Brume déposa un énième plat sur la longue table nappée de blanc et fit une courte pause. Une main dans le dos, elle essaya de se masser un peu les reins par-dessus sa robe bleu de Cerf, mais rien n’y faisait – seule une bonne nuit de sommeil lui apporterait le soulagement auquel elle aspirait.
Pourtant, elle n’était pas prête de dormir : l’on fêtait la nouvelle année à Castelcerf et tous les serviteurs ou presque avaient été réquisitionnés pour l’occasion. La nuit ne faisait que commencer, d’autant plus que la petite brune devrait également assurer le service à table auprès d’Acuité Loinvoyant et laisser ses yeux et oreilles traîner partout pour la reine-mère… La jeune noble avait beau être accommodante et autonome, cela n’allégeait pas le travail d’espion de sa domestique.

Retenant un soupir, Brume reprit le plateau d’amuse-bouches à la crème et aux herbes déposé à la va-vite et l’arrangea du mieux qu’elle put entre deux tourtes de viande, avant de repartir vers les cuisines. En chemin, elle croisa d’autres serviteurs, chargés comme elle ou accompagnant déjà leurs nobles maîtres. Certains avaient l’air aussi épuisés qu’elle, mais d’autres avaient des étoiles plein les yeux à la pensée de cette nuit magique. Un instant, elle les envia… l’instant d’après, elle bousculait violemment quelqu’un et ne pouvait que lever les yeux pour s’excuser, confuse.

La famille Lunabille s'était pliée d'aussi bonne grâce que possible aux désirs des Loinvoyant de décorer Castelcerf, y compris les fenêtres de leurs appartements, les encadrements des portes et divers endroits stratégiques. Debout devant la psyché de sa chambre, Chiara contempla un instant les flocons de papiers accrochés aux carreaux avant de revenir à son reflet. Malice achevait de fixer à l'arrière de sa robe le haut col de dentelle amidonné qui viendrait rehausser le gracieux chignon qu'elle avait élaboré un peu plus tôt, tressant sa chevelure flamboyante de rubans assortis à sa robe. Une boucle cuivrée venait effleurer son cou blanc et nacré, une autre se perdait jusqu'au creux de son épaule dévoilé par le décolleté carré de sa robe de velours bleu nuit.

Satisfaite de son apparence, elle tendit une main gracieuse pour permettre à sa femme de chambre d'attacher à son poignet un délicat bracelet de saphirs assorti à ses pendants d'oreille. Un simple cercle d'argent martelé ceignait son front et se perdait dans les boucles rousses de sa coiffure, symbole de son statut ducal mais révélateur de la grande sobriété de ses goûts malgré l'occasion particulière de la soirée. Le solstice ne donnait pas lieu à tant de dépenses et de fantaisies d'un goût douteux à Castelorme, songeait-elle avec un certain dédain. Bienséance Loinvoyant aimait certainement le faste, comme en témoignait la décoration de son château, mais elle, Chiara Lunabille, appréciait tout particulièrement le luxe discret des objets sobres mais de belle facture. En réalité, elle n'était pas assez lucide pour accorder le moindre bon goût aux Loinvoyant qui l'obligeaient à rester loin de son foyer et menaçaient de faire imploser sa famille.

Enfin elle était prête. Malice lui présenta les délicates pantoufles de satin brodées de perles ton sur ton dans lesquelles elle glissa ses pieds et elle s'observa une dernière fois dans le miroir, passant au crible de son oeil critique le moindre détail de sa tenue. Elle était parfaite, comme toujours. Rien ne pouvait ébranler l'immense confiance en elle de la Duchesse de Rippon, elle flottait loin au-dessus du commun des mortels.

Précédée de Malice qui lui ouvrait les portes, elle gagna l'antichambre des appartements qui leurs avaient été alloués. Raki l'y attendait, beau comme le fringant chevalier qu'il était le jour de leur toute première rencontre. Après vingt ans et d'innombrables épreuves et difficultés, ils étaient encore capables de se retrouver comme en cet instant, comme deux jeunes gens amoureux, ni plus ni moins. Le Duc l'accueillit en lui tendant une main racée dans laquelle elle glissa la sienne. Il se pencha pour l'effleurer d'un baiser et elle approcha, souriante, pour frôler la joue de son époux de ses lèvres fardées d'un rose si naturel qu'on ne le devinait guère. Quelques instants encore, ils étaient un couple comme tous les autres, ils pouvaient sourire, plaisanter et se chuchoter des confidences.

