Descriptions
Physique
Fidèle était assez bel homme, en toute modestie, tout du moins avant de tomber entre les mains des Fanel. Peut-être bien la seule chose qu'il avait de mieux que son frère aîné était d'ailleurs l'apparence. Des cheveux noirs lisses et épais, longs et parfaitement indisciplinés formaient un contraste intéressant avec les grands yeux gris rieurs hérités de sa mère. Sa peau était très blanche même si son visage et ses mains avaient fini tannées par le grand air et le soleil baugien. Il possédait des traits forts, héritage direct de son père et grand-père ; un nez un peu arqué, une bouche épaisse et des pommettes hautes. Quand il partit à la guerre, Fidèle était un homme aux épaules larges, grand, à la carrure enviable, taillé par la chasse et son travail avec les chevaux. Quand il revint de son passage en Chalcède, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Maigre, boiteux, plus que nerfs, ses muscles ayant fondus comme neige au soleil. Son dos était marbré de cicatrices plus ou moins profondes. Quant à son visage... On aurait dit qu'il avait pris dix ans. Usé, ridé par le souci, le regard hanté, il portait une marque de brûlure assez récente sur la joue. Ses cheveux portaient également plus de gris qu'en son souvenir. Fidèle n'était même pas sûr que sa propre mère le reconnaîtrait. Sa démarche est des plus reconnaissables, une fracture mal soignée l'ayant laissée claudiquante et inégale. Il ne restait plus grand chose de l'homme avenant dans la force de l'âge parti s'unir aux forces du roi. Peut-être le temps aidera-t-il. Peut-être pas.
Caractère
Fidèle n'est pas un homme complexe. Il prend plaisir aux choses simples : une marche dans les bois, une chasse fructueuse, la compagnie des animaux... Malgré leur titre de noblesse, les Atrechêne gardent plus du paysan que du seigneur. Seul son frère, Dévoué avait semblé absorber les enseignements du scribe que leur mère avait tenu à leur payer. Bien entendu le plus jeune sait également lire et écrire, la baguette de saule de leur professeur n'étant pas tendre sur les doigts, mais il n'avait jamais cherché plus loin que ça. La politique, les racontards de cours.... Tout ça Fidèle s'en fichait. Et il pouvait se le permettre, étant le plus jeune des fils. Même s'il était plutôt content de son sort, le puîné avait toujours été un peu jaloux de Dévoué. Doué pour les études, intelligent, s'intégrant avec facilité parmi les nobles... Et puis, l'Art ! La magie de la famille royale par El ! Alors que lui était affublé de la malédiction familiale, de l'abjecte magie des bêtes. C'était bel et bien pour se prouver quelque chose que Fidèle, immitant l'impétuosité de son grand-père à l'époque du roi Sagesse, était allé se joindre aux rangs de Vainqueur.
S'il avait su ce qui l'attendait.... Depuis son retour forcé, Fidèle n'est plus téméraire, plus forte tête et défiant comme il l'était jeune. Méfiant, il ne peut laisser derrière lui les tortures subies par les Fanel. Traumatisé, Fidèle a constamment
peur. Cette peur qui prend aux tripes, qui paralyse, qui cause des cauchemards desquels il se réveille en sueur. Et pour cela il est devenu un homme aigri, qui fuit la compagnie de ses pairs. Un homme violent parfois aussi, ses traumas causant des accès de rage et de colère impossibles à freiner. En bref, Fidèle est un homme instable. Un homme en reconstruction.
Histoire
Entourage
Ses parents, Robuste et Lyre Atrechêne. Sa jeune soeur Volonté, de vingt-quatre ans. Gracieuse Molfort, sa tante également douée de Vif et âgée de cinquante-deux ans. Son frère Dévoué, décédé lors du phénomène qui décima le clan d'Art. Luve et Bhaal Fanel, ses geôliers et maîtres.
