Taverne et politique.

Maître Vérichanteur Messages : 1042 Date d'inscription : 18/10/2010

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'Hasard 10' : 1

Hobes fut distrait de sa colère par Ombrin qui rappela son chien dans une langue étrange, puis qui repoussa brusquement la catin. Vexée, la blonde tourna les talons avec sa commère, non sans un dernier regard (venimeux) à Ombrin et un dernier regard (envieux) aux bourses. La pute-à-la-chope disparue, Hobes se sentit mieux.

- Moi qui croyais que tu savais y faire avec les dames, ironisa le jeune Chalcédien, mais le coeur n'y était pas.
Il n'avait pas remarqué jusqu'alors, centré sur sa propre douleur, à quel point le garde semblait mal en point. Il comprenait mieux à présent, pourquoi Ombrin voulait rentrer cou-couche panier. Sans parler des poissonniers qui pouvaient à tout moment sortir de la taverne, ou des maquereaux que leur ramèneraient peut-être les putains offensées.

- Bon ben, salut, dit-il, peu inspiré, à l'attention d'Âtre, toujours silencieux.
Il n'allait pas le remercier encore, pas vrai ? Et puis, le poissonnier avait les bourses pour se consoler. Rentrer se laver ne lui ferait pas de mal : il ressemblait à une bête sauvage, en plus, il puait le poisson.
- Moi, c'est Hobes. J'habite au château, ajouta le Chalcédien sans trop savoir pourquoi, peut-être pour permettre à l'autre de venir réclamer sa dette, puisqu'il se sentait toujours endetté.

A contrecœur, Hobes se détourna du poissonnier et des deux camarades qu'ils laissaient derrière eux. Précédés par la chienne, les deux gardes s'éloignèrent en direction du château. A chaque pas, dans le silence qui leur était coutumier, Hobes se sentait un peu plus abattu. Cette soirée était un fiasco, une honte. Il s'était fait refaire le portrait par une femme ! Sa mère allait encore le gronder, les autres, se moquer de lui ou le dévisager. Il n'avait pas envie de rentrer, pas envie de dormir, pas envie de se lever à l'aube pour la leçon d'Art. Il voulait profiter, pour quelques heures encore, de son ivresse et de sa liberté.

- Tu connais pas quelqu'un au Bourg qui pourrait nous soigner ? lança-t-il à tout hasard, pour sauver ce qu'il restait de la soirée.

Murmure se sentit parfaitement décontenancé en voyant la catin lui tourner le dos et s’en aller. Comment pouvait-elle laisser passer l’insulte de laquelle elle venait d’être victime? Se faire repousser de la sorte alors que l’on prétend aider c’est humiliant, il n’y à qu’un lâche pour s’en aller de la sorte sans demander son reste!
* Ou une catin
Pensa le garde.
La remarque du Chalcédien ne le rendit que plus bougon et c’est de fort mauvaise humeur qu’il se saisit de son pourpoint, le secoua vulgairement et le rejeta sur son épaule. Hobbes avait finalement décidé de suivre la voix de la raison. Alors qu’il disait au revoir à son nouveau copain le poissonnier, Murmure s’était quant à lui déjà mis en marche en direction du château sans une pensée pour ses deux camarades qui semblaient toujours coincé dans la maudite taverne.

La nuit était noire mais les lanternes pendues devant les quelques échoppes permettaient de discerner la rue. Retourner au château serait une autre histoire. Déjà le garde s’imaginait devoir expliquer à Hobbes comment éviter les nids de poule en suivant les bruits de pas de Braise, son exaspération n’en fut que décuplée.
Une fois arrivé au château il lui faudrait aller à l’infirmerie, son supérieur ne le croirait sûrement pas lorsqu’il expliquerait avoir été victime d’une bagarre de taverne dans laquelle il n'avait pris aucun parti. Il allait à nouveau être relégué à garder la chambre d’un nobliaux quelconque, des heures debout à fixer les dalles de pierre… Y avait-il quelque chose de bien à tirer de cette soirée?

- Tu connais pas quelqu'un au Bourg qui pourrait nous soigner ?

A peine les mots avait-il été prononcés que le soldat avait déjà une réponse. Cela faisait plus d’une semaine qu’il n’avait pas rendu visite à Sariette, la marchande avait été trop occupée à boucler des affaires avec quelques riches clients pour donner de l’attention à son compagnon de fortune. Mais les affaires avaient dû être conclues depuis le temps et c’est avec une énergie nouvelle que Murmure fit signe au jeune homme de le suivre dans la principale rue commerçante du bourg.
La chienne fauve avait sans doute deviner les intentions de son maître car elle prit les devants et se précipita en direction de la boutique. Attirée par les aboiements de Tobi,
Sarriette avait fini par ouvrir à la chienne et elle se trouvait déjà sur le palier lorsque les deux survivants arrivèrent.

