Les directives avaient été claires, il ne devait pas rentrer sans Acuité.
Après avoir cherché durant des semaines dans toute la province de Cerf, après s'être introduit dans la chambre du Maître d'Armes, il poussait la recherche jusqu'en Chalcèdes, persuadé que Braveterre saurait. Cependant même s'il s'était préparé à un long voyage seul et à bien d'autres choses, il ne pouvait y aller sans dire au revoir à la femme qui hantait ses nuits, un au revoir qui se transformerait peut-être en adieu.

La découverte de sa nuit avec Vaillant avait empêché le Béarnois de venir la voir comme ils l'avaient convenu, tous les dimanches. Il lui en voulait, même si elle n'était pas vraiment responsable. Mais depuis que leur relation s'était stabilisée, Taebryn avait déjà du mal à accepter le fait qu'elle couche avec d'autres pour son métier. Mais le fait est qu'elle avait couché avec Vaillant, son ami et que cela changeait tout.
Il n'arrivait pas à se persuader qu'elle n'y pouvait rien, et que Vaillant non plus d'ailleurs. Leur union n'était que le fruit du hasard et personne n'aurait pu ni le prédire, ni l'empêcher.
Entêté, triste et déçu, il n'arrivait pas à passer au delà de tout ça.
Mais il avait beau y réfléchir, rien ne justifiait véritablement son absence des dernières semaines. Comment lui faire comprendre que partager son corps avec d'autres lui était insupportable?

Ce soir là, il prit enfin son courage à deux mains et se rendit au Nid. Il s'avança en direction de la fenêtre d'Iris et jeta quelques cailloux pour signaler sa présence.
Planqué à coté des buissons, il patienta pour voir si elle daignerait le laisser entrer après plusieurs semaines d'absences.

Iris apparut sur le seul ses cheveux lâchés, mouillés comme si elle était descendue dans l'urgence.
Il la regarda un instant, cherchant au fond de lui quels sentiments faisaient rage.
Perchée sur les hautes marches, il était obligé de lever sa tête et cela n'était pas arrivé depuis leur toute première rencontre.
La nostalgie le prit soudain, alors qu'il s'était déplacé pour toute autre chose.

Ce soir là, c'était une Iris blessée qu'il avait recueillit. Aujourd'hui, elle semblait témoigner de la même détresse mais rien n'était sûr, les ombres de la nuit se jouaient peut-être de lui.
Il était venu régler leur histoire avant son départ, chargé de rancoeur vis à vis de cette nuit avec Vaillant qui avait attisé un rejet de toutes les autres nuits avec tous ses autres clients.
Il ne pouvait supporter ça.

Et comme en réponse à ses pensées, comme s'il se devait de reprendre possession de ce qui lui appartenait, il gravit les quelques marches qui les séparaient et l'embrassa.
Cette bouche était la sienne, ce parfum était à lui. Elle, tout entière n'appartenait qu'à lui, et El savait qu'elle lui avait manqué.

- Il faut qu'on parle, sont les seuls mots qu'il parvint à prononcer lorsqu'il la relâcha, à regret.

La question qu'elle lui posa ne le surprit pas. Les rumeurs allaient bon train et il lui sembla évident qu'un bordel en sache même plus que n'importe quel autre lieu.
Il sentit le reproche dans sa voix et cela le rassura un peu. Elle ne voulait pas le savoir loin.

Il hocha simplement la tête pour affirmer ce qu'elle savait déjà, mais se précipita d'ajouter :

-Il n'y a pas que ça. J'ai besoin de te parler.

Sa voix était plus grave, toujours sérieuse. Arrivait-elle à percevoir qu'il se contenait? Il voulait faire un point sur leur situation, et cela impliquerait de parler de sa nuit avec Vaillant.
C'était comme se poignarder sois-même, mais quelque fois, la douleur devait être présente pour mieux guérir. Comme si l'idée même de cette discussion le rendait malade, il l'enlaça à nouveau et murmura au dessus de sa tête.

- Montons, je t'en prie.

Supplication aux notes annonçant une tourmente probablement bien pire que tout ce qu'ils avaient vécus jusqu'à présent.

