Comme je m'y attendais, Shyrin reçu mal ma déclaration. Grâce à notre proximité, je ne pouvais rien en ignorer. Il n'y eu pas d'éclat, ni de grands airs, rien qu'une incompréhension. La pauvre princesse était perdue dans ce nouveau monde. Elle qui avait toujours vécu dans un cocon ne prenait pas pleinement conscience de ce que les autres vivaient. Elle commençait à peine à le toucher du doigt. De la même manière que je l'instruisais depuis qu'elle était toute petite, j'allais devoir lui expliquer pourquoi être libre était cher aux hommes.

- Être libre, ça veut dire que nous pouvons choisir nous-mêmes comment mener notre vie, quel travail effectuer, avoir le droit de tomber amoureux et de se marier, de parler avec qui on veut, d'avoir de l'argent pour s'acheter ce dont on a besoin et ce que l'on souhaite. Tu sais, tous les esclaves n'ont pas eu notre chance, à Shane et moi. Nous avons été bien traités, dans l'ensemble, mais les esclaves des Fanel, par exemple, ne peuvent pas s'en vanter. Beaucoup sont battus régulièrement.

Difficile d'expliquer la liberté quand on n'en a pas fait l'expérience soi-même. Pour moi, ce fut un rêve, un jour, que d'être libre. Pouvoir vivre une vie normale comme tous les enfants de mon age, puis comme les adultes de mon age. Malheureusement, cela n'a jamais été possible pour moi dont le rôle de Prophète était évident dès le jour de ma naissance. Rien que pour ma peau blanche.

- Ici, un homme n'a pas le droit de posséder un autre homme comme s'il s'agissait d'un vulgaire animal. Ici, ceux qui servent un homme ont le droit de partir, de dire « j'en ai marre » et de s'en aller, sans recevoir de coup de fouet. Chacun a le droit de décider comment vivre. Tu comprends ?

Je n'en étais pas certain, mais ce concept si étrange il faudrait qu'elle le comprenne. C'était essentiel pour la suite.

Voilà qui donnait matière à réfléchir à Shyrin. Retirant ses mains de celles d'Ava sans y penser réellement, elle se détourna de lui, la mine songeuse. Elle ne saisissait pas réellement ce qu'il tentait de lui expliquer. Ses esclaves avaient toujours eu les droits qu'il lui décrivait là.

- Tu es mal avec moi ? Tu veux autre chose ? Murmura-t-elle.

Elle avait conscience, bien sûr, que les Fanel - pour ne citer qu'eux - ne traitaient pas leurs esclaves aussi bien que les Cardia, a fortiori qu'elle-même. L'état d'Acuité à son arrivée chez elle - même si elle était alors prisonnière de guerre - était la preuve de ce dont certains étaient capables. Pourtant, on était loin du sort qui avait été réservé aux siens. Elle ne comprenait pas bien et s'abima dans la contemplation aveugle de l'extérieur par le carreau givré.

- Si c'est ainsi...

C'était là sa conclusion car elle ne savait que dire hormis admettre ce contre quoi elle ne pouvait lutter. Il ne lui restait qu'à accepter et tenter de comprendre. Si elle le pouvait.

Déjà, elle se détournait de moi. Ses doigts délaissèrent les miens et ses yeux repartirent dans le brouillard extérieur. Ce que je venais de lui dire la blessait, je crois. A moi, pourtant, il me sembla que c'était quelque chose d'essentiel qu'elle devait saisir. Peut-être ne comprenait-elle pas à ce moment, peut-être que cela viendrait, ou peut-être pas, mais au moins le savoir.

- Tu es ma princesse, je resterai avec toi, libre ou esclave.

Sur ces mots, je me levais. Il me semblait qu'il était temps que je m'en aille. Elle avait un autre grain à moudre, maintenant. J'étais de trop, et j'avais d'autres tâches qui m'attendaient. Avant de partir, je débarrassais et mettais un peu d'ordre dans la pièce puis je m'en allais en refermant doucement la porte derrière moi. Je ne savais pas trop si j'étais parvenu à mes fins mais au moins j'avais essayé.