Histoire
Malheureusement, comme bien des nobliaus des Cinq-Duchés, pour comprendre l'histoire de Fidèle Atrechêne il faut remonter à l'homme qui a gagné ce nom de famille : Decan, le grand-père et fondateur. Decan était un bûcheron travaillant pour une petite famille sans grand renom de Bauge. Rustre, brut de décoffrage et sans éducation, rien ne laissait présager qu'il ferait son entrée dans un monde qui se contentait de le regarder de haut. Il était marié à la fille d'un boucher et vivotait sans rien demander à personne, ne s'intéressant pas trop aux histoires des puissants. Mais vint un évènement qui concernait tout le monde, petits et grands. Les Pirates Rouges attaquèrent Rippon, ne laissant que vide et dévastation à leur passage. Devant ses côtes pillées, le roi Sagesse n'eut d'autre choix que de mettre le pays sur le pied de guerre. Quelques pirates... Tout le monde pensait que ça ne durerait pas cette histoire. Le roi possédait sa flotte, des armées bien entraînées, l'appui de ses ducs et surtout la puissance de son clan d'Art, l'un des plus renommés à ce jour. Et pourtant... Les Outrîliens étaient pleins de ressources, excellents stratèges, ils attaquaient toujours là où on les attendait le moins.
En soi, Bauge était une région éloignée des conflits, ce n’était pas un Duché côtier et au début personne ne se serait imaginé que des civils allaient finir par participer à la guerre. Mais celle-ci s’éternisait de plus en plus, les réserves de nourritures et les ressources des Quatre-Duchés commençaient doucement mais sûrement à fondre comme neige au soleil. Et l’armée commença à former des milices. Decan n’était pas une personne très intelligente, c’est sans doute cela et son impulsivité qui le firent se porter volontaire. On lui donna une hache de combat, très différente de celles qu’il avait l’habitude de manier, une armure un peu trop serrée aux épaules et en avant. Jeune et robuste, il allait tuer des Pirates Rouges. Tout du moins c’était ce qu’il pensait. La guerre l’usa bien vite. Sanglante, sale, vicelarde. Des membres tranchés, des tripes à l’air, les odeurs de fer, sueur et sang... Rien ne l’avait préparé à ça. Ce n’était pas noble. Ce n’était pas beau. Et les chansons mentent : il n’y a pas héros ou de courage à la guerre. Juste des personnes désespérées qui donneraient tout pour être ailleurs.
Decan ne savait pas trop comment il survécut à tout ça. C’était un brouillard rouge et gris composé d’escarmouches violentes et d’accalmies durant lesquelles panser ses plaies. Les Quatre-Duchés étaient désespérés. Aussi étonnant qu’il puisse paraître, les Pirates Rouges semblaient plus près de la victoire que jamais. Et pour ne rien arranger le roi Sagesse et son clan avait disparu, laissant leurs pauvres soldats à la merci de la rage des Outrîliens. Puis tout s’inversa si vite. Les dragons chevauchèrent les cieux et vint la dernière bataille. Longue et harassante plus qu’aucune autre. Le fils du duc de Bauge et ses soldats y participaient tandis que Decan abattait sa hache sans répit, les bras lourds. Dans le chaos de la bataille il se retrouva côte à côte avec l’héritier de Bauge. Et comme dit plus haut... Il n’existe pas de héros. Juste des actes stupides. Du coin de l’oeil Decan vit une épée outrîlienne s’approcher du dos du noble et par réflexe son bras libre s’étendit, cherchant à stopper l’estocade. Ce fut l’os de son poignet qui rencontra la lame, lui tranchant net la main. L’outrîlien le vit alors que, porté par le choc et la douleur, le bûcheron lui enfonçait sa hache dans la poitrine. Ils tombèrent tout deux, sous les yeux ébahis de l’héritier baugien. Decan perdit connaissance et se réveilla une journée plus tard rongé par la fièvre, le cul dans le lit le plus confortable qu’il ait jamais connu, se trouvant sans trop savoir comment au château de Gué de Négoce. La chance était de son côté et la fièvre finit par passer.