- Quelles faveurs t'emmènent sur mon palier à cette heure si Ombrin?

Le ton de la bonne femme n’annonçait rien d’un accueil chaleureux. Sarriette portait encore sa robe de ville, leur arrivée l’avait probablement surprise au milieu de sa comptabilité.

- Juste l’hospitalité… un bac d’eau et une serviette

Le garde s’était avancé dans la lumière et avait posé sa main valide sur l’épaule de la boutiquière, lui offrant la vue de son oreille déchirée.

- Et tes talents de couturière peut être

Si Murmure avait été seul il se serait probablement fait renvoyer au château à coups de pantoufles. C’est sûrement à la vue du jeune Chalcédien que Sariette céda aux demandes pas si extravagantes de son protégé. Non pas qu’elle eût un cœur tendre pour les jeunes garçons en détresse, non, mais plutôt qu’elle n’oserait pas se montrer rude face à un potentielle client. La mercière n’était pas dupe, ce nouvel arrivant aux traits délicats vivait sans aucun doute au château. Ors, le château, c’est là où elle souhaitait voir ses étoffes être portées.
Elle asséna donc au soldat deux petites claques qui n’avaient d’affectif que l’apparence et invita la petite bande à entrer dans son humble demeure. Ils devaient dans un premier temps traverser la boutique où des rouleaux de tissu ainsi que quelques robes et tuniques étaient exposés, une fois arrivées au fond, elle leur fit signe d’enlever leur bottes avant de pénétrer dans un couloir qui donnait sur le salon. Braise et Tobi étaient déjà allongés près de l'âtre.

Je vais chercher de quoi l’avait cette vilaine plaie, tu peux t'asseoir sur ce fauteuil en attendant.

S’exclama la bonne femme à l’attention de Hobbes alors qu’elle disparaissait par une autre porte. Murmure soupira, soulagé de s’en être tiré à si bon compte. Satisfait, il jeta un regard à son camarade qu’il avait dûment ignoré durant la suite d'événements.

- Elle est gentille en générale.

Son intention était sans doute de donner quelques explications réconfortantes au Chalcédien, mais le doute suinta de sa voix comme l’eau suinte des planches d’un bateau prêt à sombrer si bien que le rendu final n’était pas si réconfortant que ça.

HRP: Je précises au cas où mais tu peux jouer Sariette à volonté

Dans les rues noires du Bourg, et malgré le silence de Murmure, la soirée reprenait des airs d'aventure. Même si ce qui s'avéra être leur nouvelle destination n'avait rien d'aventureux : une coquette boutique de tailleur, ou plutôt de tailleuse vu l'accueil qui leur fut réservé. Curieux, le jeune Chalcédien resta en retrait derrière Murmure, l'écoutant converser avec celle qui semblait être la maîtresse des lieux. Une maîtresse qu'on aurait négligée, à en juger par le ton de la conversation.

Hobes sentit peser sur lui le regard de celle qui l'impressionna presque autant que la pute-à-la-chope. Mais certainement il n'avait rien à craindre d'elle... au contraire. Son malaise se dissipa quand il entra dans la boutique. La lumière des chandelles caressait les tissus de prix, faisant miroiter les couleurs comme un trésor dans l'obscurité. Hobes avait toujours aimé les belles choses, il aurait aimé en posséder davantage. Mais le plus souvent, comme ce soir, il ne portait qu'un habit triste. La compagnie des gardes ne prêtait guère à l'élégance ni à la fantaisie.

Laissant errer ses yeux, le jeune homme suivit Murmure jusqu'à la pièce de vie. Il envia un instant les deux chiens étalés près du feu. Le salon était chaleureux, plus que les grands appartements du château. Pour autant, sa curiosité l'attirait ailleurs. Hobes regarda sans s'y assoir le fauteuil auquel la femme l'avait assigné avant de disparaître, les laissant à nouveau seul à seul.

- Elle est gentille en général, observa Murmure sans conviction.
- C'est ta mère ? répliqua Hobes avec un sourire taquin.
Ce qui n'était pas si improbable, même si tout le monde savait que le garde venait des Montagnes.
- Toi d'abord, poursuivit-il en montrant le fauteuil.
Et, saisissant la plus proche chandelle, Hobes s'éloigna à pas de loup vers la boutique qu'ils avaient traversée.

Murmure manqua de s’étrangler sur sa propre salive. Il jeta un rapide coup d’oeil en direction de la cuisine s'apprêtant à voir la boutiquière surgir furibonde, grommelant qu’elle n’était pas si vieille que ça, ce qui ne serait pas tout à fait vrai.

