L'idée n'eut pas l'air de lui plaire : il grimaça puis déclina simplement. Iris n'insista pas. Elle ne ferait pas parti de la cohorte des gens qui vous disent quoi faire et quand. Mais la curiosité l'étreignit. Elle repensa à la boucle de cheveux dans la bourse et se demandait à qui ils pouvaient bien appartenir, lorsqu'il l'interrogea.

- Pas vraiment, répondit-elle sans enthousiasme. Je t'ai dit, c'était pour le travail.
Elle n'était pas à la chasse, mais à la "parade", comme disait Châtiment. Se montrer pour mieux attirer, et rappeler qu'on existait, mieux : qu'on avait sa place à la Cour.

- Tu n'as pas vu les autres Oiseaux ? s'étonna-t-elle.
Elle et les autres filles, avec leurs grands corps peints et à moitié nus, n'avaient pas pour ambition d'être discrètes. Mais il est vrai que la foule était dense, et après tout, tant mieux. Au moins Chris n'avait pas essayé de lui mettre le grappin dessus, cette fois. Elle était du genre à faire des heures sup...

- Non, sourit Iris au souvenir de l'ourse.
Pour se faire remarquer, celle-là avait assuré. Mais ça n'était pas trop le style de Châtiment...

Son sourire disparut quand l'homme mentionna Chris, pour laisser la place à une moue dédaigneuse.
- Elle était en nénuphar, rédondit l'Outrîlienne. Pas étonnant pour une grenouille en son genre...

- C'est une peste. Et puis tout le monde ne pense pas comme toi, répondit Iris sans s'attarder sur les détails.

Elle n'allait pas lui dire que de toutes les filles du bordel, elle se trouvait la moins jolie. Elle avait fini par intégrer les canons de beauté des Duchés, et ils ne lui étaient pas favorables. Elles étaient toutes plus grandes, plus élancées et plus distinguées qu'elle, avec leurs yeux et leurs cheveux de couleur extravagante. L'Outrîlienne aurait été fort banale si elle n'avait été justement... Outrîlienne. Seules ses origines exotiques lui valaient de séjourner au Nid. Elle en était parfaitement consciente.

A cela s'ajoutait son sale caractère qui plaisait ou déplaisait aux clients, c'est selon. Le Béarnais avait l'air de l'apprécier, ou du moins le tolérer, puisqu'il ne l'avait pas mise à la porte suite à ses indiscrétions. Alors autant continuer.

Elle se pencha sur lui pour poser son verre vide sur la table de chevet, et resta en travers de sa poitrine. Elle voulait toujours discuter, mais avec tous les atouts de son côté.

- Et toi, ta Cuité te fait pas trop de misères ? Elle doit être bien jolie ou bien sotte pour avoir besoin d'un grand gaillard comme toi pour la protéger, susurra-t-elle, à la fois caressante et moqueuse.

Iris soupira discrètement, compatissant presque avec l'"enfant". Les Quatre-Duchés et leurs innombrables contraintes inutiles ! Elle avait l'impression que chacun, ici, jouait un rôle. Certes elle était mal placée pour en parler... mais il lui semblait qu'en cet instant, elle était pleinement elle-même. N'était-elle pas venue ici en toute liberté pour rassasier sa curiosité ?

Les paroles de l'homme la tirèrent de ses songes. Par El, il était en train de s'assoupir ! Cela vexa sa fierté féminine (en général, son contact ne produisait pas cet effet), mais au fond ça n'était pas plus mal. Elle ne voulait pas que les choses aillent plus loin, et ils ne pouvaient continuer à parler ainsi pendant des heures ; elle se demandait déjà comment ils avaient réussi à tenir tout ce temps. Et puis, son absence au Bal masqué allait finir par être remarquée. Il était fort tard mais la fête ne mourait sans doute qu'avec l'aurore...

Elle ne répondit rien, sachant ne rien pouvoir promettre. Elle sourit simplement, mais l'homme avait déjà fermé les yeux. D'une main légère, elle caressa son front pour hâter son endormissement. Quelques secondes plus tard, le bras qui enserrait sa taille retomba sur le matelas, la laissant libre de ses mouvements.

Résistant à la tentation de se blottir et de céder au sommeil, elle se leva doucement, réajustant ce qu'elle pouvait de ses cheveux et de ses vêtements. Le tout était dépareillé - coiffure déconstruite, maquillage par endroits effacé - mais elle pourrait toujours prétendre qu'on l'avait tripotée. Sur la pointe des pieds, elle rejoignit la porte et s'y arrêta un instant, puis disparut.

Dans le bois en quelques traits, une petite loutre était gravée désormais.