Decan n’eut même pas le temps de s’inquiéter de la manière dont il pourrait vivre avec une main en moins. Sauver la vie du fils du Duc le propulsa au rang de héros local. Tout du moins pour la famille contrôlant Bauge. En remerciement pour la vie de son aîné et unique héritier mâle, le Duc offrit quinze hectares de terre au campagnard, une généreuse quantité d’or et le propulsa du jour au lendemain au rang de baron. Ni plus ni moins. Decan, fils d’une serveuse de taverne à la cuisse légère et d’un inconnu, se retrouvait baron du Val comme il nomma ce petit bout de terre qui désormais lui appartenait. Avec l’or, il acheta plusieurs chevaux et commença un élevage qui avec le temps devint assez réputé. D’excellentes bêtes, grandes, fortes et dressées avec un savoir qui en surprenait plus d’un. Ca plus l’impôt que lui versait les paysans pour cultiver les terres lui appartenant permirent à Decan de construire quelque chose de stable. Ah. Et Atrechêne me direz-vous, d’où ça sort ce nom de famille. Eh bien la poutre maîtresse soutenant la villa de deux étages qu’il fit construire fut taillée dans un vieux chêne, tout simplement. Il ne faut pas trop en demander à quelqu’un qui ne sait ni lire ni écrire après tout.
Mara, la fille du boucher, n’était pas une excellente baronne bien entendu, tout comme son époux elle ne savait ni lire ni écrire. Mais elle mit au monde un héritier que, désireuse de le voir s’intégrer un petit peu mieux que ses parents à ce nouveau monde, elle nomma Robuste. Brun de poil et de peau, doté de grands yeux verts, il était le portrait craché de Decan. Mara n’hésita également pas à affronter son époux plutôt vieux jeu pour que leur enfant reçoive un minimum d’éducation. Malheureusement le sang ne ment pas, tout comme son père Robuste était bien plus intéressé par les chevaux et le grand air que par les leçons d’histoire, d'étiquette et d’écriture du scribe. Quand leur premier-né fêta sa cinquième année, Eda leur fit le cadeau d’une deuxième grossesse. Un cadeau hélas bien lourd à porter ; Mara pouvait sentir que quelque chose n’allait pas. Elle perdait du poids au lieu d’en prendre et continuait à vomir tripes et boyaux alors que le premier trimestre était loin derrière elle. Quand vint l’heure de la délivrance, elle était bien trop faible, et si le guérisseur put sauver son bébé, Mara rendit son dernier souffle. Decan était inconsolable. Il n’avait pas été le conjoint le plus démonstratif qui soit, mais l’amour qu’il portait à son épouse avait été simple, sincère et pur. Il nomma sa fille Gracieuse décidant de respecter le désir de Mara de voir ses enfants s’intégrer à la haute société baugienne.
Robuste et Gracieuse étaient deux enfants très différents. Robuste portait bien son nom et semblait toujours infatiguable, forte tête et grande gueule, il était pourtant dans le fond bien plus docile que sa jeune soeur. Gracieuse était une enfant renfermée et têtue comme une mule. Decan apprit bien vite que ces jolies yeux noisettes qui le faisaient tourner en bourrique abritaient une lumière indomptable. Il est grand temps de nommer ce que Decan considérait sa malédiction familiale : l’immonde magie des bêtes. Le Vif. Jamais il ne s’était laissé aller à se lier avec les bêtes, à tomber dans cet abîme.... Sa propre mère y avait veillé. Le Vif était sale. Et il se transmettait, comme une maladie. Robuste fut chanceux, il naquit sans magie d’aucune sorte. Gracieuse avait le Vif. Ce fut un travail de longue haleine pour Decan réussir à ce qu’elle ne tombe pas dans les attraits de cette magie. Mis à part ce souci omniprésent, les années passaient douces et indulgentes dans la demeure des Atrechêne. Gracieuse devenait de plus en plus belle avec les années ; de longues boucles noires et indomptables, des yeux en amande à la lueur impétueuse, un corps bien formé... Elle attirait les regards. Et Decan décida de la fiancer au fils aîné d’une autre famille noble. Bien heureusement, les jeunes gens se plaisaient, sinon ç’aurait été bien trop dur de faire plier la jeune femme.