Sarriette avait effectivement eu le rôle d’une mère sous plusieurs aspects. Tout comme Sèdre pendant 12 ans avant elle, elle l’avait nourri, vêtue, logé, avait travaillé jusque tard dans la nuit veillant à ce que sa petite famille ai de quoi chauffer le toit sous lequel elle s’abritait. Elle lui avait aussi enseigné les manières de la société et l’avait éventuellement incité à quitter le nid et trouvé une opportunité pour que le garçon s’épanouisse. Ce n’était certainement pas sa mère mais il lui devait la vie de la même façon.

Le garde se serait volontiers affalé dans le fauteuil moelleux à la place de Hobbes mais en voyant ce dernier s’en aller visiter la boutique une chandelle à la main, il compris qu’il n’avait pas encore droit à ce luxe. Pendant un instant l’idée de simplement tonner quelques rappelles par rapport aux textiles êtres extrêmement inflammables lui traversa l’esprit. En imaginant la réaction de Sariette à la mention de la possible damnation de ses précieux tissus il se ravisa et traîna le pied à la suite du cousin de la reine servante.

L’année dernière, Ombrin s’était offert deux tenues complètes de cette échoppe. Taillées dans des textiles qu’il ne savait même pas nommer. Son amante lui avait proposé un accord à l’époque, une tenue offerte pour dix courtisanes vêtues dans sa boutique. Loin de lui l’idée de s’adresser aux gens de la cour, le garde s’était contenté de payer plein prix et demeurait pauvre jusqu’à aujourd’hui.

- Elle te ferait sans doute une tunique moitié prix si tu arrivais à convaincre une reine de porter une robe d'ici.

Murmure s’était faufilé silencieusement jusqu’au cadre de la porte mais le parquet grinçant sous ses pieds nu trahissait sa présence. L’odeur caractéristique de l'échoppe le plongeait dans plusieurs époques de son existence, si différentes qu' elles ne semblaient pas appartenir à la même vie.

- Si c’est la reine servante je la ferai même gratuitement par respect pour l’exploit.

Sariette s’était glissé aux côtés du garde sans un bruit et celui-ci ne put réprimer un sursaut lorsqu’elle s’était saisi de son bras valide tout en confirmant ses propos d’un ton amusé. Elle tenait sous son bras gauche ce qui semblait être une bassine d’eau tiède et une serviette bleue reposait sur son épaule.

- Que diriez-vous de vous débarbouiller jeune homme. Votre visage est quelque peu taché.

Hobes aurait dû se douter que Murmure le suivrait dans la boutique, malgré la nécessité de se faire soigner. Le garde ne lui faisait pas confiance, et c'était compréhensible, même si cela le rendit un peu triste, avant que le trait d'esprit de la couturière ne le fasse éclater de rire. C'était bien connaître la Reine Servante, qui avait renforcé sa réputation garçonne en s'affichant en braies au mariage de son père.

Docile, Hobes accepta la bassine de Sariette et les raccompagna dans le salon avec le seul regret, de ne pas avoir pu voir et toucher les tissus. Là, il se nettoya le visage du mieux que son ébriété le lui permettait, en jetant des regards furtifs vers Murmure qui se faisait recoudre avec un silence stoïque. La lumière dansait sur son visage et il se tenait très droit, malgré son épaule abîmée.

Hobes baissa les yeux vers la bassine à l'eau brunie, où une sorcière des Haies eut pu lire d'étranges volutes. Comment les remercier ? Murmure l'avait aidé, Sariette l'avait accueilli. Ils avaient l'air de croire que lui, le Chalcédien du château, pourrait aider la boutique à propsérer. Pourtant, il n'était même pas bien habillé, sans parler de la rixe crasseuse qu'il avait provoqué...

- Vous savez, Aimée, elle ne m'écoute pas vraiment, murmura-t-il sans trop savoir pourquoi.
Peut-être avait-il seulement envie, qu'ils le considèrent comme l'un des leurs, lui qui n'était ni noble ni va-nu-pied, ni Chalcédien ni soldat des Duchés.

D’après Sariette, en plus de la peau déchirée, le cartilage de l’oreille avait pris un sale coup et le soldat serait obligé de pratiquer des saignées régulières si il ne voulait pas finir avec un choux fleur sur le côté droit du visage. Étonnamment, la sensation de la fine aiguille, suivit du long fil pénétrant le lobe, n’était pas si douloureuse, si bien qu’au bout de six points, Murmure se trouvait déjà à divaguer dans ses pensées comme à son habitudes, laissant les affres du corps meurtri bien loins pour s’enfoncer dans quelques problèmes son invention.
Près de l’âtre, Braise s’était endormie, les quatre pattes en l’air, clairement satisfaite de son sort et sur le jeune chalcédien avait finalement pris place sur le fauteuil et finissait de se débarbouiller. La couche visqueuse en moins, l’entaille qui lui traversait le visage était bien moins impressionnante. L’eau mélangée à quelques herbes médicinales devait réduire le risque d’infection, il ne resterait probablement aucunes traces de la blessure d’ici quelques semaines.

