Fin Mai - Castellonde
Depuis le port, elle était remontée jusqu'au château. Espoir dans les bras, la bourse vide de Brun attachée à sa taille, le vent lui fouettait le visage en cette fraîche fin de matinée. Le trajet avait été long et lui avait donné suffisamment de temps pour réfléchir à ce qu'elle dirait face à ces parents qu'elle avait fui l'année précédente. Toutes ses pensées ne la ramenaient pourtant qu'à une seule personne : Brun.
Il l'avait quitté comme convenu mais sans lui dire au revoir. Elle lui en voulait, un peu. N'avait-elle pas agi de la même manière en quittant sa couche un an plus tôt ?
En elle demeurait la peur de ne jamais le revoir, elle avait promis de le contacter mais l'Art était trop dangereux. A cela aussi, elle réfléchissait encore lorsqu'elle franchit les grilles du château. Le visage à moitié masqué sous une capuche usée, elle avait brillamment esquivé les domestiques susceptibles de la reconnaître et s'était réfugiée dans la cuisine par des chemins que seul un habitant connaîtrait.
Là elle avait retiré son manteau et sa capuche, sous les yeux ronds comme des soucoupes de Gracieuse, qui s'occupait des cuisines et qui la connaissait depuis sa naissance.
La vieille femme l'avait alors pris dans ses bras, dans un élan d'affection tandis qu'elle avait envoyé un de ses apprentis courir chercher Dame Mésange et Sire Glace. Malgré cette effusion de joie, Acuité avait peur comme jamais de la réaction de son père. Tétanisée, elle n'osa bouger même quand sa mère se précipita en pleurant, même quand elle l'inonda de larmes et de caresses. Le regard de la petite Duchesse demeurait fixé dans celui de Glace Loinvoyant qui observait la scène avec une certaine mesure.
Ils découvrirent alors Espoir et son père donna alors l'ordre aux personnes présentes de ne pas divulguer la présence d'Acuité. Il menaça même sans une once d'hésitation. Si une seule rumeur traversait le château, alors il les ferait tous pendre un par un.
Mésange par sa douceur, calma la fureur visible de son époux, Acuité n'en menait pas large et préféra ne pas parler du tout. Tandis que sa mère proposa un bain, il imposa sa volonté de lui parler sur le champ, dans son bureau.
Sur un signe de tête de sa mère, elle dût se résoudre à laisser Espoir à la nourrisse de Dévouée et suivit son père jusqu'à sa pièce de travail.
Il ferma à clé et l'angoisse ne fut jamais aussi intense.
Dès qu'il furent tous les deux, elle commença à parler pour se dédouaner surement autant que pour s'expliquer. Il la gifla instantanément, arguant que sa petite fugue lui avait fait oublié les bonnes manières et qu'elle devait attendre l'autorisation avant de prendre la parole. C'était la première fois qu'il levait la main sur elle, peut-être l'avait-elle mérité.
Choquée, elle se tut et patienta donc qu'il lui pose ses questions. De questions, il en avait, beaucoup et pas forcément celles auxquelles elle s'attendait.
Elle répondit, la main sur sa joue brûlante. Elle révéla ainsi avoir eu une liaison avec un soldat peu après la première bataille et mentit allègrement sur l'âge réel de Espoir pour n'éveiller aucun soupçon. Elle assura que le soldat était mort et que son fils n'était pas le fruit d'un viol de Chalcédien.
A la tête qu'il affichait, Glace semblait réfléchir. Elle savait d'ores et déjà qu'il imaginait tout ce qui servirait son intérêt mais aussi comment il allait sortir du déshonneur qu'elle venait lui apporter.
Elle s'excusa mais il refusa ses excuses, allant jusqu'à lui dire qu'il l'aurait certainement reniée si elle lui avait ramené une fille. Il continua son investigations sur sa capture en Chalcède et elle avoua les tortures, le fouet et tout ce qu'elle avait subi tandis que ses geôliers avaient chercher à percer les secrets de l'Art. Alors il avait exigé de voir son dos, elle s'y était refusé dans un premier temps, mais devant son regard insistant et sa bouche pincée, elle s’exécuta et fit glisser le haut de ses vêtements pour le laisser observer sa honte.
S'il en fut horrifié il n'en montra rien, en revanche, il sembla contrarié.
" Te voilà bien punie" avait-il énoncé, avant de préciser que même s'il avait souhaité lui offrir un beau mariage, il ne pouvait plus rien faire d'elle dans cet état. Sa fille sur lequel il avait porté tant d'espoirs n'était plus rentable, elle ne valait plus rien du tout à ses yeux. Il ne le cacha pas.
L'histoire continua avec difficulté, cela déjà beaucoup pour la jeune femme. Elle avoua être revenue ici car Vainqueur était une menace pour son fils. Elle savait de source sûre qu'il avait envoyé quelqu'un pour le tuer.
Elle ne dit que le strict nécessaire et son père la gifla encore une fois, pour ses mensonges et pour la simple idée de s'être cru supérieure à lui. N'était-ce pas lui qui lui avait appris ce jeu ? Comment pouvait-elle se permettre de tenter de le blouser ?
Les négociations commencèrent alors, si elle souhaitait la protection de Béarns, elle allait devoir faire tout ce que son père lui ordonnait, elle allait devoir devenir la fille qu'elle aurait dû être. Il ne la marierait point, mais en ferait une intendante et une Duchesse digne de ce nom jusqu'à ce que Espoir soit en âge de prendre la tête du Duché. Tout bâtard qu'il était, il demeurait un Loinvoyant sans père mais qui avait la chance de posséder un grand-père intelligent et rusé.
Elle ne put qu’acquiescer.
Dès le lendemain, il prononcerait un discours pour son peuple, un discours aux mots choisis par ses soins. Alors seulement, il la congédia.
Avant qu'elle ne quitte la pièce, il embrassa son front et lui avoua être toutefois heureux de la retrouver, bien qu'il ne pourrait jamais lui pardonner. Il l'invita à rapidement prendre un bain, une enfant aussi pouilleuse ne pouvait être sa digne fille.
Elle regagna sa chambre, se plongea dans le bain qu'on avait préparé pour elle, seule. Ce bain qu'elle avait attendu de longs mois et qui ce jour là, n'avait aucune saveur.
Elle pleura beaucoup et les mots terribles prononcés par son père se gravèrent comme au fer rouge dans ses chairs. Néanmoins, elle retrouva le calme en songeant qu'ici, son fils était en sécurité. Peu lui importait les traitements qu'elle subirait tant que Espoir vivait.
Brun serait certainement de son avis n'est-ce pas ? Devait-elle vraiment l'appeler ? Elle l'avait promis et pourtant, elle n'avait pas envie qu'il assiste à sa déchéance. La fin de sa liberté avait un prix à payer, le prix d'une vie qu'elle donnerait sans hésiter.