Quant à Robuste, l’héritier... Il devint un vrai coureur de jupons. Comme le lui dit un jour Decan avec colère, il ne devait pas y avoir une gueuse à vingt lieux à la ronde qu’il n’ait cubulté dans la paille ! Decan pensait que marier son jeune fils lui ferait du bien et commença à lui chercher un bon parti. Aucun noble n’allait accepter que leur fille se joigne à une famille que beaucoup disaient parvenue, rien de plus que des paysans en soieries.... Mais cela n’empêcha pas Decan de trouver son bonheur dans la famille immensément riche du meilleur tailleur de Bauge, ravi de voir un de ses enfants porter un titre de noblesse, aussi petit soit-il.
La jeune femme s’appelait Lyre et était plutôt jolie malgré une grande taille qui l’embarassait souvent et la faisait se sentir maladroite. Quand Lyre rencontra Robuste, son coeur s’emballa. Brun, grand, fort, avec un sourire capable de faire fondre un glacier.... Noble qui plus est ! Autant dire que la jeune fille de dix-sept ans se sentait défaillir de joie. Elle déchanta bien vite. Sa jeune épouse plaisait à Robuste, mais ce n’était pas pour autant qu’il allait laissait en plan son activité favorite : la séduction. Decan n’avait jamais vu un mariage aussi chaotique : les jeunes mariés s’envoyaient des insultes au visage avant de se réconcilier dans leur couche.... Au moins trois fois par jour !
Lyre tomba enceinte au bout de six mois. Elle pensait que la nouvelle ferait revenir son mari à un comportement plus décent. Elle avait tort. Bien que Robuste fut ravi de la nouvelle il était clair que rien ne le changerait désormais. Remplie d’amertume face à ses illusions brisées, Lyre donna naissance à un bel hériter mâle que Robuste nomma Dévoué. Deux ans après, ce fut le tour de Fidèle, dont il ne faisait aucun doute que le nom même, choisi par Lyre, était un sarcasme adressé à son géniteur. Leur mariage allait de mal en pire et les deux enfants grandirent entourés de disputes qui devenaient de plus en plus violentes avec le temps. Quant à Decan, il avait désormais près de soixante ans, et bien qu’il soit toujours en forme pour son âge et ravi d’avoir des petits-enfants sur son domaine, il était navré de devoir assister à ce mariage malheureux.
Dévoué était un enfant doux, mature, à l’esprit incroyablement vif pour son âge. Le scribe ne cessait d’ailleurs de vanter ses mérites à ses parents. Mais Fidèle... Il avait hérité du mauvais caractère Atrechêne. Il se frustrait pour un rien, était bagarreur et, pour le plus grand malheur de Decan, il avait également hérité du Vif. Fidèle se souviendrait toute sa vie de la première fois que sa magie balbutiante s’était tendue instinctivement vers un cheval. Decan l’avait
repoussé si durement avec sa propre magie qu’il en avait saigné du nez. Et son grand-père le surveillait comme le lait sur le feu. Fidèle n’eut jamais l’occasion de se lier avec un animal et grandit en ayant honte de sa magie, se haïssant pour être né vifier.
Quand Fidèle eut dix ans, même si cela faisait longtemps que son père et sa mère ne se parlaient plus que par nécessité, Lyre tomba de nouveau enceinte. Peut-être un soir d’ivresse, une énième chance accordée à ce beau parleur de Robuste. Neuf mois plus tard naissait leur petite soeur, Volonté.
