- Artiseur…

Elle répéta le mot dont elle ne comprenait pas toutes les implications. Même si cela faisait maintenant plusieurs années qu'elle vivait dans les Duchés, il était des choses qu'elle ne comprenait pas bien à propos de ce peuple. La sorcière avait bien sûr déjà entendu parler de ce clan qui entourait le roi et qui pratiquait un art étrange, capable de manipuler, ou quelque chose dans ce genre.

Ses pensées furent interrompues dans leur fil par la demande express de Vaillant. Mélisse acquiesça gravement.

- Bien sûr ! Je n'ai pas pour habitude de répéter les petits secrets des gens. Cela ne regarde personne.

Et puis, elle fit un lien avec ce qui s'était passé à peine un instant auparavant.

- Et je compte sur vous pour ne rien dire non plus.

Elle venait de comprendre cette étrange présence qu'elle avait ressenti. Vaillant avait voulu la sonder. Dans quel but elle pouvait le deviner aisément, puisqu'il ne croyait pas à sa magie. Du moins avant, et maintenant, qu'en était-il à présent qu'il avait lu dans son esprit ? Mélisse était une éternelle optimiste, pourtant, là, elle devait avouer qu'elle était mal à l'aise. Elle se demandait ce que Vaillant avait appris dans son esprit, c'est qu'elle avait quelques clients tout de même, et connaissait les secrets de chacun. Des choses qu'ils ne voudraient pas que d'autres sachent, c'était avant tout ce que demandaient tous ceux qui passaient le seuil de sa porte. Mal à l'aise, elle se dandinait un peu dans son fauteuil, avant qu'elle s'en rende compte et arrête puis se redresse pour poser sa tasse sur la table, pour se donner une contenance, au moins un instant.

- Votre magie est étrange, ne put-elle s'empêcher de lui dire.

Vaillant avait changé. Mélisse le remarqua aussitôt. Bien qu'elle soit mal à l'aise, ses perceptions n'en étaient pas altérées le moins du monde. Son client avait regagné sa confiance en lui, elle venait de lui donner un moyen de retrouver son assurance en lui donnant un ascendant sur elle. La sorcière en était à la fois dérangée et contente. Car certes Vaillant allait pouvoir quitter sa boutique l'esprit tranquille mais il se faisait aussi des illusions sur elle, elle n'en doutait pas.

Néanmoins, non seulement elle ne fit rien pour le détromper quant à sa fragilité, mais en plus elle joua le jeu. Son assurance quant au fait qu'il n'avait rien lu des secrets liés à ses autres clients rassura cependant la sorcière qui, dès lors, cessa de s'agiter. Il pouvait bien s'amuser d'elle tant qu'il ne touchait pas à ses clients.

Ce fut au tour de Mélisse de découvrir la magie de son client. C'était bien le monde à l'envers. Elle ouvrit de grand yeux lorsque la silhouette d'un dragon se dessina dans les flammes de son feu.

- Comment… ?

Il n'avait pas approché le feu pour y jeter la moindre poudre, ni même fait le moindre geste. Puis elle comprit.

- Je vois, sourit-elle, plus émerveillée qu'inquiète, vous manipulez mon esprit et non les flammes. C'est une jolie magie que vous me montrez là.

Toute enthousiaste qu'elle était, Mélisse ne réalisait pas que, en temps normal, les Artiseurs utilisaient rarement leur magie de manière aussi "jolie".
Son regard vert retourna à Vaillant et, tout sourire :

- Vous devez faire de jolis rêves si vous êtes capable de manipuler ainsi les esprits.

Avait-elle fait une bourde ? Sans doute. Les mots lui étaient venu sans qu'elle y réfléchisse. Elle n'avait pas pensé que cela ramènerait sur la table la raison, triste, de la venue de son client. Et pourtant, elle aurait dû. Cela faisait parti de son travail également. Elle était là pour panser les cœurs et non pour les blesser, ou appuyer sur les blessures.

- Non, ce ne serait pas souhaitable, approuva-t-elle en occultant son aveu à propos des rêves.

Mais elle connaissait mal cette magie des Duchés. Elle en avait entendu parler, bien sûr, impossible de vivre dans les Duchés sans entendre parler de l'Art, mais le peuple ne sait pas comment elle fonctionne, les gens ne savent pas l'étendue de ses capacités, c'est à peine s'ils savent les grandes lignes. La seule chose sûre, c'est que l'Art représente une arme incomparable et que, contre ça, les Chalcédiens n'ont qu'à bien se tenir !