- Vous êtes ravissante, Madame, lui susurra Raki en enveloppant ses épaules de la cape que venait de lui remettre la femme de chambre.

Le compliment fut récompensé d'un baiser plus tendre que tout ce qu'ils pourraient échanger au cours de la soirée, puis ils quittèrent enfin leurs appartements et se joignirent à la foule des invités de marque pour gagner la grande salle des réjouissances. À chaque pas, Chiara se raidissait davantage et bientôt, un petit pli hautain se dessina eu coin de ses lèvres. Elle aurait tellement préféré être à mille lieues de là, à Castelorme, en famille, à profiter de l'année commençant pour formuler des voeux et des prières en échangeant de menus présents. Mais voilà, elle était coincée à Castelrcerf pour encore plusieurs mois et devrait bien s'en accommoder. L'immense salle dédiée au banquet était pleine de parfums à vous mettre l'eau à la bouche, de gens richement vêtus, de petites mains courant partout et de décorations aussi réussies que les dizaines de plats qui ornaient les tables. Il fallait bien reconnaître que les Loinvoyant savaient recevoir presque aussi bien qu'elle-même.

Raki la mena à travers la foule jusqu'à la table la mieux placée et la mieux pourvue où il lui choisit un siège à haut dossier à la mesure de leur rang. Quand elle fut installée, il prit place à côté d'elle et baisa encore sa main discrètement avant de faire signe au premier serviteur qui passait chargé d'un lourd pichet afin qu'il vienne les servir de ce délicieux vin tiède aux épices.

La nuit venait à peine de commencer, pourtant Ray était déjà épuisé. Depuis l'aube, sans parler des préparatifs des jours précédents, il avait passé toute la journée à pétrir et à cuire du pain en quantité suffisante pour l'armée de bouches que les Loinvoyant accueillaient ce soir. Seule l'effervescence de l'événement ne tenait encore debout, et lui donnait la force de faire tourner la broche où rôtissaient les volailles à une allure d'enfer. D'enfer était aussi la température près des foyers, et sa tunique bleu de Cerf lui collait à la peau. Le personnel des cuisines était affublé pour l'occasion de bonnets rouges, et le sien lui aplatissait les cheveux en une frange blonde qui lui donnait l'allure d'un gamin de 8 ans, n'eussent été les cicatrices qui marquaient son visage.

Le voyant suer à grosses gouttes, un collègue charitable vint le relayer. C'est avec un sourire soulagé que Ray passa au service, garnissant généreusement les galettes de farine que lui tendaient les badauds. Tous étaient heureux d'être là et de manger gratis, et leur bonne humeur était communicative. Sortant de sa torpeur, Ray se mit à bavarder avec les uns et les autres, échangeant de joyeuses banalités avec petits et grands estomacs. Il n'enviait pas la bleusaille qui, assise en tête de table, attendait patiemment d'être servie dans cet immense fouillis, comme si cette nuit n'était qu'une soirée protocolaire parmi d'autres. Lui-même avait l'impression de mieux s'amuser alors qu'il travaillait. Il y en avait qui ne savaient vraiment pas faire la fête !

Brun était attablé avec un groupe de soldats de sa connaissance, stratégiquement installé près du coin rôtisserie. Cela parlait fort et mâchait ferme, et ils en étaient déjà à leur quatrième poulet. Hésitant entre regret et soulagement, il quitta pour un instant cette joyeuse assemblée. Il avait perdu un pari sur la personne qui siégerait ce soir aux côtés de Vainqueur. Il devait payer un coup à son voisin, qui venait de vider son verre et réclamait son dû à grands cris...