De nouveau, les années passaient avec calme dans le Val. Plus Fidèle grandissait, plus il se surprenait à rêver d’autre chose que les quinze hectares de terrains qu’il connaissait par coeur et des histoires rocambolesques de son grand-père sur la guerre et les suposés dragons dont personne ne se souvenait. Dévoué avait toujours été le plus intelligent des deux. Et, même si ces choses là ne se disaient pas, le fils préféré également. Sentiment exalté lorsqu’un jour fut lancé un appel d’Art qui provoqua chez son grand-frère un étrange rêve éveillé. Décidément, leur aîné faisait rayonner de fierté les Atrechêne. Dévoué partit alors pour Castlecerf, exacerbant les envies de liberté et de rébellion de Fidèle alors âgé de ving-deux ans. Decan était vieux, un peu sénil, il n’avait plus l’énergie de le surveiller. Avec honte, le jeune homme commença à expérimenter avec sa propre magie. Ce n’était certes pas l’Art des Loinvoyant mais au moins c’était quelque chose que personne ne pouvait lui enlever. La tentation de se lier était forte, mais il n’osa jamais franchir le pas. Il se réfugiait également dans la chasse et l’étude des plantes, partant souvent en solitaire, devenant de plus en plus renfermé et sauvage. La mort de son grand-père les années qui suivirent, la froideur omniprésente de son foyer, contribuèrent d’autant plus à l’éloigner de la demeure familiale. Il construisit une cabane éloignée dans les bois du Val et y passait bien plus de temps que dans la construction principale.
Puis il fêta ses trente ans. Vieux garçon, il refusait de se marier aux différentes prétendantes que lui avait dégotté son père avec effort. Tout comme Robuste, il avait fait ses armes sur les filles du coin, mais refusait de tomber dans le même cercle vicieux que ses parents. De toute manière, la responsabilité de la pérennité de leur nom de famille retombait sur Dévoué. Solitaire, peu communicatif, le domaine du Val l’étouffait. Un jour, une jument eut une grossesse difficile. Ecumante, elle tournait en rond dans son box, forçant une délivrance qui se refusait à elle. Ce fut Fidèle qui libéra le poulain. Une toute petite chose à la robe alezane et au regard vairon, un oeil bleu, un oeil noir. Sa voix fit vibrer le Vif de l’homme «
Faim. Froid. » réclamait-il. Suppléant la jument écroulée de fatigue, Fidèle le sécha et le colla aux tétines de sa mère. Il l’appela Fol-Oeil, et ce fut son cheval. Et son premier et unique animal de lien également. Après tout il n’y avait plus personne également doué de Vif pour pouvoir le surveiller.
Puis Vainqueur déclara la guerre aux Chalcédiens et tout changea. Lyre et Robuste mourrait d’inquiétude pour leur fils aîné qui faisait parti du clan d’Art. Et Fidèle avait beau savoir que c’était normal et qu’il n’avait pas à se sentir mal, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Sans rien dire à personne il sella Fol-Oeil, prit la vieille hache de guerre de son grand-père pendue au-dessus de la cheminée du hall et se dirigea à Castlecerf pour s’enrôler dans l’armée de Vainqueur.
Tout comme son grand-père avant lui, rien ne l’avait préparé à la guerre. Le Vif n’aidait pas. Chaque souffrance, chaque dernier souffle le faisait vibrer de douleur. Lui en contrepartie se sentait comme anasthésié par tant de souffrances autour de lui. Tout comme Decan avant lui, tout se tournait en un brouillard rouge. Fidèle n’était pas un guerrier, personne ne lui avait jamais enseigné à se battre. Mais il possédait un excellent instinct et son Vif le poussait à survivre. Tout du moins était-ce ce qu’il pensait jusqu’à la bataille de trop.