- Vous savez, Aimée, elle ne m'écoute pas vraiment finit par murmurer Hobes. Jugeant que la réflexion n’ait besoin d’une attention quelconque, Ombrin demeurât enfoncé dans ses pensées, se contentant de tendre l'oreille en attente du reste de la complainte. Le fait est que, si le garde connaissait plus ou moins les liens familiaux de tous les nobles du château, cela n'était guère le cas de Sariette qui, de son côté, avait simplement reconnu l’absence des marques du travail chez le garçon, ne le plaçant nulle part qu’ailleur de la case serviteur.

- Aimée… Ce n’est pas souvent que l’on entend ce nom de la sorte… La connaissez vous donc personnellement?

La couturière n’avait pas quitter les yeux de son ouvrage mais la piqûre de l’aiguille devenu maladroite trahissait sa distraction et après trois points particulièrement douloureux, Murmure commença à se demander si la blessure était réellement si étendu où si son amie s’était mise à lui broder la peau pour le plaisir de l’expérience.

Hobes réalisa que ses dernières paroles, qui visaient plus ou moins consciemment à le rapprocher de ses modestes hôtes, venaient de l'en éloigner davantage, aiguillant au passage la curiosité de la couturière. Bien qu'accueillante, elle restait une inconnue et le jeune Chalcédien n'avait pas vraiment envie de lui raconter ses liens de sang tortueux avec la Reine Servante.

- Euh... c'est compliqué, bredouilla-t-il.
Mais l'attention de Sariette restait palpable dans le silence qui s'ensuivit.
- Vous vendez du tissu chalcédien ? demanda Hobes à brûle pourpoint, pour tenter de changer de sujet.

Un petit bruit de ciseaux indiqua à Murmure qu’il était finalement libre de l’emprise de la couturière et allait à présent être la victime de la pseudo infirmière ayant autant de connaissances en épaules luxées qu’en fabrication de voileries.
La remarque innocente de Hobbes lui permit néanmoins de gagner quelques minutes de répit car ce n’est pas l’infirmière qui émergeait de Sariette mais bien la marchande. Elle se vantait sans cesse de ses tissus chalcédien, non pas pour sa qualité particulière mais pour son prix qui, bien qu’elevé, était le plus bas de tout Cerf.

Non seulement j’ai du tissu de chalcède mais en plus j’offre les meilleurs prix de tout le duché et pour cause, j’ai établi un lien presque direct avec un fournisseur directement à la source. Mon seul intermédiaire étant mon négociateur Ripponai qui se charge aussi du transport de la marchandise jusqu’à cette boutique. D’ici je me charge personnellement de la distribution de la matière non seulement en Cerf mais aussi en Bauge où je possède plusieurs clients. Il faut dire que j’ai un seuil de qualité très élevé, fort prisé des tailleurs qui ne font pas mercerie, comme moi.

La dame s’était désintéressée de son patient, qui, bien heureux de pouvoir fermer les yeux un instant, se laissa aller contre le dossier du fauteuil moelleux. Pendant ce temps, Sariette s’était levée et était allée chercher une large boîte en bois sur une étagère près de son bureau.

- La soie chalcédienne est certainement hors de prix pour quelqu’un du gabarit de Murmure par exemple, mais le coton est beaucoup plus accessible et l’on peut en faire des braies et des robes de chambre extrêmement confortables.

Elle avait ouvert le réceptacle, révélant une centaine d’échantillons de tissu glissés sur de fines plaquettes en bois alignés parallèlement. L’ensemble formait un plateau de couleurs arrangées de façon fort agréable au regard. Chaque plaquette pouvait être extraite pour admirer les motifs décorant le textile, étudier ses couleurs ou tester ses propriétés. Murmure n’avait pas besoin d’ouvrir les yeux pour savoir que les tissus chalcédiens se trouvaient à l’extrême gauche de la boîte, sept échantillons de soies et deux de cotons. La laine des montagnes représentait un paquet bariolé au centre droit, occupant bien plus de place que les dentelles de Bauge qui se trouvaient pourtant en plus grand nombre.

- Vous avez bien meilleur mine à présent, essuyez vous bien les mains avant de toucher quoi que ce soit. Viendrez-vous du sud par hasard?

