pièce d'à côté, il y avait un lit (trop grand pour un mais trop petit pour deux) et un berceau. Vide. Les couvertures froissées. Un cheveu brun sur l'oreiller.

Le déserteur quitta la pièce, revint à l'âtre, aux vêtements qui l'attendaient sur la chaise près de la table. Il eut toutes les peines du monde à mettre le pantalon, bien qu'il soit trop grand pour lui. Le pull était ample et chaud. L'ensemble n'était pas trop bariolé. Malgré tout il se sentait étranger dans ces lainages et cette maison qui lui semblaient appartenir à un autre. Pour la première fois il envisagea qu'Acuité ne vive pas seule ici. Le tout le plongeait dans une grande perplexité.

Il remit son manteau puant, rassembla dans la couverture le reste de ses vêtements et ses vieux bandages, jeta le baluchon sur son épaule, passa ses bottes et sortit, espérant apercevoir Acuité. L'éclat vif de la neige l'aveugla.

Passé la surprise de le voir s'installer à même le sol, elle regroupa le nécessaire puis s'installa à côté avant de retirer la flèche. Contrairement à ce qu'elle avait cru, elle n'avait fait que traverser un morceau de chair à mi-cuisse. Elle n'osait ni parler, ni même regarder l'homme qu'elle soignait à présent alors qu'elle était la raison de sa blessure. Préférant se concentrer sur ses mouvements, elle ne remarqua pas l'atmosphère étrange qui se formait autour d'eux. Qui aurait cru qu'il viendrait jusqu'ici ? Pas elle en tous cas, elle se croyait repartie à zéro et voilà qu'il chamboulait tout avec cette arrivée surprise.

Elle épongea la chair avant de se munir de l'aiguille qu'elle plongea dans la peau pour en faire un point maladroit mais qui ne céderait pas. Brun ne cria pas, mais elle se doutait que la douleur devait être difficilement supportable, d'autant plus qu'elle ne possédait pas d'alcool pour atténuer l'effet.
Elle nettoya une dernière fois la plaie suturée avant de contempler son oeuvre, puis banda le tout avec des tissus propres. C'est à ce moment là qu'elle remarqua qu'il était entrain de s'assoupir. Avec une rapidité déconcertante, il sombra dans un sommeil profond tandis qu'elle se relevait pour ranger l'onguent et les vêtements sales. Lorsqu'elle se retourna pour lui demander s'il voulait manger quelque chose, il dormait déjà à points fermés.

Elle soupira, nerveuse de se trouver dans une situation aussi déconcertante puis hésita. Devait-elle récupérer Espoir ? Elke lui avait proposé de le garder pour la nuit, c'était peut-être pour le mieux.
D'un mouvement las, elle retira ses bottes et c'est pieds nus sur le plancher qu'elle se servit une tasse de l'eau bouillante qu'elle agrémenta de feuille pour se faire une tisane.
Elle en bu quelques gorgées puis s'affaira à préparer le pain pour demain. Le temps semblait filer à toute vitesse tandis qu'elle pétrissait. Pendant que la pâte gonflait, elle se retira dans sa chambre pour se changer. Après une toilette succincte, elle enfila une chemise de nuit et retourna dans la pièce à vivre. Brun dormait toujours.

Après avoir posé une couverture sur lui, elle entreprit de réparer son carquois et fabriqua même quelques nouvelles flèches. Les deux poules faisanes de sa chasse dormaient paisiblement à l'abri dans la neige, elle les offrirait demain à Haneke et Elke.
Enfin elle mit le pain à cuire, se réjouit de l'odeur délicieuse qui s'en dégagea et esquissa même un sourire en songeant que Brun manquait ça. Cet idiot, pourquoi était-il là ? Il avait parler de l'aider, courraient-ils un danger ?
Tant de questions se pressaient dans son esprit qu'elle mourait d'envie de le réveiller pour lui ordonner d'y répondre ! Mais elle n'en fit rien, et lorsque le pain eut fini sa cuisson, elle le sortit de l'âtre, replaça une bûche et partit se coucher.

Le sommeil ne la gagna que tard dans la nuit mais les émotions finirent par avoir raison d'elle.


Le lendemain matin, elle se leva et ouvrit la porte doucement pour glisser un coup d'oeil. La maisonnette dormait toujours et Brun avec. Acuité enfila une tenue pour sortir, elle avait hâte de retrouver son fils.
Avant de partir, elle plaça le pain en évidence sur la table et déposa à côté un pot de miel.

Le chemin jusque chez Elke lui sembla difficile, mais ce sentiment n'avait pour origine que la version qu'elle donnerait à la jeune femme brune. Que devait-elle dire ?
Arrivée devant la tente de la menestrelle, elle brandit ses poules faisanes avec un sourire en s'annonçant.

- Bonjour Elke ! Je viens chercher Kjeld, merci de l'avoir gardé.

Elle arborait évidemment les traits tirés d'une personne que le sommeil avait fuit la veille, mais son sourire ne mentait pas : son fils lui avait manqué.

