Ombre colorée qui bondit d'un coin sombre du château ou en pleine lumière, ce que l'on peut d'abord dire de l'aspect de Foudre, c'est que sa tenue ne laisse jamais indifférent. Dans ces superpositions de tissus vifs, impossible vraiment de donner un sexe à cette créature qui alterne jupes longues, chemises, voiles et pantalons bouffants. Un jour, femme, une nuit, homme. Et le lendemain, homme encore, cycle irrégulier au fil de ses nippes. Si l'on essaie de se fier à ses vêtements, le temps finit par nous détromper. Se fier à son corps ? Inutile. Semblant svelte sans être malingre, de bonne taille sans être immense, Foudre n'est ni viril ni féminine. Faut-il trouver des indices sur son visage ? Certes, on saurait la dire femme au vu de ses cheveux roux qui lui tombent aux épaules, et de ses traits si fins, si fins qu'on pourrait s'y couper. Mais d'où viennent ces tresses de guerriers ou ses mimiques de brutes ? Alors, on pourrait aussi le dire homme, car quelle femelle digne de ce nom laisserait à ce point ses cheveux - et ses sourcils ! - en friches indomptables ? Et quelle fille bien éduquée se permettrait d'avoir un menton si pointu et volontaire, une bouche si large et si moqueuse, trop large pour être féminine,... mais trop pulpeuse pour être masculine ? De ses yeux couleur châtaigne, on voit l'âme sournoise et pétillante, mais pour autant qu'on prétende à ces dames ces vices, que dire alors de cette demi-sauvagerie et de ces regards inquisiteurs, dont l'audace résulte forcément - ou pas - d'un homme ? Du timbre de voix ou du parfum, on n'obtiendra rien non plus... Aussi indéfinissable dans l'air qu'un orage soudain, Foudre surgit, agit et s'enfuit trop vite pour qu'on puisse pousser plus loin l'inquisition.

Bouffon, ce métier de Fou. Car il faut être au minimum fou ou folle pour accorder sa vie à se jouer des autres. Et Foudre joue à la perfection ce rôle d'équilibriste entre raison et folie. Inapte à se déplacer sur plus de dix mètres sans effectuer cabriole ou saut de chat, mais parfois capable de rester plus immobile qu'une bête à l'affût ou de dormir jusqu'au crépuscule, on oscille entre l'hyperactivité et la paresse. On attrape le tournis à vouloir suivre ses mouvements. Qu'ils viennent de ses mains ou de sa langue. Impossible de déterminer si c'est une vérité ou le mensonge qui sort de sa bouche ; ce qui lui donne la réputation d'un être sournois et indigne de confiance. Gourmand, capricieux, et parfois voleur, ce parangon de défauts ajoute à ses vices celui de la moquerie acérée envers ceux qui lui déplaisent. Le démon profite parfois de la timidité des jeunes gens pour leur compter fleurette lubrique en grandes pompes - avances tout à fait inefficaces car il y a toujours une âme bien intentionné pour chasser ce railleur, et ce dernier ne dépasse jamais le stade des phrases pour celui de l'acte. Preuve de sa vitalité d'esprit, ses jeux de mots et ses comptines ont le don de faire au moins dix fois le tour du château avant de perdre leur capacité d'amusement - ou d'émerveillement. Mais ses lèvres restent parfois closes et ses oreilles grandes ouvertes, ce qui lui permet d'être sans doute l'une des personnes les mieux informées de ce qui se passe dans le palais. Personnage mystérieux et très secret, peu de gens en revanche connaissent Foudre autre qu'en Fou. Quoique les racontars disent de sa duplicité, l'androgyne est resté fidèle au roi Vainqueur tout au long de son existence. Malgré sa réputation de tortionnaire des mots, on l'a vu à plusieurs reprises prendre pour cibles des brutes s'en prenant à des enfants ou des animaux chétifs. Sa silhouette semble veiller sur les êtres les plus vulnérables, discrète présence, qui par d'infimes petits gestes essaie parfois de rendre la vie plus légère.

La famille de Foudre est originaire de Béarn. Sa mère, Aube, pâtissière, est morte il y a vingt ans. Son père, guerrier, Tonnerre, ne lui a pas donné de nouvelles depuis plus de dix ans. De leur union vint d'abord Foudre, puis, sa petite sœur, Armoise, qui vit sans doute aujourd'hui encore aux côtés de leur père. Foudre n'a pas vraiment d'amis proches, et n'a jamais voulu prendre amant-e-s. Lorsque les gens respecte son caractère, ils obtiennent cependant une certaine attention et estime de sa part. Le roi Vainqueur est celui qui est amené à le plus fréquenter la Distraction Ambulante, et cette dernière, aussi volage soit-elle, lui accorde une loyauté sans faille. De cette allégeance, vient également une défiance à l'égard de Glace Loinvoyant, lequel ne l'appréciait pas beaucoup et l'a maltraité à plusieurs reprises lors de l'absence du roi légitime.

Un enfant naquit en Béarn, dans un village près de Castellonde. De son père, , il ne prit rien, de sa mère, il prit tout. Seul le nom vint du père. Peut-être faut-il voir ici, dans cette exclusivité physique, l'une des raisons de l'inégalité d'amour qu'on lui porta. Sa mère l'adora, mais, son père, après le baptême, lui resta indifférent.