Le visage tuméfié du Chalcédien s'étira en un large sourire narquois lorsqu'il imagina Murmure en robe de chambre. Mais ce sourire s'effaça vite lorsque la commerçante revint vers lui, armée d'une myriade d'échantillons. Le jeune homme regretta aussitôt sa question. Certes, il aimait les beaux vêtements et les tissus de Chalcèdes. Mais la nuit était avancée, il était ivre et son visage - bien que nettoyé - lui faisait un mal de chien ! Ça n'était pas le moment de faire des emplettes et d'ailleurs, il n'avait pas d'argent...

- Eeeeuh... c'est très joli mais... balbutia-t-il avant que la commerçante ne l'interroge sur ses origines.
Hobes l'observa avec des yeux ronds. Il n'avait pas l'habitude qu'on ignore ses origines, lui qui les portait d'habitude en étendard. Il est vrai qu'elles n'étaient pas inscrites sur sa figure. Il baissa les yeux sur les dentelles et répondit sans réfléchir :
- Je viens de Bauge.

Hobes n'avait pas honte de ses origines chalcédiennes, bien au contraire. Mais la marchande était si entreprenante qu'elle risquait de vouloir faire de lui son intermédiaire ou je ne sais quoi. A vrai dire il n'avait plus rien envie de lui révéler sur lui. Mais Bauge ? Il n'avait jamais mis le pied en Bauge... Pourquoi n'avait-il pas simplement dit qu'il était né ici ?
- Bauge a la plus belle Cour, le meilleur vin et les plus belles femmes du Royaume, énonça-t-il les clichés qui lui venaient à l'esprit, comme preuve de ses origines mensongères.

Conscient, malgré l'ivresse, qu'il s'enfonçait de plus en plus profondément, Hobes jeta à Murmure un regard brillant comme un appel au secours.

Bien heureux d’avoir enfin la paix, Murmure n’avait pas jeté un regard en direction de Hobbes, le laissant en proie à Sariette et son éternel recherche d'opportunités et de profits. Certain peuvent voir ce trait de caractère comme un défaut fort désagréable mais ce serait une critique bien simplette. C’est exactement cette chasse systématique qui avait élevé Sariette du rang de pauvre petite fille d’une famille de sept à bourgeoise fort respectée du bourg de Castlecerf. A elle seule elle avait construit cette boutique et tout une entreprise comprenant une tisserande, trois couturières, des dizaines de fournisseurs et des centaines de clients allant de la basse bourgeoisie à quelques membres de la noblesse. Elle avait découvert les origines de Murmure alors que celui-ci vivait encore sous son toit et trois ans après, avait noué de solides relations commerciales avec les Ombrin, uniques fournisseurs de tous les produits “montagnards” de la boutique.
Lorsque le jeune chalcédien prétendit être originaire de Bauge, en revanche, le garde ne put retenir un éclat de rire intérieur et releva la tête seulement pour découvrir un franc regard de désespoir. Murmure n'eu pas le temps d'ouvrir la bouche que déjà Sariette rapassait à l'attaque.

- Tu vois Murmure, raison de plus pour que tu ailles à gué de négoce. Plein de beaux jupons à courir. Donc jeune homme, vous avez mentionné la cour je crois bien?

Tant qu'à inventer des histoire, Hobbes aurait au moins pu en inventer une qui le sorte d’affaire, prétendre être premier fils d’un ménestrel fauché ou quelque chose dans le genre, mais non. Il fallait qu’il se place d’une cours à une autre et l’affaire pouvait encore durer.

- Il n’y a pas mieux que les jupons d’une mercière cervienne, le gamin n’y connais rien. Il est au château pour parfaire son éducation.

S’exclama finalement le garde d’une voix rauque. Il sous entendait que Sariette ne tirerait rien de sa pauvre victime, ce que la bonne femme sembla comprendre sans trop de difficultée. Abandonnant la boîte d'échantillons ouverte sur la table, elle donna des noms d’animaux à son partenaire de fortune avant de pénétrer dans la cuisine sous prétexte de s’emparer de quelques remèdes contre la douleur.

- Ta une sale mine, ça va?

S’enquit Murmure, un peu coupable d’avoir entraîné Hobbes dans pareille situation.

Hobes savait que Murmure cherchait juste à le tirer d'affaire. N'empêche, il s'offensa d'être traité de gamin. Etait-ce ainsi que le garde le voyait ? Lui et tous les autres ? Un gamin dont il fallait s'inquiéter ?

- A ton avis ? Je me suis fait refaire le portrait par une pute et tout ça au nom de Vainqueur Loinvoyant, cracha-t-il avec mépris pour le Roi et pour lui même. Ta mercière s'imagine que je suis le prince des îles ou je sais pas quoi. Et toi... Je serai jamais des vôtres, pas vrai ?

Regrettant d'en avoir tant dit, ce qui le faisait passer justement pour un gamin chouineur, Hobes posa la bassine sur le sol et quitta son siège.