C’était une matinée froide et pluvieuse. Etrangement calme. Le clan Fanel les avait laissé en paix toute la journée antérieure et la nervosité régnait. Où allaient-ils frapper ? Quand ? Dans cette brèche qu’ils défendaient ? Un peu plus au Sud où se trouvaient le gros des troupes ? Ils n’eurent pas à attendre longtemps. Les cris de guerres résonnèrent bien avant midi. Fidèle chevauchait Fol-Oeil en mission de reconnaissance lorsque la bataille commença. Il chargea, retournant à toute vitesse en direction du champ de bataille. Lui et Fol-Oeil ne faisait qu’un et ils causèrent un carnage parmi l’infanterie ennemie. Puis une poignée de soldats chalcédiens se mirent d’accord, criblant de flèches le cheval alezan. Fidèle sentit chacunes d’entre elles. Et homme comme cheval, ils devinrent fous. Fol-oeil était affolé par la douleur, plusieurs projectiles fichés dans le poitrail ; Fidèle, une dans le bras, au niveau du biceps. L’un comme l’autre hurlaient et hennissaient, donnant coups de sabots et coups de haches comme des forcenés, le brouillard rouge les aveuglant.
Soudainement, Fol-Oeil se cabra et le désarçonna. Fidèle resta au sol, sa jambe se brisant comme une brindille sous le choc. Par chance, personne ne vint l’achever. Dans la fièvre de la bataille son Vif cherchait son cheval avec désespoir. Il fut surpris de le sentir effrayé et soumis. Levant la tête, une femme au visage couturé était grimpée sur le dos de l’alezan. Comment était-ce possible, comment lui obéissait-il ? Rageur, Fidèle essaya de se traîner jusqu’à son compagnon, sa jambe cassée lui faisant souffrir le martyr. Un coup derrière la tête le fit alors sombrer dans une noirceur bienvenue.
Quand il se réveilla, il avait les mains liées et le corps terriblement endolori. On, il ne savait pas qui, l’avait rammené au camp chalcédien. Des regards sombres se posèrent sur lui alors qu’il reprenait peu à peu conscience. On lui posa une question, dans une langue qu’il ne comprenait pas. Il secoua la tête pour montrer son incompréhension et une main lourde vint s’abattre sur sa joue, le faisant tomber si près du feu de camp qu’un charbon ardent vint se coller à sa pommette. A travers de son lien de Vif, il put sentir Fol-Oeil réagir à cette vive douleur. Et malgré la brûlure lancinante, une vague de soulagement l’envahit. Il était vivant ! Comme réanimé, il s’écria «
Mon cheval ! Mon cheval ! » et se mit à ramper en direction de cette étincelle de vie qui l’avait fait tout oublier, blessures comme brûlures. On le rattrapa bien vite, les soldats chalcédiens semblaient surpris par cet éclat et se mirent à marmonner dans ce langage dont il ne comprenait rien. L’un d’entre eux partit et revint avec la femme au visage couturé. Luve Fanel. Fidèle allait vite apprendre que ce nom était synonyme de problèmes. Froide, cruelle, et pourtant... Le nobliau pouvait littéralement sentir le lien qu’elle partageait avec ce chien qui l’accompagnait de partout. Une vifière.
Cela expliquait pourquoi Fol-Oeil lui avait obéi au lieu de la désarçonner. Mais elle ne semblait pas consciente de son pouvoir. Ce dont son prisonnier était sûr après une première expérience, était que s’approcher d’elle à travers du Vif, s’invitant sans permission dans sa tête, était une mauvaise idée. Il frémissait encore de la correction reçue quand il avait osé. Les mois passaient. Au début les Fanel avaient pensé pouvoir lui retirer des informations précieuses, et son dos n’allait plus jamais avoir le même aspect après ça. Avec le temps, ils avaient bien fini par se rendre que, tout « noble » que pouvait être Fidèle, il ne faisait pas du tout partie du conseil de guerre de Vainqueur et ne savait rien des prochains mouvements du jeune roi. De cette interrogation en règle, le brun apprit plusieurs choses. Petit un, ne jamais dire non à ses geôliers. Petit deux, supplier ne servait à rien. Il en ressortit avec une sainte terreur de cette famille sadique. Peu à peu il perdait du poids. Sa jambe s’était mal ressoudée, le faisant souffrir horriblement par temps humide et le laissant boiteux. Il ne savait pas pourquoi, mais Luve avait fait soigner Fol-Oeil et le gardait près d’elle La première fois qu’elle menaça de faire du mal à son compagnon Fidèle s’était montré plus docile qu’un chaton, se traînant et suppliant qu’on ne lui fasse pas de mal.