L'accusation quant à elle sortit Mélisse de sa gène. Manipulation ? La sorcière ouvrit d'abord de grands yeux étonnés en se demandant ce qui avait bien pu lui donner cette impression, puis elle saisit. Vaillant n'étant pas homme à se confier facilement supportait mal de s'être laissé aller.

- Manipuler les gens, moi ? J'en serais bien incapable !

Elle rit à cette idée. Tellement absurde !

- Non, je suis capable de lire dans leurs attitudes, de savoir ce dont ils ont besoin, dans les grandes lignes, pour répondre à leurs attentes, pour leur apporter ce dont ils ont besoin. Mais les manipuler, non. Une personne qui franchit ma porte sait qu'elle devra se confier à moi, elle a déjà pris la décision de me parler, je n'ai pas besoin de manipulation pour cela.

Amusée, elle regardait Vaillant tenter de rejeter la faute sur elle. Sorcière, devait-il se dire, escroc même, sans doute. Elle ne chercherait pas à le détromper. Elle était ainsi faite et ne s'excuserait pas de détenir une magie qu'il ne possédait pas. D'ailleurs, Vaillant n'aurait probablement pas l'idée de s'excuser de posséder l'Art.

- Avez-vous à ce point honte de cette confidence ?

Dans la cheminée, le bois craqua et un morceau de bûche se détacha du reste. Non loin, Chasseur ouvrit un œil. Il s'étira longuement, avec toute l'application que sait y mettre un chat, et jeta un regard à peine curieux à Vaillant avant de se lécher la patte. C'était une après-midi comme une autre, pluvieuse, où il faisait bon à se tenir au coin du feu.

- Vous n'avez rien à craindre de moi, savez-vous ?

Les yeux verts de Mélisse suivirent Vaillant alors qu'il se levait. Pétillants de malice, elle montrait qu'elle n'était pas dupe de son manège. Elle n'en dirait rien pourtant, pas question de forcer quiconque au-delà de ses retranchements. Pas question de braquer le client. Après tout, dans les affaires ne dit-on pas que le client est roi ? Et même si la sorcière se permettait quelque laxisme vis à vis de cela, elle n'en était pas moins là pour servir ses clients et répondre à leurs attentes.

Mélisse se leva elle aussi, plus souplement et sans empressement. Elle vint se planter face à Vaillant, entrant à peine dans son espace personnel sans pour autant trop en faire, les mains sagement jointes sur son ventre.

- Quel prix estimez-vous juste pour ce que je vous ai offert en réponse à votre besoin ?

Elle l'observait avec douceur, sans aucune agressivité. La sorcière n'était pas une femme d'affaire. Elle n'avait ouvert une boutique que pour vivre en vendant ses services, et non pour dépouiller ou faire fortune au détriment des nécessiteux.

- Hé bien dans ce cas, Vaillant, je vais vous demander 2 pièces d'argent.

Vaillant était de ces clients qui pouvaient payer en espèce sonnantes et trébuchantes. Mélisse n'exigeait jamais plus que ce que les clients pouvaient lui donner, rarement du moins, l'essentiel pour elle étant qu'elle puisse vivre et que le client soit satisfait. Rien de plus.

- Et soyez rassuré quant à l'efficacité de votre amulette, vous sentirez très vite son effet.

En réalité, dès le lendemain, après une nuit où l'amulette se trouverait près de lui et lui procurerait des rêves apaisants, il se sentirait plus léger. Le souvenir de sa bien aimée ne lui serait plus douloureux et quelque jours plus tard elle ne serait plus qu'un vague souvenir comme un autre. La sorcière était sûre de son effet, elle avait confiance en ses pouvoirs, néanmoins, si cela pouvait rassurer son client, elle ajouta :

- Si vous ne vous sentez pas mieux, revenez me voir dans quelques jours et je vous arrangerai ça, gratuitement bien entendu.

Elle ponctua sa déclaration d'un sourire bienveillant qui se voulait rassurant. Vaillant n'avait pas de soucis à se faire.

Mélisse le laissa s'en aller sans plus de manière. Il lui semblait qu'elle avait fait ce qu'il fallait pour lui aujourd'hui, c'était désormais à lui de prendre les choses en mains et de faire de sa vie ce qu'il voudrait. Elle lui tint la porte tandis qu'il s'en allait et, tandis qu'il passait devant elle, l'invita à revenir s'il en sentait le besoin.

- Mon feu est toujours allumé pour ceux qui en ressentent le besoin. Au revoir, Vaillant, et bon courage.

Elle lui sourit une dernière fois avant qu'il ne s'en aille puis referma doucement la porte derrière lui. La sorcière alla ranger le prix de son aide puis s'affaira à reprendre ses activités, brièvement interrompues par l'arrivée du client.