Il se leva donc, leurs deux chopes vides à la main, et se dirigea vers le bar. Une fois les pintes remplies, il fit demi-tour. La foule était dense et agitée, il était difficile de ne heurter personne. Chacun était un obstacle. Et lorsqu'il découvrit que son prochain obstacle était Acuité, il resta bouche bée. 

Debout près du foyer central, elle contemplait les danseurs. Allait-il l'éviter ? Non bien sûr, et puis elle tournait déjà la tête vers lui. Hum. Il fallait dire quelque chose.
- Une bière ? proposa-t-il en guise de salutations.
Il ne lui vint pas à l'esprit que le breuvage n'était sans doute pas adapté pour une fille de Duc. Elle était fort distinguée ce soir, pourtant il la voyait le plus souvent en sueur, brûlant ses forces à l'arc ou à l'épée.

Ce fut au tour de Brun de lever un sourcil. Élégant ? Était-elle sérieuse ? Son œil brillait et il en fut gêné, n'ayant pas l'habitude d'être jaugé par des gamines de seize ans.
- Pour une fois je ne suis pas crotté jusqu'aux genoux, vous voulez dire, répondit-il avec un sourire.

Il but une gorgée, songea qu'il était sensé lui retourner le compliment.
- Vous aussi bien sûr, dit-il de la manière la plus impersonnelle.
Au-delà de la plus élémentaire courtoisie, il ne voulait pas montrer cette "affection" qui l'avait tant tourmentée, lorsqu'elle avait découvert que l'arc venait de lui.

Acuité fit une pirouette, et il sourit. Il appréciait les traits d'esprit, quand ils n'étaient pas chargés de fiel. Puis elle l'interrogea sur la raison de sa présence ici.

- Pour faire la fête, comme tout le monde, répondit-il simplement.
Était-ce si dur à croire ? Il est vrai que d'ordinaire, il était plutôt discipliné voire disciplinant. Mais il n'y avait pas de mal à s'amuser de temps en temps.

Elle avait bien sûr deviné pour la bière, et il regretta son geste spontané qui les maintenait captifs jusqu'à la lie. A comparer la taille de la chope et celle de la bouche d'Acuité, il était certain que cela prendrait du temps...

- Ça n'a pas d'importance, dit-il en jetant un coup d’œil à son voisin assoiffé.
L'ayant surpris en compagnie d'une femelle non-identifiée, il lui faisait de grands signes d'encouragement tous à fait inappropriés. Brun se déplaça légèrement pour s'intercaler entre ses mimiques grossières et la petite Duchesse.

- Mais je peux la récupérer, si vous souhaitez danser, reprit-il avec une lueur d'espoir.
Voilà qui leur fournirait à tous deux un bel échappatoire !

Apparemment Acuité n'avait pas envie de danser, et elle n'était pas non plus pressée. Il n'avait plus qu'à prendre son mal en patience jusqu'à ce qu'elle vienne à bout de la pinte. Mais elle ne lui rendait pas les choses faciles...

- Ce n'est rien, dit-il en carrant les épaules pour masquer le manège de l'homme aux yeux curieux d'Acuité. Il a soif, c'est tout.

- Vous ne rejoignez pas votre famille ? reprit-il en une seconde tentative.
Il n'était sans doute pas bon de les faire patienter. D'ailleurs, il espérait qu'ils ne les avaient pas remarqués.

- Je vois, grinça Acuité, et le maître d'armes se demanda quelle maladresse il avait pu commettre.
Avait-elle compris que la chope était destinée à cet énergumène ? Pourtant cela n'avait pas d'importance, comme il le lui avait signifié. Ou pire... avait-elle surpris ses gestes tendancieux ? Il était porté à le croire, vu la brutalité avec laquelle elle pris congé.

Il ressentit comme d'habitude (car cela commençait à en devenir une) un mélange de vexation et de culpabilité. Il n'avait pas souhaité qu'elle parte ! et encore moins cherché à le lui faire sentir. Il avait juste espéré... les libérer tous deux de ce dialogue stérile dans lequel il les avait maladroitement engagé avec cette maudite bière. Il trouvait moins triste de ne pas se parler du tout plutôt que de se parler ainsi, en surveillant chaque mot. Contrarié, il s'engouffra dans la foule derrière elle. Ou filait-elle donc ainsi ?