L'enfant grandit dans l'absolue certitude de sa médiocrité face au père, et peut-être cela l'incita davantage dans la mauvaise voie que prit son caractère. Foudre enfant, était vif, actif, bruyant, bravache, excentrique. Sa mère, Aube, trouvait sa progéniture formidable, couvrait d'attentions ses déboires, et encourageait ses loisirs 'douteux', telle la jongle, les acrobaties et la comédie. Elle demanda cependant à l'un de ses oncles, scribe, de lui apprendre à lire et à écrire. Mais, Tonnerre le père, guerrier, n'était pas homme d'originalités. Ainsi, plus Foudre tentait de lui plaire en cabriolant devant lui, plus son regard se fermait et plus il se détournait de cet enfant.

Neuf années plus tard, un autre enfant vint au monde, mais cette fois, une merveilleuse petite enfant  belle, elle, et douce. On lui donna le nom d'Armoise. Le bonheur fut partagé par les deux parents cette fois-ci, et même Foudre. Mais quelques mois plus tard, aux suites d'une cruelle maladie d'hiver, Aube s'éteignit. Le fragile lien entre père et enfant aîné fut à nouveau brisé. Armoise demeura la préférée du père, et Foudre finit par adopter un comportement de plus en plus indécent et déshonorant.

L'enfant aîné avait quatorze ans quand son père décida de l'envoyer à Castellonde, afin que cet électron libre y apprisse le métier de page et qu'il cesse enfin ses enfantillages. On l'accepta auprès de l'une des lointaines cousines du duc, une certaine Etoile.

Puis, deux années plus tard, vint la pierre sur le chemin. Le page avait été témoin d'un acte particulièrement cruel commis par sa maîtresse Etoile. Nul ne se souvient bien ce qui s'était produit, si la jeune femme avait maltraité un chiot ou un petit garçon, mais chacun a en mémoire les représailles de Foudre. Dans un renfoncement de mur, dissimulé, la petite calamité, bien adroite, fit glisser de sa cachette jusque sous le pied de la dame, un petit morceau de savon. Sa maîtresse fit une embardée monstre, et s'étala de tout son long. Elle se releva avec une dent et une fierté en moins, sous les rires étouffés des courtisans.

Malheureusement, on rattrapa Foudre. Or, ce jour-là, était prévue la visite de l'héritier de la couronne, Vainqueur Loinvoyant lui-même. Le Duc de Béarn ne le portait pas en son cœur, et devant cette insupportable petite canaille de page, il eut l'idée d'en faire un cadeau empoisonné à son cousin. Il le présenta donc comme un serviteur exemplaire. Mensonge évidemment. Incapable de démentir sous peine d'être sévèrement puni, Foudre dut suivre le jeune roi-servant jusqu'à Castelcerf, la mort dans l'âme.

La supercherie fut découverte dès le premier soir. On avait assigné le « cadeau » de Glace au service personnel du roi-servant lors d'un grand banquet. Persuadés de sa compétence, les cuisiniers lui avait donné à porter une immense pyramide de choux à la crème, dont l'équilibre ne tenait qu'à quelques coulées de miel... La catastrophe survint à quelques pas de la famille royale. Foudre trébucha, les choux fondirent vers le sol... et vers la chevelure de la Reine. On vit alors le page maladroit s'élancer... rattraper les choux au vol dans une acrobatie périlleuse... et, sans paraître réfléchir, se mettre à jongler avec, comme si rien n'était plus naturel. Les courtisans se mirent à frémir d'hilarité. On n'osait rien dire, car on se demandait quand est-ce qu'un garde saisirait le page sous ordre du roi... Quand, soudain, un énorme rire se mit à résonner dans la grande salle. C'était le prince Vainqueur Loinvoyant qui, fidèle à sa franche nature, s'esclaffait gaiement devant le spectacle à la fois ridicule et touchant de ce page couvert de crème qui jonglait avec les choux avec tant d'adresse. C'est sur cette maladresse que fut conclue sa loyauté envers Vainqueur.

Foudre devint vite officiellement le Bouffon du Roi, le Fou en charge de toutes les pitreries et farces du château. Il devint rapidement la coqueluche de tous les nobles passant à Castelcerf. Il ne se privait pas cependant pour se moquer de tous, y compris le Duc Glace bien sûr... La reine Bienséance manquant (un peu) d'humour, elle le réprimandait régulièrement, lorsque Foudre s'aventurait trop près d'elle ou de ses amis. Mais constatant la loyauté du fou, elle modérait son jugement et lui accordait une relative confiance. En somme, Foudre n'avait aucun motif de se plaindre, et il était singulièrement heureux.

Ainsi, lors de la dixième année du règne de Vainqueur, lorsque Glace devint Régent, le Bouffon du roi passa sans doute les pires mois de son existence. Rancunier, le Duc s'amusa à humilier Foudre en faisant comme s'il n'existait pas et en ne lui donnant jamais l'occasion de faire son travail... Une horreur pour un pitre comme le Fou. Enfin, lorsque le Roi légitime rentra, la vie sembla reprendre son cours pour le Fou. Le serviteur n'avait pas oublié la manière dont Glace l'avait traité auparavant, et s'inquiétait des ambitions malveillantes de celui-ci à l'égard du trône... Par manque d'indices, le bouffon garda silence... pour l'instant.

Aujourd'hui, Foudre reste sur ses gardes face au sujet du possible mariage entre la princesse chalcédienne Shyrin et Vainqueur. Peut-être se rapprocher de la promise et l'observer lui permettra-t-il de laisser s'unir son roi sans inquiétude ni réserves. Protecteur et parfois possessif envers le souverain, la moindre félonie de la princesse déclencherait la colère du bouffon.

Que ce soit la Foudre d'orage ou le Foudre de guerre qui s'élance, ses ennemis n'en sortent jamais indemnes... et tant pis si ses seules armes sont des mots.