“ - Vous pouvez ouvrir mon cuir, transpercer mes tripes, briser mes os mais jamais vous ne me tuerez!!

Les mots du poisson mangeur d’hommes retentirent dans l’âme même du vaillant pêcheur alors que la bêtes furibonde brisait la surface noir de l’océan et dans un bon terrifiant, s’élevait vers les étoiles. La lune, reflétée par la peau humide de l’animal, noyait l’embarcation d’une clarté écarlate. Le temps sembla se figer, le regard des deux guerriers se croisèrent pour la première et dernière fois. Tandis que le corps gigantesque du poisson s'effondrait sur le navire, le pêcheur actionna son harpon qui pénétra la gorge de la bête. Il n'eut guère le temps de célébrer, l’impacte eu raison de la solide coque du navire qui se disloqua et disparut sous la surface, entraînant avec elle son équipage … “

Alors que l’histoire arrivait à sa fin, la grande salle s’était tue, chacun avait cessé son activité; broderie, fin de déjeuner, discussions de toutes sortes; pour mieux écouter l’épopée. Murmure était installé au sol depuis une heure déjà, dans le cercle formé par les enfants autour du conteur. Braise était à quelques pas de lui, au plus près de l'âtre, allongée sur le dos, la tête sur les genoux d’une jeune fille. Un petit garçon s’était accommodé contre son ventre et s’était endormi.
D’une main ferme, le soldat frottait un morceau de charbon que son voisin lui avait prêté contre une des dalles de pierre du sol. Il avait essayé de représenter un ciel étoilé sur lequel se découpait la longue silhouette du poisson, la lune se reflétant dans ses yeux assassins.

“ … le commerce reprit et le village fut sauvé de la misère mais dans les nuits de pleine lune, la bête revient pour hanter les villageois dans leur rêves et jusqu’au matin ils peuvent entendre sa voix faire échos !

Jamais vous ne me tuerez “

Pendant quelques instants, seuls le crépitement du feu et le lointain bourdonnement de l’orage pouvaient se faire entendre, puis chacun leurs tours, les membres du publique reprirent leurs activités d’où ils les avaient laissées. Les plus jeunes en revanche restèrent muets un bon moment, jusqu’à ce qu’une petite fille à la voix fluette s’exclama avec dédain.

“ - Elle est nulle cette histoire!! Et pourquoi c’est le poisson qui gagne à la fin?”

Son air exagéré et faussement hautain provoca quelques rires étranglé dans l’assemblée. Le conteur lui retourna un sourire et prit sa voix la plus profonde et calme pour lui répondre, comme s' il allait lui faire une confidence.

“ - Et bien voyez vous ma chère Douce, il se trouve que cette histoire est bien vraie. Elle vient des côtes lointaines peuplées de créatures magiques. Ce sont des terres qui n'appartiennent pas aux hommes mais ils s’y installèrent malgré tout, contre la volonté du sol. Par la violence et la cruauté il est possible de conquérir n’importe quel territoire mais à quoi bon vivre sur une terre qui ne te désire pas. Le poisson ne gagne pas, il fait payer le prix de son sang à ses envahisseurs, c’est tout. ”

A ces dernières phrases Murmure parvint finalement à mettre le doigts sur ce léger accent qu’il lui semblait percevoir chez le conteur. L’homme était d’origine Chalcidienne. Un frisson parcourut l’échine d’une soldat qui leva la tête de son dessin pour examiner l’étranger. Avec un accent de ce genre, il était évident que l’homme pratiquait la langue des six duchés depuis longtemps, mais ce n'était guère sa langue maternelle. Il n’avait pas la physionomie chalcédienne pourtant, ressemblant plus à un montagnard de peau et de cheveux et à un cervien de carrure.
Avoir un chalcédien inculquant des opinions politiques à des enfants de nobles alors que les tensions entre les duchés et chalcèdes ne faisait qu’augmenter, le tableau ne plaisait guère à Murmure.
Le conteur du se sentir observer car il tourna la tête vers l’homme. Reconnaissant l’uniforme des gardes, un sourire crispé apparut sur son visage.

“ - Cette guerre ne fera que des perdants mon ami”

L’homme avait presque chuchoté ces quelques mots, son ton était froid, rigide, il ne s’adressait plus aux enfants mais au tueur qui se tenait assis parmi eux. Murmure le dévisagea un instant, le conteur ne broncha guère et soutint sans un frisson son regard inquisiteur. Ne sachant pas vraiment de quoi exactement il accusait l’étranger, le soldat finit par baisser les yeux. Il retourna à son dessin comme si de rien n’était tandis que les enfants inondaient le chalcédien de questions sur ces terres magiques.