Il fut interloqué lorsqu'il constata qu'elle se rendait à la table des soldats pour ficher sa pinte entre les mains de Katorn. Ce dernier le fut encore davantage quand il reconnut l'héritière de Béarns. Elle lui évita de s'embarrasser d'excuses en tournant aussitôt les talons. Mais Brun le foudroya du regard quand il se rassit, la regardant ensuite s'éloigner d'un air renfrogné.

Il porta sa bière à ses lèvres et but une longue gorgée. La soirée commençait mal ! Peu "élégant", il mit ses coudes sur la table et son menton dans ses mains, tâchant de penser à autre chose.

En se redressant, Brume posa les yeux sur une drôle de créature toute de couleurs vêtue. Soulagée de ne pas avoir cogné une quelconque figure de noblesse, elle fit la grimace quand elle se rendit compte que la femme lui en voulait tout de même. Une bourgeoise qui profitait de la soirée pour se prendre pour une noble ? Cela n’expliquait pas les couleurs.

Quoi qu’il en soit, Brume devait se rattraper, puisque l’inconnue restait là, comme décidée à obtenir réparation. Et comme elles se trouvaient encore près des cuisines…
– Je suis vraiment confuse, répéta-t-elle. Voulez-vous que j’aille vous chercher un plat de votre choix ?

Du coin de l’œil, elle aperçut Ray qui se dirigeait des foyers aux grandes tables et rougit un peu. La brune ne savait pas où elle en était avec le jeune homme, ce qui la confortait dans sa résolution de partir plutôt en direction des cuisines. Quant à Acuité Loinvoyant, elle n’était nulle part et ne s’attendait donc pas encore à ce que sa servante lui serve à manger ou à boire.

Shyrin était effroyablement mal à l'aise. Mais pour être tout à fait honnête avec elle-même, elle était mal à son aise depuis son arrivée à Castelcerf. La forteresse était immense, sombre et glaciale. Pour elle qui venait d'une contrée riante, ensoleillée et colorée, le choc était particulièrement violent et elle peinait à s'en remettre. En ce soir de liesse et avant même de descendre rejoindre les invités du roi - leurs invités à présent - elle se sentait fiévreuse et empruntée. Elle aurait tout donné pour retrouver la sécurité et l'atmosphère chaleureuse du domaine Cardia. Même la présence de Shane à ses côtés ne parvenait plus à l'égayer ni à la rassurer. La petite esclave - servante en ce pays - acheva de fixer dans ses cheveux relevés une parure offerte par Bienséance, sa terrifiante belle-mère, puis lui souhaita une bonne soirée et se retira sur un dernier regard compatissant. Elle était supposée se diriger seule à présent dans le château et cesser de se reposer autant sur sa demi-soeur qui devait commencer à vivre sa propre vie, bien que restant attachée à son service personnelle. Il en allait de même pour Ava sur qui elle ne pourrait compter en cette soirée qu'elle savait déjà éprouvante. Pleine de courage, elle quitta les appartements royaux en adoptant l'allure qui seyait à une reine. Il lui faudrait bien s'y faire, elle n'était plus la petite fiancée terrifiée, elle n'en avait plus le droit. Elle devait régner sur cette cour d'intrigants et de fourbes dont elle ne distinguait même pas les traits. Arrivée dans le grand hall au bas des marches cependant, elle eut une hésitation et décida de s'accorder quelques instants pour respirer, pour se donner du courage. Obliquant dans l'un des nombreux couloirs, elle ouvrit la première porte sur la droit et s'adossa au battant refermé derrière elle avec un gros soupir. Si elle n'avait pas commis d'erreur, elle devait se trouver dans un petit salon de réception qui ne servait pratiquement jamais. Shane lui avait dit qu'il était tendu d'une étoffe brocardée aux tons de bleu et d'or. La pièce se trouvait plongée dans la pénombre toutefois et avant même d'avoir atteint la console à sa gauche où devaient se trouver une lampe et une pierre, elle se cogna brutalement la tête, s'étourdissant au point d'en être totalement désorientée.