La jeune femme lui tint ce qui faisait office de porte et Acuité entra sans se faire prier. Elle déposa les deux volatiles congelés sur la table et s'avança vers son fils, un large sourire dessiné sur ses lèvres.
Elle le prit dans ses bras et lui murmura ses mots d'amour habituels avant de l'embrasser avec la chaleur que seule une mère peut avoir avec son enfant. Un dernier baiser papillon qui fit sourire à son tour l'enfant et Acuité le reposa sur le sol avant de s'installer pour honorer l'invitation de Elke.
Une fois assise, elle retira son arc et son carquois attachés à son dos, et se dévêtit de son manteau de fourrure.

Elke lui servit une tasse d'infusion et Acuité enroula ses doigts autour du grès avant de souffler les volutes de vapeur d'eau.

- Tout va bien, lança-t-elle d'un ton calme, il s'agit bien d'un parent, mais pas mon père.

Son regard se porta sur Espoir qui allongé face au feu grignotait une figurine en bois. Elle chercha sans s'en rendre compte, les traits communs de l'enfant avec Brun. Il y en avait beaucoup pourtant, elle douta fortement que Elke les repère vu l'état de Brun lorsqu'elle l'avait rencontré.

- Pourrais-tu remettre un des oiseaux à Haneke s'il te plait ? Pour hier, ajouta-t-elle.

Elle bu une petite gorgée et attendit de voir si Elke avait des questions ou bien peut-être seulement des commentaires.

L'odeur de la menthe envahit rapidement l'intérieur du foyer. Acuité huma délicatement les volutes qui se dégageaient de sa tasse tandis que Elke s'installait à son tour. La jeune femme aimait cette vie simple, où l'on pouvait prendre le temps de partager une tasse de tisane avec une amie, le crépitement du feu et les gazouillis de son fils en fond sonore.
Elle se plaisait à penser qu'elle était mal née, que cette vie de montagnarde aurait été plus adapté à son tempérament emporté et passionné.

Bien trop impulsive et peu versée dans les bijoux et autres babioles féminines, elle ne portait qu'un masque de Duchesse et jouait la comédie.
Elle revint finallement à Elke, trop heureuse de savourer un tel moment, préférant ne pas penser à ce qui l'attendait chez elle. Brun, des questions et des réponses qui ne plairaient surement pas à l'un ou à l'autre.

Les mots de la jeune femme la rassura. Elke en dehors de son don en musique et en chant, possédait cet autre cadeau de la nature : une facilité déconcertante à apaiser quiconque dans son entourage. Acuité ne faisait pas exception. Elle lui sourit avec chaleur avant de piquer du nez dans sa tasse pour une nouvelle gorgée.
Cependant, elle manqua de s'étouffer avec sa dernière questions.
Après avoir toussoté en glissant sa main devant sa bouche elle releva un regard légèrement hébété sur son amie.

- Rester ? répéta-t-elle légèrement décontenancée. Non...je..non, juste le temps de se reposer. Le voyage a été éprouvant, mais dès que les routes seront dégagées il partira.

Elle n'avait clairement pas réfléchit à la question. Dans son idée, Brun était juste venu s'assurer qu'elle était en vie et surement lui délivrer un message. Une fois fait, il partirait.
Il n'y avait pas d'autre possibilité.

Dehors, personne en vue. Seules, au loin, les tentes colorées de Jhaampe, surplombées par l'arbre. Et pas un bruit, comme étouffé par la neige.

Le déserteur boita jusqu'au ruisseau, heureusement proche. L'eau était glaciale et après y avoir lavé ses bandages et la tache de sang sur la couverture, il renonça à nettoyer le reste. Il était suffisamment mal en point pour perdre en plus l'usage de ses mains.
Il reforma le baluchon et rentra à la maison. Étendit les pansements et la couverture sur le dossier d'une chaise, près de l'âtre. Remit une bûche. Rangea ses vieux vêtements dans son paquetage. Puis se retrouva oisif.

Où pouvaient bien être Acuité et Espoir ? L'avait-elle abandonné là ? Avait-elle fui, déjà ? Elle avait eut l'air si effrayée la veille. Prête à l'éliminer. Il avait juré, mais n'avait répondu à aucune de ses questions.
Il se raisonna. Plus raisonnablement elle était sortie vaquer à son quotidien, et ne tarderait pas à rentrer. Elle avait certainement éloigné Espoir la veille, lorsqu'elle avait appris la visite d'un étranger. Elle était peut-être retournée le voir ou le chercher...

Il s'efforça de ne pas penser à son fils. Il savait encore moins comment se comporter envers lui qu'envers Acuité. Si tant est que cela ait une quelconque importance.

Cherchant à s'occuper les mains, il recommença à explorer la maison. Son poignard ayant disparu, il chercha un rasoir mais ne trouva qu'une paire de ciseau. Il se coupa la barbe, prenant son temps dont il ne savait que faire, tranchant aussi près des joues que le permettait l'instrument malcommode. Peut-être Acuité aurait-elle moins peur de lui s'il ressemblait davantage à celui qu'elle avait connu. Même s'il n'y croyait pas trop, et qu'il voyait des poils blancs tomber parmi les bruns sur ses genoux.