- J'imagine que tu vas coucher ici, mais moi je rentre. Pas envie de me faire détrousser une deuxième fois.
Et bien que Sariette se fut éloignée, il eut honte de ses propos. Murmure en serait sans doute blessé, mais c'était le but, pas vrai ?

Le garde accepta les réclamations de son jeune camarade comme une affirmation que tout allait bien.

- J'imagine que tu vas coucher ici, mais moi je rentre. Pas envie de me faire détrousser une deuxième fois.

Bien que la maison ait été bâtie de pierre et le salon recouvert de tentures, Murmure s’avait que les mots du chalcédien avait atteint les oreilles de sa mercière. Des deux individus concernés il était sans aucun doutes celui le plus affecté par ces mots, si Sariette avait accueilli l’étranger, c'était plus pour pouvoir rafistoler son garde que pour se dégoter un nouveau client et elle aurait vite fait de classer Hobbes dans la grandes listes des gens qu’elle connaissait, sans plus. Murmure en revanche n’appréciait guère l’attitude que le jeune homme avait affichée au long de ses dernières heures, plus semblable à un marguet qu’à un chien, il se demandait quel genre de garde cela donnerait.

- Comme tu veux. Oublis pas les bonnes manières avant de sortir.

C’est ce moment que la bonne femme choisit pour se réintroduire dans son propre salon. Sur un plateau de bois, elle transportait une grosse bouteille de verre, que le garde reconnut comme celle d’un alcool distillé absolument atroce, une carafe d’eau fraîche et deux gobelets en métal. Sur son épaule pendait un long tissu blanc, sans doute de quoi immobilisé le bras du patient, une fois l’épaule remise.

- Prenez donc un verre d’eau avant de partir jeune homme.

Et sans attendre l'avis de l’intéressé, remplit habilement un des récipients avant de le placer sur la table, à côté de sa boîte coloré.

Murmure sembla totalement indifférent à sa pique, et au fait qu'il parte ou pas. Hobes en fut étrangement attristé. Sariette revint avec un nouveau plateau, et il comprit qu'elle allait soigner l'épaule du garde. Un vrai camarade serait resté à ses côtés, mais Hobes se sentait mal à l'aise et pas franchement désiré. Honteux, il prit le verre que lui offrait la mercière, cette fois désintéressée.

- Merci Madame, dit-il après l'avoir vidé d'un trait.

Il avait hâte d'en finir. Il la salua de manière formelle, en s'inclinant comme on le faisait au château. Murmure ne lui avait-il pas recommandé les bonnes manières ? Hobes n'allait certainement pas s'incliner devant lui. Ca n'était pas ainsi que les gardes se saluaient entre eux, ni les amis, ni les ennemis. A cet instant, Hobes ne savait plus trop bien ce qu'ils étaient. Sans doute pas grand chose vu l'indifférence du garde.

- Bon ben, salut, dit-il comme il avait salué plus tôt, le jeune poissonnier.
Décidément il n'était pas très doué pour se faire des amis. Cette soirée avait un goût d'inachevé.

Laissant la mercière et son patient, le jeune Chalcédien quitta le salon, traversant la boutique en essayant de ne pas regarder les tissus chamarrés. La clochette sonna derrière lui, puis ce fut la nuit.

La clochette annonçant la sortie de Hobes avait à peine fini de teinter que déjà Murmure était pris d’une quinte de toux fulgurante. Frustré par la situation, il avait descendu d’une traite le gobelet que lui tendait la mercière et avait à présent la gorge et le nez en feu. Essayant d’éteindre l’incendie en engloutissant la carafe d’eau, il avait manqué de s’étouffer et toussait de plus belles. La scène devait avoir un certain aspect comique, car Sarriette fut à son tour pris d’un fou rire qui ne se calma que bien après que le garde se soit nouvellement affalé dans son fauteuil, réprimant un grognement de douleur lorsque son épaule heurta le coussin du dossier.

La colère qu’il avait ressentie plutôt revenait bouillonnante, lui entravait la gorge et après le scandale s’ensuivit le mutisme.

"Ahlala mon ptit Murmure, tu peux être un vrai gamin parfois."

S' il en avait été capable, le soldat aurait probablement croisé les bras sur son torse. Ne pouvant avoir recours à cet ultime signe de protestation et d'autodéfense, il se contenta de plonger un regard noir dans les flammes de l’âtre.

La fatigue et l’alcool l’aurait sans doute amené bien vite au pays des songes si ce n’était Sariette qui, rapide comme la dame pressée qu’elle était, avait saisi son bras droit et sans plus d’examen, l’avait tiré sèchement vers l'accoudoir du fauteuil avant de l’envelopper dans le linge blanc.