L’accent, en plus des couleurs, aurait dû la mettre sur la voie, mais Brume était décidément ailleurs ce soir-là. Alors qu’elle tentait encore vaguement de retenir quelques-uns des ingrédients excentriques que l’excentrique bourgeoise avait cités, elle fut surprise par l’éclat de rire de l’intéressée, et alarmée par son geste familier.

Dans un mouvement de recul instinctif, Brume se dégagea, et jaugea l’inconnue d’un regard peu amène. Pourtant, celle-ci ne sembla pas le remarquer et poursuivit d’un ton léger à l’accent plus marqué encore. Secouant la tête devant cette perte de temps, la brune remarqua du coin de l’œil Ray qui revenait en direction des cuisines. Soudain, son attitude changea du tout au tout, et, tout en maintenant une distance prudente avec la femme, se mit à l’entretenir avec animation :
— Je me contente de servir ce soir. Mais les meilleurs plats ne sont pas aux cuisines ; viens, les rôtissoires sont dans cette direction.

Et, avant qu’elle n’ait pu protester, Brume fendit la foule en direction des feux les plus éloignés des regards. Elle se félicitait d’avoir réussi à éviter le jeune cuisinier pour l’instant, mais elle se serait bien passé de la compagnie de l’incorrigible bavarde qui lui collait maintenant aux talons.

Toujours distraite, Brume répondit machinalement à la remarque de Lawena, qui ne ressemblait pourtant pas vraiment à une question.
— Non, non, ce n’est pas la raison, c’est plutôt à cause de la fumée, de la chaleur… Et il faut que les cuistots aient la place de travailler, aussi.
A peine la brune avait-elle fermé la bouche que sa bavarde compagne enchaînait déjà. Avec un peu plus de réticence, puisque la question était personnelle, elle répliqua :
— Je sers au château, oui, mais juste des nobles dames, pas aux cuisines. Et celles que je sers sont généralement arrangeantes…

Un nouveau coup d’oeil en arrière lui appris que Ray était définitivement hors de vue et elle ralentit un peu le pas. Bientôt, pourtant, il lui faudrait retourner auprès d’Acuité, que la conversation lui avait remis en mémoire. Alors, elle attira l’attention de la bavarde vers une table couverte d’assiettes de viande, qui attendaient simplement qu’un serviteur s’en empare. Agneau, cochon de lait, volailles diverses… L’odeur des rôtissoires embaumait l’air nocturne, et Brume sentit l’eau lui monter à la bouche.

Machinalement, Brume répondait aux remarques et questions de Lawena au fur et à mesure qu’elles arrivaient. La domesticité n’était pas faite pour tout le monde, les tourtes à la viande lui semblaient très appétissantes, elle avait déjà mangé un bout en cuisine et n’avait pas vu passer le vin. Pourtant, lorsque l’inconnue trop bavarde mentionna un potentiel rendez-vous, elle s’arrêta net et lui renvoya un regard contrarié. S’était-elle vraiment découverte de cette façon ? Il était de toute façon temps de retrouver Acuité, une explication crédible qui ôtait tout garçon de l’équation.

— Pas de rendez-vous, non, je suis de service ce soir. Il faudrait que je retrouve ma maîtresse, d’ailleurs, pour veiller à ce qu’elle ne manque de rien.
Et qu’elle n’abuse pas d’alcool, compléta-t-elle pour elle-même. Elle n’avait pas oublié le bal costumé, même si la jeune noble avait mûri depuis lors. Cependant, sa formation à l’Art la rendait taciturne et solitaire, et peut-être que la compagnie de sa fidèle servante pourrait l’apaiser dans cette foule épaisse.

Brume attrapa une assiette, qu’elle garnit de douceurs, et se tourna vers les tables qui se remplissaient de nobles plus ou moins importants ; avec un peu de chance, Acuité y serait. Alors, avec un dernier regard pour l’inconnue dont l’attention passait de plat en plat, elle partit en quête de l’héritière de Béarns.