Il apprit, son chalcédien s’améliorant au fil des semaines, qu’un étrange phénomène avait décimé le clan d’Art du roi. Dévoué, son frère aîné, faisait partie des morts. L’ironie du sort lui arracha un sourire tordu. Et pourtant, malgré ce revers qui semblait une aubaine pour les chalcédiens, la situation se dégradait pour eux de plus en plus. Il pouvait s’en rendre compte aux mines tendues des soldats, aux coups complètement gratuits qu’il recevait parfois et aux visages sombres de Bhaal et Luve.
Quelque mois de plus et la victoire de Vainqueur fut absolu. Fidèle ne comprit pas grand-chose, mais apparemment la fiancée de l’héritier Fanel l’avait trahi. S’il avait encore possédé la capacité de rire, nul doute que ça l’aurait amusé. Et maintenant ? Qu’allait-il advenir de lui ? Se souvenait-on seulement de lui en Bauge ? Ou ses parents étaient-ils trop occupés à pleurer la mort de Dévoué pour s’inquiéter de son sort ? C’était injuste de penser ainsi, mais ces mois de privations et douleurs l’avaient rendu amer. Et s’il restait ici, qu’allait-il donc lui arriver ? Les Fanel lui transmirent bien vite la réponse, faisant tatouer sur son avant-bras droit leur écusson, un serpent ondulant autour d'une tige de chanvre. Le symbole des esclaves. Un bien piètre esclave vu l’état dans lequel il était et les contremaîtres le lui rappelaient sans cesse.
Les jours s’enchaînaient, impitoyables. Il était étrange de voir à quel point il s’habituait à sa nouvelle vie. Lui auparavant si fier, si orgueilleux, n’arrivait même plus à prendre offense des humillations. Fidèle était tombé si bas qu’il se surprenait à des élans de reconnaissance sincères lorsque ses maîtres faisaient preuve d’un peu d’indulgence envers lui. Etait-il en train de devenir fou ? Sans doute un peu.
Puis un jour on l’ammena dans les appartements des maîtres. Il fut évalué par l’oeil critique de Luve qui ordonna qu’on le lave et qu’on lui donne un repas chaud et, pour changer, consistant. Fidèle se demandait réellement ce qui se passait quand on lui ordonna ensuite de vêtir des vêtements de qualité et possédant la coupe traditionnelle des Quatre-Duchés. Devenus Cinq-Duchés d’aileurs, d’après ce qu’il avait entendu. Intrigué, il l’était bien sûr. Mais aussi bien trop effrayé pour oser poser une quelconque question. Sa maîtresse se chargea bien vite de lui expliquer. Il allait devoir l’escorter jusqu’à Cerf. S’il donnait l’alerte, Fol-Oeil mourrait. S’il cherchait à s’échapper, Fol-Oeil mourrait. S’il trahissait les intentions de la chalcédienne, Fol-Oeil mourrait. C’était on ne peut plus clair. Et autant dire que le temps passé sous leur coupe avait fait plus qu’émousser la volonté du nobliau. Fidèle obéirait, il allait se haïr pour sa couardise, mais, tout bien considéré, il n’avait plus rien à perdre à part son compagnon. Et il se jura qu’il le maintiendrait en vie coûte que coûte. Car perdre son cheval, ce serait comme perdre le dernier bout de son âme à être resté intact.