A 13 ans, le môme est déjà grand. Il a eu une poussée de croissance l'automne dernier et se plain de ne plus passer aussi inaperçu qu'avant. Ses doigts pourtant gardent la même agilité et ses jambes lestes le portent et l'enlèvent dans le vent. D'une physionomie toute en longueur, ses membres sont secs avec à peine ce qu'il faut de peau sur les os. Une espèce de tignasse brune pousse sur son crane, sans aucune discipline et abrite sans surprise une population de puces, à l'instar de ses habits sales et troués. Un gamin des rues, en somme, qui ne diffère en rien de ses semblables. Quoi que, si vous croisez son regard d'un bleu glacé vous risquez d'en rester prisonnier, le temps pour lui de vous dérober le contenu de vos poches avant de disparaître.

Vif est un petit homme malicieux. Tout en ruse et en esbroufe, il adore narguer les autres. Dans la rue on le connaît bien pour cela. Les gardes ne sont pas des étrangers non plus : il a déjà dû en côtoyer plus d'un. Ces balourds ne parviennent pourtant jamais à l'enfermer dans la cellule qu'ils estiment être sa place. Certains cependant ont compris que le môme pouvait s'avérer utile : Vif n'est pas avare, il aime voler, oui, mais autant pour pouvoir manger que pour le jeu, et si ça peut aider c'est encore plus drôle. Dans le même temps, il traîne dans la rue à longueur de journées, et il s'en passe des choses, on en entend des vertes et des pas mures. Comme les renseignements, c'est bien pratique pour les gardes, parfois, le petit voleur monnaye ses info. Avec ça, Vif a réussi à acheter quelques hommes qui l'aiment bien malgré ses défauts.

Une bonne connaissance de la ville, de ses voleurs, de certains gardes, des commerçants… le tout pas forcément en ami. En revanche, pas de famille.

La mère de Vif était une jolie femme, jolie mais pauvre. Le garçon se souvient à peine de la toute petite masure qui leur tenait lieu de maison. Sa mère travaillait beaucoup pour gagner à peine assez d'argent pour les nourrir tous les deux. Son père, il ne l'a jamais connu, il ne sait pas qui c'est et même si la question revient de temps en temps dans sa tête il ne s'en préoccupe pas trop. Il est trop occupé à se débrouiller pour survivre. Car sa mère est morte alors qu'il n'avait pas six ans, une mauvaise toux l'a emportée en quelques jours. Orphelin, il s'est retrouvé seul dans la rue à devoir voler sa nourriture.

Au début, ça a été dur. Des fois, il passait des journées entières sans manger. Il a parfois eu des problèmes avec les autres enfants de la rue. Il s'est fait battre, voler sa nourriture durement acquise, chasser des coins avec les meilleures récoltes… et puis avec le temps il a découvert des trucs et des astuces. Il a appris à passer inaperçu, à faire oublier sa présence, il a développé une agilité exceptionnelle pour glisser les doigts dans les poches sans que personne ne s'en rende compte. Il a trouvé des endroits où l'on ne venait pas le chercher, il a appris quand répondre et quand se taire pour mieux être tranquille face aux autres enfants de la rue.
Sa tâche la plus difficile a été de se débarrasser de cette stupide réputation de vifard qui lui collait à la peau. Tout ça à cause de son nom ! Longtemps, les gens ont cru que sa mère ne lui avait pas donné ce nom à la légère. Elle n'est plus tellement d'actualité désormais, car les gens le voient toujours seul, sans compagnon animal (autre que ses puces), mais il est encore des gens pour se méfier de lui. Ils n'ont pas tout à fait tord, mais le Vif n'est pas de ses atouts.

La rue n'est pas un monde facile. Il faut résister à la faim, au froid, fuir et se cacher des gens qui peuvent poser un problème d'une façon ou d'une autre. Et puis, forcément, il ne faut pas tomber malade, car il n'y a personne qui viendra vous aider. C'est pourtant arrivé à Vif. Plusieurs fois, bien sûr, comment voulez-vous qu'il en soit autrement dans de telles conditions ? Mais aucune maladie ne fut aussi difficile que celle qui s'empara de lui à la fin du printemps dernier. Il est alors tombé malade à tel point qu'il pensait y rester. Fièvre et délires, une faiblesse telle qu'il lui était incapable du moindre mouvement. Et dans la fièvre de ses rêves, il a vu des choses étranges. Des hommes qui se battaient, quelque part dans un endroit qu'il ne reconnaissait pas. Des voix qui se parlaient entre elles, ignorant sa présence. Lorsqu'il se réveilla de ce dernier rêve, son esprit divaguait. Il ne sentait plus la douleur de la maladie et son esprit anesthésié cherchait à comprendre ce qui venait de lui arriver.

A cette question, il ne trouva nulle réponse. Même lorsque son corps commença à montrer des signes d'un rétablissement prochain. Puis il finit par revenir à lui et à récupérer ses forces, et bien que la question l'occupe parfois il n'y pense pratiquement pas. Il a bien plus amusant pour s'occuper. Car depuis sa maladie, il se sent différent. Il s'est découvert de nouvelles capacités. Si avant il parvenait à passer inaperçu, il semble que désormais cela lui soit acquis même lorsqu'il n'est pas dissimulé. Quand il le veut vraiment, il est capable de faire croire aux gens qu'il n'est pas là, ce qui est bien pratique pour leur vider les poches en toute impunité. Grâce à cette capacité, il a aussi pu jouer de sales tours à ceux qui lui avaient fait du mal avant. Il les a fait trébucher quand ils tentaient de fuir leur victime, il leur a subtilisé leurs butins sans qu'ils ne s'en rendent compte et une fois il a même été jusqu'à leur lancer les gardes aux trousses.

Avec cette nouvelle capacité, Vif est devenu un petit démon de la rue. Presque toujours seul, sans ami, il ne se préoccupe pas trop du futur et se contente de vivre au jour le jour.