Aller hop, direction le château. J’ai des clients à recevoir tôt dans la matinée et tu as un ami à ramener à bon port.

Le côté du crâne appuyé contre l’armature de bois du fauteuil, le garde avait les yeux perdus dans le vide, il ne voyait que des étoiles et un acouphène lui sciait les oreilles. Ses muscles détendus avaient néanmoins rendu l’opération moins douloureuse et il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour reprendre ses esprits.

Sans un mot, il s’en alla donc enfiler ses bottes et après avoir embrassé sa mercière sans romantisme, prit le chemin que son ami venait d’emprunter.

A peine eut-il franchi la porte que Braise vint se placer à sa gauche et la main sur son encolure, il entreprit de trotter au rythme de l’animal qui le conduisait sans faute dans la nuit noire.

Les mots du chalcédien traversaient son esprit alors qu’il dépassait les dernières maisons du bourg. Jamais faire partie des nôtres? Venu d’un garçon sociable à l’intention du soldat muet, la réclamation semblait sur-réelle et pourtant… C’est important de se sentir faire part d’une famille et un sentiment de culpabilité naquit dans le cœur de Murmure lorsqu’il se remémora ses propres paroles.

*Si c’est pour dire de la merde, tu ferais mieux de te taire*

Il devina plus qu’il ne vit le jeune homme traînant sur le bas-côté de la route. La faible lueur des étoiles permettaient de discerner quelques formes abstraites et alors que Braise s’apprêtait à sauter sur la récente connaissance, son maître s’empressa d’annoncer sa présence afin de ne pas causer une peur non nécessaire.

"Hey Hobes attends! Je me suis fait mettre à la porte. - Il se place à la hauteur de son interlocuteur - De toute façon, qui as envie de dormir dans des édredons, la bonne paille c’est ce qu’il y a de mieux."

Sur le haut de la falaise, les lueurs du château se mêlaient à celle des étoiles. L’absence de nuage permettait d’admirer l’univers, spectacle du quel Murmure avait fini par se lasser après quatre ans de diverses patrouilles nocturnes.

"Tu as des trucs prévus demain?"

L’art de la conversation n’était pas sien, mais l’alcool aidant, le jeune soldat s'efforçait au mieux de se racheter auprès de celui qu’il souhaitait considérer comme son ami.

Hobes traînait dans les rues, peu motivé par un retour solitaire au château, espérant presque une nouvelle rencontre bien qu'elle ne put guère être heureuse, au Bourg à cette heure avancée de la nuit. Il fut surpris et heureux du retour de Murmure. Sans cesser de marcher, il tourna vers le garde son visage tuméfié. Etait-il déjà soigné ? Sariette l'avait-elle chassé à cause de lui ? Hobes n'arrivait pas à le déplorer, et partagea un instant l'humeur étonnamment guillerette du garde, jusqu'à ce qu'il l'interroge sur ses activités du lendemain.

Hobes poussa un profond soupir.
- J'ai leçon d'Art à l'aube.
Le jeune Chalcédien était déjà fatigué rien que d'y penser, inconscient du prestige et de la chance qu'il avait de posséder, même sans éclat, la magie Loinvoyant.
- Et toi ? demanda-t-il en ralentissant le pas pour tendre les doigts, sans trop savoir pourquoi, vers la fourrure de Braise.

Braise s’était glissée à la gauche du jeune chalcédien sans la moindre hésitation. Elle était fidèle à Satoru mais pouvait très bien s’en aller avec un inconnu, c’est le résultat d’un mélange entre indépendance et passion pour tout ce qui est humain.

- J'ai leçon d'Art à l'aube. Et toi ?

Le manque de volonté de Hobbes était presque palpable. En plus de ses soupirs il s’était mis à traîner le pas et pendant un instant, Murmure se demanda si le jeune homme avait dit “leçon d’art” où “laver les box des chevaux”.
Comme la plupart des gens de simple naissance, Ombrin n’avait pas vraiment idée de ce qu’était l’art. C’était juste magique, rare et potentiellement dangereux.

- Sur les remparts, à l’aube.

Sur quoi le garde bailla à s’en décrocher la mâchoire.

- Pourquoi tu veux être garde si tu peux faire partie d’un clan d’artiseurs?

Hobes caressa timidement la tête de la chienne, puis leva deux yeux surpris vers son maître.
- Parce que c'est la meilleure chose à faire, non ?

Il ne concevait pas de métier plus noble que celui de se battre pour son pays, même si sa relation à ce pays était un brin compliquée, puisqu'il avait deux pays et que ces deux pays semblaient de moins en moins amis. Mais avait-il vraiment le choix ? Qu'est-ce qu'un homme d'honneur pouvait faire d'autre ? Certainement pas servant, ouvrier, marchand, ni planqué dans un château à s'infiltrer sournoisement dans l'esprit d'autrui.

