Les griffes de l'ours lacérèrent ses fourrures et les chairs de ses côtes, dont plusieurs se brisèrent. Jordken tomba en arrière et sa chute sur le plancher de la cabane fut presque aussi douloureuse que l'impact. Aveuglé par la douleur, il ne vit pas la lance de Narjis s'enfoncer dans l'épaule de l'ours...

1-2 Excité par la douleur, l'ours charge à nouveau.
3-4 Effrayé par la douleur, l'ours s'enfuit dans la forêt.
5-6 Terrassé par la douleur, l'ours recule et meurt.

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'Hasard 6' : 4

Jordken acquiesça, et ne desserra pas les dents jusqu'à ce que Narjis l'ait pansé. Les entailles n'étaient pas assez profondes pour avoir touché ses organes, même si elles saignaient beaucoup. Les os brisés le faisaient davantage souffrir, et il grogna quand il prit appui sur l'épaule de la chasseresse pour se relever. Dans la cabane il essaya de faire quelques pas seul, et y parvint. La souffrance le distrayait presque de tout, sauf de la peine de Torleif, toujours agenouillé près de son fils que l'homme-ours découvrait, figé par le froid. Un beau petit garçon.

- Toutes mes condoléances, Torleif, dit-il sobrement.
Il hésita à poser une main sur l'épaule de l'homme, renonça et se dirigea à petits pas vers le vieillard. Il semblait être mort depuis plus longtemps.
- Avez-vous déjà vu cet homme ? questionna-t-il.
Il ne s'expliquait pas la présence de ces deux cadavres dans la même maison. Sans doute tous deux avaient-ils essayé de se protéger du froid. Mais Karl devait être aux abois pour avoir choisi de séjourner dans la demeure d'un mort. Peut-être était-il poursuivi ? Par l'ours ou par l'homme-créature... Comment savoir à présent ?

Il fit un geste pour fouiller le vieil homme, mais ses mouvements étaient douloureux.

Le vieil homme portait des vêtements sombres, coupés dans un tissu de grande qualité qui laissaient supposer une bonne situation sociale. Le style ne ressemblait à rien de particulier : c'étaient des habits utilitaires, sans doute pratiques et confortables, dénués de toute fanfreluche ou originalité. Ils étaient chauds, mais ne comportaient aucune fourrure typique des Montagnes : leur facture n'était pas de ce royaume.

Si quelqu'un tente de bouger le cadavre, il pourra remarquer qu'une main à la peau parcheminée s'agrippe à une lanière, laquelle conduit à une besace sur laquelle le corps est quasiment couché, comme s'il s'agissait de son dernier trésor. A l'intérieur, quelques menus objets aidant à survivre dans un environnement hostile tel que le leur, et puis, un étui rigide et fermé hermétiquement. A l'intérieur, un parchemin, sur lequel est dessinée une carte.

La main qui l'a tracée est (ou était) à l'évidence habile dans cette discipline, et quelques illustrations artistiques s'étalent dans les parties vierges. On peut facilement repérer Jhaampe, et tout au bord de la carte, les rives de Lac bleu et la ville frontalière d'Œil-de-Lune. L'étrange voie de pierre noire veinée d'argent est là aussi, et dans la zone inconnue où elle s'étend, quelques marques ont été faites plus récemment.

Jordken interpréta négativement le silence de ses deux compagnons. Le contraire l'eut surpris.

Avec une lenteur due aussi bien au respect pour le défunt qu'à la douleur que lui procuraient ses mouvements, l'homme-ours fouilla le vieillard. Bien qu'épais, ses vêtements sombres, éclaircis par la poussière, n'étaient pas doublés de fourrure. Pas étonnant qu'il soit mort de froid, en plein hiver et à son âge. La carte que Jordken trouva dans sa besace lui confirma que l'homme n'était pas d'ici. Il devait venir des Duchés. Qu'était-il venu chercher ici, au péril de sa vie ?

De l'étui contenant la carte glissèrent quelques parchemins et un morceau de fusain qui rebondit sur le sol. Jordken les regarda, puis regarda Narjis avec une requête muette. Avec sa blessure, il ne pouvait pas se baisser pour les ramasser.


Parmi les parchemins, Narjis découvrira deux esquisses : l'une d'une femme inconnue, l'autre de la jeune bergère Merriska, qu'elle connaît peut-être, auprès d'un cerf.

L'un des parchemins surprit tant l'homme-ours qu'il sembla ne pas entendre les paroles de Narjis. Merri, c'était Merri, là ! Que faisait-elle sous le fusain du gisant ? Il ne comprenait plus rien, à moins que sa désorientation soit due au choc de sa blessure.

Il secoua la tête, renonçant à élucider l'énigme maintenant. Et refusant de rester dans cet endroit funeste.
- Rentrons à Jhaampe, murmura-t-il à l'intention de Narjis seule. Nous devons ramener Karl et Torleif.

Il lui semblait impossible et indécent de poursuivre la traque dans ces conditions. Ils étaient venus chercher l'enfant, et ils l'avaient trouvé... à présent, ils devaient le ramener à la terre de la Cité-mère, pour qu'il repose en paix en attendant que d'autres chasseurs, sans doute, se mettent en route. Mais pas lui. Il était trop abîmé et sans doute trop vieux pour tout ça.

Le fiasco de leur entreprise lui sautait aux yeux et lui crevait le cœur. Karl, mort. Lui, invalidé. Drathius... seul, dans la forêt, peut-être traqué, blessé ou mort au moment où ils parlaient ?
- Mais, Drathius... peux-tu... ton faucon...? annona-t-il, suivant le fil de ses idées indécises.