Il la suivit à travers les couloirs du Nid jusqu'à sa chambre. Chambre qu'il n'avait pas vu depuis leur première soirée ici et dans laquelle ils n'étaient d'ailleurs pas resté ce soir là.
il se sentit presque timide, pénétrant dans cette pièce quasiment inconnue.
Elle referma la porte derrière lui et il se demanda si elle aurait des problèmes en le laissant grimper jusqu'ici.
Et puis, il aperçut le baquet d'eau fumante et comprit alors pourquoi ses longs cheveux étaient mouillés. Sans plus de cérémonie, elle l'invita à partager ce bain qui semblait n'attendre qu'eux.
Son peignoir glissa sur son corps, et comme d'habitude, Taebryn ne pu s’empêcher de savourer les lignes de ses courbes. A ses yeux, elle était parfaite.

Sans plus attendre, elle s'avança et lui fit retirer son manteau, puis sa veste, sa tunique, le déshabillant étape par étape, morceau par morceau dans un silence profond.
Il n'osait pas parler, ni même la déranger dans son entreprise et la laissa faire.

Ses muscles étaient douloureux d'avoir autant chevauché ces dernières semaines et ses nuits manquaient de sommeil. Enfin, quand il fut nu comme un nouveau né, elle l’entraîna dans le baquet. Il s'y assit, savourant l'eau brûlante sur son corps aux muscles tendus, et lorsqu'elle le rejoint, il l'installa devant lui, avant de l'enlacer avec un soupir de satisfaction.
Dos à elle, il ne pourrait voir son regard alors qu'il l'accuserait simplement d'avoir fait son travail. Mais le mal le rongeait et il devait crever l'abcès.

Il respira l'odeur de ses cheveux, caressa sans bouger ses paumes, sa peau, du bout des doigts. Elle était si proche, et tout était si serein qu'il aurait voulu passer la nuit ainsi.

-J'ai quelque chose sur le coeur, commença-t-il doucement. Dans tes clients ces derniers mois, tu en as eu un en particulier. Un bon ami à moi. ( Il resserra son étreinte) En temps normal, j'ai déjà un mal fou à accepter que d'autres te touchent....mais de savoir que lui t'as fais sienne...ça me rend dingue.

Il serrait les dents mais d'imaginer Vaillant la caresser, l'embrasser, la posséder et qu'elle lui rende la pareille, le rendait fou. Il ne voulait pas la partager, il voulait la garder pour lui seul.
Iris était son joyau, la personne la plus précieuse qu'il lui eut été donné de rencontré ces dernières années. Honteux d'un tel aveu, il enfouit son visage dans sa nuque et acheva l'humiliation en lui disant la vérité tout bas :

- C'est pour ça que je ne suis plus revenu...j'avais peur..peur de ce que je pourrais te dire ou te faire. Je suis désolée.

Il ne voulait pas la lâcher mais s'attendait déjà au verdict sans appel de la jeune femme. La dernière fois, sur la falaise, elle lui avait froidement et violemment reproché son absence alors qu'ils n'étaient pas encore un couple, qu'en serait-il aujourd'hui?

Il la regardait à l'autre bout de baquet et ses mots le blessèrent. Iris ne semblait pas pour l'exclusivité et il se sentit subitement très peu compatible.
Bougon, il grommela avant de croiser ses bras sur sa poitrine :

- Je me moque de savoir qu'il te soit sympathique ou non, j'ai bien faillit l'étriper.

Son regard parcouru la pièce avant de se reporter sur elle.

- Alors, reprit-il, qui d'autre as-tu choisi pour tes dimanches? Combien sommes-nous à partager tes faveurs? Si je devenais l'homme d'une autre, tu trouverais ça normal?

Le ton était monté d'un cran sans qu'il ne s'en rende compte, mais la situation le tourmentait. Et à nouveau, il fit silence, cherchant à éviter son regard. La colère grondait dans ses veines et il ne voulait pas perdre la face, mais au fond de lui, il se demanda si le combat n'était pas perdu d'avance.

Il se prit l'eau en plein visage et la regarda furieux. L'eau dégoutta de sa barbe tandis que sa propre colère enflait.

- C'est toi qui dit n'importe quoi! Je me demande comment tu le prendrais si je devais honorer d'autres femmes "pour le travail". J'ai le droit de ne pas aimer ça, j'ai le droit de te vouloir pour moi seul, peu importe tes traditions des Iles, rugit-il.