La question de Murmure était d'autant plus étonnante qu'il avait lui-même choisi ce métier.
- Pourquoi tu es garde, toi ? s'étonna le jeune Chalcédien.

La meilleure chose à faire? Oui, c’est sûr que sur le papier, se sacrifier au service de la royauté c’était plutôt joli. Tous pour le roi, vive le roi, longue vie au roi… Il les avait entendues ces exclamations, chaque répétition le faisait se questionner un peu plus quant à la justesse de ses choix. Il existait de nombreuses façons de venir en aide au royaume et la voie de soldat n’était pas nécessairement la meilleure.

Dans le cas de Murmure, spécifiquement, la question ne se posait pas vraiment. A quoi d’autre pourrait bien servir un garçon abandonné, illettré et sans manières? Avec ses savoirs il aurait tout au plus pu faire un maître de chenil passable, mais cette place était déjà occupée. Ses talents à l’épée n’en faisaient pas un bon guerrier non plus et avec cette épaule en vrac il était bon pour faire office de décoration pendant quelque temps.

"C’était ça ou rien. Je suis trop bête pour faire autre chose."

Était-ce vraiment une question de bêtise? Il se sentait comme tel. Il ne comprenait pas les lettres, les chiffres, les plantes, la guerre, la politique, il ne comprenait pas les réclamations du peuple et le trouvait bien idiot. Sariette ne l’avait jamais traité comme plus qu’un gamin des rues et c’est comme tel qu’il avait tendance à se voir dans les yeux des Hommes de bonne naissance.

"La magie est rare. Si tu as ce talent, c’est ton devoir de le cultiver. "

Et qui plus est, elle était bien plus puissante que la lame de n’importe quelle épée, non?

"Si tu deviens garde on pourra compter les mouettes ensemble."

Sur quoi le garde asséna une tape de sa main valide dans le dos de l’adolescent. Ombrin ne comptait pas vraiment les mouettes pendant ses patrouilles, c’était une exagération. Il se perdait généralement dans son imagination, si seulement il avait eu un talent musical, peut-être la carrière de ménestrel lui eût été adaptée.

La claque amicale d'Ombrin fut un maigre choc par rapport aux paroles que le garde venait de prononcer. Emporté par l'alcool, Hobes nageait en pleine confusion, voire en plein désarroi.

Garde du Roi, un métier d'imbécile ? Trop bête pour faire autre chose ? Compter les mouettes ?

Jamais on ne lui avait présenté les choses ainsi, du moins pas sérieusement. Hobes avait toujours trouvé la vocation martiale très honorable, voire la seule honorable, et les intéressés - certes pas toujours des lumières - se trouvaient toujours plein d'honneur.

Et l'Art, un talent, un devoir ? C'est ce que lui disait souvent sa mère. Une chance, disait-elle, et elle l'encourageait dans cette voie, sans doute pour l'éloigner de celle du guerrier. Elle pensait, ils pensaient tous qu'il en était incapable, et Ombrin, lui, disait que c'était pour les imbéciles !

- Tu ne sais pas de quoi tu parles, grogna l'adolescent en repoussant mentalement la main que le garde n'avait déjà plus sur son épaule.
Un mouvement de l'esprit, irréfléchi et inutile, qui lui donna l'idée et l'audace d'aller plus loin.

Voici le "talent" que tu estimes tant, dit-il dans la tête du garde où il était entré sans frapper, et il le dit sans mot, ni curiosité, mais avec dédain et brutalité.

Murmure trouvait souvent refuge dans ses pensées. C’était un petit endroit cozy, rien qu’à lui, où il pouvait se permettre de se perdre et fuir les troubles du quotidien. C’est peut être pour cette raison qu’il fut aussi sensible à l’invasion, ou bien Hobbes avait été bien plus violent que nécessaire.

L’étrangeté du contact l’avait immobilisée quelques instants, les épaules voûtées, il avait encaissé le choc imaginaire, tandis que les quelques mots perçus par le biais de son esprit avaient allumé en lui un brasier d’indignation. Une fois le contact rompu, il avait levé un regard peu commode vers là où il pensait que se trouvait le jeune homme. Si ce n’était pour l’obscurité quasi totale, il aurait probablement répliqué avec ses poings, mais à ce moment, il ne pouvait rien faire d’autre que de serrer les dents et ravaler ses sentiments.

- Rien ne t’empêche de faire les deux de toute façon.

Braise avait repris sa place au côté de son maître pour le guider à pas lents vers la forteresse. Ombrin avait mal et sommeil, se battre avec un adolescent en pleine crise identitaire allait au-delà de ses forces.