Le faucon vint se poser sur une branche non loin de la cabane de fortune, comme s'il s'apprêtait à faire le guet pendant que la chasseresse construirait le traîneau.

Jordken acquiesça doublement. Le traîneau, oui, se défendre, oui - même s'il n'était pas sûr d'en être vraiment capable. Mais que pouvait-il dire d'autre ? Ils n'avaient pas le choix.

L'homme-ours toucha l'épée courte à sa ceinture, regrettant de n'avoir pas d'arc. Mais il n'avait jamais été doué au tir, et ses côtes brisées ne lui permettraient sans doute même pas de le bander. Il n'avait plus qu'à compter sur leur bonne fortune, bien qu'elle eut été désastreuse jusqu'ici. La nouvelle, ou plutôt l'absence de nouvelles de Drathius achevait de noircir son moral. Rentrer à Jhaampe en vie serait déjà bien, vulnérables comme ils l'étaient désormais.

Il regarda Narjis, leur dernier atout, sortir avec la désagréable sensation d'être un fardeau. Puis il rangea les parchemins dans l'étui, l'étui dans son manteau, et s'approcha de Torleif.

Avec toute la douceur dont il était capable, il lui expliqua qu'ils rentraient à Jhaampe, qu'ils ramenaient Karl à Jhaampe. Après un dernier temps d'adieux, il enveloppèrent le petit corps dans la couverture.

Voûté par un poids autrement plus lourd que celui du petit garçon, Torleif porta son fils au dehors. Jordken le regarda sortir tristement, puis reporta son attention sur Narjis et les plaies qu'elle découvrait.

Il saignait encore et la chasseresse refit vite les bandages. La douleur serait pire lorsqu'il faudrait marcher avec ses côtes cassées, l'homme-ours le savait. Pour alléger sa charge, il laissa dans la cabane tous les objets dont il n'aurait pas l'utilité directe (bien que n'ayant rien emporté de superflu), trouvant dans son sac le bout de corde qui leur manquait ; une journée de marche à bonne allure, sans blessure ni traineau, les séparait encore de Jhaampe. Après un dernier regard au mystérieux vieillard, il quitta à son tour la cabane.

Au dehors, le froid était vif bien que le soleil ait passé midi. Ils n'avaient pas mangé, mais personne n'avait sans doute d'appétit. Aucun prédateur, ours ou créature, ne trahit sa présence à travers les arbres. Sans nouvelles de Drathius, Jordken n'en était pas pour autant rassuré. Le faucon de Narjis se joindrait-il à leur vigilance ?

La chasseresse ouvrait la marche, traînant le corps de Karl sur son lit de branchages que Torleif, la tête basse, suivait comme un spectre. Jordken fermait la marche en se tenant le côté, s'efforçant de ne pas se laisser distancer.

Soudain, un rugissement bestial et douloureux résonne dans les bois suivit de quelques cris plus humains, paniqués.
Si vous décidez de vous aventurer pour découvrir ce dont il s'agit, voici ce qu'il en est.

Plus loin sur le chemin légèrement en contrebas un torrent dévale le versant au travers des bois et de la glace. Là sur la berge au loin, vous reconnaissez l'ours qui vous a attaqué. Il demeure cependant couché gisant dans une vraie mare de sang. La neige n'arrive pas à absorber ce surplus de liquide qui s'écoule dans l'eau capricieuse et chantante sous la forme d'un nuage carmin.
A ses côtés, un homme gigantesque s'affaire pour tenter de le soigner. Il gémit de douleur face à son impuissance. La lance qui a traversé l'épaule de l'ours s'est enfoncée trop profondément et en la retirant, l'homme a provoqué une hémorragie qui est entrain de tuer l'ours. Bientôt, il ne sera plus.
Cet homme n'est pas un Montagnard, de là où vous vous trouvez, vous remarquez qu'il possède de nombreuses déformations corporelles lui donnant une allure de monstre (en réalité syndrome de Protée)
Lorsque l'ours lâche son dernier souffle, l'homme pousse un hurlement déchirant avant de se relever et de disparaitre dans les bois. Vous ne le reverrez jamais.

Si vous décidez d'ignorer les cris, vous poursuivez votre route jusqu'à Jhaampe sans encombre.

Dans les deux cas, à vous de colporter les rumeurs qui s'imposent après votre aventure.

Jordken avait envie de s'arrêter, mais il poursuivit.
Jordken n'avait pas envie de rejoindre l'origine des cris, mais il suivit Narjis. La vision le glaça. L'ours blessé. L'homme monstrueux. Un hurlement d'un désespoir tel qu'il n'en avait jamais entendu.

Après ça il fallut rependre la route.
Jordken se sentait mal. Le hurlement résonnait dans sa tête. Les questions pressaient son esprit. Le sang battait à sa tempe, à moins qu'il ne s'écoule de ses côtes... Il ne savait pas s'il avait chaud ou froid.

Karl... La créature... L'ours... Le vieil homme... Merriska... Narjis...

Sans qu'il s'en soit rendu compte, Narjis soutenait désormais ses épaules déchargées. Torleif tirait le traîneau comme un âne endeuillé. Les tentes de Jhaampe étaient comme autant de tâches de couleur sur le blanc aveuglant.

Après le hurlement et le silence, des éclats de voix les entouraient. Il lui sembla qu'un groupe d'hommes s'éloignait vers la forêt dont ils sortaient, pour aller chercher Drathius peut-être ? ou donner la chasse à l'ours ? mais l'ours était déjà mort, et Karl aussi. Il se sentit changer de bras, crut reconnaître la voix de Solvig, ou d'Alisel peut-être ?

Agda et Torleif étaient dans les bras l'un de l'autre.