Et comme elle juste avant, il l'aspergea également avant de se remettre à bouder. On aurait dit deux enfants dont le jeu aurait mal tourné. Avaient-ils déjà eu un seul moment de béatitude tous les deux? Taebryn remarqua que non.
Il soupira longuement avant de tendre une main vers elle en signe de paix et lui murmura :

- Viens là....

Iris se leva d'un bond et lui hurla dessus, rejetant par la même cette demande de paix entre eux.
Il la regarda, totalement incrédule, quitter le bain, s'emmitoufler dans sa robe de chambre et se mettre au lit. Dos tourné, elle lui indiqua qu'il pouvait partir.

Il n'en croyait pas ni ses yeux ni ses oreilles et resta quelques instants immobile dans le bain, réfléchissant à la meilleure façon de procéder.
Oh comme elle le lui demandait, il aurait pu se rhabiller et la quitter sans promesse de retour. Après tout, il partait en Chalcèdes d'ici peu. Cependant, il n'était pas venu pour une énième engueulade, mais pour lui parler à coeur ouvert. Il ne voulait aucun regret la concernant et avait pris sa décision.

Il se leva à son tour et s'essuya avant de renfiler son pantalon. Sa tunique entre ses mains, il s'avança vers le lit par le côté vide. Il s'assit sur le rebord et observa un instant la masse que le corps de la jeune femme formait sous les draps.
Il voulu poser sur elle une main apaisante mais de mémoire, ses expériences passées avec Iris en colère lui enseignaient de ne pas la toucher.

-Iris, murmura-t-il doucement. Je n'ai aucun droit sur toi, ce n'est pas ce que je voulais dire mais...essaye de comprendre qu'il m'est insupportable de t'imaginer avec d'autres.

Il marqua une pause et reprit d'une voix plus rauque comme sous l'effet de la douleur :

- Je...je dois partir en Chalcèdes, la fille de mon Duc a disparue et je pense en apprendre un peu plus là bas.
Je n'ai pas la moindre idée du temps que ça me prendra...s'il te plait, attend moi, je reviendrais c'est sûr, je te le promets et à mon retour...épouse moi?


A présent, l'espoir brillait dans sa voix.

Lorsqu'il parla de Chalcèdes, Iris sortit la tête des draps. Elle paraissait effrayée et cette expression ne s'arrangea pas lorsqu'il la demanda en mariage. Par El...avait-il dit encore ce qu'il ne fallait pas?
Elle s'approcha et il cru se prendre une gifle, mais à contrario, elle grimpa sur ses genoux tout en lui donnant son accord.
Il n'en croyait pas ses oreilles. La peur qui lui ceinturait le ventre s'envola comme un mauvais rêve et il plongea son regard dans le sien, alors qu'elle lui imposait de revenir vite.
Etait-elle pressée à présent? Il émit un sourire béat, trop heureux qu'elle accepte de devenir sa femme. Sa femme, le mot roula lentement dans son esprit. Lui, qui ne souhaitait pas se marier allait pourtant le faire. C'était bien la seule solution qu'il avait trouvé pour arrêter de la partager.
Il lui faudrait cependant demander l'accord à Glace, mais il ne douta pas une seule seconde que le Duc le laisserait partager sa vie, tant que le secret était bien gardé.
Jusqu'à ce jour, aucune curiosité n'avait été éveillée chez Iris.
Elle aurait une maison à charge en Béarns, hors de question qu'ils habitent au château ducal. Taebryn était persuadée, que la jeune femme trouverais de nouveaux loisirs. Bougies, parfums, herboristerie, broderie, elle trouverait forcément, même si son caractère lui permettrait tout autant de chasser le lapin avec ses dents.
Il pouffa de rire à cette idée, subitement envoûté par l'euphorie de cet accord qui sonnait comme une promesse. Une promesse d'un avenir partagé et peut-être d'enfants.

Il hocha la tête et répéta confiant :

- Je reviendrais vite.

Sur ses mots, il l'embrassa avec tendresse tandis que ses mains dégageait les épaules de la robe de chambre. Il voulait goûter à ce contact dont il avait privé depuis trop longtemps. Le baiser l’électrisa et lui donna la chair de poule et ses mains ne s'arrêtèrent pas, glissant de ses épaules à ses hanches jusqu'au creux de ses reins.
Il la désirait ardemment, et pour la première fois, il sentait ce désir légitime.